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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le logement comme facteur d'intégration sociale pour les personnes iti-nérantes aux prises
avec des problèmes de santé mentale participant au Projet Chez Soi à Montréal
. (2013)
Résumé


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Henri Dorvil et Sarah Boucher Guèvremont, Le logement comme facteur d'intégration sociale pour les personnes iti-nérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale participant au Projet Chez Soi à Montréal. Rapport de recherche présenté à la Commission de la santé mentale du Cana-da. Montréal : UQAM, Faculté des sciences humaines, août 2013, 145 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 novembre 2015 de diffuser ce rapport de recherche en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[6]

Le logement comme facteur d'intégration sociale
pour les personnes itinérantes aux prises avec des problèmes
de santé mentale participant au Projet Chez Soi à Montréal.

Résumé

Depuis une vingtaine d'années, au Canada tout comme en Europe et aux États-Unis, l'itinérance est de nouveau apparue comme un important problème social en raison de son aggravation, de la diversification des groupes touchés et de la détérioration des conditions de vie des personnes itinérantes (Mercier, Fournier, Racine, 1994 ; Laberge et al, 1995 ; Toro, 2007 ; Brousse, Firdion, Marpsat, 2008). Les études épidémiologiques constatent par ailleurs une forte prévalence des problèmes de santé physique (Hwang et al., 2005 ; Hwang et al., 2011), la présence d'une surmortalité comparable à celle des populations dans les pays en voie de développement (Hwang, 2000 ; Larimer et al., 2009) ainsi qu'une forte prévalence des problèmes de santé mentale au sein de la population itinérante (Fortier, Thibaudeau, Campeau, 1998 ; Frankish, Hwang, Quantz, 2005 ; Fazel et al., 2008 ; Aubry, Klodawsky, Coulombe, 2012).

Depuis presque deux décennies, l'itinérance est donc redevenue une question majeure de société soulevant plusieurs enjeux : l'existence toujours prégnante d'une pauvreté extrême que l'on croyait marginale, la hausse des inégalités sociales, le rôle effrité de l'État Providence, les modalités de prise en charge ainsi que les capacités réelles qu'ont les sociétés à inclure les groupes fortement marginalisés. Pour faire face à ce problème social présent dans l'ensemble des pays occidentaux, l'avancement actuel des connaissances se tourne de plus en plus vers l'identification des processus favorisant les voies de sortie de l'itinérance, mais aussi des dispositifs de prises en charge et de protection sociale permettant de mettre en œuvre une politique préventive face à l'instauration des personnes dans des formes d'itinérance avec une attention particulière à l'égard des personnes sans-abris aux prises avec des problèmes de santé mentale (European Consensus Conference on Homelessness, 2010 ; CIHI, 2007 ; Kertesz et al., 2009).

Parmi les stratégies préventives développées, plusieurs études indiquent que le logement constitue une pierre angulaire importante pour la prévention de l'itinérance ainsi que la diminution de l'incidence des problèmes de santé mentale (Nelson, Aubry, Lafrance, 2007 ; Philippot et al., 2007 ; Toro, 2007 ; Culhane, Metraux, 2008 ; Forchuk et al., 2008 ; Fallis 2010 ; Fitzpatrick-Lewis et al., 2011). L'intérêt grandissant à l'égard de la question du logement s'explique d'une part, par le fait que le logement constitue un déterminant social de la santé au même titre que l'éducation et l'emploi (Dorvil et al., 2002, CIHI, 2007). D'autre part, l'intérêt à l'égard du logement s'explique par le fait que non seulement l'itinérance se définit essentiellement par l'absence d'un logement, mais aussi par le fait que le logement est probablement considéré comme l'un des facteurs structurels déterminants à la fois dans l'explication de l'itinérance que comme moyen de sa prévention (Anderson, 2004 ; Shinn, 2007 ; Toro, 2007).

Dans une visée de développer une stratégie de lutte face à l'itinérance, l'approche du Logement D'abord ou Housing First est, par ailleurs, de plus en plus pressentie comme un modèle d'habitation le plus à même de soutenir la prévention de l'itinérance chez les personnes ayant des problèmes de santé mentale et cela dans l'ensemble des pays occidentaux dont le Canada (Culhane, Metraux, 2008 ; Gulcur et al., 2003 ; Tsemberis, Gulcur, Nakae, 2004 ; Corrigan, McCracken, 2005 ; Nelson, Aubry, Lafrance, 2007). Les résultats des recherches portant sur cette approche montrent qu'au niveau de la stabilité résidentielle, le [7] taux de rétention se situe entre 80% et 90% (Tsemberis, Gulcur, Nakae, 2004 ; Stefancic, Tsemberis, 2007 ; Forchuk et al., 2008 ; Pearson, Montgomery, Locke, 2009 ; DeSilva, Manworren, Targonsky, 2011). Concernant les symptômes psychiatriques, l'étude de Greenwood et al. (2005) fait état d'une plus grande diminution des symptômes. Bien qu'il ne semble pas avoir de consensus sur l'efficacité du programme en matière de réduction de la toxicomanie, plusieurs études indiquent une incidence positive du programme sur la consommation de drogue et d'alcool (Stefancic, Tsemberis, 2007 ; Kertesz et al., 2009 ; Fitzpatrick-Lewis et al., 2011 ; Padgett et al., 2011 ; Collins et al., 2012). Aussi, des études qualitatives ont montré que les participants au programme ont une meilleure perception de leur qualité de vie, un meilleur sentiment de contrôle (Nelson et al., 2007), développent un sentiment de sécurité (Padgett, 2007), et perçoivent le support communautaire comme un levier important à leur rétablissement (Stanhope, Marcus, Solomon, 2009 ; Fitzpatrick-Lewis et al., 2011 ; Henwood, Stanhope, Padgett, 2011). Au niveau de l'usage des services, les études constatent une diminution des hospitalisations (Gulcur et al., 2003), une diminution de l'usage des urgences, des centres de désintoxication et des services d'incarcération (Culhane et al., 2002 ; DeSilva, Manworren, Targonsky, 2011 ; Fitzpatrick-Lewis et al., 2011). Par ailleurs, le programme Housing First entraînerait une réduction des coûts dans la mesure où les participants sont moins judiciarisés et moins hospitalisés, fréquentent moins les urgences, les refuges et les centres de désintoxification (Gulcur et al., 2003 ; Culhane, Metraux, 2008 ; Larimer et al., 2009 ; Chalmers McLaughlin, 2011).

Au Canada, depuis 2009, la Commission de la santé mentale du Canada a mis en œuvre un projet de recherche national dénommé le projet Chez Soi / At Home afin de vérifier si l'approche du Logement D'abord pourrait être une avenue intéressante et plus fructueuse que les modes de prestation de services habituels adressés aux personnes itinérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Ce projet de recherche est implanté dans cinq villes canadiennes (Moncton, Montréal, Toronto, Vancouver, Winnipeg). Pour ce qui est de la ville de Montréal le projet Chez Soi vise d'abord à offrir aux personnes sans-abris aux prises avec des problèmes de santé mentale, des logements à coût abordable, situés dans le parc locatif privé, puis leur fournir les services et le soutien dont elles ont besoin.

Afin de mieux apprécier en quoi l'approche du Logement D'abord peut faire une différence comparativement aux autres modes de prestation de services habituels, l'objectif de cette présente recherche vise à comprendre pourquoi et comment l'obtention d'un logement autonome, à prix abordable et situé dans le parc locatif privé est un support appuyant les participants du Projet Chez Soi montréalais vers une intégration sociale. Plus spécifiquement, il s'agit de prendre connaissance des problèmes d'intégration sociale auxquels se butent les participants au projet Chez Soi mais aussi prendre connaissance des facteurs qui participent à une insertion dans la communauté tout en explorant cette épreuve existentielle que constitue l'expérience résidentielle.

Comme le montrent plusieurs études portant sur l'approche du Logement D'abord, il reste encore à comprendre les facteurs qui participent à l'intégration des personnes en logement (Padgett, 2007 ; Pearson, Montgomery, Locke, 2009 ; Stanhope, Dunn, 2011 ; Nicholls, Atherton, 2011). L'habitation est certes un vecteur d'intégration sociale, mais il semble que les formes matérielles de l'habitation ne soient pas suffisantes pour soutenir une véritable intégration sociale dans la durée. Ainsi, il ne faut pas voir l'itinérance [8] uniquement sous l'angle de la santé. Il s'agit aussi d'un problème d'estime de soi, d'un souci de cohérence de soi pour reprendre ce terme de Goffman, de recherche dans la rue d'une perche identitaire que l'on ne retrouve plus dans les réseaux traditionnels (famille, carrière, plan de retraite). L'itinérance, du moins au niveau de l'imaginaire est une salle d'attente d'ascension sociale ou de désaffiliation avant de connaître l'humiliation de manger dans les poubelles. Selon Laé et Murard (2011), le cortège des problèmes sociaux ne relève pas d'une pathologie quelconque, mais d'un processus d'appauvrissement, de conditions de vie dont l'habitat forme le nœud. À cet effet, la littérature indique que l'acquisition d'un logement constitue un point de départ vers une insertion, mais que d'autres facteurs tels que le voisinage, les locateurs, le réseau social, l'adaptation à un nouvel environnement, la transition vers un nouveau mode de vie, la stigmatisation, la gestion du quotidien, de la maladie, du budget, de la consommation de drogue seront déterminants pour la réalisation d'une intégration sociale (Kloos, Shah, 2009, Yanos et al., 2007 ; Pearson, Montgomery, Locke, 2009 ; Farrell, 2010 ; Levitt, 2011 ; Nicholls, Atherton, 2011 ; Padgett, Henwood 2012).

Afin de mieux saisir le rôle du logement comme vecteur d'intégration sociale pour les participants montréalais au projet Chez Soi, le premier volet de cette recherche se tourne vers l'analyse des trajectoires de vie et des expériences résidentielles de 16 résidents participants au projet Chez Soi. L'analyse des trajectoires de vie nous mène dès à lors à dresser le profil de trois groupes distincts en regard du processus de désinsertion sociale sous-jacent à la situation d'itinérance. D'abord, un premier groupe appelé « les inactifs contre leur gré ». Il s'agit de personnes itinérantes que des conjonctures économiques de toute sorte poussent à la rue, qui n'ont pas fait le choix de la rue. Des personnes rattrapées par des soubresauts de l'économie (fermeture d'usine, travail temporaire par exemple) qui transforment leur destin. Des personnes pour qui habiter devient de plus en plus problématique. Bref, des personnes autrefois qui seraient prises en charge par l'État-Providence, mais qui ne rentrent plus dans les règles de la nouvelle normativité axée sur l'autonomie régissant désormais la clientèle de la protection sociale. Un deuxième groupe qui a pour caractéristique commune un long séjour ou des séjours répétés au sein d'une institution pénale. Nous avons nommé ce groupe « les ex-détenus, prisonniers de l'intérieur », car la plupart ont des problèmes de santé mentale plus « lourds » que les autres participants rencontrés. Finalement, un troisième groupe, plus jeune, qui s'identifie très peu à la « clientèle » appartenant à la psychiatrie et qui d'ailleurs ne fréquente pas ce type de service. Nous avons nommé ce groupe « les jeunes baladeurs des paradis artificiels », car l'une des caractéristiques communes qui rythment leur parcours de vie n'est ni l'occupation d'un emploi, ni un long séjour en prison, mais plutôt la consommation de drogue et plus particulièrement la consommation de drogues dures (cocaïne, crack, héroïne).

Après ce regard sur les parcours de vie des personnes rencontrées, l'analyse se déplace vers les expériences résidentielles des participants au projet Chez Soi. Les expériences résidentielles sont abordées à partir des significations et du point de vue des participants. Le cadre théorique qui appuie cette analyse est soutenu par le concept de sécurité ontologique. Le concept de sécurité ontologique est de plus en plus utilisé par la littérature pour apprécier l'insertion en logement des groupes marginalisés et plus particulièrement pour mesurer comment le logement peut être un lieu de sécurisation favorisant la protection de l'intimité et de la vie privée. Ainsi, l'usage de ce concept postule que le logement, n'est pas seulement un toit où l'on s'abrite, mais aussi un chez soi (Parsell, 2011 ; Brueckner, Green et [9] Saggers, 2011 ; Morin et al., 2009 ; Hulse, Saugeres, 2008 ; Padgett, 2007 ; Moore, 2007 ; Mallet, 2004 ; Jones, Chesters, Fletcher, 2003 ; Hiscock et al., 2001 ; Somerville, 1997 ; Dupuis, Thorns, 1998). Les dimensions de la sécurité ontologique retenues pour analyser les significations du chez soi sont : l'intimité, la vie privée, le contrôle sur l'environnement intérieur et extérieur.

Le deuxième volet de cette recherche concerne aussi l'analyse des expériences perçues par 12 locateurs qui collaborent au projet Chez Soi (4 concierges, 2 propriétaires et 6 gestionnaires d'immeubles). L'intérêt à l'égard des locateurs vient du fait que l'approche du Logement D'abord s'appuie aussi sur un modèle d'intégration sociale qui vise à initier un mouvement de retour vers la communauté. En ce sens, la prise en charge des personnes itinérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale n'est plus du seul domaine de la psychiatrie, des services sociaux et médicaux, de la charité organisée ou encore du système carcéral, mais emprunte des circuits qui s'enracinent dans la communauté. Conséquemment, d'autres acteurs n'appartenant pas au système de prise en charge traditionnelle sont mobilisés et jouent un rôle dans l'intégration des personnes itinérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale (Kloos, Shah, 2009). Parmi ces acteurs figurent les locateurs (concierges, propriétaires et gestionnaires d'immeubles).

Si la littérature propose peu d'étude sur ce sujet, certaines montrent que les locateurs jouent un rôle non négligeable dans l'intégration sociale des personnes itinérantes et cela pour différentes raisons. Par exemple, les relations avec les locateurs peuvent avoir une incidence positive ou négative sur les expériences résidentielles des personnes itinérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale (Kloos, Shah, 2009). Également, les relations entre locataires et locateurs peuvent prendre d'autres formes que la relation contractuelle liant un locataire et un locateur. Kloos et al. (2002) suggèrent que les locateurs peuvent jouer par exemple le rôle « d'expert » en matière de ressources du quartier. Quant à l'étude de Bengtsoon-Tops et Hansson (2013) menée auprès de locateurs, accueillant dans leur parc locatif, des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, elle montre que les locateurs affichent une relative empathie à l'égard des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, font preuve d'une plus grande tolérance, sont menés à offrir un soutien aux locataires, voire jouer le rôle d'intervenant, assurent la sécurité des locataires en cas de crise. En revanche, les locateurs ont aussi le pouvoir d'évincer les locataires en cas de non-respect de leurs obligations. À ce sujet, la littérature scientifique, s'entend pour dire qu'en cas de problèmes plus sévères avec des locataires similaires à la clientèle du projet Chez Soi, les locateurs vont davantage chercher à faire respecter leurs droits et sont moins enclins à trouver des solutions orientées vers le maintien de la stabilité résidentielle des locataires (Kloos, 2002 ; Newman, Goldman, 2009 ; Mchugo et al., 2004, George et al., 2008).

Ainsi, la littérature portant sur le rôle des locateurs montre que, si dans le domaine du logement, le rapprochement entre le public et le privé peut être bénéfique à certains égards aux deux secteurs, il ne faudrait pas pour autant que ce rapprochement signe la fin de la tolérance et des mansuétudes à l'égard des locataires empêtrés dans leurs embarras financiers ou des locataires pour qui la vie en logement présente de plus grandes difficultés.

Aussi, le rapprochement entre public et privé initié par le projet Chez Soi soulève une question importante en matière de politique sociale : comment assurer aux [10] non-propriétaires dont fait partie la quasi-totalité des personnes itinérantes investiguées cette sécurité si fondamentale à la dignité humaine ? L'histoire du monde occidental témoigne de ce parti pris pour le statut de propriétaire et montre comment tous les individus dépourvus de propriété, sans ressources, sans protections sont condamnés à vivre dans l'imprévoyance totale. Selon Castel, ces misérables seraient sortis de leur déréliction en acquérant des protections fortes qui ont eu pour eux la fonction qui était celle de la propriété privée : une propriété par la sécurité. Ainsi, du XIXe siècle à nos jours, l'État social assure à tous une protection sociale, condition de base de la citoyenneté et de l'appartenance à une société solidaire, voire démocratique. Cette propriété de droits et de protections (assurance-maladie/accident, assistance sociale, assurance-emploi, incapacités dues à l'âge, etc.) assure justement à l'individu son intégration à la société. Sans ce filet de protection sociale, ce serait une société d'individus sans État. Ce serait l'État de nature tel qu'imaginé par Thomas Hobbes, une forme de darwinisme, d'une lutte de tous contre tous où le plus fort l'emporte. Quand le projet Chez Soi aide des personnes itinérantes à acquérir un logement dans le parc privé à hauteur de 70% du paiement du loyer, il s'agit d'une contribution exemplaire de l'État social à leur sécurité ontologique d'une part, à leur intégration dans la société d'autre part.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 12 février 2016 19:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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