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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Léon Dion, LA RÉVOLUTION DÉROUTÉE 1960-1976. (1998)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon Dion, LA RÉVOLUTION DÉROUTÉE 1960-1976. Montréal: Les Éditions du Boréal, 1998, 324 pp. Une édition numérique réalisée par Diane Brunet, bénévole, guide, Musée La Pulperie, Chicoutimi. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Léon Dion et ayant-droit, le 30 mars 2005, de diffuser toutes les publications de son mari dans Les Classiques des sciences sociales.].


INTRODUCTION GÉNÉRALE


La mort de Maurice Duplessis, le 7 septembre 1959, entraîna la disparition du pilier principal de l'ancien régime québécois. Elle levait le barrage politique qui bloquait l'instauration d'un nouveau régime [1]. Des barrages, il y en avait d'autres, auxiliaires mais néanmoins importants, tels le cléricalisme et le nationalisme rétrograde. Le deuxième concile du Vatican (1962-1965) précipita le déclenchement de la crise qui couvait depuis longtemps au sein de l'Église d'ici. Le ravalement des deux pouvoirs dominants accéléra le déclin de l'ancien nationalisme qui avait longtemps joui du statut de doctrine officielle.

Le retentissant « désormais » du successeur de Duplessis, Paul Sauvé, en incitait plusieurs à croire que le départ du « Chef » avait suffi pour orienter l'Union nationale sur la voie des changements tant attendus. Qu'en aurait-il été s'il n'était pas mort, à son tour, le 2 janvier 1960 ? L'organisation corrompue et désuète de l'Union nationale restait en place. Le deuxième successeur, Antonio Barrette, privé du concours actif de l'organisateur du parti, Joseph-Damien Bégin, et de son trésorier, Gérald Martineau, qui ne prisaient pas Barrette, subit la défaite aux mains du libéral Jean Lesage.

C'est dans l'exaltation, comme bien d'autres personnes, que je vécus la soirée électorale du 22 juin 1960 qui consacra la victoire libérale. En raison des circonstances particulières que j'ai évoquées dans Les Intellectuels et le Temps de Duplessis, à l'âge de trente-sept ans, je venais d'adopter la société canadienne-française comme patrie et de m'éveiller à ses problèmes et à ses aspirations. Cette élection fit naître chez moi un double état d'esprit : un immense soulagement à la pensée qu'elle confirmait le début de la fin de ce que je désignais par l'expression « ancien régime »et un espoir illimité dans ce qui me semblait devoir inaugurer un « nouveau régime ».

La victoire du 22 juin 1960 fut d'autant plus enthousiasmante pour les personnes et les associations désireuses d'un renouveau politique que le cabinet formé par Jean Lesage le 5 juillet comprenait des réformateurs tels Georges-Émile Lapalme, René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie et René Hamel. Deux autres réformateurs accédèrent plus tard au cabinet : Pierre Laporte, élu dans Chambly en 1961, fut nommé ministre en 1962 et Eric Kierans, élu dans Notre-Dame-de-Grâce en 1963, joignit le cabinet la même année. Par contre, Georges-Émile Lapalme démissionna de son poste de ministre des Affaires culturelles en 1964. Claude Castonguay, promoteur et artisan d'une des plus grandes réformes politiques de l'époque, fut d'abord président de la Commission royale d'enquête sur la santé et le bien-être social créée sous le gouvernement Johnson dans la foulée du rapport Boucher (1961-1963), avant d'être nommé ministre des Affaires sociales en 1970 sous le gouvernement Bourassa.

Le temps du mépris et du refoulement dans la marginalité de ceux qui souhaitaient un changement de cap radical semblait révolu. Ministres, recteurs et autres dirigeants sollicitaient leur concours avec insistance. Les premiers contacts furent d'autant plus aisés et chaleureux que des liens d'amitié les unissaient souvent les uns aux autres. Se dérober à toute contribution pouvait paraître à plusieurs un reniement de leur passé, mais quelles formes cette contribution pouvait-elle revêtir pour ceux qui tenaient à préserver l'indépendance d'esprit pour laquelle ils avaient lutté durant des années ? Un danger majeur les menaçait dorénavant : celui de la récupération par les pouvoirs. Les personnes qui succomberaient à la tentation de trop s'approcher de ces derniers risquaient de s'y brûler les ailes.

Le Parti libéral, avec son nouveau chef, Jean Lesage, élu le 11 mai 1958, pressait les intellectuels de joindre ses rangs ou, tout au moins, de l'appuyer moralement. Contrairement à l'ancien chef, Georges-Émile Lapalme, qui les méprisait au détriment des intérêts supérieurs de son parti et de la société, Jean Lesage assista à leurs forums, prononça une conférence à l'Institut canadien des affaires publiques et proclama qu'il allait engager un gouvernement libéral « sur les voies d'une politique de grandeur ». « Il faut que ça change », répétait-il à satiété. Il « libérerai[t] la province du régime d'occupation qui l'opprimait et redonnerai[t] à [leur] nationalité l'orientation qu'exigeait l'accomplissement de son destin [2] ».

Le recul du temps ne garantit pas la véracité d'une appréciation définitive d'un événement. La célébration du bicentenaire de la Révolution française suscite des débats passionnés. La période désignée par l'expression « Révolution tranquille », sujet du présent ouvrage, soulève des questions nombreuses et complexes. Il ne fait nul doute que cette période constitue un noyau dur de l'histoire du Québec. Mais il serait téméraire, si tôt après l'événement, de croire qu'il est possible de fixer de façon irrécusable sa portée. Toute mémoire historique est sélective, marquée par l'expérience et les aspirations de chaque génération. Aujourd'hui, de partout, les gens soupirent : « Puissions-nous vivre en des temps plus heureux ! » Pourtant, les conditions qu'ils déplorent furent créées par ceux-là mêmes qui, en 1950, lançaient la même exclamation face aux circonstances pénibles de leur temps. Comment ceux qui vivront le centième anniversaire du 22 juin 1960 apprécieront-ils le train d'événements qui s'ensuivit ? Eux aussi, s'ils ont conservé la mémoire, le jugeront d'après leur état d'esprit.

Bien sûr, les historiens décrivent les personnalités et racontent les événements avec minutie. Mais que furent ces personnages, que signifièrent ces événements, non seulement à l'aune de la société du temps, mais aussi à l'échelle des développements ultérieurs ? Pour être prometteur, tout exercice d'interprétation de ces événements de la part des personnes qui les ont vécus exige d'elles le courage d'abjurer des convictions qu'elles tenaient pour des certitudes et qui pourraient se révéler non fondées à la lumière d'analyses approfondies.

Il n'est pas facile, aujourd'hui encore, de découvrir le fil conducteur de la Révolution tranquille. La question se pose : Y a-t-il un événement clé, un processus structurant autour duquel se serait rattaché tout le reste ? Quelle fut la durée de la Révolution tranquille ? Quatre ans, six ans, seize ans, plus encore compte tenu de la poursuite des réformes amorcées ou logiquement prévisibles et de leurs conséquences ou des tentatives ultérieures pour en faire revivre l'esprit ?

Aucune personnalité dominante n'aurait incarné le nouveau régime comme Duplessis était parvenu à le faire pour l'ancien. Lesage, Johnson, Bertrand, Bourassa occupèrent la scène politique durant quelques années, laissèrent la trace de leur passage à des degrés divers, mais aucun ne fut transcendant au point de rejeter dans l'ombre ses collaborateurs, dont certains furent éblouissants et portèrent à leur crédit des réformes parmi les plus importantes, telles la nationalisation de l'électricité pour René Lévesque, la réforme de l'éducation pour Paul Gérin-Lajoie, celle de la santé pour Claude Castonguay. La puissance de l'Église connut son déclin, les ecclésiastiques se démirent rapidement de leur rôle de premier plan dans de nombreux secteurs de la société civile. Les syndicats, les coopératives se sécularisèrent, de nombreux mouvements sociaux se formèrent et ébranlèrent les fondements de la société réputés immuables depuis longtemps, les mentalités se transformèrent, les valeurs les plus ancrées furent sabordées au profit d'autres normes énoncées jusque-là dans l'abstrait par certains mais peu vécues au sein de la population. L'espace public - l'opinion, les groupes d'intérêt, l'État – s'amplifia et pénétra la société civile à un rythme si rapide et à un degré si élevé que des réformistes eux-mêmes furent dépassés. Par ailleurs, le rôle déjà prédominant du gouvernement fédéral dans la politique et dans l'ensemble de la société québécoise s'accrut à la fin de la décennie 1960 et, dans nombre de cas, fut déterminant.

Tous les ponts ne furent pas rompus, c'était toujours la même société qui était en marche vers son destin. Mais suffira-t-il ici de s'enquérir des anciennes questions qui continueront à se poser, des revendications passées qui seront reprises ou même de soupeser les changements de ton possibles dans la façon de les formuler ? Aura-t-on éclairé de façon adéquate le sens de ces années quand on aura scruté la totalité des nouvelles interrogations soulevées, des projets envisagés, des réalisations accomplies, des attentes comblées, des oppositions suscitées ou des répressions subies ?

Tout cela, certes, représente autant de facettes d'un ensemble qu'il faudra cerner. Mais il conviendra surtout de préciser les déstructurations et les restructurations, les associations et les dissociations parmi les composantes sociales que ces questions, projets, réalisations, échecs, oppositions et répressions vont entraîner.

Nous savons que les développements consécutifs à la victoire libérale du 22 juin 1960 furent d'une grande importance. Mais marquèrent-ils une rupture avec les années antérieures, firent-ils franchir au Québec une étape qualitative ou se ramenèrent-ils à une accélération des tendances à l'œuvre, au mûrissement de mutations déjà en germination ? Nous savons que cette date fut un événement charnière, mais jusqu'à quel point fut-elle le prélude des transformations majeures dans les structures et les esprits au cours des années suivantes ? En quoi le 22 juin 1960 inaugurait-il une nouvelle époque ? Quels facteurs internes influencèrent les personnes, les collectivités particulières, la société dans son ensemble à un point tel que cette date peut être considérée aujourd'hui comme un repère obligé, mais pas toujours glorifié ? Le rythme auquel les réformes furent amorcées et menées à terme fut jugé par les uns trop lent, par les autres trop rapide. Les changements qui s'ensuivirent parurent à l'époque favorables aux uns, néfastes aux autres. Ils sont, aujourd'hui, l'objet d'une remise en question radicale. Si le 22 juin 1960 inaugura vraiment une révolution, cette dernière ne fut pas aussi paisible que le qualificatif « tranquille » qu'on lui a accolé le laisserait croire. Son cours fut agité, dérouté peut-être en son principe même.

Les exposés subséquents soulèveront ces questions et bien d'autres. J'y répondrai en toute franchise. Toutefois, même la plus grande franchise ne garantit pas la compréhension des problèmes examinés. À défaut d'un fil conducteur ou d'événements propres à guider la recherche des explications, il est requis de choisir un concept qui permette des analyses cohérentes et qui fournisse un éclairage adéquat sur la façon dont la société québécoise s'est transformée à compter de 1960 afin de résoudre les problèmes de structure et de mentalité qui se posaient à elle. De quelle manière individus, groupes, institutions et État ont-ils procédé et avec quels résultats ?

Il s'agira de suivre à la trace et d'interpréter la dialectique du changement et de la durée qui se posa au cours de cette période, d'identifier les moteurs de l'évolution et les agents de résistance à ce changement, la capacité d'innovation face à l'opposition des procédés reconnus et des habitudes acquises et face à l'incertitude des résultats, de mesurer l'ampleur des transformations et la probabilité de leur durée. Bref, il faudra évaluer si le Québec a changé de juin 1960 à novembre 1976, de quelle façon et jusqu'à quel point.

À quel titre les changements qui suivirent la victoire libérale du 22 juin 1960 peuvent-ils être considérés comme révolutionnaires ? Dans la mesure où ils ne se résumèrent pas à de simples mutations, mais entraînèrent des ruptures au moins dans certaines composantes de la société et dans les esprits, ils devaient constituer des changements non seulement quantitatifs, mais, du moins à certains égards, qualitatifs. Les changements doivent s'exprimer par des contradictions qui éclatent au sein des cadres sociaux et dans les esprits, qui se résolvent par la substitution de formes nouvelles aux formes anciennes. La détermination de l'ampleur des transformations commande l'analyse, non seulement des faits, non seulement des pratiques, mais également des représentations que les hommes se font de ces faits et de ces pratiques [3].

Il ne suffit pas de décrire le changement en cours. Un examen approprié du changement exige l'anticipation du devenir qu'il dessine. Cet exercice de prévision ne peut être qu'aléatoire, car nulle méthode n'aboutit à des conclusions certaines ni même à des calculs de probabilités probants.

Dans la onzième thèse sur Feuerbach, Marx forme le projet de transformer le monde, et non plus seulement de l'interpréter comme les philosophes, selon lui, se sont contentés de le faire de différentes manières. Il s'est fourvoyé en dépit de la mise au point d'une théorie qu'il jugeait scientifique.

Néanmoins, une étude qui se bornerait à examiner la façon dont le changement se produit serait inadéquate. Il importe de scruter les avenues que le changement ouvre et celles qu'il est susceptible d'ouvrir. Il peut s'ensuivre que le chemin qu'a pris la société bifurque, que celle-ci trouve les moyens d'éviter les écueils et qu'elle s'engage sur des voies plus prometteuses.

Le phénomène du changement n'atteint sa plénitude qu'à l'aide d'un concept intégrant qui puisse rassembler, comme en faisceau, ses composantes autrement éparses. Il s'agit au moins de lui apposer ce que Herbert Spencer appelait un échafaudage, c'est-à-dire un assemblage de matériaux qu'on effectue en vue de construire un édifice et qu'on retire une fois ce dernier terminé. Il est un concept auquel les spécialistes des sciences humaines recourent fréquemment dans le but d'articuler les multiples facettes du changement dans les sociétés occidentales, notamment au Québec : celui de modernité. S'il existe, de nos jours, une notion banalisée, c'est bien celle-là. Recourir au concept de modernité impose mille précautions. Ce concept est présenté parfois comme une découverte récente. Or, il convient de rappeler que des rayons entiers de bibliothèques sont chargés d'ouvrages qui relatent les querelles des « anciens » et des « modernes » à diverses époques depuis des siècles. Peu importe le temps, endosser le changement, c'est se démarquer du passé, de la tradition, c'est être moderne. Les contemporains du VIIe siècle ne savaient pas qu'ils vivaient au haut Moyen Âge, et ceux du XIIIe siècle, au bas Moyen Âge. Ces termes et plusieurs autres semblables furent forgés par la suite. Mais les uns et les autres étaient « modernes » par rapport au bas Empire romain. Les bourgeois des XVe et XVIe siècles ne savaient pas non plus qu'ils étaient « modernes » et, pourtant, c'est aux embryons de société qu'ils forgèrent et à leur style de vie que l'on fait référence quand on discourt sur les débuts de la modernité en Occident. Les principes de la démocratie libérale que les philosophes et les économistes des XVIIe et XVIIIe siècles énoncèrent s'inspiraient dans une large mesure des pratiques de cette classe [4].

On chercherait en vain une théorie, une loi de la modernité. Employé sans discernement, ce terme camoufle bien des idéologies, bien des ignorances [5]. Le recours à ce terme se justifie dans la mesure où il sert à repérer les faits, à différencier les composantes de la société et à les relier entre elles. Adopté comme concept opérationnel, comme hypothèse de travail dans l'intention de découvrir et d'interpréter toutes les facettes du changement, il ne pourra que décevoir [6].

En un sens linéaire, rectiligne, la modernité serait un concept creux. L'analyse du changement ne se justifie que si elle s'attache à découvrir la finalité de la société. En ce sens, la modernité représente, au même titre que la tradition, une conception du monde, un mode de civilisation. Quelle que soit l'époque étudiée, l'analyse ne met le cap sur l'essentiel du moment historique que si elle dévoile la dynamique du changement, si elle décompose en ses éléments la transition de l'ancien au nouveau et si elle met en relief les composantes sous-jacentes de la société qui, en s'incrustant dans les structures, les institutions et les esprits, transforment la société.

La modernisation d'une société peut procurer des gains qualitatifs à la vie intellectuelle et collective, mais elle peut également aboutir à des pertes de valeurs. Le nouveau n'est pas nécessairement meilleur que l'ancien. Il arrive que les changements célébrés comme modernes ne soient que des retours en arrière, des formes de société rejetées depuis plus ou moins longtemps. Le moderne se ramène souvent à du clinquant, à de l'ersatz, il est alors non pas progrès mais recul. Quand la modernité s'affiche de la sorte, « c'est qu'elle cache le vide », écrit Jacques Godbout [7].

La dialectique de la tradition et du changement qui se dénoue dans la modernité se reproduit périodiquement dans l'histoire de l'Occident. Le passé, toujours, bascule dans une tradition dont la mémoire conserve des bribes. Des résidus de ce passé survivent dans les institutions et les esprits sous forme de référents, tantôt limpides, tantôt obscurs, et influent à divers titres sur la construction jamais achevée de la modernité. Comme l'écrit Georges Balandier :

Le passé y demeure néanmoins inscrit dans ces multiples mémoires - matérielles, culturelles, mentales - qui le gardent en conserve, le laissent disponible et programmable selon les circonstances [...]. Il entretient une continuité sous la surface du conjoncturel, des mouvements et des ruptures qui font percevoir une accélération, un avènement de la vitesse dans toutes les affaires humaines [8].

D'un stade de modernité à l'autre, des caractères fondamentaux des sociétés persistent, des faits de société disparus ou considérés comme une tradition à rejeter sont susceptibles de renaître sous des formes nouvelles. Dans ses traits les plus apparents, la modernité se transmue au gré des conjonctures. Elle est une perpétuelle remise en question des composantes sociales d'hier. Elle n'a de sens que par rapport au changement lui-même. C'est pourquoi « la modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent [9] ».

La dynamique de la modernité dans une période donnée ne se découvre que par la détermination des indicateurs particuliers qui caractérisent cette période [10]. Mais ces derniers se greffent sur un type de formation sociale de longue durée. Philosophes et spécialistes des sciences humaines sont unanimes : la « grande transformation [11] » qui s'effectue à compter du XVIe siècle ressortit au principe de la modernité en Occident.

La bourgeoisie marchande est l'agent de cette grande transformation. Son action est révolutionnaire : l'argent se substitue à la terre comme source de richesse, la ville supplante la campagne, l'économie de marché cède le pas à l'économie de subsistance. Bref, elle modèle l'organisation sociale conformément à ses intérêts et à ses aspirations.

L'étiolement des solidarités communautaires au profit des rapports sociaux fondés sur des principes abstraits constitue un indicateur majeur de la modernité. Les changements qui s'ensuivent dans l'ensemble de la société sont immenses. La proclamation de la primauté de la personne réduit ces solidarités à un rang inférieur ou même aboutit à leur condamnation. Les formations sociales particulières au sein desquelles les individus se sont de tout temps reconnus et regroupés, les horizons étroits et familiers à l'intérieur desquels la vie prenait un sens (la parenté, le voisinage) se dissipent avec la croissance de la mobilité horizontale et verticale, l'avènement des communications à distance, l'éclatement de toutes les frontières, la standardisation des normes et des conduites. La sécularisation de la vie privée et de la vie publique entraîne l'éclipse de la morale religieuse au bénéfice de la morale civique. Tous ces changements en profondeur bouleversent les valeurs, transforment les cultures.

Les signes initiaux les plus révélateurs de la modernisation des sociétés sont les changements qui se produisent au sein des structures politiques. Le projet de la bourgeoisie s'ancrait dans l'expérience et les visées économiques de cette classe. Pourtant, c'est d'abord en termes politiques qu'il s'exprima. An Essay Concerning the True Original Extent and End of Civil Government de John Locke fut publié en 1690. Ce n'est que quatre-vingt-six ans plus tard, en 1776, qu'Adam Smith le transposa en une théorie économique, The Nature and Causes of the Wealth of Nations.

Le gouvernement que préconise Locke a pour objet de garantir la meilleure protection dans la société civile des droits dont chaque individu jouissait dans l'état de nature : la liberté et l'égalité, certes, mais aussi la propriété privée dont le gouvernement a pour mission d'assurer la sécurité en adoptant des mesures propres à sanctionner la transgression. Par ailleurs, selon Adam Smith, les lois économiques fondamentales - la propension à l'échange dans un marché autorégulé et la poursuite par des individus égoïstes de leurs intérêts particuliers - entraînent la division du travail. La valeur d'échange est déterminée par la quantité de travail investie dans la marchandise. Son produit se répartit sous forme de salaire pour le travailleur et de profit pour le propriétaire de l'entreprise. Le salaire devra fluctuer de façon à assurer la subsistance du travailleur et à permettre la reproduction de la force de travail. Le surplus (la plus-value) retourne au propriétaire du capital de la machine. Il revient au gouvernement de veiller à l'application des lois économiques en abolissant les obstacles au libre jeu du capital et du travail (règlements des corporations, les poor laws, etc.).

Les buts que visent Locke et Smith s'inspirent du projet bourgeois et convergent. Locke forme le dessein de légitimer la société civile, de remplacer les hiérarchies d'ordres fermés par des classes sociales ouvertes et de substituer la démocratie politique aux régimes absolutistes ; Smith, lui, désire remplacer le mercantilisme par le libéralisme économique. De la sorte, ils sont les premiers théoriciens de la démocratie libérale dont l'Occident s'est graduellement imprégné depuis deux cents ans.

Les démocraties libérales fondent leur légitimité sur le principe d'un consensus au moins implicite des citoyens qui s'exprime par une volonté générale au service du bien commun. Elles se réclament des valeurs de liberté, d'égalité et de justice auxquelles elles procurent une existence formelle et, d'une façon beaucoup moins assurée, concrète. Les gouvernements qui les instituent, selon diverses modalités, sont formés de députés élus conformément à la règle de majorité. Ces derniers se regroupent en partis politiques garants d'un certain pluralisme des idées et des intérêts. Les groupes d'intérêt, les mouvements sociaux de plus en plus nombreux et actifs de même que le syndicalisme donnent de l'ampleur à ce pluralisme.

Sous l'impulsion de la résistance des classes ouvrières au processus d'industrialisation sous sa forme libérale, de la crise économique des années 1930 et des bouleversements dus aux deux grandes guerres de ce siècle, les démocraties libérales évoluèrent dans trois directions. Elles raffermirent la sécularisation des sociétés. Elles permirent le mûrissement des cultures nationales dans le contexte des anciennes monarchies et provoquèrent l'éveil des nationalismes, source du dynamisme des peuples qui exacerbent trop souvent conflits, révolutions et guerres. Enfin, elles entraînèrent des changements dans les structures et les esprits qui conduisirent à une application plus exigeante et plus concrète des valeurs de liberté, d'égalité, de justice et de compassion et mirent en relief leur dimension collective aussi bien qu'individuelle. Les démocraties libérales faisaient dépendre la prospérité des nations de la seule initiative privée. Confrontés au spectre de la misère chez le plus grand nombre, les laissés-pour-compte s'organisèrent en syndicats et, par leurs activités de pression, forcèrent les dirigeants à admettre l'insuffisance de l'initiative privée, d'où l'accroissement des mesures des gouvernements dans l'organisation des sociétés pour le mieux-être des citoyens. Ces derniers assumèrent des responsabilités sans cesse croissantes de régulation des activités socio-économiques, de redistribution des richesses, en plus d'être des pourvoyeurs du bien-être social, des innovateurs, des planificateurs autoritaires et de grands pacificateurs. La démocratie libérale se transforma graduellement en État-providence. Sous l'influence de la théorie économique keynésienne, du New Deal de Franklin D. Roosevelt (1933), du rapport  Rodvell-Sirois (1940) et du rapport Beveridge (1941-1944), l'État-providence représenta une forme d'organisation politique qui visait à garantir la plus grande sécurité sociale possible de tous les citoyens dans le contexte du système économique capitaliste [12]. Des pays optèrent plutôt pour diverses formes de socialisme, estimant que seule une appropriation collective ou étatique des moyens de production était susceptible d'édifier un véritable régime de sécurité sociale.

Démocratie, nationalisme et État-providence représentèrent l'essentiel de l'humanisme sous sa forme politique pour les Occidentaux du milieu du XXe siècle. Chaque peuple puisa dans ce fonds et le particularisa conformément à son histoire, à ses conditions de vie et à ses projets d'avenir propres.

Il me semble que c'est sous son aspect politique que la modernité pose de la façon la plus précise et la plus contraignante pour chaque nation la question de son identité [13]. Quand une personne se demande qui elle est, ce qu'elle peut devenir, l'humanisme de la démocratie libérale s'impose à elle comme une finalité, une contrainte, sinon première, du moins majeure parmi toutes celles que font peser sur elle les conditions générales de son existence individuelle et collective. Il en est de même pour chaque peuple d'Occident. Chacun découvre son identité propre en cherchant, bien sûr entre autres démarches mais d'une manière obligée, comment il pourra adapter les prémisses de la démocratie, du nationalisme et de l'État-providence afin d'atteindre les objectifs particuliers qu'il juge nécessaires pour se réaliser comme il le souhaite. Il peut opter pour des modalités plus ou moins prononcées d'intervention étatique dans la vie collective, d'où diverses formes d'État-providence (social-démocratie). Il peut également s'engager sur la voie d'un nationalisme ouvert au dialogue avec tous les groupes culturels en son sein et avec les autres peuples ou, au contraire, considérer que la sauvegarde de son identité requiert qu'il s'enferme dans un nationalisme ethnique susceptible de l'enfoncer dans le tribalisme moderne qu'est le fascisme.

À mesure que l'État-providence supplante la vision libérale de Smith et de Locke, l'espace public étatique pénètre davantage non seulement le domaine privé, mais également le domaine public non étatique [14]. La société dans son ensemble se soumet à la « courbure étatique [15] ». L'État-providence, écrit Talcott Parsons, devient « le système intégrateur de tous les éléments analytiques du système social et non seulement de l'un de ses éléments particuliers [16] ». Raymond Aron dit plus simplement que le politique « engage le plus directement la façon de vivre que tout autre aspect de la société [17] ». Georges Balandier précise : « Le secteur politique est l'un de ceux qui portent le plus les marques de l'histoire, l'un de ceux qui saisissent le mieux les contradictions et les tensions inhérentes à toute société [18]. » Gérard Bergeron dit de l'État qu'il est une « Organisation d'organisations [19] ». Dans la préface de ce livre, Lucien Sfez précise qu'il en est ainsi parce que « ce que les autres organisations ne peuvent pas faire, l'État seul le fait. Je veux parler de l'opération symbolique de réunification du monde naturel, de la société et de la vérité. »

Trois développements majeurs suivent des conditions particulières de modernisation de l'Occident. Le premier développement concerne la différenciation de la société civile et de l'État sous l'impulsion de la « grande transformation »survenue au XVIe siècle. La société se fragmente en de multiples pans, les structures sociales se distendent et se disjoignent. La nécessité logique et existentielle de les relier d'une quelconque façon les unes aux autres conduit à concéder à l'État le monopole de l'exercice légitime de la force sur l'ensemble de la société. Loin de n'être que le reflet évanescent de la société comme le prévoyaient les libéraux, l'État s'érige petit à petit en agent contrôleur de celle-ci. Ainsi, s'amorce une différenciation entre société civile et État, laquelle, en s'amplifiant, devient peut-être la principale caractéristique de la modernité, celle dont toutes les autres découleront [20]. L'État se diffuse graduellement dans tout le corps social, le pénètre et augmente indéfiniment son pouvoir sur toutes les parties. La « courbure étatique » que subit la société tend à la structurer de part en part. Contrairement aux attentes des premiers libéraux, l'espace public étatique s'accroît au point de politiser la société civile en profondeur. Ce qui s'est produit est aux antipodes de la prévision de Karl Marx, qui, en 1846, écrivait : « Posez telle société civile et vous aurez tel État politique qui n'est [21] que l'expression superficielle de la société civile. » Pourtant, au moment même où la pénétration de l'État dans la société civile est à son apogée, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, l'organisation de celle-ci se diversifie et se renforce, ses institutions et ses mouvements sociaux s'imprègnent de valeurs et d'intérêts propres qui activent leurs membres, elle accroît sa capacité d'intervention dans tous les domaines, y compris le politique. Bref, elle se dynamise. La question se pose : Est-ce toujours dans l'espace public étatique que les changements majeurs se produisent ou, mieux, l'État est-il toujours le principal agent du changement ? La différenciation de la société civile et de l'État, jugée fondamentale par les premiers théoriciens de la société libérale, est-elle aussi pertinente dans les sociétés industrielles avancées au sein desquelles l'exigence démocratique s'est amplifiée ? Suivant la théorie de la technostructure exposée par Galbraith, « le modèle classique du marché cache la vérité d'un pouvoir, celui de la grande entreprise moderne qui acquiert la capacité d'imposer de plus en plus sa volonté au corps social [22] ».

Georges Lavau tire des nombreuses analyses de cette nature la conclusion que la distinction entre société civile et État s'est brouillée : « Depuis longtemps, les deux se sont mêlés, interpénétrés, contaminés, traversés par des idéologies communes au point où il y a partout de l'État dans les sociétés civiles et du civil dans l’État [23]. » Jürgen Habermas explicite la raison des interpénétrations de la sphère publique étatique. Il évoque le rôle historique capital de la bourgeoisie :

La sphère publique politiquement orientée acquiert le statut  normatif d'être l'organe grâce auquel la société bourgeoise se médiatise elle-même à travers un pouvoir d'État qui répond à ses besoins propres. [...] La mutation structurelle de l'espace public bourgeois permet de se rendre compte à quel point c'est du degré de son engagement et de la manière dont il assume ses fonctions qu'il dépend que l'exercice du pouvoir et celui de la force soient destinés à rester des invariants dans l'histoire, [...] ou que, au contraire, ces pratiques soient elles-mêmes des catégories historiques, accessibles aux transformations les plus radicales [24].

Le deuxième développement, intimement relié au premier, a trait à la diversification des formes de rationalité [25]. L'être humain est doté de la faculté de raisonner, c'est-à-dire de porter des jugements de fait et de valeur sur les connaissances acquises et de transposer ces jugements en règles d'action. Je m'intéresse ici à la manière dont les individus et les collectivités peuvent être considérés comme rationnels, et non à la nature formelle de la raison elle-même. Ronald Rogowski définit la conduite rationnelle comme étant celle qui est « entièrement déterminée par un effort visant à relier les moyens aux fins de façon aussi efficace que possible [26] ». Ainsi envisagée, la rationalité constitue un principe directeur garantissant le choix d'une ligne d'action correcte, ce qui préserve de l'échec tout en produisant le résultat espéré compte tenu des fins poursuivies et des moyens mis en œuvre. Comme les individus, les collectivités, du moins celles qui ont atteint un certain degré d'organisation, sont susceptibles d'accomplir des actes rationnels, et cela non seulement en ce que, par leurs dirigeants et leurs membres, elles font des choix et se fixent des objectifs en fonction d'un examen circonstancié du rapport d'efficacité entre les moyens dont elles disposent et la satisfaction de leurs préférences, mais également en ce que le caractère spécifique de leur rationalité découle dans une large mesure des contraintes systémiques et stratégiques de l'organisation elle-même. Ainsi, S. B. Barnes écrit : « Ce qui devient la conviction institutionnalisée d'un groupe ou d'une collectivité dépend de processus sociaux tout autant que des aptitudes cognitives individuelles [27]. » Alors que certains ne jugent rationnelles que les actions et les décisions politiques fondées sur la recherche d'une efficacité  « instrumentale », c'est-à-dire sur une stricte évaluation des coûts et des bénéfices matériels, d'autres font aussi la part d'une rationalité « substantive » ou normative, c'est-à-dire axée sur les moyens propres à la réalisation des valeurs considérées comme des objectifs poursuivis par suite de préférences d'ordre moral [28].

Les rationalités sont multiples. Ce qui les distingue, c'est essentiellement les objets auxquels elles s'appliquent, la nature des fins que poursuivent individus et collectivités. Chaque composante de la société - la culture, la politique, l'économie - a une rationalité qui lui est propre. Selon les circonstances, chacune de ces rationalités est susceptible de primer les autres sans les abolir.

Il ne fait pas de doute que la culture médiévale, dans sa composante majeure, soit la religion chrétienne, procura les standards d'excellence et les unités de mesure qui servaient à fonder les jugements de valeur sur toutes choses. Bref, la religion chrétienne fut la composante essentielle du code social médiéval. Loin de n'avoir été qu'un reflet des contradictions au sein du, mode de production féodal ou qu'une forme d'aliénation religieuse comme les marxistes l'affirment dans leurs développements les moins féconds, la religion chrétienne au Moyen Âge fut au centre des conceptions axiologiques et des théories régissant sur le plan normatif toutes les sphères de la vie individuelle et collective. Et loin de n'avoir été qu'un paravent idéologique pour l'économie et le politique, elle s'est cristallisée dans des institutions d'une exceptionnelle solidité dont la structuration a requis la médiation de l'économie et du politique. Inversement, il est impossible de comprendre la politique et l'économie médiévales sans tenir compte des valeurs chrétiennes qui pénétrèrent en profondeur l'une et l'autre et en ignorant les nombreuses pratiques normatives dérivées de ces mêmes valeurs. Si, au Moyen Âge, les Occidentaux, malgré toutes les destructions et les restructurations auxquelles ils firent face, ne perdirent jamais conscience d'une origine commune et d'un destin solidaire, ils le durent avant tout à cette profonde imprégnation de leur code social par la religion chrétienne. [29]

La « grande transformation » du XVIe siècle infuse dans la société une rationalité politique axée sur la volonté de puissance, qui s'affirme à mesure que l'État se voit attribuer de nouveaux rôles et des responsabilités accrues [30]. L'objectif, sinon unique, du moins nécessaire, de quiconque entend agir au sein de l'État est la conquête et la conservation du pouvoir. En outre, l'État - ou le système politique - vise sa propre persistance [31], sa survie [32] et la consolidation de son pouvoir [33]. Ce que produit le politique, c'est d'abord du pouvoir, et les institutions politiques constituent des instruments du pouvoir. Le pouvoir, qu'il se présente sous la forme de l'autorité légale ou de la contrainte dictatoriale, s'avère nécessaire parce que, comme l'écrit Burdeau, ce que la communauté politique   transfère au politique, ce sont des problèmes insolubles [qui] renaissent toujours », et « comme le pouvoir n'est pas une puissance miraculeuse capable d'apporter une solution à des problèmes qui n'en comportent pas, son intervention consiste, non à supprimer les difficultés, mais à permettre aux sociétés de vivre avec elles [34] ». « La signification minimale de la politique, écrit de son côté Julien Freund, est de transformer la lutte indistincte en combat réglementé [35]. » Ou encore, comme le dit David Hanson, « c'est en choisissant entre normes et valeurs sociales différentes ou incompatibles que le politique remplit sa fonction d'intégration sociale [36] ». La fin du politique dérive donc du besoin d'une gouverne qui, immanente à la société ou s'exprimant par un appareil propre, fasse en sorte que tous, au-delà des intérêts particuliers qui les meuvent, poursuivent certains buts généraux communs, et notamment veuillent, pour assurer la satisfaction des besoins humains élémentaires, la persistance de la société, le maintien d'un degré adéquat de cohérence axiologique et la garantie d'une sécurité individuelle et collective optimale. Le politique, c'est aussi l'espace de la liberté, de la justice, de la compassion et du rêve.

Le rapport entre le politique et les valeurs est toutefois ambigu du fait qu'il risque d'être constamment masqué par d'autres objectifs ancrés dans les visées utilitaires des individus et des collectivités particulières. Ces derniers se tournent vers le politique pour défendre et promouvoir leurs intérêts, et trouvent une oreille attentive auprès des législateurs dont un des soucis majeurs est leur maintien au pouvoir [37].

Par ailleurs, comme l'écrit Jacques Ellul, « l'État ne dispose pas des atouts requis (ressources, techniques) pour faire prédominer sa propre rationalité politique et bon nombre de citoyens n'ont jamais ressenti envers l'État une ferveur irrésistible qui les faisait succomber à tous ses désirs [38] ».

L'essor de l'économie et de la technique, qui fut l'une des manifestations majeures de la « grande transformation », accrédita un mode de raisonnement particulier de type instrumental [39]. Graduellement, celle-ci exerça de l'ascendant sur la rationalité culturelle, axée sur la religion chrétienne, dominante depuis plus d'un millénaire, et entreprit de subordonner à elle la rationalité politique fondée depuis le XVIe Siècle sur la règle absolutiste. Bref, au lieu d'être soumis au code culturel chrétien comme au Moyen Âge, les processus de l'activité économique montante furent haussés au rang de rationalité propre, qui ambitionna d'occuper une position hégémonique et de dominer tous les ordres d'existence. Anthony Downs, Mancur Olson et de nombreux autres politologues et économistes estiment même que la meilleure façon de rendre compte de l'ensemble du politique est de le considérer sous l'angle de la rationalité instrumentale.

Le politique ne saurait donc se justifier exclusivement par la relation de pouvoir et les rapports de force qui le caractérisent au premier chef ; il requiert en même temps, selon les conditions de temps et de lieu, le support d'une rationalité instrumentale ou d'une rationalité culturelle, ou les deux à la fois, comme c'est le cas dans les sociétés industrielles ou postindustrielles. S'il est toutefois une rationalité généralement prédominante dans les sociétés industrielles avancées, c'est de la rationalité instrumentale qu'il s'agit. Cette dernière s'infiltra dans la rationalité culturelle et la rationalité politique, et elle les pénétra progressivement sans les absorber. Il s'ensuit que les sociétés, tout en changeant dans le temps, échappent à « la disparition des références communes [40] » et persistent dans la durée.

Une contribution majeure de Max Weber consista précisément à montrer comment cette rationalité instrumentale, axée sur le calcul des moyens les plus efficaces d'atteindre des objectifs matériels spécifiques, limités, mathématiquement mesurables et se pliant aisément aux divers procédés d'abstraction et de hiérarchisation, imprégna tout à la fois l'éthique protestante, la législation, la bureaucratie, l'activité scientifique et, finalement, l'ensemble des processus et des organisations de la société industrielle démocratique.

Le troisième développement associé à la modernité consiste dans le bond considérable de la technologie. Cette dernière a immensément accru l'interdépendance des peuples sous tous les aspects. Les communications rejoignent les confins de la planète et sont instantanées. Le monde est devenu un grand village.

Chaque peuple échange avec les autres d'une façon constante et intense. À des degrés divers, chacun emprunte aux autres, les derniers venus à la modernité étant susceptibles d'être redevables à ceux qui les ont précédés. Mais pour que chacun conserve et promeuve son identité, ses emprunts devront être passés au tamis de ses caractéristiques fondamentales et de sa dynamique particulière. Dans le but de préserver les traits de son identité jugés essentiels, une nation faible dressera des barrages contre des idées et des pratiques qui lui sont étrangères. Mais ces dernières l'envahiront tôt ou tard quand les mutations sociales commanderont leur absorption et que les agents du changement investiront ses centres de décision. La pénétration des emprunts, dans ces conditions, risque d'être brutale et d'aggraver les effets nocifs que cette nation cherchait à prévenir. Dans les sociétés modernes, le rythme du changement est plus ou moins rapide : tantôt il s'affole, tantôt il s'immobilise. Dans leur effort pour rattraper les sociétés les plus avancées, celles qui ont pris du retard devront un jour ou l'autre accélérer le pas. Elles risquent de s'essouffler ou de mal absorber les doses massives de changement qu'elles ingèrent gloutonnement.

Sous l'influence de facteurs soit endogènes, soit exogènes, tout changement d'une certaine ampleur constitue un défi pour les sociétés, surtout pour celles dont la capacité d'absorption de l'innovation est faible, mais également pour celles qui sont les mieux équipées pour en maîtriser l'irruption. La caractéristique première de la modernité est le déclenchement d'un mouvement non seulement perpétuel, mais aussi imprévisible : « La modernité est une aventure, une avancée vers des espaces sociaux et culturels pour une large part inconnus, une progression dans un temps de ruptures, de tensions et de mutations [41]. »

L'incertitude est le lot des individus qui vivent ce mouvement perpétuel. Elle s'insinue en eux de diverses manières par suite de leur intégration dans les composantes ou strates sociales - l'écologie, la démographie, la technologie, l'économie, la stratification sociale, la politique, la culture -, une même rationalité instrumentale imprimant sur chacune sa marque indélébile.

Les sociétés traditionnelles connaissent le changement, mais celui-ci s'infiltre à l'intérieur de bornes relativement stables, il ne modifie guère les horizons familiers du temps et de l'espace, il permet à des générations entières de l'absorber, de sorte que les individus le vivent sans en prendre vraiment conscience. Leur histoire est lente. Ce n'est que par nostalgie qu'ils évoquent avec regret « le bon vieux temps » que magnifie la légende.

Par contre, le changement est le propre de la modernité. Il s'agit d'un changement perpétuel qui bouscule sans répit, avec une rapidité souvent foudroyante, structures, institutions et mentalités. La modernité, c'est le changement imprévisible, insensible aux bouleversements qu'il produit. Ces bouleversements sont ambivalents : sous certains aspects, ils favorisent les personnes et les sociétés ; sous d'autres aspects, ils sont susceptibles de produire des dysfonctionnements, des « effets pervers ». La modernisation cause un déséquilibre, elle est source d'inquiétude même chez les personnes qu'elle favorise, et d'angoisse chez celles qu'elle désavantage.

Certes, les répercussions de nombreux cas de modernisation depuis deux siècles ont été bénéfiques, mais les personnes qui vivent le changement n'en perçoivent les effets salutaires qu'après un certain temps. Une période d'adaptation est requise pour structurer l'encadrement des nouvelles façons de vivre. Quand les individus se sont habitués à leur nouvelle existence, la chaîne de changements se renoue et se poursuit, et d'autres efforts en vue d'assimiler des idées et des conduites s'imposent à eux.

Les espoirs que le changement suscite sont souvent déçus. Le mieux-être ne se produit pas de la façon escomptée, les malaises persistent et de nouvelles sources de mécontentement surgissent, d'où un désenchantement qui mène à la résignation ou à la révolte. Certaines formes de révolte - celle de la classe ouvrière au début de la révolution industrielle ou, aujourd'hui, celle des populations que les régimes totalitaires ont asservies - prolongent les soulèvements des esclaves du monde antique ou les jacqueries paysannes du Moyen Âge [42].

Dans les sociétés modernes les plus avancées, il n'y a plus, certes, de maîtres et d'esclaves, de seigneurs et de serfs, de patrons souverains et d'ouvriers assujettis, etc., mais la dialectique du fort et du faible persiste de différentes manières. Des démocraties se relâchent, des nationalismes se débrident, des États-providence briment la justice et l'égalité. Des révoltes qui rappellent les temps anciens éclatent fréquemment, les causes qui les ont engendrées étant identiques. Mais les sociétés modernes avancées voient apparaître une source inédite de protestation : la « contestation globale du système » de la part de catégories relativement favorisées, telle la jeunesse éduquée et au ventre plein des années 1960-1976. Cette jeunesse dénonce une société qui, en adoptant la rationalité instrumentale, aurait perdu son âme, épuiserait les énergies de ses membres dans une poursuite effrénée des biens matériels et ne survivrait qu'en suscitant chez tous, pauvres et riches, un besoin inassouvissable de consommation. Sur les raisons modernes se greffent, dans certains cas, des motifs anciens de colère. Les contestataires s'identifient aux exclus de cette abondance dont les sociétés d'aujourd'hui regorgent. Ils dénoncent ceux qu'ils considèrent comme les profiteurs du système et recourent à diverses formes de violence, dont le terrorisme en certaines circonstances.

Le Québec est terre d'Occident. Il se rattache à deux empires, la Grande-Bretagne et l'Église catholique romaine. Au cours des ans, il a multiplié les liens avec le grand voisin, les États-Unis, et, plus récemment, avec la France, l'ancienne mère patrie. On ne comprend le Québec qu'en le resituant dans ce vaste ensemble. je n'adhère pas à la théorie de la fragmentation de Louis Hartz [43]. C'est au XVIe siècle, à l'époque du déclin de la féodalité, que la Nouvelle-France se détache du continent européen, donc avant la révolution industrielle et la Révolution française qui inaugurent la démocratie libérale. l'étude de la société canadienne-française d'avant 1920, même d'avant 1960 [44], révèle, certes, des traces bien visibles du traditionalisme d'outre-Atlantique. Mais elle trahit également l'influence de plusieurs développements postérieurs à la révolution industrielle et à la Révolution française. En outre, la société canadienne-française est tributaire de l'Église romaine, dont les mandements ont ici force de loi, lient les prélats et l'ensemble des fidèles.

Il est incontestable que l'image d'un Québec depuis longtemps sur la voie de la modernité est plus attrayante que celle d'une société restée engoncée dans des idéologies et des pratiques retardataires. Nous disposons de données sur les caractéristiques les plus diverses des Québécois : âge, sexe, origine ethnique, etc. Et nous ne nous privons pas d'en faire état en maintes occasions. Le débat en cours sur la part traditionnelle et la part moderne de la société québécoise aux différentes périodes, de même que sur le statut des Canadiens français à chacune de celles-ci, projette un faisceau de lumière sur la question du Québec que nous nous posons depuis si longtemps et que nous ne cesserons jamais de nous poser. C'est ainsi que la recherche des caractéristiques qui donnent aux Canadiens français leur identité fait elle-même partie d'une interrogation plus générale sur la nature et le sens de leur destin comme nation. Ne parviendrons-nous jamais à un consensus sur cette question incontournable qui est au cœur même de notre existence collective ?

J'ai cru pertinent de qualifier d'« ancien régime » la société canadienne-française, non pas parce qu'elle aurait été moyenâgeuse, mais parce qu'elle était retardataire. Les nombreuses études qui lui sont consacrées aboutissent à des interprétations différentes de son évolution. D'aucuns y décèlent, bien avant 1960, des courants qui la font accéder graduellement à la modernité. D'autres, au contraire, la voient soumise à des personnalités et à des institutions d'un âge révolu.

Le Québec d'avant 1960 n’était pas une société traditionnelle. La présence d'une importante minorité anglophone qui vivait au rythme de la modernité le marquait en profondeur, même si anglophones et francophones se percevaient comme deux solitudes. En outre, les Canadiens français disposaient d'un certain nombre d'institutions dynamiques qui évoluaient au rythme de la modernité de l'époque et, surtout, ce dont les contemporains se rendaient insuffisamment compte alors, qui aspiraient à la modernité. D'où le projet qui fut formé dans les années 1950, et sans doute bien avant, de rattrapage, c'est-à-dire d'accélération de la modernisation, projet qui deviendra le leitmotiv de la Révolution tranquille. Se pourrait-il, en effet, eu égard au retard historique de la société canadienne-française sous nombre d'aspects, qu'elle soit passée après 1960, dans sa structure, ses institutions et sa mentalité, d'un ancien à un nouveau régime ou du moins, à certains égards, qu'il y eût changement de paradigme ? Ou plutôt devrait-on convenir que les changements furent de moindre envergure, que le rattrapage ne fut ni majeur ni très rapide ? L'examen des indicateurs sociaux dans les années 1960 et la première moitié des années 1970 fournira une première piste. Celui des composantes sociales, de l'écologie à la culture et au politique, des organisations instituées, des mouvements sociaux de même que des nombreuses manifestations, de contestation, parfois violentes, qui secoueront cette société, tout cela dévoilera la vigueur de la dynamique intégrative de même que la vigueur de la division. Bref, il s'agira d'identifier les aspects de la modernité que le Québec inventa, ceux qu'il emprunta, d'évaluer dans quelle mesure il parvint à les assimiler selon ses caractéristiques et ses besoins propres, et de montrer quelle forme revêtit la dialectique du changement et de la persistance au cours de ces années.



[1]    Dans Québec 1945-2000, tome II : Les Intellectuels et le Temps de Duplessis, j'ai qualifié d'« ancien régime » la société canadienne-française d'avant 1960, non pas parce qu'elle aurait stagné dans le traditionalisme au sens strict du terme, mais parce que, dominée par un cléricalisme dogmatique, un gouvernement Duplessis réactionnaire et un nationalisme ethnique de survivance, elle était en retard sur plusieurs aspects fondamentaux par rapport aux sociétés modernes qui l'entouraient et avec lesquelles les personnes les plus évoluées, notamment les intellectuels, la comparaient.

[2]    Jean Lesage, Lesage s'engage, p. 110.

[3]    Sur le changement social, voir : Léon Dion, « Problèmes et méthodes. Les sociétés dans leur changement et leur durée », dans Jean-William Lapierre, Vincent Lemieux et Jacques Zylberberg (dir.), Être contemporain. Mélanges en l'honneur de Gérard Bergeron, p. 33-70. Voir aussi : Georges Ballandier (dir.), Sociologie des mutations ; Alain Touraine, Production de la société ; Robert A. Nisbet, Social Change and History ; Gabriel A. Almond, Scott C. Flanigan  et Robert J. Mundt (dir.), Crisis, Choice and Change ; Bernard Barber et Alex Inkeles (dir.), Stability and Social Change ; David Spitz, Political Theory and Social Change ; S. N. Eisenstadt, Tradition, Change and Modernity ; James L. Peacock. Consciousness and Change ; Neil J. Smelser, Theory of Collective Behavior.

[4]    Léon Dion, « Fondements de la distinction entre droits privés et droits publics et pertinence de cette distinction pour les sociétés occidentales contemporaines », Mémoires de la Société royale du Canada, quatrième série, t. XXIII, Ottawa, 1985, pp. 69-89.

[5]    J'ai traité de cette question dans Les Intellectuels et le Temps de Duplessis, p. 2-10. Voir aussi : William H. Friedland, « Traditionalism and Modernization : Movements and Ideologies », The Journal of Social Issues, vol. XXIV, no 4, 1968, pp. 9-24.

[6]    Parmi les nombreux ouvrages portant sur la modernité, citons : Yves Barel, La Société du vide ; Charles Taylor, Les Sources du moi, La formation de l'identité moderne ; Charles Taylor, Grandeur et Misère de la modernité ; Alain Touraine, Critique de la modernité ; Anthony Giddens, The Consequences of Modernity ; Georges Balandier, Le Détour. Pouvoir et modernité. Constatant l'épuisement de caractéristiques associées à la modernité et l'émergence de traits personnels et sociaux inédits, plusieurs concluent que les sociétés sont parvenues au stade de la postmodernité, un terme aussi vague que les traits qu'on lui prête sont généralement flous.

[7]    Jacques Godbout, « Chère Lise », Possibles, vol. 8, no 3, printemps 1984, p. 143 ; Yves Barel, La Société du vide.

[8]    Georges Balandier, Le Détour. Pouvoir et modernité, p. 265.

[9]    Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, t. IV : La Modernité, Oeuvres complètes, p. 1163.

[10]   Sur la question des indicateurs sociaux ou psychologiques, outre les ouvrages sur la modernité cités plus haut, voir : Norton E. Long, « Indicators of Social Change in Political Institutions », The Annals of the American Academy of Political Science, vol. 388, mars 1970, p. 35-45 ; Nigel Lemon, Attitudes and their Measurement.

[11]   Karl Polanyi, The Great Transformation ; Catherine Malamoud et Maurice Angeno (trad.), La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de  notre temps ; Alfred von Martin, Sociologie de la Renaissance.

[12]   Parmi les nombreux ouvrages sur l'État-providence, voir : Serge-Christophe Kolm, Le Libéralisme moderne ; François Ewald, L'État-providence ; Pierre Rosanvallon, La Crise de l'État-providence ; OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), L'État protecteur en crise ; Piet Thoenes, The Elite in the Welfare State.

[13]   Voir à ce sujet : Léon Dion, Québec 1945-2000, tome I : À la recherche du Québec.

[14]   Léon Dion, « L'État libéral et l'expansion de l'espace public étatique », International Political Science Review / Revue internationale de science politique, vol. 7, no 2, 1986, pp. 190-208. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[15]   René Lourau, L'État inconscient, p. 33.

[16]   Talcott Parsons, The Social System, p. 126 (traduction  libre). Voir également : René Lourau, L'État inconscient.

[17]   Raymond Aron, Démocratie et Totalitarisme, p. 33.

[18]   Georges Balandier, Anthropologie politique, p. 27. Voir également : Le Détour. Pouvoir et modernité.

[19]   Gérard Bergeron, Petit Traité de l'État, p. 181.

[20]   Sur ce sujet, voir : Léon Dion, « L'État libéral et l'expansion de l'espace public étatique », International Political Science Review / Revue internationale de science politique, vol. 7, no 2, 1986, pp. 190-208. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[21]   Karl Marx, cité dans J. Elleinstein, Marx, sa vie, son œuvre, p. 139.

[22]   John Kenneth Galbraith, Anatomie du pouvoir, p. 410.

[23]   Georges Lavau, « À propos de trois livres sur l'État », Revue française de science politique, vol. 30, no 2, 1980, p. 410.

[24]   Jürgen Habermas, L'Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, p. 84, p. 260. Voir également : Antonic Gramsci, Gramsci dans le texte ; Albert Hirshman, Bonheur privé, action publique.

[25]   Sur ce sujet, voir : Léon Dion, « Des finalités politiques, de leurs expressions culturelles et de leur institutionnalisation », Thomas Dekoninck et Lucien Morin (dir.), Urgence de la philosophie, pp. 137-163.

[26]   Ronald Rogowski, « Rationalist Theories of Politics. A Midterm Report », World Politics, vol. 30, no 2, 1978, pp. 296-323 (traduction libre).

[27]   S. B. Barnes, « Natural Rationality : A Neglected Concept in the Social Sciences », Philosophy of the Social Science, vol. 6, no 2, 1976, p. 116 (traduction libre).

[28]   David Gauthier, Practical Reasoning ; Ronald Manzer, « Public Policy-Making as Practical Reasoning)), Canadian Journal of Political Science, vol. XVII, no 3, 1984, pp. 577-594 ; Don A. Dillman et James Christenson, « Toward the Assessment of Public Values », The Public Opinion Quarterly, vol. 39, no 2, 1974, p. 206-222.

[29]   Bertrand Badie et Pierre Birbaum, Sociologie de l'État.

[30]   Pierre Manent, Naissance de la politique moderne. Machiavel, Hobbes, Rousseau.

[31]   David Easton, A System Analysis of Political Life.

[32]   René Lourau, L'État inconscient, p. 88.

[33]   Félix Morley, « State and Society », Kenneth S. Templeton Jr et R. M. Hartwell (dir.), The Politicization of Society, p. 77.

[34]   Georges Burdeau, La Politique au pays des merveilles, p. 27, p. 29.

[35]   Julien Freund, Sociologie du conflit, p. 19.

[36]   David Hanson, « Social Processes and the Norms of  Authority », Comparative Political Studies, vol. 6, no 1, 1973, p. 36 (traduction libre).

[37]   Max Horkheimer, Éclipse de la raison. Raison et conservation de soi. Critique de la politique ; Paul Albou, « Sur le concept du besoin », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 59, no 2, juillet-septembre 1975, pp. 197-238.

[38]   Jacques Ellul, L'Illusion politique, p. 55.

[39]   Voir : Charles Taylor, Les Sources du moi ; Alain Touraine, Critique de la modernité.

[40]   Nicolas Tenzer, La Société dépolitisée, p. 25.

[41]   Georges Balandier, Le Détour. Pouvoir et modernité, p. 266.

[42]   Maria Isaura Pereira de Queiroz, Réforme et Révolution dans les sociétés traditionnelles ; Guy Fourquin, Les Soulèvements populaires au Moyen Âge ; Michel Mollat et Philippe Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi. Les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XVe siècles ; Roland Mousnier, Fureurs paysannes : les paysans dans la révolte au XVIIe siècle ; Boris Porchnev, Les Soulèvements populaires en France au XVIIe siècle ; Nathalie Z. Davis, Les Cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au XVIe siècle.

[43]   Louis Hartz, The Founding of New Societies. Studies in the History of the United States, Latin America, South Africa, Canada and Australia.

[44]   Léon Dion, Québec 1945-2000, tome II : Les Intellectuels et le Temps de Duplessis.



Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 26 avril 2009 14:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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