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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La révolution allemande du XXe siècle. L'idéologie politique du national-socialisme. (1954)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de la thèse de doctorat de Léon Dion, La révolution allemande du XXe siècle. L'idéologie politique du national-socialisme. Thèse non publiée présentée à l'École des gradués de l'Université Laval pour obtenir le grade de Docteur ès sciences par Léon Dion, maître en sociologie, novembre 1954. Tome I, 370 pp. Une édition numérique réalisée par Janick Gilbert, bénévole, interprète en langage des signes, Chicoutimi. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Dion, le 30 mars 2005, de diffuser cette thèse dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Les conséquences politiques des principes qui présidèrent à la naissance du monde occidental moderne s’étaient manifestées au cours du déroulement de la révolution française de 1789, mais ce n’est que durant la période d’après la première grande guerre qu’elles révélèrent toute leur portée existentielle. Malgré les différences d’idéal, d’orientation et d’intérêts qui provoquèrent leur collision, national-socialisme, fascisme, communisme et démocratie confirment, sous des modalités diverse, l’avènement des masses en histoires. Il serait aussi vain de se refuser par romantisme à accepter le fait de cette évolution que de ne pas reconnaître par idéalisme les problèmes nouveaux qu’elle a fait surgir. La vie sociale de l’homme moderne, comme celle archaïque, s’écoule au sein d’un univers que l’expression "collectif organisé" veut caractériser. La forme et les structures de cet univers, cependant, se sont profondément modifiées de même que les relations de l’homme avec lui.

Chez les peuples archaïques le collectif représente un mythe concret de caractère infra-personnel à travers lequel les hommes entrent spontanément en relation avec leurs semblables : la notion de personnes n’est pas conçue en termes d’individualité propre mais en fonction d’un statut et d’un rôle définis par la tradition tribale.  Chez les peuples modernes, un nouveau type de collectif de caractère supra-personnel s’est élaboré.

Les moments intellectuels nécessaires de transition entre ces deux types de collectif ont été la conception de la personne comme individualité propre, l’affirmation de l’égalité juridique de tous les hommes et la reconnaissance de l’individu comme principe et support de la vie politique. L’utopie individualiste égalitaire conduisit d’abord à un collectivisme politique artificiellement fabriqué sous la contrainte de la nécessité, ensuite à l’assimilation progressive du social au politique.

Ayant conçu l’individu comme absolument libre de toute détermination et de tout lien sociaux, les théoriciens politiques ont reconnu l’impossibilité de fonder la société sur la notion du collectif tel qu’il apparaît de prime abord : une somme d’individus juxtaposés. Plutôt que de réviser leur notion originelle de l’individu, ils ont, au moyen d’une fiction (peuple, nation, etc…) attribué un caractère supra-personnel au collectif qui put ainsi servir de base à la société politique. Par une autre fiction nécessaire, les fins et les intérêts de l’individu durent considérés comme identiques à ceux du peuple eu de la nation.

Le caractère supra-personnel fictif attribué au peuple et à la nation ne pouvait acquérir une signification concrète qu’en leur assignant un point d’attache objectif. Dans l’histoire moderne, le collectif supra-personnel a trouvé sa première expression objective dans l’état souverain en voie lui-même, semble-t-il, d’être englouti dans le super-État mondial.

Le type supra-personnel de collectif se distingue encore du type infra-personnel par son mode d’organisation. Dans ce dernier, l’organisation est le produit de l’expérience et dépend étroitement de la tradition : elle vise à la stabilité plutôt qu’à l’efficacité. Dans le premier type, l’organisation résulte de l’application de l’attitude scientifique à la vie sociale et politique.

Sous sa forme moderne d’organisation, le collectif représente le triomphe de l’esprit scientifique sur la tradition et le sens commun. L’idée inspiratrice qui a présidé à son avènement est imprégnée de l’optimisme provoqué par le succès de l’application de la méthode scientifique au monde physique. L’ensemble de la pensée sociale, de Roger Bacon aux sociologues et économistes contemporains, en passant par Karl Marx, découle de la conviction que la vie sociale est soumise à des lois plus ou moins semblables à celles de la nature : cette conviction, en s’accréditant, entraîna la conception mécanique de la vie sociale. La Philosophie Positive et la Politique Positive d’Auguste Comte constituent les meilleurs exemples de cet état d’esprit. Pour Comte, la vie sociales obéit à des lois aussi rigoureuses que celles qui régissent la chute d’une pierre. Cependant, l’ignorance et stupidité traditions non scientifique entravent le fonctionnement normal des lois sociales, d’où l’anarchie générale. L’harmonie sociale suppose la reconnaissance des lois et l’organisation de la société conformément à ces lois. Comme la mentalité scientifique n’a pas été acquise par le grand nombre, la prospérité et le bonheur collectifs exigent que la direction de la vie sociale soit abandonnée aux savants. Dans l’utopie comtienne, une oligarchie de technocrates, possédant le monopole de l’autorité et des techniques ce contrôle social, suffit à orienter la société vers l’ordre et le progrès. La planification constitue une manifestation caractéristique du collectif moderne : restreinte d’abord à la sphère économique, elle s’étend progressivement à toutes les sphères d’existence. Sous sa forme organisée, le collectif se transforme graduellement en collectif total.

Le sentiment intense de participation qui liait l’homme archaïque au collectif étant disparu, il fallu susciter chez l’homme moderne un sentiment assez puissant pour transformer une représentation formelle du collectif en représentation affective concrète et, ainsi, unir l’individu au collectif pas des fibres profondes. Le nationalisme a été la première forme de ce lien affectif artificiellement établi et cultivé. Ce n’est pourtant que dans les grandes idéologies politiques du vingtième siècle que ce lien manifeste tout son terrifiant pouvoir de subjugation mentale. L’homme ne s’est dégagé de sa dépendance existentielle du collectif primaire que pour retomber sous la domination du nouveau type de collectif.

Face à ce nouveau collectif organisé, l’homme moderne se trouve dans la situation de l’homme archaïque vis-à-vis des éléments naturels : le collectif organisé lui apparaît comme une puissance extérieur, colossale et consciente à l’égard de laquelle il nourrit un sentiment complexe de peur, haine et d’adoration. Ainsi, les effets du collectif organisé sur les sens et l’esprit de l’homme moderne sont comparables à ceux qu’exercent les éléments naturels sur les sens et l’esprit de l’homme archaïque. L’homme moderne, qui s’est éloigné de Dieu, n’a pas perdu son aptitude à croire ni le besoin du divin. Dans l’intention de conjurer et de se rendre favorable la puissance auto-conscient et supra-personnelle qu’il attribue au collectif organisé, il l’adore comme une divinité et cherche à s’approprier son essence par participation mystique. Dans l’espoir illusoire de se protéger contre les effets déprimants de cataclysmes qu’il attribue à sa puissance capricieuse, il se fait esclave du mythe qu’il a fabriqué : il emploie ses facultés physiques et spirituelles à le servir et il lui concède les attributs les plus élevés de la personnalité. En plusieurs circonstances, on a vu des hommes, remplis d’orgueil, profiter de cette subjugation mentale pour assouvir leur soif de domination. Par leur monopole des techniques scientifiques de contrôle, ils se sont trouvés en mesure d’utiliser à leur gré le sentiment complexe que le collectif organisé suscite chez le grand nombre : ils ont pu non seulement déterminer l’influence des mythes politiques mais encore les susciter : non seulement imposer les objets de haine et d’amour collectifs, mais encore provoquer la haine et l’amour selon leur caprice et leur intérêt.

La représentation mythique du collectif organisé provoque l’irruption du principe démoniaque au sein de la vie sociale. Après avoir connu, par participation à la puissance mythique, l’illusion de la force et de la vertu, après avoir trouvé dans le mythe une justification morale et psychologique pour les actes inhumains commis en son nom, l’homme voit soudainement cette puissance se retourner contre lui et le détruire. La division progressive du monde en deux aires politiques opposées menace aujourd’hui de faire prendre à la représentation mythique du collectif organisé des formes exaspérées. Cette représentation fait surgir dans l’existence un principe démoniaque reproduisant, sous une forme sécularisée, la structure du manichéisme : tandis qu’un mode de collectif organisé supra-personnel est considéré comme l’incarnation du vrai et du bien, l’autre mode apparaît comme l’incarnation du faux et du mal. La puissance explosive de ce principe, en tenant compte des armes matérielles que l’homme peut mettre à son service, est telle qu’elle met en danger la civilisation humaine, sinon l’humanité elle-même.

De même que la libération spirituelle et existentielle du joug mental exercé sur l’homme par les éléments naturels s’est opérée grâce à la substitution de l’attitude mythique par l’attitude scientifique, de même la subjugation mentale exercée sur l’homme moderne par le nouveau collectif organisé prendra fin lorsqu’il aura réussi à définir son attitude envers les institutions sociales et politiques conformément au principe de réalité.

L’objectif principal de l’étude de la révolution allemande du vingtième siècle, marquée du signe de l’idéologie national-socialiste, est de présenter l’exemple d’un collectif organisé conçu comme une puissance mythique et de scruter l’origine, les caractères, le modes d’action et les œuvres de cette puissance surhumaine surgie de l’esprit mystifié de l’homme allemand.

Du point de vue intrinsèque, le national-socialisme ne constitue pas le meilleur choix pour l’étude du collectif organisé moderne. En tant qu’il marqua une réaction contre les conséquences ultimes de l’individualisme égalitaire et qu’il tendit à perpétuer une conception hiérarchique de l’homme et des valeurs d’existence, le national-socialisme ne pouvait parvenir à une notion du collectif organisé pleinement et uniformément totalitaire. Néanmoins, il a si fortement subi l’influence de l’idéal social et du mode d’organisation issus de la conception individualiste égalitaire qu’il peut être considéré comme un exemple valable, sinon complet et parfait, du collectif organisé moderne.

Par contre, l’idéologie national-socialiste possède le grand avantage d’être bien située dans le temps et l’espace et d’avoir été exprimée avec une conscience métaphysique et historique beaucoup plus nettement affirmé qu’elle ne l’est dans tout autre idéologie de masse. Il est facile de l’analyser et de la considérer sous sa double modalité mentale et objective ; par suite, sa valeur d’exemple n’en ressort que mieux.



Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 28 août 2009 16:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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