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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Québec ou l'émergence d'une formule politique alternative” (1979)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Léon Dion et Micheline de Sève, “Québec ou l'émergence d'une formule politique alternative”. Un article publié dans Le système politique québécois, chapitre 25, pp. 537-555. Recueil de textes préparé par Édouard Cloutier et Daniel Latouche. Montréal: Éditions Hurtubise HMH, 1979, 555 pp. Collection: L'homme dans la société. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Dion, le 30 mars 2005].
Introduction

Léon Dion est professeur au département de science politique de l'Université Laval. Ses principaux intérêts de recherche comprennent les idées et la théorie politique, les forces politiques et l'évolution socio-politique des pays occidentaux. Il a publié Les groupes et le pouvoir politique aux États-Unis, Québec, Presses de l'Université Laval, 1965 ; Le Bill 60 et la société québécoise, Montréal, HMH, 1967 ; et Société et politique, Tome 1 : La vie des groupes ; Tome II : Fondements de la société libérale ; Tome III : Dynamiques de la société libérale, Québec, Presses de l'Université Laval, 1971-1972. 

Micheline DeSève est chargée d’enseignement au département de sociologie de l'Université Laval. Elle a dirigé plusieurs recherches au département de science politique de la même université. Elle s'intéresse aux mouvements sociaux, aux groupes populaires et à la théorie du changement social. 

Leur contribution traite des répercussions du processus de rationalisation des directionnels de l'État sur la politisation des activités des collectivités québécoises. Cette politisation s'est manifestée dans le déplacement du foyer d'identité culturelle des Québécois et dans la transformation de la question nationale québécoise en question sociale. Leur essai fait appel à divers documents gouvernementaux, à des textes politiques ainsi qu'à des études antérieures. Ils utilisent une grille pour classifier les communautés selon leur type de rapport avec le système politique. 

Le Québec est entré dans une phase active de bouleversement social et politique depuis bientôt quinze ans. Une population dont les conditions objectives d'existence avaient évolué sans entraîner de changement correspondant dans sa mentalité s'est vue soudain forcée par ses dirigeants politiques de réaliser l'ampleur de son inadaptation à un milieu de vie résolument urbain et fortement industrialisé et de combler rapidement ce décalage. Même si l'équipe libérale, pendant la campagne électorale de 1960, s'était appuyée sur un programme d'inspiration foncièrement ruraliste et agriculturiste, ce programme manifestait toutefois une volonté nouvelle de moderniser les rouages de fonctionnement de l'État et de saisir l'initiative en matière de politiques de développement économique et social, ce qui devait déclencher un mouvement de réforme dont il est permis de penser qu'il déborda largement ses initiateurs. En effet, le processus de rationalisation des mécanismes directionnels d'un État bureaucratique moderne asséna un véritable choc culturel à la communauté dans son entier, Ces mutations n'allèrent pas sans susciter de fortes tensions ni sans entraîner des conséquences inattendues dont les plus notables furent la résurgence du mouvement nationaliste au Québec et la formation de mouvements populaires de toutes sortes. 

Nous nous proposons de retracer brièvement l'historique de ce processus et surtout d'en examiner les répercussions au niveau de la politisation de l'activité des collectivités aussi bien organiques que non organiques dans la société québécoise des années 70. Par collectivités organiques, nous entendons désigner ces formations sociales ou politiques reconnues officiellement par le système politique établi et qui entretiennent des rapports avec lui par l'entremise de mécanismes d'interaction institutionnalisés. Par collectivités non organiques, nous qualifions plutôt ces formations sociales ou politiques qui opèrent en dehors de toute reconnaissance officielle et qui peuvent être simplement ignorées ou encore réprouvées par les autorités politiques en place selon le nombre d e leurs partisans ou la vigueur de leurs méthodes. À l'intérieur de chacun des types, nous introduisons un second critère de classement, celui du degré d'acceptation ou de rejet du système politique établi, ce qui nous amène à partager les collectivités selon quatre types distincts. Le premier comprend les collectivités organiques inconditionnelles ou ces collectivités qui non seulement sont intégrées aux rouages de fonctionnement du système politique établi mais partagent ses valeurs et poursuivent des objectifs compatibles avec les siens. Le second caractérise les collectivités organiques conditionnelles ou ces collectivités également intégrées au système en place et qui acceptent de jouer selon les règles établies mais qui souhaitent transformer radicalement, de l'intérieur, le système actuel et visent par leur action à l'instauration d'un système politique de remplacement. Le troisième rassemble ces collectivités non organiques conditionnelles qui ne bénéficient pas d'une reconnaissance politique officielle mais ne rejettent pas, en principe, )'idée même de leur intégration possible dans des conditions plus favorables aux rouages du système en place ; leur marginalité est en quelque sorte accidentelle et souvent provisoire. Enfin, le quatrième type regroupe les collectivités non organiques inconditionnelles ou ces collectivités qui adhèrent à un système politique de remplacement et, persuadées de l'impossibilité de parvenir à un accord avec le système actuel, refusent d'entretenir des rapports institutionnels avec lui et oeuvrent de l'extérieur à son renversement, qu'elles aient ou non pour cela recours à des procédés illégaux ou à l'usage de la violence. Le tableau 1 exprime graphiquement ces diverses positions adoptées par les collectivités en rapport avec le système politique en place. 

Il est à noter que l'établissement de rouages socio-politiques parallèles peut aussi bien provenir de l'incapacité des organisations institutionnalisées de canaliser vers le système politique des aspirations (demands) particulières que de la marginalité même des exigences formulées et de l'impossibilité de les satisfaire dans le cadre du système établi [1]. Il est toutefois essentiel de ne pas enfermer l'analyse à l'intérieur du système politique actuel et de la mener plutôt dans le sens du système politique de référence, ce qui laisse place à la perception des formules politiques de remplacement et rompt l'assimilation fréquente entre déviance et irrationalité ou entre marginalité et incohérence des besoins exprimés.
 

Tableau I
Degré d'institutionnalisation des collectivités

Type de
communautés

Position par rapport au système politique actuel

Inconditionnelle

Conditionnelle

organique

1) intégration consentie

2) intégration tactique

Non organique

3) mise en retrait volontaire

4) mise en retrait subie

Dans le but de mieux comprendre le climat d'agitation sociale qui règne au Québec depuis quelques années - et dont la dernière manifestation importante remonte à l'emprisonnement pour un an des chefs de trois grandes centrales ouvrières, la Confédération des syndicats nationaux, la Fédération des travailleurs du Québec et la Centrale de l'enseignement du Québec, dans la première semaine de février 1973 - nous tenterons de démêler les rapports complexes qu'entretiennent les collectivités organiques ou non organiques entre elles et avec l'État, et plus spécifiquement de comprendre comment même des collectivités organiques peuvent être amenées à renoncer à leur statut d'interlocuteur privilégié des agents politiques en place pour affirmer leur volonté de « casser le système » et s'instituer les porteurs d'un mouvement politique radical destiné à substituer au système actuel un système de remplacement [2]

La montée de la contestation et l'émergence de mouvements spontanés de protestation ne sont pas un phénomène propre au Québec. Au cours des années 50, la formule polyarchique, qui consacre l'adhésion des individus et des groupes à la règle de la majorité et suppose que, pour l'ensemble des enjeux politiques, il n'existe ni majorité ni minorité permanentes, semblait en voie de s'implanter dans bon nombre de sociétés libérales [3]. Mais la négation de conflits irréductibles et l'affirmation de la capacité d'harmoniser les intérêts de toutes les composantes sociales d'une communauté traduisaient l'insensibilité aux aspirations des couches sociales les plus défavorisées et illustraient J'absence de mécanismes permettant d'acheminer vers les instances compétentes des demandes non orthodoxes ou simplement « dysfonctionnelles ». L'expression de « fin des idéologies », forgée durant cette décade, masquait la croissance des formidables tensions qui menèrent à l'éclatement de la révolte contre des inégalités sociales tenaces dans des sociétés aussi avancées et apparemment protégées contre ces débordements « propres » aux sociétés « sous-développées » que les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne ou le Canada. 

Au Québec, le phénomène est d'autant plus intéressant à étudier qu'il présente des dimensions plus complexes, combinant la difficulté d'assurer le fonctionnement adéquat des mécanismes d'interaction entre le système social et le système politique (partis politiques, groupes d'intérêt, média de communication et conseils consultatifs) en régime libéral, à celles résultant d'une transformation soudaine des mentalités et d'une réévaluation par une population de son identification aussi bien sociale que politique. 

En effet, aux tensions créées par la prise de conscience de l'incapacité d'un régime libéral de type Welfare State de résoudre des clivages sociaux récurrents, comme la paupérisation relative de larges couches de la société, s'ajoutait la révision d'une idéologie nationaliste séculaire et la rédéfinition de sa communauté politique de référence par une population amenée à se saisir en tant que société globale et non plus comme partie intégrante d'une communauté plus large. C'est ainsi qu'à côté d'une « nation » canadienne-française sans identité autre que culturelle émergea un second support d'identification nationale - politique cette fois - celui de « l'État » québécois. Deux grandes questions guideront notre investigation : en premier lieu, nous nous interrogerons sur l'origine et la signification de ce déplacement du foyer d'identité culturelle des Québécois ; en second lieu, nous chercherons à expliquer comment la question nationale tend maintenant à déboucher sur la question sociale, ou comment les préoccupations majeures d'une fraction imposante des partisans du mouvement en faveur de la souveraineté politique du Québec ont pu glisser d'une valorisation de l'indépendance comme finalité ultime à une évaluation stratégique de celle-ci comme une étape à franchir, d'une simple modalité d'action autorisant le passage d'un régime à un autre et non plus seulement d'un système politique à un autre. 

Nous découperons la période étudiée en trois phases : une première phase (1960-1965) où l'État devient le promoteur du développement économique et social et incarne la volonté de modernisation des institutions politiques et sociales, une seconde phase (1965-1970) où commencent à se manifester les tensions entre des groupes sociaux formulant des exigences contradictoires et où le système politique tente de revenir à un rôle plus passif d'arbitre plutôt que d'initiateur du changement ; enfin une dernière phase (1970-1973) où se dessine l'émergence de mouvements sociaux nettement polarisés et de plus en plus hostiles au système et même au régime politique sous sa forme actuelle. Ce découpage ne peut que cloisonner arbitrairement l'évolution historique réelle, aussi serions-nous malvenus de nier l'existence d'inévitables chevauchements entre ces périodes.


[1]     Sur ce point, voir Léon Dion et Micheline De Sève, Cultures politiques au Québec : Document de travail théorique, Québec, 1972. (miméographié).

[2]     Témoin le retrait de la CEQ de tous les comités consultatifs auprès de divers organismes gouvernementaux sur lesquels elle siégeait jusqu'en 1972.

[3]     Au Québec toutefois, le respect des formes de la démocratie polyarchique s'associait au maintien d'une mentalité traditionnelle (qui s'exprimait par un paternalisme bienveillant à l'endroit des citoyens soumis aux autorités en place) et autoritaire (alliant sanctions juridiques et condamnations morales à l'endroit des insoumis).


Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 2007 19:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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