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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article Léon Dion, “Itinéraire sociologique”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 15, nos 2-3, mai-août 1974, pp. 229-231. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Dion, le 30 mars 2005].

Léon Dion (1948)

ITINÉRAIRE SOCIOLOGIQUE.”


Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. XV, nos 2-3, mai-août 1974, pp. 229-231. Québec : département de sociologie, Les Presses de l'Université Laval.



Juin 1948. J'ai 25 ans. Je viens d'obtenir ma maîtrise en sciences sociales (sociologie) à la suite des trois années régulières prévues par les règlements de l'Université Laval, après l'obtention du baccalauréat ès arts. Muni de deux bourses d'études, je dois partir dans quelques semaines en France pour y poursuivre des études en vue du doctorat. Mon maître allemand, Egbert Munzer, à qui je m'étais profondément attaché au point d'en être arrivé à l'imiter inconsciemment, meurt. La direction de l'Université Laval, le recteur, Mgr Ferdinand Vandry, le vice-recteur, Mgr Alphonse-Marie Parent et le doyen de la faculté, le Père Georges-Henri Lévesque, m'offrent de le « remplacer » à titre de chargé d'enseignement. C'est ainsi que je devins professeur d'université. L'épreuve, car c'en était une pour moi - je ressentais un profond besoin de me rendre en Europe, particulièrement en Allemagne - devait se limiter à un an. En fait, elle dura deux ans. Et si ça n'avait été d'un coup de tête de ma part au printemps de 1950, alors que sans la bénédiction de mes supérieurs, sans argent et sans bourse d'études, je partis pour la France dans la cale d'un paquebot, je ne vois pas quel aurait bien pu être le dénouement de l'aventure.

C'est ainsi que j'eus la joie d'avoir comme premiers « étudiants » des amis d'alors et d'aujourd'hui, tels Guy Rocher et Marc-Adélard Tremblay. C'est en raison de cela également que je puis me flatter d'être peut-être le seul sociologue vivant à avoir lu les oeuvres complètes d'Auguste Comte et de Herbert Spencer. J'eus également le loisir, à l'époque, d'approfondir la philosophie allemande du dix-neuvième siècle de même que les oeuvres de Marx auxquelles mon maître Munzer m'avait initié.

Si je survécus au cours des deux années et demie d'études que je fis à Paris, Zurich, Cologne et Londres, c'est grâce aux bons offices de Jean-Charles Falardeau qui, cette fois comme en de nombreuses autres occasions, me vint généreusement en aide en me faisant obtenir une bourse de la Fondation Nuffield. À mon retour d'Europe, en septembre 1952, je fus nommé professeur auxiliaire au Département de sociologie de l'Université Laval et j'obtins mon doctorat en science politique en mai 1954.

En tentant ainsi de reconstituer quelques bribes de mon passe, je me rends compte jusqu'à quel point je suis tourné plutôt vers le présent et l'avenir et combien mon propre passé compte peu à mes yeux. C'est que je ne puis établir de liens précis entre mes origines et ma vie personnelle et professionnelle d'adulte.

Mon père était, selon les termes utilisés alors, maître-charpentier-menuisier et ma mère, ancienne institutrice de village. Il n'y avait rien de bien remarquable au fait qu'à l'âge de treize ans j'entreprisse des études classiques. Je n'avais pas pensé à autre chose depuis ma tendre enfance. Le chemin était tracé d'avance : trois de mes quatre frères firent leurs études classiques. L'aîné ayant revêtu la prêtrise, les autres se trouvaient « libérés ». Mes deux sœurs devinrent institutrices. Bon an mal an, une bonne quinzaine de fils de cette extraordinaire paroisse rurale qu'était alors Saint-Arsène de Rivière-du-Loup se retrouvaient au Séminaire de Rimouski : en 1940, cette paroisse avait fourni plus de quarante prêtres au diocèse, ce qui dépassait en nombre la ville de Rimouski elle-même. Ce ne fut pas non plus un haut fait de ma part de venir aux sciences sociales en 1945. Maurice Lamontagne et Maurice Tremblay, deux anciens du Séminaire de Rimouski, m'y avaient précédé. Un confrère, Wilfrid Lavoie, prenait le même « ruban » que moi. À cette époque, la prêtrise, la médecine et le droit avaient cessé d'être virtuellement les seules carrières qui s'ouvraient aux bacheliers ès arts. Ces derniers optaient déjà en bons nombres pour la faculté des sciences. Pour ma part, d'aussi loin que je me souvienne, les questions « sociales » m'ont toujours passionné. Certains de mes professeurs au Séminaire de Rimouski m'ouvrirent leur bibliothèque personnelle et consolidèrent ma vocation. Mes années d'études collégiales coïncidèrent avec la grande crise économique et la deuxième guerre mondiale, une période par conséquent fertile en remous de toutes sortes qui trouvaient leurs échos dans L'Action Nationale, L'Actualité économique, Le Devoir, etc. et dans nombre de livres que je dévorais et que je trouvais « bien bons ». Par ailleurs, depuis toujours, je me destinais à une carrière dans l'enseignement. Le Père Lévesque peut témoigner que dès même avant mon entrée à la Faculté des sciences sociales, je m'étais convaincu que J'y serais professeur le moment venu. Le seul problème est que j'y suis parvenu trop tôt à mon goût.

Je cherche en vain dans mes engagements d'aujourd'hui les traces visibles de ce passé que je me remémore rarement. Si j'en excepte la pénible pauvreté financière qui fut longtemps mon lot, je n'ai rien à reprocher à ce passé ; au contraire, je suis toujours parvenu à réaliser mes projets.

Qu'il s'agisse d'enseignements, d'engagements professionnels parauniversitaires, d'action, d'écriture, ce n'est qu'avec ma dissertation doctorale sur le thème de L'idéologie politique du national-socialisme, en 1954, et ma nomination au poste de directeur du Département de science politique, en 1960, que je puis nouer sans difficulté des liens de continuité avec mon présent et mes projets d'avenir. C'est donc dire que je me considère comme un « jeune » professeur, un « jeune » chercheur, un « jeune » écrivain et un « jeune » homme d'action. Mes actes ou productions passés ne représentent pour moi qu'une étape d'un cheminement qui devrait me reconduire finalement à mon point de départ, la philosophie. Ce cheminement, toutefois j'en suis encore à en établir le parcours. C'est à ce moment-là peut-être, c'est-à-dire à la fin, que je parviendrai à ré-assumer tout mon passé.

Suis-je un sociologue ? C'est une question que je me pose rarement, non tant par crainte de la réponse à laquelle mes réflexions pourraient me conduire que par une sorte de fidélité à mes premiers maîtres, Kant, Hegel, Comte et Marx. Ces derniers, on le sait, ignoraient les frontières disciplinaires, lesquelles étaient à peu près inexistantes à leur époque, ce qui leur permettait de pouvoir légitimement prétendre faire oeuvre systématique. Combien d'étudiants n'ai-je pas déçus lorsqu'en réponse à leurs interrogations je déclarais mon peu d'intérêt pour ces discussions concernant, par exemple, la spécificité de la science politique par rapport à la sociologie ? J'estime que ces disciplines, l'histoire, l'anthropologie, la sociologie, l'économique, la psychologie sociale et la science politique se sont trop intimement côtoyées depuis que Platon et Aristote ont commencé de s'interroger sur les questions mêmes qu'elles continuent de soulever aujourd'hui, pour qu'elles gagnent à être conceptuellement séparées. Il vaut mieux qu'elles soient englobées dans un seul et même dessein scientifique.

C'est là la raison pour laquelle j'estime que l'avenir de la sociologie, au Québec comme ailleurs, est lié à celui de toutes les disciplines dans le domaine des sciences humaines.

Les sciences humaines en sont toujours au stade indicatif et interprétatif (idéologique). Il est grand temps qu'elles accèdent au stade prescriptif. Elles en sont au point où se trouvait la médecine au Moyen Âge : en saignant le patient, on croyait le guérir. En fait, on le tuait. Chaque spécialiste étale un arsenal formidable de « problèmes » et d'« explications ». Si d'aventure l'un d'entre nous se hasarde à recommander des remèdes, quelle garantie possède-t-on que ceux-ci soient meilleurs que ceux que propose le politicien ou même l'homme de la rue ? La nécessaire valorisation de nos disciplines suppose une rénovation intégrale de la problématique scientifique.

Cette tâche urgente, comment s'y attaquer ? Une voie prometteuse, à mon avis, consiste à repenser en profondeur les relations entre la recherche et l'action et, plus immédiatement, à trouver de meilleures méthodes d'insertion de la recherche dans l'enseignement universitaire supérieur (deuxième et troisième cycles). Il y a déjà dix ans que nous trébuchons sur cette question dans les universités québécoises. La venue d'une autre génération de chercheurs et de professeurs devrait nous permettre de nous la poser enfin de façon sérieuse et profitable. C'est à surmonter ce défi qu'avec tous ceux, assez nombreux, qui en sont venus à penser comme moi, je vais consacrer une bonne partie de mes énergies au cours des prochaines années. Avant d'être assuré de pouvoir apporter une contribution utile à la solution des problèmes de notre époque en tant que savants, il nous faut consacrer encore beaucoup de temps à affûter nos outils. Et quel lieu plus propice à cette tâche pourrions-nous imaginer qu'un séminaire de recherches de deuxième et de troisième cycles ?



Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 février 2010 12:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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