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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Léon Dion, “Une identité incertaine” (1995)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Léon Dion, “Une identité incertaine”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Simon Langlois et Yves Martin, L'horizon de la culture. Hommage à Fernand Dumont, pp. 451-472. Québec : Les Presses de l'Université Laval et l'IQRC (L'Institut québécois de recherche sur la culture), 1995, 556 pp. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Dion, le 30 mars 2005].
Introduction

Aucune représentation des êtres et des choses n'échappe aux deux catégories fondamentales de l'esprit, le temps et l'espace. Chacun vit dans le temps réel et imaginaire de son histoire et se meut dans les bornes qu'il fixe à son univers. Il lui arrive de figer ce temps et cet espace en les mythifiant. C'est dans le creuset de ces deux mythes qu'un individu ou une collectivité se forme une personnalité. « La vie d'un peuple comme celle d'un individu, ai-je écrit, s'accomplit dans le tracé de deux grands mythes : celui de l'origine et celui de la destinée [1] ». 

Toute collectivité qui naît, comme tout individu, reçoit un nom, aménage un espace, forge une histoire, acquiert une personnalité. Ses expériences, ses succès et ses déboires sont des maillons qui soudent la chaîne de sa vie. Peu à peu, émerge un individu, une classe, une nation, un peuple, s'épanouit un soi individuel ou un soi collectif, un soi en relation ou non avec autrui. Dans le parcours vers la maturité, ce soi reste en rapport à lui-même et aux autres, au temps, à l'espace. Il change, il grandit, il s'étale dans un environnement. Il repousse, grâce à l'imaginaire, jusqu'à l'inaccessible rêve, les bornes que la réalité lui impose. Une personnalité unique se projette dans le monde et poursuit jusqu'à la mort la recherche de son identité. 

Se poser la question : quelle est l'identité de la société canadienne-française ? oblige à la fois à un retour aux origines et à une plongée sur le possible destin. 

Au soir de sa vie, muni d'inépuisables connaissances historiques, c'est en usant de mille précautions que Fernand Braudel entreprend de cerner l'identité de la France. Mieux que quiconque, il perçoit l'ambiguïté de ce concept d'identité : « [...] il est une série d'interrogations ; vous répondez à l'une, la suivante se présente aussitôt, et il n'y a pas de fin. » Et il s'interroge : 

Alors qu'entendre par identité de la France ? Sinon une sorte de superlatif, sinon une problématique centrale, sinon une prise en main de la France par elle-même, sinon le résultat vivant de ce que l'interminable passé a déposé patiemment par couches successives, comme le dépôt imperceptible de sédiments marins a créé, à force de durer, les puissantes assises de la couche terrestre ? En somme un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges. Un processus, un combat contre soi-même, destiné à se perpétuer. S'il s'interrompait, tout s'écroulerait. Une nation ne peut être qu'au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s'opposer à autrui sans défaillance, de s'identifier au meilleur, à l'essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître au vu d'images de marque. [...] Se reconnaître à mille tests, croyances, discours, alibis, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes, fantasmes... En outre, toute identité nationale implique, forcément, une certaine unité nationale, elle en est comme le reflet, la transposition, la condition. 

Et Braudel résume son beau livre en ces termes : 

Dans le processus d'unification de la France sont ainsi à l'oeuvre toutes les forces mêlées de l'Histoire : celles de la société, celles de l'économie, celles de l'État, celles de la culture - la langue française (issue de l'Île-de-France), la langue du pouvoir, outil administratif de cette réduction à l'ordre [2]

Écoutons maintenant mon camarade Fernand Dumont, que ce texte veut célébrer, ouvrant son maître ouvrage, Genèse de la société québécoise : 

Où finit la genèse ? On ne s'attend pas à ce que j'indique une date approximative. La genèse est achevée lorsque la référence est complétée : quand, à partir du sentiment d'une identité commune, on est passé aux conditions de la vie politique, au discours national, à des projets collectifs, à une mémoire historique, à l'institution d'une littérature. En d'autres termes, quand une collectivité est parvenue à la conscience historique. Certes, la genèse ainsi entendue n'est pas une implacable fatalité qui influera ensuite sur le cours de l'histoire. Elle n'en est pas moins la forme première d'un destin que les sociétés doivent assumer même quand elles songent à s'en affranchir. 

Et Dumont ferme son livre sur cette triste constatation : 

Il est des peuples qui peuvent se reporter dans leur passé à quelque grande action fondatrice : une révolution, une déclaration d'indépendance, un virage éclatant qui entretient la certitude de leur grandeur. Dans la genèse de la société québécoise, rien de pareil. Seulement une longue résistance. [...] Pourquoi une si longue hibernation [3] ? 

Combien compatibles sont les objectifs liminaires des deux écrivains ! Combien contrastées leurs conclusions à la fin de leur voyage dans le temps et l'espace de leur patrie respective ! Tous deux cherchent des points d'ancrage, des référents sur la base desquels les personnages, les événements, les institutions, par-delà les drames et les ruptures et même parfois à la faveur des crises les plus éprouvantes, auraient enrichi la mémoire collective de diverses façons pour la fixer dans la durée. Braudel renoue sans peine le fil de la continuité. Dumont le cherche, il l'entrevoit, toujours il lui échappe et se rompt. 

Jean-Charles Falardeau a écrit que le Canadien français est « un homme pluriel [4] ». Il serait plus juste de dire qu'il est un homme indécis, incertain de son identité. La recherche de l'identité des Canadiens français est une entreprise complexe qui ne saurait jamais être élucidée sous tous ses aspects avec certitude. Cette complexité transparaît dès lors que l'on s'attache à les désigner, à délimiter leur espace, à scruter leur histoire, à fixer leur statut politique, à considérer le rôle de l'Église, à évaluer le statut et l'avenir de la langue française et à caractériser leur société dans les conditions de la modernité.


[1]     Léon Dion, Québec 1945-2000, tome 1 : À la recherche du Québec, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1987, p. 4. Pour un examen du concept d'identité : pp. 1-19.

[2]     Fernand Braudel, L'identité de la France. Espace et histoire, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986, p. 17 et 339.

[3]     Fernand Dumont Genèse de la société québécoise, Montréal, Boréal, 1993, p. 18, 331 et 336.

[4]     Jean-Charles Falardeau, « Comment peut-on être Québécois ? » dans : Jean Sarrazin (sous la direction de), Dossier-Québec, Montréal, Les Éditions Stock, 1979, p. 50.


Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le jeudi 18 janvier 2007 20:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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