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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
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Pierrette Paule Désy, “UN SECRET SENTIMENT.
Les diables et les dieux en Nouvelle-France au XVIle siècle
(1988)
Introduction 

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierrette Paule Désy, “UN SECRET SENTIMENT. Les diables et les dieux en Nouvelle-France au XVIle siècle”. Un article publié dans le livre sous la direction de Francis Schmidt, L'impensable polythéisme. Études d'historiographie religieuse. Textes rassemblés et présentés par Francis Schmidt. Première partie “Amérique”, chapitre 2, pp. 123-176. Paris : Éditions des archives contemporaines, 1988, 486 pp. Collection : Ordres sociaux. [Avec l'autorisation formelle de l'auteure accordée le 8 septembre 2007.]

Introduction

Afin de comprendre ce que la notion de polythéisme pouvait signifier au XVIle siècle, nous avons lu les chroniqueurs de cette époque et cherché ce qu'ils avaient à dire sur ce sujet. Désirant garder à notre propos une certaine unité, nous avons retenu une région, la Nouvelle-France et la côte est de l'Amérique du Nord. Nous avons eu parfois l'impression de mener une véritable enquête ethnohistorique auprès des chroniqueurs afin de découvrir la manière par laquelle ils avaient appréhendé la "religion superflue" (c'est-à-dire remplie de superstitions). L'aurions-nous voulu que nous n'aurions pu trouver inscrit le mot polythéisme, puisqu'il n'appartient pas au vocabulaire habituel des chroniqueurs du XVIle bien que ce qu'ils décrivent y corresponde souvent (voir à ce sujet, Schmidt, 1985 : 84-88). En revanche, ce qui ressort, sauf exception comme nous le verrons, c'est leur insistance à nier toute religion et toute croyance chez les Amérindiens. Comment une négation aussi totale est-elle possible ? Influencés par les préjugés du XVIe, marqués par une formule aussi lapidaire que "sans foi, sans roi, sans loi", qui a fini, avec le temps, par devenir un concept, nos chroniqueurs s'emploient, avec plus ou moins de bonheur, à démontrer, non pas ce qui est, mais ce qui n'est pas. Heureusement, la thèse est difficile à défendre et, à vouloir trop faire la preuve, nos chroniqueurs se contredisent constamment, allant jusqu'à donner de fort belles descriptions de la "fausse religion". 

Nous avons donc construit notre texte autour d'une interrogation fondamentale et fort ambiguë au XVIle siècle : les indiens ont-ils une religion, et, dans l'affirmative, à quelle(s) catégorie(s) appartient-elle ? Étant donné que Lafitau, dans son ouvrage, les Moeurs (1724), bâtit un véritable réquisitoire contre les jésuites du siècle précédent, nous commençons par cet auteur. Les parties suivantes sont consacrées à des thèmes récurrents et typiques au XVIle : les Indiens étant d'une totale ignorance, on pourra facilement, comme sur une tabula rasa, inscrire les préceptes de la Religion. Mais il y a des obstacles importants : le Diable n'agite-t-il pas toute la société amérindienne, et les Sorciers ne communiquent-ils pas avec lui ? Cette vision manichéenne du monde américain amène les chroniqueurs à osciller constamment entre les notions de Bien et de Mal, et à accorder au Diable une place capitale au point que toute manifestation religieuse serait inspirée directement par lui. Au fur et à mesure qu'on avance dans le siècle, et surtout après 1640 - moment qui, en France, correspond à une évolution des mentalités sur la question de la sorcellerie et du diable -, le doute finit par s'emparer de nos chroniqueurs qui n'osent plus avancer avec autant de superbe ce que, plus tôt, ils affirmaient péremptoirement. Bien qu'ils continuent de, répéter que les Indiens n'ont pas de religion, ils associent cette négation à des descriptions de rites détruisant l'effet premier recherché. Ils découvrent ainsi que les Indiens ne sont pas "irréligieux". Certains ont des croyances religieuses, d'autres une "fausse religion" ; en conséquence, la tabula rasa reste dans l'imaginaire des missionnaires. En fin de compte, ces derniers se Poseront un véritable problème de conscience : si les indiens ont pu se fabriquer différents dieux, pourquoi, entre tous, n'en choisiraient-ils pas un seul ? En vérité, l'idée que les Indiens, corrompus par la Chute, sont néanmoins issus du même limon que l'humanité tout entière, n'a jamais tout à fait abandonné l'esprit des chroniqueurs. Les Indiens doivent nécessairement avoir la notion d'un Premier Principe, une idée innée de Dieu. À la réflexion, ces "gens misérables comme des gueux, mais superbes au possible" (Ragueneau) nourrissent un "secret sentiment". 

Notre conclusion s'inspire de Paul Radin, qui, pendant des années, s'est interrogé sur les religions amérindiennes, et sur la question plus précise de savoir si les Indiens étaient polythéistes. Radin (1915, 1924, 1937, 1954) ne tirera pas ses conclusions à partir des chroniqueurs, mais de travaux ethnographiques du XIXe et du XXe siècles, dont les siens. Il finira (mais nous doutons qu'il ait jamais trouvé une réponse définitive), par proposer un tertium quid : les indiens seraient monolâtres ou hénothéistes, sorte de solution moyenne entre le monothéisme et le polythéisme puisqu'elle emprunte aux deux. 

Nous avons volontairement exclu toute analyse ethnographique afin de nous concentrer sur l'historiographie des idées au XVIIe siècle. En effet, il nous aurait semblé trop facile, empruntant au discours ethnologique moderne, d'occulter la pensée des chroniqueurs en répondant à leur place. Après tout, il existe des textes sur ce sujet. Nous n'avons pas retenu les écrits du XVIlle siècle. De même avons-nous dû rejeter certaines chroniques de la fin du XVIle qui concernent les expéditions de La Salle, Jolliet, Marquette et Hennepin dans la vallée du Mississippi : nous devions limiter notre propos. Un dernier mot, les chroniques du XVIle ne se lisent pas nécessairement en termes d'évolution constante d'une ou plusieurs idées. De Biard, Champlain, Lescaroot en passant par Sagard, Le jeune, Lalemant à Le Clercq, Allouez et Ragueneau les mêmes idées reviennent souvent. Cependant, une lecture attentive permet d'en extirper la trame principale et d'en suivre le déroulement.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 17 mai 2008 11:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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