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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierrette Paule Désy, Le Cabinet des estampes: lettre à un ami mohawk”. Un article publié dans la revue Culture, vol. X, no 1, 1990, pp. 75-92. Société canadienne d'anthropologie. [Avec l'autorisation formelle de l'auteure accordée le 8 septembre 2007.]

Pierrette Paule Désy

Spécialiste en histoire et en ethnologie
Professeure retraité du département d’histoire de l’UQÀM.
 

Le Cabinet des estampes:
lettre à un ami mohawk
”. 

Un article publié dans la revue Culture, vol. X, no 1, 1990, pp. 75-92. Société canadienne d'anthropologie.
 

Introduction 
Histoire ou passé ?
L'ombre du réel
Politique messianique
Péril en la demeure
Mais rien de rien ne m'illusionne
Et libre soit cette infortune
Qui veut la fin veut aussi les moyens

The Mohawk friend exists. I have never met him : we exchange letters, and occasionally we telephone one another - that is all. In my text, I attempt to perceive several levels of analysis. I question the symbolic and historical nature of the rapport to the Other. I attempt to identify the place of the anthropologist's discourse. I follow the complex series of events which henceforth will never cease to unfold. I try to understand the nature of the troubled relations between anglophones. and francophones, and show how these affect native peoples. 

Time passes ; where will we go ? Like the hero in Carpentier's novel, Los Passos perdidos, we cannot cope with the excesses of our society ; and we flee them, but are mocked only to discover that they are everywhere. The world which we imagined in ideal terms and through the magic of ideology exists nowhere. Standing on the watershed, we hesitate, uncertain of where we should go from here. Time races by The door which opens unto the other universe about which we have dreamt is closing evermore. 

L'ami mohawk existe. le ne l'ai jamais rencontré. Nous nous écrivons et, parfois, parlons au téléphone. C'est tout. Dans mon texte, je cherche à appréhender plusieurs niveaux d'analyse. Interroger la nature symbolique et historique du rapport à l'Autre. Montrer le lieu du discours de l'anthropologue. Suivre le fil complexe d'événements qui n'en finiront plus désormais de surgir. Saisir la nature des relations troubles que nous entretenons, francophones et anglophones. Montrer comment elle exerce un effet dévastateur sur les autochtones. 

Le temps passe. Où irons-nous ? Tel le héros du roman de Carpentier. [1] Le partage des eaux, nous supportons mal la démesure de notre société, et nous fuyons pour découvrir, ô dérision, qu'elle s'est insinuée partout. Le monde que nous imaginions dans l'idéal et par la magie de l'idéologie n'existe nulle part. Debout sur la ligne de partage des eaux, nous hésitons, ignorant où diriger nos pas. Le temps presse. La porte qui s'ouvre sur l'autre univers que nous avions rêvé se fait de plus en plus étroite.

 

Nous sommes nés libres. Nous ne dépendons d'Onnontio non plus que de Corlar [2]. Il nous est permis d'aller où nous voulons, d'y conduire qui bon nous semble, d'acheter et vendre ce qui nous plaît. [...] Écoute, Onnontio ! Prends garde à l'avenir qu'un aussi grand nombre de guerriers que celui qui paraît ici se trouvant dans un si petit fort n'étouffe cet arbre [3]... 
(Garangula, chef iroquois, 1684) 

 

Introduction

 

À la suite de sa visite dans un village iroquois, Chateaubriand écrit cette phrase mélodieuse : « Le sachem des Onondagas me reçut bien et me fit asseoir sur une natte. Il parlait anglais et entendait le français ; mon guide savait l'iroquois : la conversation fut facile » [4]. Lisant ces propos, et ceux rapportés par La Hontan (supra), à plusieurs siècles de distance, je me demande à quelle loi de régression et à quel principe de glissement de discours nous avons obéis pour avoir, avec le temps, dérivé hors du champ de l'entendement. 

Mais, tout de suite, j'ai un doute, vous n'aimerez peut-être pas ma lettre. En effet, bien que mon analyse de la situation rejoigne la vôtre pour l'essentiel, je crains d'écrire ici un certain nombre de choses qui pourraient vous déplaire. Toutefois, cela ne serait pas dans mon caractère de vous les cacher je crois que nous nous entendons sur ce sujet. Voyez-vous, j'ai suivi tous les jours le déroulement des événements à Kanesatake et à Kahnawake, j'achetais tous les journaux, j'essayais tant bien que mal de tout faire : regarder les chaînes de télévision, écouter les stations de radio et lire. Encore abasourdie de découvrir que c'était ici, au Québec, que cette bombe à retardement nous tombait sur la tête, je voulais tout savoir. « Voilà, ça y est, me disais-je, nous sommes sur la sellette comme les autres » [5]. 

En 1973, j'avais suivi d'abord de loin le siège de Wounded Knee, à la réserve de Pine Ridge, au Dakota du Sud, avant d'aller là-bas. En compagnie de militants de l'American Indian Movement, j'ai voyagé dans un camion « emprunté » à une compagnie de transports, parcourant l'Oklahoma, le Dakota du Sud jusqu'au Montana, assistant aux pow wow estivaux chez les Sioux et les Crow. Cet été-là, et ce fut un honneur étant donné les événements qui venaient de se produire, j'assistai au rituel de la danse du Soleil, ou plutôt la « danse qui regarde le Soleil ». Celle-ci se tint à la réserve de Rosebud, à Crow Dog's Paradise, du nom de son propriétaire, Henry Crow Dog, un pejuta wicasa (medicine man) du groupe brûlé appartenant aux Teton-Sioux. Au matin du premier jour, après le cérémonial de la pipe sacrée et des prières incantatoires, Henry dit aux participants de scruter le ciel, car un aigle y apparaîtrait. En effet, quelques instants plus tard, un point noir apparut au loin dans le firmament. Il grossit rapidement pour devenir un grand oiseau majestueux qui survola de larges coups d'ailes le campement. Les gens murmuraient que Henry était un homme de pouvoir. L'aigle du mythe, l'oiseau-tonnerre, donnait au cérémonial une intensité mystique qui ne me quitta guère les jours suivants. L'aigle, c'est celui qui vit dans les profondeurs des cieux à côté de Wakan Tanka, le « Grand Mystère » [6]. 

Des années plus tard, j'ai lu dans Akwesasne Notes un article annonçant la mort de Henry Crow Dog. Il y avait une photo de lui avec, à ses pieds, un aigle apprivoisé... Qu'importe, l'apparition de l'aigle dans le ciel restera toujours gravée dans ma mémoire comme un instant de pure joie.

 

Ô Pouvoir ailé !
Purificateur de la terre
des êtres
de tout ce qui est impur
[...]
Ô toi qui vis près du soleil levant !
Ô toi qui dispenses la connaissance !
Ô toi gardien de l'aube du jour [7] !

 

Leonard Crow Dog, un pejuta wicasa comme Henry, son père, et guide spirituel de A.I.M., allait payer très cher son rattachement à l'organisation : une nuit, des agents du F.B.I. vinrent l'arrêter en sa demeure ; ils le tirèrent de son lit, le jetèrent dehors quasi nu, détruisirent ses biens et sa maison. Ses séjours en prison finirent par le briser. On dit qu'il n'est jamais redevenu depuis le même. 

Inutile de vous préciser que j'avais épousé totalement la cause des Amérindiens, car grande a toujours été ma révolte devant l'injustice et l'iniquité. A cause de cela, je comprends mieux ceux qui, cet été, ont vécu derrière les barricades de Kanesatake, et fait corps et âme avec les militants. On ne peut être à la fois dedans et dehors. Tel est le dilemme qui se pose à beaucoup d'anthropologues. Les contradictions inhérentes à toute organisation qui s'inscrit de facto à la charnière du politique et du traditionnel valent nécessairement des déchirements intérieurs aux militants et à leurs sympathisants. Phénomène qu'on pourrait désigner de politique messianique. Je doute que ces deux concepts fassent toujours bon ménage, à preuve le fondamentalisme de Louis Hall et sa vision moderniste du chaos. 

J'avais appris, entre autres, deux choses qui allaient produire une impression durable dans ma conscience : d'abord, les Indiens des États-Unis considéraient que ceux du Canada étaient « wild » - entendez par qu'ils leur prêtaient la réputation de ne pas se laisser faire -, ensuite, que le rêve de Louis Riel de créer un État dans l'État était encore vivant, que son funeste destin avait laissé dans les esprits des traces indélébiles. « Parle-moi de Riel », me demandait-on. Las ! à l'époque, que n'avais-je mieux appris mes leçons d'histoire. je les connaissais bien dans les grandes lignes, mais ce sont des Indiens qui me racontèrent des faits que seule la tradition orale véhicule. On écoutait « The Ballad of Crowfoot » de Willie Dunn, un Micmac, très populaire en ce temps-là. On écoutait encore les chansons de Floyd Westerman. Vous connaissez : « Here comes the anthro for another holiday, here comes the anthro better hide your past away... » Mais, comme on dit, c'est une autre histoire que je vous raconterai un jour si vous avez encore la bienveillance de me lire. En attendant, je vous conseille un ouvrage qui vient de paraître sur la répression de l'American Indian Movement [8]. Les auteurs expliquent très clairement comment, après l'occupation de Wounded Knee, les militants furent persécutés par le FB.I. ; ils montrent, preuves à l'appui, comment des agents provocateurs, immiscés dans le mouvement, le rongèrent de l'intérieur. Tandis que les membres fondateurs se soupçonnaient les uns les autres, Douglass Durham, un Blanc, déguisé en Indien - il prétendait être tantôt Chippewa, tantôt Minneconjou Lakota -, avait réussi à avoir l'oreille des leaders du mouvement. Devenu trésorier de l'organisation, il contrôlait de ce fait à peu près tout ce qui se passait : il détourna des fonds importants. En quelques mois, les soupçons et les rumeurs ruinèrent les fondements de l'organisation. Elle ne s'en est jamais totalement relevée. Une anecdote : à la même époque où ces événements se déroulaient, j'organisais à Paris, au Théâtre de Vincennes, un concert de musique pop pour venir en aide au mouvement. je reçus un télégramme me remerciant des recettes que j'avais envoyées. Mais quand je me rendis sur place, personne n'en avait jamais entendu parler. Cela m'avait toujours fort intriguée. Bref, cette initiative me valut bien des ennuis. C'est comme ça. 

Je raconte cela en passant, car il y a bien pire puisque plusieurs personnes perdirent la vie. Une Micmac de la Nouvelle-Écosse, Anna Mae Picsou-Aquash, victime de « bad-jacketing » sera trouvée assassinée dans un ravin de la réserve de Pine Ridge. [9] je regarde une de ses photos. Elle est belle, Anna Mae ; dans ses yeux, on lit la fatalité comme si elle sait qu'elle va mourir. Le « bad-jacketing » consiste à répandre la rumeur qu'un militant est en fait un agent provocateur. C'est l'équivalent de « mettre un chapeau sur la tête de quelqu'un », d'où l'expression « faire porter le chapeau » pour nuire à un individu. C'est, paraît-il, quelque chose de fort répandu dans les prisons et les mouvements politiques. Dans le second cas, le F.B.I. ou la G.R.C, par exemple, recrute un agent double, une taupe, qui s'insinue dans l'organisation et a tôt fait de semer le doute sur la loyauté de certains membres. Ils s'entre-déchirent très vite. Les organisations militantes y sont particulièrement sensibles, car le risque d'infiltration est relativement facile d'autant que l'inflation verbale joue un rôle non négligeable dans le recrutement. En effet, l'inflation verbale est une des formes privilégiées de la démagogie. Mieux on flatte les passions, plus vite on sera accepté.

 

Histoire ou passé ?

 

Dans l'affaire d'Oka, victime de mon idéalisme, mais sans le savoir encore, j'attendais du gouvernement des actes qui fussent à la hauteur de la conception bien naïve que je m'en étais fait jusque-là. Pourquoi donc en avais-je ignoré le vide immanent ? Sans doute que, Québécoise, j'avais transféré ipso facto sur lui des espoirs semblables aux miens. Désespoir. 

On a vu et entendu, ces derniers temps, des observateurs de toutes tendances battre leur coulpe et souligner à qui mieux mieux les torts que nous, Québécois, avons commis envers les autochtones depuis la « conquête ». Certes, tout discours impliquant nos relations avec les autochtones exige une analyse de fond, mais en définitive à quoi sert donc une vision manichéenne du monde que l'on divise en mal et en bien ? Toute réduction ne vise-t-elle pas, en dernier lieu, à occulter les vrais problèmes ? En quelque sorte, cela signifie qu'une fois sa mauvaise conscience assouvie, on retourne sans plus tarder à ses affaires [10]. En fin de compte, nous savons tous que, depuis quatre cents ans, les autochtones de ce pays ont été lésés dans leurs droits territoriaux. Alors que pouvons-nous faire à partir de cette constatation ? Quelle action pouvons-nous entreprendre ? 

Que notre mémoire soit hantée à l'occasion de crises comme celle-ci serait-il le signe indélébile de notre impuissance ? Le vrai problème ne résiderait-il pas plutôt au niveau des responsabilités étatiques, qui si elles étaient prises sérieusement, pourraient éviter les psychodrames ? Car c'est une chose d'énoncer les torts qu'une société a commis dans son passé historique, c'en est une autre d'en être réduits à l'impuissance collective. Nous appartenons à un gouvernement démocratique qui est censé traiter toutes les femmes et tous les hommes de ce pays de manière égalitaire. S'il ne remplit pas sa mission parce que les contingences historiques l'étouffent, n'est-ce pas à nous de l'obliger par tous les moyens à nous en rendre compte ? 

Pourtant, ce qui fut un point fort de l'engagement anthropologique, l'ethnocide, dans les années 1970, a été inversé. La parole que nous n'entendions pas nous est transmise haut et fort par les autochtones qui sont parfaitement capables d'exposer leurs points de vue. Quand, il y a deux ans, George Erasmus, le chef des Premières Nations, prévint solennellement le gouvernement que, s'il continuait de pratiquer la politique de l'autruche, les autochtones se révolteraient partout au Canada, sa parole ne fut pas entendue. On se souvient maintenant de son avertissement comme d'une prophétie. Dans cette perspective, cessons d'être timorés et agissons de concert avec les intéressés. 

D'une certaine manière, grâce à la psychose qui s'est emparée de nous cet été avec tout ce que cela comporte d'écarts de langage et de manifestations odieuses, on a refait l'histoire pour rejoindre le grand courant de la répression nord-américaine. Avions-nous donc jusqu'à présent vécu un mensonge ? Avions-nous déguisé notre histoire ? 

L'historien Jacques Le Goff écrit des pages éloquentes au sujet de la mémoire collective, montrant comment elle a été un « enjeu important dans la lutte des forces sociales pour le pouvoir ». Il écrit encore : « Se rendre maître de la mémoire et de l'oubli est une des grandes préoccupations des classes sociales qui ont dominé et dominent nos sociétés. Les oublis, les silences de l'histoire sont révélateurs de ces mécanismes de manipulation de la mémoire collective » [11]. Justement quel est donc ce rapport qu'entretient notre société entre son histoire et son passé ? N'y aurait-il pas lieu de distinguer entre ces deux concepts dans la mesure où, de toute évidence, si nous semblons connaître notre histoire, nous méconnaissons notre passé ? J'entends par là celui de nos liens avec les Iroquois qui, dès le XVIle siècle, vivaient en voisinage avec les Français. Les Mohawk de la région de Montréal furent très souvent les alliés des Français. Or le message que nous retenons ces derniers temps est plutôt celui-ci : « Ennemis nous étions, ennemis nous demeurons ». 

Néanmoins, serait-il possible qu'en regard des événements qui ont secoué le Québec, l'exacerbation des sentiments et des gestes vienne de la mémoire collective que l'enseignement, l'éducation et les mythes coloniaux ont contribué à renforcer ? Voyez, par exemple, les effigies de « warriors » brûlées à Châteauguay, et, son envers symbolique, celle du « crucifié » qui ressemblait si étrangement à un missionnaire, abandonnée contre un arbre, après le siège de Kanesatake. On pourrait gloser longtemps sur ces symboles de notre passé qui ont resurgi comme un diable de la boîte. Il me semble que l'esprit des Relations des Jésuites n'était pas très loin, chez les uns et chez les autres, et qu'il nous faisait partager un rite commun, (contrairement à ce qu'on pourrait penser, au XVIle siècle, il arrivait aussi aux Français de brûler des Iroquois. Ainsi, en 1692, après le supplice de prisonniers iroquois à Montréal, les combattants des deux bords firent une trêve à l'occasion de laquelle des captifs furent échangés [12].) 

Un miroir nous renvoie simultanément les images de l'Autre figées dans le temps séculaire. Un iconographe archiviste semble s'agiter dans quelque sombre lieu des souvenirs et tirer les ficelles. Le Sud profond, l'Alabama, le Québec, comme on l'a prétendu ? plutôt le Cabinet des Estampes ! 

Pourtant la plupart des Québécois n'ont jamais lu les Relations, et encore moins les passages décrivant les supplices des jésuites. Par contre, des illustrations sur les tortures, tous les Québécois en ont vu, ils connaissent tous l'histoire des martyrs jésuites canonisés par Rome. Les générations qui se sont succédé sur les bancs d'école où régnaient les bonnes soeurs, les frères et les curés ont écouté, même d'une oreille discrète et même le sourire aux lèvres, les extraordinaires et invraisemblables aventures des suppliciés en pays iroquois. Et elles sont extraordinaires, ces descriptions, par l'abondance des détails, mais aussi invraisemblables, par leur théâtralisme. Pourtant, elles sont vraies. L'expression de la vérité d'une époque. Ces événements ne disparaissent pas de la mémoire du jour au lendemain. J'ai toutes sortes de preuves démontrant qu'ils alimentent la réflexion générale sur les Iroquois. Je vous en parlerai une autre fois. 

En attendant, je voudrais faire un parallèle. Ceux qui seraient enclins à penser que les supplices sont amériquains feraient mieux de se méfier. Lisez Surveiller et Punir [13]. Le premier chapitre s'ouvre par une description du châtiment de Damiens [14], exécuté sur la place de Grève, à Paris, en 1757. C'est magnifique dans toute son horreur. « Le degré zéro du supplice », « la plus exquise des agonies », celle qui donne « mille morts » et qui « retient la vie » [15]. Quelle différence entre le trépas de Damiens sur la place de Grève et l'« heureuse mort » [16] de Brébeuf à la mission de Saint-Joseph ? Les détails sont les mêmes à peu de choses près. Il faut parcourir ces pages. Par contre, comme le montre Foucault, en France au XVIle et au XVIlle siècle, le cérémonial du supplice, bien qu'il semble surgir d'un autre âge, s'inscrit dans l'appareil juridique et participe de la politique de l'effroi [17]. Montrer au peuple le corps écartelé du coupable afin de prévenir le crime, faire de son exécution une fête exemplaire. Il n'en va pas de même dans les rituels de captivité américains où le prisonnier de guerre, figure universelle, est considéré mort à sa vie antérieure. Il s'engage au cœur du cérémonial, symbole volontaire de l'offrande cannibale [18]. Bien sûr, j'aurais bien des choses à ajouter à ce sujet, mais ce n'est pas exactement le lieu. Cependant, je suis en train de travailler sur le thème plus général des captivités nord-américaines. À suivre. 

Or donc, les relations Français-Iroquois sont très particulières. L'histoire a appris aux Français que, pendant la colonisation, l'ennemi était l'Iroquois : silencieux, il se glisse la nuit pour venir capturer, scalper, brûler, dévorer. « Derrière chaque arbre se cache un Iroquois », tel est l'avertissement qui nous a rendus a jamais paranoïaques. Les Iroquois avaient détruit la Huronie. Ils allaient jusque chez les peuples algonquins, les Micmacs, les Malécites, les Abénaquis, les Montagnais, les Cris, etc., commettre les mêmes forfaits. Quelques exemples : on trouve dans le sud de la baie James la rivière Nottaway du nom que les Cris donnaient aux Iroquois qui venaient y faire des incursions. Le chevalier de Troyes parle dans son journal d'un parti d'Iroquois attaquant des chasseurs algonquins au lac Abitibi [19]. Près de deux cents ans plus tard, en 1830, Finlayson, de la Compagnie de la Baie d'Hudson, arrive à Petite-Rivière-à-la-Baleine, sur la baie du même nom. Il écrit : « Nous trouvâmes plusieurs familles d'Indiens qui nous attendaient sur le rivage, les uns armés de fusils, de lances et de flèches, les autres de haches et de harpons. Ils justifièrent leur apparence hostile en disant qu'ils nous avaient pris pour une brigade d'Iroquois dont ils craignent la venue » [20]. Chez les Montagnais, il y a encore quelques années, envers un enfant qui refusait d'obéir, on usait de menace affirmant que des « Iroquois allaient venir le chercher ». Il y a deux ans, je suis allée au Cap-Breton, le pays de ma mère dont le village est limitrophe à la réserve micmac de Chapel Island. Je me suis promenée dans la réserve avec un Micmac qui m'a expliqué que l'île, inhabitée, était un lieu de sépulture traditionnel devenu par la suite un endroit de pèlerinage consacré à sainte Anne, la patronne de nombreux autochtones allant des Micmacs aux Dènè en passant par les Montagnais. Nous avons traversé la forêt qui recouvre encore l'île pour escalader une petite colline dont la vue domine l'immense lac Bras d'Or rattaché par un détroit à l'Atlantique. Il m'a raconté qu'autrefois les Iroquois y faisaient des raids pour ramener des captifs. Sur la colline, il y avait trois sépultures appartenant à des Mohawk qui ne firent jamais le voyage de retour. Mon guide m'a affirmé que des autochtones de Kahnawake y venaient parfois en pèlerinage. 

Iroquois, déformation de Inin akhoiw (« vrais serpents ») avec le suffixe français « ois » ; leur nom : Oñgweohwe (« les êtres originels ») et Hodenausonee (« nous sommes de la maison longue »). Les Delaware les appelaient Mingo, les Powhatan Massawomekes, les Algonquins Nadowa, les Ottawa Matchenautoway (littéralement « mauvais serpents »). Remarquez, les peuples algonquins appelaient aussi les Sioux Nadouessioux ; grâce au langage des signes, ils les identifiaient universellement par un geste signifiant « coupeurs de gorge ». Quant aux Iroquois, ils désignaient les peuples algonquins par le terme suivant : Sakongwajoniak qui veut dire quelque chose comme « ça ne va pas bien dans la tête » [21]. Comme quoi toute chose est relative. Dans la plupart des sociétés traditionnelles, l'Autre n'est pas tout à fait un être humain. Il est encore du côté des ténèbres et de la Barbarie. Une réaction ethnocentrique naturelle que partage l'humanité. 

je ne pense pas que cela nuise à l'argumentation d'affirmer que les Iroquois étaient des peuples guerriers, comme les Sioux, les Apaches, les Cheyennes, les Ojibwa, les Assiniboines, les Siksika et bien d'autres. Pourquoi travestir la réalité ? La plupart des Indiens aimaient faire la guerre. Ils y excellaient. Il n'est pas faux d'ajouter que les Iroquois étaient alliés des Britanniques, et, en conséquence, ennemis des Français. Toutefois, il y a quelque part dans cette vérité historique toutes sortes d'éléments qui tendent à la contredire. D'aucuns prétendent que les missionnaires, auxquels on n'échappe pas quand on aborde ce sujet, réussirent à attirer des Mohawk et des Onondaga pour former Kahnawake au XVIle siècle. D'aucuns prétendent encore que les membres de la Ligue cherchèrent en vain à les ramener au bercail, et finirent par les déclarer traîtres, ou plutôt mécréants, en 1684. Ce n'est pas le lieu d'avancer ici sur le terrain de l'ethnohistoire et de l'archéologie, sachant pertinemment que les Mohawk ont toujours prétendu que la partie septentrionale de leur territoire s'arrêtait à l'île de Montréal, ce que Lafitau confirme dans son ouvrage Mœurs, voire qu'elle s'étendait bien au-delà en aval du Saint-Laurent. 

Pourtant, les Iroquois furent souvent les alliés des Français. Pas seulement les « Iroquois des missions », mais les autres. En 1736, des Français et des Iroquois allèrent ensemble, jusqu'en Louisiane, porter la guerre chez les Chickasaw. En 1723, les Iroquois du Sault-Saint-Louis et du lac des Deux-Montagnes partirent en guerre en Nouvelle-Angleterre en compagnie d'Abénaquis [22]. À cette époque également, des captifs américains étaient ramenés en grand nombre au Canada. Certains vivront auprès des Français, d'autres auprès des Amérindiens. Les frères Tarbel, (leur sœur Sarah, rebaptisée Marguerite, sera, la malheureuse, confiée aux Sœurs de la Congrégation de Lachine) épouseront des jeunes filles mohawk de Kahnawake. Pierre dit Pier Karkohe, fils d'un des frères Tarbel, époux de la fille du chef du clan de la Tortue, fondera, entre autres, Akwesasne en 1755, (je simplifie cette histoire un peu compliquée [23]). Aujourd'hui, les Tarbel, les Rice, les Williams, les Jacobs, les Hill, les Hall, les Stacey de Kahnawake, sont tous, en partie, des descendants de captifs de Nouvelle-Angleterre, ramenés au Canada par les alliés autochtones des Français. Ceux qui portent des noms comme Delisle, témoignent également d'unions avec des Français. Est-ce que cela signifie quelque chose ? 

Tout d'abord, ne confondons pas culture et génétique. Tant de mythes circulent chez les Québécois sur la question de leur origine amérindienne qu'on finit par se demander si ce n'est pas un coup monté d'ordre idéologique. En effet, plus on prétendra que les Canadiens français ont du sang indigène, mieux on pourra nier l'existence et des autochtones et des véritables Métis. L'idée qu'on est tous mélangés, donc semblables, est sous-jacente à ce postulat. Négation de la différence censée aplanir tous les problèmes. À ce sujet, il est une donnée indéniable : il y a eu effectivement des mariages entre Français et Amérindiens dès le XVIIe siècle (je ne parle pas ici de la question contemporaine qui est tout autre). À condition que l'union ait été féconde, un individu qui remonte sa généalogie jusqu'au XVIle siècle va trouver 1024 ancêtres à la dixième génération (296 ancêtres à la huitième génération) de sorte que la probabilité qu'un mariage entre un Français et une Amérindienne (ou l'inverse) apparaisse dans plusieurs généalogies est relativement élevé. Sur ces 1024 ancêtres, il se trouve donc un(e) Amérindien(ne). Cela signifie, d'une part, que les Canadiens français sont en quelque sorte parents, et, d'autre part, qu'ils ont 1% de sang indigène [24]. C'est vraiment très peu. Bien entendu, à part ça, il y a effectivement des régions (comme le lac Saint-Jean, le nord de Montréal) où les unions ont été plus fréquentes. Quoi qu'il en soit, ce qui détermine d'abord l'identité d'un individu passe par la culture. 

 

L'ombre du réel

 

Il est un phénomène existentiel que j'ai pu observer lors de mes pérégrinations chez les Amérindiens du Canada et des États-Unis ; il est lié à un univers fondamentalement différent de celui des Blancs. On croirait un monde parallèle. L'Amérique autochtone existe toujours par une volonté jamais verbalisée telle quelle de garder un espace quasi sacralisé tant il étonne et bouleverse quand on le découvre. Cet espace que Crazy Horse appelait « l'ombre du réel ». 

Vivez plusieurs semaines chez les Indiens, et vous oublierez que le reste de l'Amérique existe. Ce phénomène, je l'ai ressenti après un séjour dans les Plaines et le Sud-Ouest. Des villes comme Chicago ou New York, aussi imposantes fussent-elle, avaient cessé d'être dans mon imaginaire. Pour expliquer ce sentiment, je voudrais faire une comparaison avec le Grand Nord. Une personne ayant vécu quelque temps dans la toundra et revenant ensuite dans les zones méridionales connaît l'étonnement de redécouvrir la forêt car, entre-temps, elle a établi un lien rigoureusement différent avec le paysage. Même si elle sait que les arbres existent, ils ne font plus partie du décor quotidien. On dit que ces passages d'un lieu à l'autre sont toujours difficiles. J'ai fait souvent cette expérience ; je l'ai revécue de manière plus abstraire lors d'une recherche en ethnohistoire à propos des territoires et des populations autochtones au XIXe siècle. J'avais parfois l'illusion d'être un scribe du moyen âge en train de travailler sur un palimpseste, réinscrivant ce qui avait été effacé par des siècles de colonisation. 

Un paysage, passe encore, mais le passage régulier d'un territoire culturel à un autre (lisez de la culture amérindienne à la culture nord-américaine), pose une difficulté encore bien plus grande. Ces lieux qui existent côte à côte, ils sont invisibles pour les yeux. Il faut y être allé pour prendre la mesure de leur inadéquation. Une réserve n'est pas une réserve, c'est un pays, et dans ce pays le voyageur est pèlerin. Y aurait-il alors dans ces tentatives une volonté inquiétante de bloquer le temps et l'espace dans un immobilisme contemplatif tourné à l'intérieur de soi-même ? À ce questionnement, on peut se demander encore : qu'est-ce que le temps ? qu'est-ce que l'espace ? Dans La Pensée sauvage, Lévi-Strauss écrit quelque chose comme « le temps est une denrée sans limite, et l'espace une société de lieux-dits ». Si cela est vrai, et je le crois, peut-on penser que les traditionalistes amérindiens qui jalousent leur culture vivent dans le passé ? Ne serait-ce pas plutôt que la mémoire du temps, fondamentalement autre, est conditionnée par un réseau différent de symboles sociaux qui s'inscrivent dans l'espace culturel et dont la complexité nous échappe ? 

J'ai connu un Porno de Californie, qui m'a expliqué la conception que beaucoup d'autochtones, lui compris, avaient du monde extérieur. Il me disait que, marchant dans les rues de San Francisco, les Blancs étaient en quelque sorte « invisibles » à ses yeux. Il ne les voyait pas. Certes, il ne niait pas leur existence, la question n'est pas là, mais il ne les regardait jamais. Il m'a raconté que, écolier, le maître l'avait obligé un jour à le fixer dans les yeux, et que, ce faisant, il avait dû franchir un interdit puisque chez les Porno cela est contraire aux bonnes manières. Il se souvenait encore du regard de l'instituteur dont le blanc des yeux était sillonné par de minuscules veinules ramifiées qui ressemblaient à un réseau hydrographique. Il en avait été terrifié. Il datait de cet instant sa conscience de la différence. Il allait dans son univers, sachant que, s'il s'engageait trop avant dans l'autre, il serait perdu pour toujours. 

Les Iroquois ont bien exprimé ce principe dans le « Traité des deux voies parallèles » (Two Row Wampum Treaty) signé en 1645 avec les Hollandais. La ceinture de wampum illustre comment les Hollandais naviguent sur une voie et les Iroquois sur une autre. Chacun va son chemin - les premiers dans leur navire, les seconds dans leur canot -, et l'un ne peut ordonner à l'autre lequel emprunter. La symbolique explique encore qu'il faut faire un choix entre les deux voies. L'une ou l'autre, jamais les deux en même temps. Tel est le sens de ce traité que les Iroquois signèrent avec les Hollandais et qu'ils crurent signer du coup avec tous les Européens, ce qui était quand même une erreur, vous en conviendrez. 

Lisant un jour les paroles de Seattle, prononcées en 1854 lors de la signature du traité de Medicine Creek, je me suis rappelé celles de mon ami porno. Permettez que j'en cite un extrait [25] : 

 

[...] Nos morts n'oublient jamais la terre merveilleuse qui leur donna la vie ... Chaque partie de notre territoire est sacré... chaque colline, chaque vallée, chaque plaine... est marquée par un événement... La poussière sous vos pieds... est riche du sang de nos ancêtres... Même nos petits-enfants... aiment les sombres solitudes... et saluent le retour des esprits. Quand le dernier homme rouge aura disparu, et que la mémoire de mon peuple ne sera plus qu'un mythe parmi les hommes blancs, ces rivages seront occupés par les morts invisibles de la tribu ; et quand bien même les enfants de vos enfants, dans les champs, au magasin, sur la route ou dans la quiétude des sentiers de la forêt, se croiront seuls, ils ne le seront jamais. La nuit, lorsque les rues de vos villages et de vos villes seront silencieuses et que vous les croirez désertes, elles seront envahies par les ombres de ceux qui autrefois aimaient et vivaient dans ce beau pays. L'homme blanc ne sera jamais seul. Qu'il soit juste et traite mon peuple avec équité car les morts ne sont pas sans pouvoir Mort, ai-je dit ? Il n'y a pas de mort, il y a seulement un changement d'univers.
 

 

Politique messianique

 

Contrairement à ce qu'on pourrait affirmer, les Québécois sont loin d'être insensibles à la cause autochtone. Je pense ici à George Erasmus qui a fait des déclarations incisives, très anti-québécoises, qui m'ont beaucoup déçue, car jusque-là, j'avais de l'admiration pour lui. Il a affirmé des choses insensées, du genre que, si Oka s'était produit ailleurs au pays, jamais les Canadiens anglais ne se seraient comportés comme nous, et ainsi de suite. C'est oublier singulièrement les leçons de l'histoire de penser que Messieurs les Anglais sont civilisés à ce point ! je pense à la pendaison de Louis Riel, à la répression des Métis dans l'Ouest, et je m'étonne. On pourrait reprocher encore à George Erasmus de faire un amalgame entre le pouvoir et les citoyens. Dans mes classes, mis à part quelques hurluberlus qui m'interpellent par des questions saugrenues et, par la même occasion, révèlent à point qu'un cours sur les cultures amérindiennes n'est jamais à l'abri des préjugés et de la volonté d'ignorance, les étudiants sont entièrement en faveur de la cause autochtone. Ils le sont parfois jusqu'à la déraison : l'automne dernier, après Oka, certains se disaient même prêts, s'il le fallait, à quitter l'Amérique. Grand Dieu ! les pauvres hères ! et où iraient-ils donc ? On aurait cru réentendre ce chant pathétique, issu de notre patrimoine, dont il faut croire que les mots sont restés gravés dans l'inconscient : « Un Canadien errant, banni de son foyer, parcourait en pleurant un pays ennemi... ». 

Quoi qu'il en soit, vous savez, cette histoire de valise que les Euro-machins sont censés faire pour retourner d'où ils viennent, c'est-à-dire en Europe, n'est pas nouvelle. Si le contenant a changé, en revanche l'idée est restée la même. Elle circule, cette idée, depuis le début de la colonisation. L'arrivée des Européens, avec leurs institutions politiques et religieuses qui leur donnaient le droit de s'emparer des espaces terrestres et de détruire les cultures aborigènes, renvoie d'un point de vue religieux aux grands fléaux archaïques que la cosmogonie amérindienne dépeint. Pour les Amérindiens, il n'y a pas de dichotomie fondamentale entre la pensée religieuse et l'espace terrestre : l'un et l'autre sont indissociables. « Ce désir d'appréhension de la totalité résulte, écrit Lévi-Strauss, d'un même désir d'appréhension globale de ces deux aspects [visible et invisible], que le philosophe [Bergson] désigne du nom de continu et de discontinu ; d'un même refus de choisir entre les deux, d'un même effort pour en faire deux perspectives complémentaires débouchant sur la même vérité. [26] » Cela signifie encore qu'il n'y a pas de primauté du visible sur l'invisible et explique sans aucun doute le regard différent que beaucoup d'indigènes continuent de porter sur l'univers environnant. 

C'est dans ces conditions que surgira l'utopie amérindienne, l'idée que, avec le retour des morts, le monde des Anciens renaîtra de ses cendres et les Européens regagneront leur terre natale ou périront dans quelque catastrophe terrestre ou cosmique. Un exemple : dans les années 1870, Doctor George, un chamane, enseigne aux Klamath et aux Modoc, adeptes de la danse des Esprits, que « les Blancs vont disparaître, et que seuls les Indiens resteront sur terre ». Il ajoute : « Les Blancs vont brûler sans même laisser trace de leurs cendres tandis que les Indiens deviendront éternels » [27]. Cependant, le messianisme, loin d'être uniquement mystique, est également révolutionnaire en son essence, car il prône la résistance guerrière. Les chefs de guerre s'allient aux chefs religieux. Voyez le cas des Shawnee Tecumteh (Tecumseh) et Laulewasikaw (Tenkswatawa), des Ottawa Pontiac et Neolin, et tant d'autres. L'idée d'une rédemption par le retour des morts fait son chemin rapidement. Des prophètes surgissent çà et là et prêchent la bonne parole, n'hésitant pas à parcourir le territoire pour aller convertir des nations voisines. Les prophètes empruntent et syncrétisent dans la mesure où, séduits par le destin du Christ, ils donnent une leçon aux chrétiens [28]. Des rêves, des transes, des visions leur permettent de communiquer avec le Grand Esprit et de répandre son enseignement [29]. 

L'analyse des mouvements religieux depuis le XVIe siècle révèle une analogie : les uns ont engendré les autres et, dans ce sens, les revendications contemporaines sont marquées du sceau de la continuité avec le passé [30]. Toutes les révoltes autochtones n'ont pas été inspirées par un prophète, mais sa présence est fréquente. Si le messianisme prend une dimension plus politique, à cause du discours qui le sous-tend dans les périodes cruciales qui opposent les Indiens aux Européens, observons que les fondements de la pensée sont antérieurs à la colonisation. Il a cependant une forme beaucoup plus épique que celle des prophètes historiques. Toutefois, à la différence de Dekanawida, fondateur avec Hiawatha de la Ligue des Iroquois, et héros culturel par excellence, les prophètes des siècles suivants échouent en définitive dans leur mission salvatrice, trahis par le pouvoir politique extérieur auquel ils doivent faire face et dont ils ignorent fondamentalement les rouages et le fonctionnement. Historiquement, les messies apparaissent à quelques exceptions près, tel Ganeodiyo (dit Handsome Lake ou Beau Lac, le Seneca), fondateur de la religion du même nom, au moment où il est trop tard. Tout se passe comme si le monde amérindien, jusqu'à la fin du XIXe siècle en particulier, ne pouvait appréhender le pouvoir de coercition des institutions européennes et la suprématie de l'État. De même, il n'a aucune possibilité de saisir l'étendue et la dimension démographique européenne, qui se juxtaposent en contrepoint dans la mouvance des épidémies qui ravagent les populations indigènes. 

En dépit de la dissimilitude des cultures, le discours sous-jacent du messianisme reste fondamentalement le même : rationnel et magique, il invite à un renouveau terrestre, à un retour aux sources archaïques avec l'aide de forces surnaturelles. Le prophète - personnage souvent au passé obscur dans la vie - reçoit directement son inspiration du Grand Esprit ou du Maître de la Vie. Il est chargé de délivrer les femmes et les hommes des dangers funestes qui les guettent. Il communique avec les forces supraterrestres souvent dans un sommeil proche de l'hypnose ou de la catalepsie. Ses révélations ne peuvent s'accomplir que si les adeptes obéissent scrupuleusement à des règles et suivent des rites prescrits. L'obsession de la pureté équivaut à la délivrance. En transmettant des codes qui lui sont dictés par une puissance souveraine, le prophète, visionnaire, intègre dans l'univers quotidien, l'espace cosmique et l'espace terrestre, rappelant que l'un et l'autre sont indissociables. 

Dans une autre perspective, le messie se donne mission de consacrer un territoire désacralise par des forces maléfiques, et d'en retrouver le centre. Pour faire face au chaos, il puise son inspiration dans les mythes et les rites. Il est chargé de changer le destin de son peuple, et, du même coup, le cours de l'univers. Les Amérindiens sont partie intégrante du corps de la terre et, historiquement, c'est au moment où elle était le plus menacée qu'ils se sont révoltés. C'est pourquoi le symbole (bien galvaudé de nos jours) si évocateur « la terre est notre mère » renvoie à une réalité concrète. Smohalla [31], prophète wanapam (Sahaptin), chef de la doctrine des Rêveurs, disait vers 1850 :

 

Ceux qui divisent la terre et qui signent au bas d'un papier pour recevoir une parcelle seront privés de leur droit et punis par la colère de Dieu.
 
Vous me demandez de labourer le sol. Devrai-je alors prendre un couteau et déchirer le sein de ma mère ? Mais à sa mort, elle refusera que je repose en son sein.
 
Vous me demandez de piocher pour ramasser les pierres. Devrai-je alors lui déchirer les entrailles pour recueillir ses ossements ? Mais à sa mort, je ne pourrai plus pénétrer dans son corps pour renaître.
 
Vous me demandez de couper l'herbe et de la ramasser pour la vendre afin de m'enrichir comme les Blancs. Mais comment oserais-je couper les cheveux de ma mère ?
 
C'est une loi mauvaise et mon peuple ne peut lui obéir. je veux qu'il reste auprès de moi. Tous les morts renaîtront ; leur esprit renaîtra dans leur corps. Nous devons attendre ici en la demeure de nos ancêtres afin d'être prêts à les accueillir dans le sein de notre mère [32].

 

Citation paradoxale dans la mesure où la vision des peuples chasseurs est différente de celle des peuples agriculteurs et où le rapport à la terre ne porte pas tout à fait les mêmes connotations. C'est surtout chez les seconds que la notion « terre-mère » existe, et on la voit particulièrement à l'œuvre dans les rites et les mythes. Ces derniers essaient souvent de résoudre le paradoxe entre les chasseurs et les agriculteurs, de montrer qui sont les plus forts, qui sont les plus purs. Quoi qu'il en soit, ce qui nous intéresse ici n'est pas tant la spécificité du rapport à la terre, dont la pensée iroquoise témoigne largement, que la nature sémantique des paroles de Smohalla. Celles-ci s'apparentent à un chant sacré qui tente de contrôler l'univers environnant, de contrer la fatalité du destin. 

Ces données illustrent que les mondes amérindien et européen restent séparés par des frontières infranchissables qui durent encore de nos jours. Il n'est pas étonnant dans ces circonstances que la religion messianique prêche le retour des morts et qu'elle naisse de ces formidables tensions. On pourrait presque affirmer que c'est une règle : chaque fois que les autochtones ont été confrontés à des tensions extérieures (oppression, extermination), on a vu apparaître une nouvelle religion contre le désespoir. Les prophètes se lèvent aux moments les plus périlleux : la danse des Esprits qui se répand comme une traînée de poudre dans l'Ouest américain dans la deuxième partie du XIXe siècle correspond à la disparition du bison, aux attaques meurtrières des soldats américains, aux épidémies de variole, à la progression de la colonisation et à la création des réserves. C'est donc sur une ligne double, religieuse et politique, que se déploie la lutte des Amérindiens. Le pouvoir du messie passe par la parole, parole sacrée, véhicule souverain qui canalise la ferveur et la détermination des fidèles. Puissance du verbe, puissance de la poétique. 

Parlant au début de mon texte de politique messianique, je faisais référence à ces différents niveaux de réaction contre le pouvoir coercitif. Les peuples autochtones américains, aussi longtemps qu'ils se souviendront de leur histoire, n'accepteront jamais le destin que l'Europe leur a réservé. D'ailleurs, ils ne sont pas seuls dans leur refus. Les peuples du quart monde, selon l'expression consacrée que je n'aime pas plus qu'il faut, exigent l'exercice de leurs droits. Ce faisant, ils font appel à leurs traditions séculaires pour justifier leurs différences fondamentales. La réviviscence est un phénomène qui continue de jaillir ici même, de sourdre de tous les coins de la planète, alimenté par une ambition capitale : l'affirmation de l'identité culturelle, (concept à la mode, néanmoins concept typique des malaises de notre civilisation). 

Nous ne sommes plus au XIXe siècle. Le « Messiah Craze » qui apportait l'extase semble être à des années-lumières. Il n'en est pas moins riche d'enseignements. Signe des temps, en revanche, quand on examine certaines formes discursives propres aux revendications autochtones contemporaines, on peut faire des analogies avec le fondamentalisme millénariste qui se répand aujourd'hui dans le tiers monde et qui effraie tant l'Occident. Voyez, par exemple, le fondamentalisme d'un Louis Hall. Par ailleurs, il est plutôt inquiétant, ce monsieur, vous ne pensez pas, lui qui s'inspire aux sources du racisme le plus élémentaire, (je fais allusion à son hypothèse sur l'origine velue et simiesque des Européens). Si personne ne l'écoutait, on pourrait supposer qu'il n'est qu'une sorte de faux avatar. Ce n'est pas exactement le cas. Son manifeste inspire les jeunes gens, distille la haine et crée la panique chez les bonnes gens : « Faites sauter les ponts. Faites des brèches dans les centrales nucléaires ». Apocalypse Now. En fin de compte, Hall est bien plus dangereux quand il ne délire pas : il énonce alors des vérités classiques à propos du colonialisme. 

La régénération par la violence [33]. la mystique du guérillero, le « recours aux forêts » (dont Oka n'est pas le premier exemple, tant s'en faut, en Amérique du Nord), haut symbole de l'utopie (autre sujet qui ne manque pas sur notre continent), d'un désir de métamorphose. J'aimerais dans une autre lettre développer ces concepts. Enfin, ces « warriors » qui occupaient la forêt de pins à Oka, ils n'auraient pas récusé les paroles de Chateaubriand pénétrant en pays mohawk pour la première fois et se livrant à la folie lyrique : « ... j'entrai dans les bois qui n'avaient jamais été abattus, je fus pris d'une sorte d'ivresse d'indépendance : j'allais d'arbre en arbre, à gauche, à droite, me disant : "Ici, plus de chemins, plus de villes, plus de monarchie, plus de république, plus de présidents, plus de rois, plus d'hommes" [34]. » Bien entendu, je doute fort que nos politiciens puissent faire une lecture semblable à propos d'un événement qu'ils jugent déviant et participant de l'anomalie. 

Je sais, je me suis éloignée quelque peu de mon propos initial qui paraissait si excentrique et qui portait sur le sujet suivant : « faire sa valise ». Pourtant, ce sujet revient périodiquement, et il était à la mode cet été. Les explications qui précèdent nous aideront-elles de savoir qu'il s'inscrit dans une continuité ? nous feront-elles comprendre pourquoi il resurgit ? je le crois. Quand j'assistai à la première convention de l'American Indian Movement qui se tenait à White Oak, en Oklahoma, peu après l'occupation de Wounded Knee, les leaders tenaient des propos enflammés qui se résument ainsi : « Il faut rejeter les Wasichu (les Blancs) à la mer, ils doivent retourner d'où ils viennent. Nous les aiderons à boucler leurs valises afin qu'ils déguerpissent au plus vite ». Poing levé, les participants manifestaient leur assentiment. J'ai pu également assister à des rituels qui s'inspiraient de ceux de la danse des Esprits de 1890. Les chants, la musique, les rythmes transmettaient au rituel un pouvoir hypnotique singulier : on fermait les yeux, et le monde réel n'existait plus. Jusque-là, j'avais beau avoir vécu dans plusieurs communautés autochtones, je n'avais jamais eu l'occasion d'appréhender le sens du mot « Blanc » en tant que signifiant maléfique, malveillant et mauvais. Ce concept pessimiste allait faire son chemin dans l'esprit de Blancs qui formeraient le chœur des flagellants. Et comme il se trouvait là bien peu de « Blancs » à des kilomètres à la ronde, vous imaginez la situation délicate dans laquelle j'eusse pu être. Pourtant, il n'en fut rien, et nul ne devrait s'en étonner. Cette frénésie des mots ne peut s'accompagner de gestes concrets. Irréalisable ! Par contre, si personne ne doute de l'inefficacité pratique de ces mots, il ne faudrait pas mésestimer pour autant leur efficacité symbolique. Tout le problème est là, et c'est la raison pour laquelle on les réentend périodiquement sous une forme ou une autre. Ils peuvent faire sourire, et pourtant ils cachent une intensité dramatique relativement facile à orchestrer d'autant que les Blancs qu'ils visent aiment avoir peur. 

Voyez comment il a été aisé de se jouer des sentiments des Québécois cet été sur la question des revendications territoriales. Un journal anglophone de Toronto -dont les informations furent reprises avec une belle unanimité par les journaux montréalais -, publia un article dans lequel il montrait la part qui serait réservée aux Québécois après un règlement territorial : il ne leur restait plus que la frange littorale du Saint-Laurent, tout le reste disparaissait au profit des autochtones. Adieu la belle province ! Des bruits coururent au sujet de l'île de Montréal que, paraît-il, les Mohawk s'apprêtaient à reprendre sur-le-champ ou en tout cas réclamaient à cor et à cri. À entendre les commentateurs et les auditeurs qui donnaient des coups de téléphone pendant les « talk show » qui se succédaient sans laisser le temps de reprendre son souffle, devrait-on réellement quitter l'île avec armes et bagages ? la « leur » laisser, comme ça, avec toutes ses rues, ses maisons, ses parcs ? Une telle chose était donc possible ? Inutile d'ajouter qu'on entretenait l'équivoque, prenant soin de ne pas expliquer qu'il s'agissait là plutôt d'une métaphore, d'une reconnaissance de dettes. L'imagination, cette folle du logis, battait la campagne. La rumeur s'enflait : les Hurons voulaient l'île d'Orléans, les Montagnais et les Cris le nord du Québec, les Algonquins l'Abitibi. Le Québec réduit à une peau de chagrin : « Si tu me possèdes, tu posséderas tout... » [35]. On a ici un bel exemple de manipulation du Canada anglais qui craint comme le diable la séparation du Québec. Il est quand même étonnant qu'il fasse grand cas des territoires autochtones ici sans devoir faire le même examen chez lui. Cependant, ne nions pas l'évidence : il faut plus d'un partenaire pour se livrer au jeu de la manipulation.

 

Péril en la demeure

 

Mis à part peut-être les autochtones dont la langue seconde est le français, comme les Montagnais, les autres autochtones réalisent non sans déchirement ce que pourrait signifier un Québec indépendant. Qu'ils ne soient pas spontanément séparatistes, qu'ils n'embrassent pas une cause qui ne les concerne guère, c'est parfaitement leur droit. Qui pourrait leur en tenir rigueur ? La possibilité que le Québec se sépare un jour leur apparaît sans doute comme une aberration. Les Mohawk et les Cris voient cette éventualité d'un fort mauvais oeil. Les Cris veulent même faire sécession du Québec. Quant aux Mohawk, ne reconnaissant ni le Canada ni les États-Unis comme leur patrie, l'inscription de leurs réserves dans un Québec séparé est a fortiori impensable. Qu'ils trouvent à cette occasion une oreille fort attentive auprès des anglophones du Canada, et, encore plus, de ceux du Québec et en particulier du parti Égalité, n'a rien de surprenant. Voilà une occasion inespérée pour les anglophones de se faire les champions de la cause autochtone, de parader vêtus du manteau des innocents. 

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le Canada français a perdu de la crédibilité dans l'affaire d'Oka. Le moins qu'on puisse dire encore, c'est que le Canada anglais en a profité pour se refaire une image. Ce travestissement éthique n'est pas sans rapport avec les liens que nous entretenons, anglophones et francophones, depuis toujours ; il n'est pas sans rapport non plus avec la manière dont la majorité se comporte quand elle a besoin de faire la leçon : elle exhibe alors ses vertus. Il est facile dans les circonstances où on communique dans la même langue de faire accroire le pire sur le compte des autres. Hélas ! la langue française nous sépare des autochtones beaucoup plus qu'on pense, c'est un très grand handicap de ne pouvoir utiliser un langage commun. Ce sont le plus souvent les anglophones qui font le lien linguistique, et malheureusement, la traduction et l'interprétation qu'ils rendent de nos propos ne sont pas toujours à la hauteur. Quoi de plus facile d'accuser les hommes de racisme. Il pervertit tout ce qu'il touche et rien de ce qu'on fera et dira par la suite ne changera l'impression initiale. C'est pour notre grand malheur ce qui est en train de se produire ici. Même si on sait qu'aucune société sur terre n'est exempte de racisme quand les circonstances s'y prêtent, l'exemple d'individus à Châteauguay et à La Salle, aussi affreux puisse-t-il être, a pris préséance dans les médias et dans les esprits, occulté les actes de ceux qui appuient la cause. Faut-il s'étonner qu'à la suite des effigies brûlées, on ait lapidé des voitures ? Certains y voient la main du Ku Xlux Klan quand d'autres affirment que les membres de cet organisme ultra-réactionnaire étaient présents aux barricades, distribuant des tracts, sollicitant de nouveaux membres. Certes, cela est fort possible et probable, mais notre société n'a pas besoin de l'excuse du KKK pour faire une analyse de comportement. 

Et voilà : les milieux anglophones sont pleins de chuchotements à cet effet, l'amalgame est là qui conforte : « Les Québécois sont racistes ». 

À part cette catégorie de gens qui portent en eux des préjugés soit par ignorance - la catégorie profonde qui existe dans toutes les société - soit par une volonté de ne pas reconnaître la différence, il en est une autre dont la soif de justice est grande. Malheureusement, ce qu'on a retenu des événements de l'été dernier ressortit beaucoup plus encore à la première catégorie, celle qui frappe, celle que les médias aimaient à projeter sur nos écrans de télévision et dans nos journaux. Le sujet est à vendre... 

Autre donnée : le discours sur les Amérindiens appartient à tous et à chacun. On voit très bien ce phénomène à l'œuvre dans notre société « savante » où, du jour au lendemain, des individus deviennent de supposés spécialistes. Ici, il suffit de prétendre s'intéresser à une question - qu'importent la nature, la difficulté, le sujet-, pour devenir instantanément un « expert », un « spécialiste », reconnu tel quel par l'institution. Mots clés, sans doute, mots passe-partout sans réserve. Chez nous, le « spécialiste » est comme le psychanalyste de l'École freudienne : il ne s'autorise que de lui-même. Malheur et gourmandise de la compétition qui fait de la recherche une affaire d'argent. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme. Alors, les autochtones s'étant imposés sur le devant de la scène, vous pressentez la pléthore de « spécialistes » qui risquent de se prononcer irrévocablement à leur sujet. Or qui a pris la peine de se pencher sur les études amérindiennes un tant soit peu sérieusement se rend compte que la tâche est quasi insurmontable. Les travaux consacrées aux autochtones d'Amérique du Nord sont innombrables. Mythologies, rites, poétique, organisation sociale et culturelle, archéologie, ethnohistoire, et j'en passe, forment une trame dense et continue. Un éternel recommencement. Mieux on connaît, plus on devient modeste. Pour l'ignorant, c'est l'inverse : moins il sait, plus il se fait prétentieux : un rien lui suffit et le voilà qui pérore à tous les vents. Notre société se contentant de peu, il a alors de bonnes chances d'être entendu sur la place publique. Le degré zéro de la tradition intellectuelle. J'y vois là une façon de minimiser l'étendue et la profondeur du sujet. Une stratégie de l'insignification. Si tout le monde peut en parler, c'est qu'il ne doit pas y avoir grand-chose de signifiant à dire. Nos gouvernements sont prêts à investir des sommes relativement importantes pour étudier des sujets à la mode, mais accordent, et encore je suis généreuse, de petits budgets pour les recherches amérindiennes. Voyez par exemple la vogue actuelles des études interethniques et inter-culturelles. Elles sont nées de la nécessité, je suis la première à en convenir, d'interpréter les dynamiques culturelles et sociales des minorités ethniques nationales, et la façon dont elles se situent à l'intérieur de la société dominante. Seulement, la place réservée aux Amérindiens dans toutes les études qui visent à modifier et à comprendre notre comportement social et notre vision culturelle reste toujours fort secondaire (quand elle n'est pas inexistante). Le raisonnement académique s'apparente-t-il à celui de l'État ? Rappelez-vous les années 1960 quand le département des Affaires indiennes relevait du ministère de l'Immigration ! Pourtant, il existe au Canada anglais, aux États-Unis, des centres universitaires consacrés aux études autochtones. Je ne sais pas comment je réagirais si j'étais autochtone, je sens que je n'aimerais pas ça du tout. 

 

Mais rien de rien ne m'illusionne [36]

 

Je sais, j'ai déjà trop insisté sur l'irréductibilité des relations inter-ethniques anglophones et francophones. Il n'empêche, aussi longtemps qu'elles ne seront pas résolues (peut-être jamais), nos relations avec les autochtones s'en trouveront bouleversées et dénaturées. Permettez-moi de vous raconter une histoire qui illustre ces propos. Cette histoire est tirée de ma propre expérience de vie, et je pense que, dans ce sens, elle est irremplaçable. Dans les années 1960, j'ai fait du terrain dans la baie d'Hudson et la baie James. J'avais commencé par m'installer à Poste-à-la-Baleine. Seulement je trouvais l'atmosphère étouffante à cause de la compétition entre les fonctionnaires fédéraux et provinciaux, le révérend anglican et le prêtre catholique. On avait fermé quelque temps auparavant la base militaire de la défunte ligne de radar Mid-Canada censée protéger les Canadiens des attaques soviétiques ! Précurseur primitif de la base de l'OTAN au Labrador qui allait tant faire parler d'elle. La présence de militaires dans ce poste isolé avait laissé des séquelles. Toutes sortes d'histoires circulaient à propos de tout et de chacun rendant les contacts difficiles. Je me souviens du missionnaire, un bel Italien, qui accusait son collègue anglican de comploter contre lui, de lire son courrier et de répandre des propos fallacieux et diffamatoires à son sujet. Le révérend l'accusait d'être le géniteur de métis illégitimes, propos que j'entendrai presque partout où je passerai à l'endroit des missionnaires. Délire ou réalité, cet exemple illustre à quel point le climat à Poste-à-la-Baleine était -déjà !- empoisonné par les Blancs qui y vivaient. Ce n'est pas nouveau, les anglophones essayaient de régler leurs comptes aux francophones par autochtones interposés. Les fonctionnaires provinciaux, nouvellement arrivés, avaient mission de répandre la bonne parole au sujet de la « révolution tranquille » dont tout le monde se fichait éperdument dans ce coin de pays. Enfin, il était temps, on prenait possession du territoire, on allait leur montrer aux Anglais que « on était maîtres chez nous ». 

On m'avait parlé de Grande-Rivière que l'on vantait comme un lieu harmonieux. De fait, elle l'était cette île ensablée sise à l'embouchure de la rivière La Grande où on eût dit que le temps était suspendu. Les gens allaient et vaquaient à leurs occupations. Ils vous souriaient et toujours vous saluaient. Ce n'est que des années plus tard que le discours sur « l'homme blanc » apparaîtra. Chez les Montagnais de Schefferville, c'était pareil : on n'appelait pas encore les Blancs des Blancs, mais des « Canadiens ». Pour l'heure, à Grande-Rivière, on se contentait d'exorciser sa venue. On avait inventé le « bogeyman », un être encore mythique, mi-figue, mi-raisin, vêtu d'une chemise à carreaux et d'un jeans, un appareil-photo en bandoulière, des lunettes noires au visage, qui avait la curieuse habitude de se camoufler dans le tas de bran de scie qui jonchait la rive adjacente au moulin du curé. Il en surgissait tantôt rieur, tantôt grondeur, selon les mauvais et les beaux jours. Parfois, il se promenait dans la forêt où il était préférable de l'éviter. « L'homme blanc » était encore minoritaire même si, mine de rien, au cours des années il avait fini par investir les champs économique en créant un réseau de commerce de fourrures ; religieux en faisant du prosélytisme ; administratif en donnant aux Affaires indiennes un contrôle sur le destin de la communauté. 

Le vieux missionnaire catholique, dont la barbe blanche et la robe noire luisante et usée symbolisaient un passé suranné, un archaïsme d'un autre âge, était là depuis 1928. Il était triste, mon missionnaire, de n'avoir pu convertir, au fil des ans, que cinq individus, mais il avait fini par comprendre qu'il valait mieux se spécialiser dans un autre domaine que celui de la foi. Il avait donc ouvert une école, bâti un dispensaire, cultivé un jardin, et construit passagèrement une porcherie qui dura le temps aux chiens esquimaux de dévorer, par une nuit d'hiver, la truie infortunée. Parfois, il se révoltait et sortait, pour reprendre son expression, une « photo » de Martin Luther déguisé en démon qu'il mettait sous les yeux de Cris égarés en sa demeure. « Voilà l'homme a qui vous avez jure allégeance ! » criait-il. Les Cris n'en pouvaient mais. Ils ne savaient pas qui était ce bonhomme de Martin Luther dont le commun des mortels ignore jusqu'aux traits physiognomoniques, (rien à voir avec le portrait peint par Lucas Cranach). Quel désespoir le poussait donc à se ridiculiser ainsi ? Il m'avait confié qu'un de ses amis missionnaires, persuadé d'avoir raté sa vie puisqu'il n'avait su convaincre les Indiens de se convertir, avait tenté de se suicider. Aujourd'hui, je sais qu'il parlait de lui. 

je décidai de me rendre à Grande-Rivière. Hélas ! avec la nouvelle politique provinciale (bonne pour nous Québécois en tout état de cause), les transformations ne tardèrent pas à se manifester. Bientôt, des fonctionnaires provinciaux arrivèrent ; ils se mirent aussitôt à hisser des drapeaux à l'emblème du fleurdelisé. Or ces drapeaux jetaient de l'ombre sur ceux de l'« Union Jack » et de la Compagnie de la Baie d'Hudson (la seule entreprise commerciale qui eût jamais le droit d'avoir ici son propre drapeau), qui flottaient dans le Grand Nord depuis des décennies. En ce qui me concerne, on pouvait bien tous les brûler, sauf que les Cris et les Inuit de la localité les subissaient de mère en fille et de père en fils, en conséquence de quoi ils comprenaient mal qu'on rajoute un drapeau « français ». De mauvaises langues ne leur avaient-elles pas soufflé : « The French are coming » ? Exactement comme si on eût affaire à une invasion de caractère belliqueux semblable à l'expédition du chevalier de Troyes au XVIle siècle, et que la tradition orale eût préservée. Cette fois, les « Français », à défaut de canons et de mousquets, débarquaient avec leurs vices connus : braillards, buveurs, danseurs, fornicateurs, libertins, épicuriens, en somme, de vrais sauvages. Ils avaient des mœurs douteuses et d'inquiétantes différences que le ministre anglican se plut à souligner afin de mettre ses ouailles en garde. 

Les « French » allaient tout chambarder, changer le bel ordre établi par les marchands et les missionnaires. Nos fonctionnaires zélés, sans aucune expérience nordique antérieure (ils avaient été recrutés par des annonces parues dans les journaux et n'avaient aucune formation ; ainsi, l'un d'entre eux était vendeur de sous-vêtements pour hommes à Montréal, et ce n'est pas que je méprise ce métier, loin de là, mais enfin celui-là était, disons, un vendeur obscurantiste), accrochaient des photos du premier ministre de la province espérant que sa bobine supplante celle de la « queen » qui, avec ou sans son prince, régnait en maîtresse des lieux au point qu'on se serait cru partie de la Grande-Bretagne. Kafka : « Notre administration n'a pas changé, les plus hauts fonctionnaires viennent toujours de la capitale, les moyens, sinon de là, du moins du dehors, les subalternes sont de chez nous. Rien n'a changé. Et de cela nous nous contentions ... » [37]. 

En quittant Poste-à-la-Baleine, je préférais aller me faire pendre ailleurs ; j'avais compris que les liens anglo-français avaient peu d'affinités électives. Moi, j'aimais les Indiens. Je me méfiais des Canadiens anglais, et je me gardais des Canadiens français (je n'étais pas encore sur le chemin de la sagesse, qui vous conduit tout droit à l'identité, si chérie aujourd'hui, censée vous fournir un super-ego, un surmoi freudien gros et fort comme un char d'assaut, qui vous protège des agressions). On n'échappe pas à l'histoire quand elle se fait sous son nez. À Grande-Rivière, un géographe, rendu fou furieux par l'amour insensé qu'il portait à son pays, étroit d'esprit comme on en trouve souvent dans cette profession qui pourtant, par définition, devrait ouvrir des horizons, nationaliste à outrance, eut l'idée géniale de hisser le fleurdelisé à plusieurs endroits stratégiques du village. Il allait partout répandant la bonne nouvelle que désormais le Québec allait s'occuper des autochtones. Pour commencer, il fallait franciser tous les toponymes de la région, et pour montrer qu'il était sérieux, il allait remplacer les deux autres drapeaux par le nouveau. Il ne demanda pas son avis à la population locale, des Cris et des Inuit, estimant que c'était pour son plus grand bien. Hélas ! des chasseurs ne tardèrent pas à prendre les drapeaux pour cible s'amusant à les cribler de balles. 

je ne sais pas si le pasteur anglican ou le marchand de la Compagnie leur avaient inspiré ce mauvais conseil, car il faut avouer que le fleurdelisé claquant joyeusement dans le vent était de mauvais augure pour ces gens-là qui avaient persuadé les autochtones qu'en réalité ils étaient en Ontario. Combien de fois, ai-je sorti une carte du Québec m'évertuant de toutes les manières possibles de prouver que Grande-Rivière, c'était en P.Q. « Là, m'égosillais-je, vous voyez bien que ce n'est pas en Ontario ! C'est écrit en gros NOUVEAU-QUÉBEC ! New QUEBEC ! » « Mais pourquoi NOUVEAU, rétorquaient-ils, qu'y a-t-il de si nouveau ? Et puis s'ils ont écrit ça, c'est qu'ils cachent quelque chose. » Les gens hochaient la tête. Les fonctionnaires avec qui ils faisaient affaire venaient d'Ottawa, Ont. Cela était bien suffisant. Pour le reste, ils ne voulaient pas se mêler de chicanes toponymiques où les noms de lieux donnés autrefois par les Français avaient été remplacés par ceux des Anglais, lesquels étaient rebaptisés à nouveau par les premiers. Que le cap Jones, qui marque la limite sud de la baie d'Hudson, se transforme en pointe Louis XIV, que la rivière Nelson soit rebaptisée Bourbon, ou que la rivière Pishoprogen devienne, par barbarisme, Bishop Roggan, du nom d'un évêque anglican imaginaire, peut leur chaut. Il y a longtemps qu'ils ont investi le territoire et identifié les endroits. 

Il n'empêche, cette fausse confusion m'avait toujours intriguée. Dernièrement, j'ai lu dans un document [38] une explication lumineuse à ce sujet. Bien entendu, je n'ai jamais douté que les Cris eussent su où ils étaient. La question est tout autre : jusque dans les années 1960, Québec n'avait jamais manifesté d'intérêt pour les habitants de cette région, qui avaient toujours relevé d'Ottawa. Au début de ce siècle, en 1901, le département des Affaires indiennes préparait un traité qui devait comprendre la baie James orientale et occidentale. Le département avait l'intention de rattacher administrativement ce traité à celui de « Robinson-Huron », signé en 1850, concernant les Ojibwa du lac Huron et du lac Supérieur. Au milieu du XIXe siècle, on avait découvert d'importants gisements miniers, et le gouvernement avait trouvé hautement « désirable » d'abolir les droits des habitants dé la région. C'est l'Honorable William B. Robinson qui fut chargé de mener à bien les délicates négociations avec les Ojibwa, et de contrer, pour reprendre son expression, leurs revendications « extravagantes » [39]. 

Le département préparait en 1901 un beau coup quand on sait de quelle manière les traités ontariens ont subjugué les autochtones du Haut-Canada. De plus, le Québec eût été mis devant une évidence. La même année, une pétition signée « résidants de l'Ontario et du Keewatin » circulait à Ottawa bien que certains des signataires fussent du Québec. À l'époque, en Abitibi et dans le sud de la baie James, les Algonquins et les Cris chassaient d'une province à l'autre où ils comptaient et des territoires et des parents. Cependant, le département des Affaires indiennes cherchait à territorialiser les chasseurs selon des frontières définies grâce à une politique qui avait fait ses preuves tout au long du XIXe siècle. En 1942, il fut même question de regrouper les chasseurs appartenant aux « bandes » dite « Abitibi Dominion », « Ontario Abitibi » et « Rupert House » sur la rivière Harricana qui coule dans le sud de la baie James à cheval sur les deux provinces. En définitive, le traité de la baie James ne fut jamais conclu, et seule la « bande » dite « Abitibi Dominion » signa un traité concernant des terres situées en Ontario, auxquelles elle renonça contre la somme annuelle et per capita de quatre beaux dollars. 

Ce film remarquable de l'ONF, datant de 1970 et intitulé « The Other Side of the Ledger », vous le connaissez ? On y voit la célébration en grande pompe du 300e anniversaire de la Compagnie de la Baie d'Hudson, mais on y entend aussi le point de vue des chasseurs amérindiens. Ils disent calmement tout leur ressentiment, comment ils ont été exploités par la Compagnie, comment elle s'est enrichie à leurs dépens, pourquoi en définitive elle leur appartient puisqu'ils estiment en avoir été les véritables artisans. On y aperçoit des Indiens allant chercher les quelques dollars dérisoires garantis par les traités. La ligne de partage est marquée au couteau : entre le mode de production domestique et le mode de production mercantiliste, il a bien fallu que les chasseurs fassent un arrangement. Dans un seul sens. Cela n'allait pas toutefois sans problèmes stratégiques. Considérons d'abord comment une société de chasseurs-cueilleurs, qui, par définition, est une société du « refus du surplus et de l'accumulation », qui ne produit que « le maximum de ce qu'elle a besoin », est amenée à faire du commerce [40]. Cette démarche implique alors un « renversement de sa vision économique » : plutôt que de pratiquer le troc à partir de ses biens de consommation, elle doit produire une accumulation de biens - en l'occurrence des fourrures - afin de se procurer des denrées rendues nécessaires par le commerce qu'elle est amenée à pratiquer Dans cette spirale algorithmique s'insinue une donnée qu'elle ignorait jusque-là : le crédit. Afin de retourner sur son territoire du chasse une famille de chasseurs a besoin d'un certain nombre de biens : lard, thé, sucre, farine, balles, fusils, etc. Pour se les procurer, le chasseur se rend auprès du marchand qui lui fera crédit sur les ballots de fourrures qu'il s'engage à ramener Vient le printemps suivant où la dette au marchand est effacée, mais où le chasseur n'a fait aucun bénéfice. L'automne suivant, pour repartir sur son territoire de chasse, il devra à nouveau s'endetter si entre-temps, pendant l'été, la morte saison, il n'a dû s'y résoudre [41]. Ce qui ne changera jamais, c'est le système de crédit et de débit qui rend le chasseur esclave de la Compagnie. Le film rend compte de cette donnée de manière exemplaire. Ô ironie du sort et des temps écologico-sentimentaux que nous vivons, la Compagnie de la Baie d'Hudson à Montréal vient de décider de ne plus vendre de fourrures dans son magasin de Montréal. 

Je voudrais terminer cette longue digression sur l'antagonisme social en territoire nordique par une autre histoire. Dans les années 1970, j'ai eu l'occasion de retourner à Grande-Rivière. Les circonstances avaient changé. J'avais écrit une thèse de doctorat sur le village, et je me souviens très bien dans quel désarroi je me trouvais devant la conclusion à écrire. Il allait se passer quelque chose, il fallait qu'il se passe quelque chose. La situation telle quelle ne pouvait pas durer. J'ai donc décidé de ne pas conclure. Bien sûr, je ne suis pas devineresse, et je ne pouvais donc savoir que la baie James allait devenir le site d'un méga-projet en hydro-électricité. Les années 1970 furent des années choyées pour les consultants. On consultait partout, les firmes, les universités, les gouvernements engageaient des consultants bien payés et, en général, fort dévoués. Les Cris se trouvaient dans une tourmente, et ils avaient un besoin urgent de consultants blancs et anglophones, j'insiste. La langue est ici fort importante. Ce sont eux qui touchèrent les fonds nécessaires pour mener à bien leurs investigations. Une fortune ! Les francophones, et ils étaient rares, qui avaient précédé la nouvelle vague durent filer : ni vus ni connus. L'est de la baie James colonisé par la Compagnie de la Baie d'Hudson dès 1670, occupé par les missionnaires anglicans plus tard au XIXe siècle, n'était « nouvelle québécoise » que de nom. Ce sont des chercheurs canadiens, souvent fort sérieux d'ailleurs, qui eurent le privilège d'étudier l'impact du barrage hydroélectrique sur la population. Je ne mets pas en cause leur bonne volonté, ce que je mets en cause, c'est l'évacuation de facto des Québécois qui continue jusqu'à ce jour. 

Ce jour d'août à mon arrivée à Grande-Rivière, j'ai découvert la triste réalité. Des chercheurs étaient partout. Ils avaient investi le territoire totalement et jalousement. On aurait juré que les Cris leur appartenaient. J'ai souffert. La communauté avait beaucoup changé. Les tensions linguistiques que j'avais observées dans les années 1960 n'étaient rien à côté de celles qui existaient à présent. Des fragments me reviennent en flash-back : 1) j'entre dans la maison des consultants, une visite de courtoisie, sans plus. Ils veulent savoir qui je suis. je me raconte. Ils n'ont jamais entendu parler de moi. Sans importance. Au moment de partir, j'aperçois dans un tiroir entrouvert un exemplaire de ma thèse (soutenue en Sorbonne). Comment se trouve-t-il là ? De quel droit ? Je repars si troublée que je n'ose pas réclamer mon bien. L'impression de ne pas exister ; 2) il fait beau dans l'île. La chasse aux oies est ouverte. Dès potronminet, les chasseurs sont partis par petits groupes. Ils remontent le long de la baie. Le bureau de poste, une cabane, est fermé : Noah les accompagne. Un ouvrier canadien-français, chaussé de gros sabots, se heurte le nez à la porte du bureau de poste. L'air d'un chat fâché. Il donne des coups de pieds. Il crie : « Maudits sauvages ! ». Mes hôtes, de vieux amis, prétendaient que je n'étais pas québécoise, mais parisienne : « Cela t'évitera des ennuis », me disaient-ils. je ne mens pas, voyez-vous, on ne ment pas dans ces histoires, simplement on n'ose pas les raconter, c'est autre chose. Etre Québécois dans cet endroit était une tare tant la situation était tendue et mauvaise. 

J'ai quitté Grande-Rivière la mort dans l'âme. Les missionnaires et les marchands laissaient le pas aux nouveaux penseurs. Les clercs de l'idéologie, les contrôleurs du verbe et de la pensée. Foin de l'histoire des idées. Les années ont passé : je ne suis pas retournée à Grande-Rivière. Je préfère ne pas y penser (ô « bleeding heart »). je veux garder intacts ces souvenirs de l'île avec les chiens de traîneau qui hurlaient à la lune, les caches de nourriture, les lampes à huile qui brillaient la nuit, le grondement de la rivière au printemps, les violons magiques des McKenzie qui nous faisaient danser les reels écossais, la chasse à l'ours, le craquement de la glace sur la rivière quand on allait lever les filets à poisson, et, surtout, l'amitié des hommes et des femmes. Grande-Rivière, c'est cela, et plus encore. Tant pis, je n'oublierai jamais.

 

Et libre soit cette infortune [42]

 

Que pouvons-nous ajouter à propos des événements de Kanesatake et de Kahnawake sinon qu'ils devaient arriver tôt ou tard ? Le fait qu'ils soient survenus au Québec relève de circonstances historiques générales et de séquences événementielles bien précises. A cet égard, il faut distinguer les premières des secondes. Le caractère historique des revendications des Mohawk et des Algonquins de Kanesatake est une chose [43] ; l'implication de « warriors » pro-casino d'Akwesasne dans le conflit alors que, quelques mois auparavant, ils étaient eux-mêmes en position conflictuelle avec les Mohawk de la faction adverse, en est une autre. Ce n'est pas un hasard si l'été de Kanesatake est devenu symbolique des luttes autochtones, mais ce n'est pas non plus un hasard s'il est arrivé après le printemps d'Akwesasne. Que militants et sympathisants soient venus des États-Unis et du reste du Canada pour accorder leur appui prouve de manière irrévocable l'exemplarité d'Oka (bien qu'il y ait eu de grands absents comme les traditionalistes d'Akwesasne). Toutefois, une exemplarité qui se situe d'abord dans la mouvance des revendications territoriales ; elle n'est pas nécessairement particulière aux autochtones du Québec, qui auraient la plus mauvaise position dans l'échiquier. Ce qu'on a tenté de faire croire au point que les autochtones en sont convaincus. Dernièrement, j'écoutais une juriste d'origine ojibwa affirmer que le Canada était plus sympathique à leur cause que le Québec. Ligne de pensée qui semble être devenue la règle à l'Assemblée des Premières Nations. Pourtant, les Affaires indiennes et l'armée sont des institutions fédérales. 

Où donc, sinon ici, pourrait-on imaginer deux ministres et un juge de la Cour suprême en train de signer une entente avec des guérilleros dont le bas du visage est camouflé par un foulard, et au sujet desquels on apprendra plus tard que l'un d'entre eux est mineur ? Cette farce (et ses dindons de fonctionnaires) ne pouvait avoir lieu qu'au Québec, pays où les contradictions inhérentes l'ont rendue possible. je me demande dans quel coin d'Amérique latine, des États-Unis ou du Canada anglais, par exemple, des guérilleros auraient pu si longtemps narguer le pouvoir étatique sans une répression meurtrière ? Peut-on imaginer les Mohawk occupant le pont de Brooklyn pendant des semaines ? Les Iroquois de Six-Nations ou de Tyendinaga bloquant l'accès de Toronto ? Impunément ? Voyez Alcatraz en 1969, Wounded Knee en 1973, les milliers de balles qui furent tirées, les morts et les blessés pendant le siège et les meurtres qui suivirent les années suivantes [44]. C'est un paradoxe, mais il est plus facile de porter sa cause dans un pays où on sait que les gens sont a priori sympathiques que dans un autre où ils le sont moins. (Malheureusement, cela n'est plus tout à fait vrai depuis Oka.) Ce qui est en jeu autant pour les Américains que les Canadiens anglais se trouve dans la prétendue grandeur de l'État et de sa souveraineté, ce dont nous, Canadiens français, parlons beaucoup mais ne faisons pas. 

Cela ne signifie pas que tout va bien dans notre royaume, loin de là. Les « siècles de déshonneur » ne se gomment pas facilement. Le gouvernement voudrait bien se débarrasser de son « problème indien » : tantôt, il fait l'autruche espérant que l'orage passera, tantôt, il joue au dur, menace et tempête. Le jeu de la carotte et du bâton illustre plutôt bien la politique du Canada envers les autochtones. 

Un jour, prochain, espérons-le, après que le déluge de mots, qui finissent par convaincre sans qu'on sache trop s'ils sont vrais ou faux, aura diminué d'intensité, il faudra bien que nos politiciens s'attachent à une tâche essentielle : celle du nécessaire dialogue avec les leaders autochtones. Ils devraient se méfier de la rhétorique emphatique et tenir un langage qui correspond à la réalité. Quand des ministres - y compris le premier ministre -, quand l'ancien gouverneur-général, traitent les Mohawk de « terroristes », c'est qu'ils préparent un coup fourré. Ne prenons qu'un exemple : celui de la répression policière en territoire mohawk. On nous assure qu'il y a à peine quelques voitures de la S.Q. à Kahnawake ; or, qui aura pris la peine d'aller vérifier sur place découvrira qu'il n'en est rien du tout, que la S.Q. et la G.R.C. exercent censure et répression sur la population autochtone, et sèment tous les éléments propres à une discorde qui sera impossible à résoudre. Quand des Mohawk comparent Bourassa à Saddam Hussein, le Québec tantôt à l'Irak, tantôt à Auschwitz [45], est-ce que c'est du même ordre que Bush opposant Saddam à Hitler ? Dans le premier cas (laissons le second aux exégètes qui ne manqueront pas de faire florès), il me semble que c'est à un certain niveau sémantique une projection imaginaire à la manière de Lovecraft ou de Wollstonecraft. Démonomanie. Monstres & Co. Égarement de l'injure. À un autre niveau, c'est surtout un aveu de désespoir devant l'incurie de nos politiciens. 

Car il faut bien l'avouer, nous sommes tombés cet été dans un discours tiers-mondiste qui fonctionnait très bien chez nous comme dans les pays européens. J'ai eu quelque problème à écouter Madame Blondin, député dènè pour les Territoires du Nord-Ouest, expliquer les larmes aux yeux au Parlement d'Ottawa que « les petits enfants mouraient de faim à Kanesatake ». La vérité était autre : personne n'a jamais manqué de nourriture au siège de Kanesatake. On a vu d'ailleurs après le siège quantité d'aliments de toutes sortes jonchant le sol, ou dans les congélateurs. Personne non plus n'avait froid, on a trouvé encore des monceaux de vêtements. je n'ai guère été réconfortée par le bafouillage du ministre des Affaires indiennes. On pourrait tout de même user d'un vocabulaire qui correspond à des réalités locales, et non à celles de l'Amérique centrale. Génocide, torture, famine, bain de sang, terroristes sont des mots chocs que la presse a utilisés à l'envi. 

À ce sujet, les journalistes ne firent pas que de la figuration. Tels des danseurs, des chanteurs et des musiciens, ils jouèrent sur la scène du lac des Deux-Montagnes et des barricades de Châteauguay des rôles où l'amateur côtoyait le professionnel, l'hystérique le flegmatique. En tout cas, ils n'étaient ni aphones ni aphasiques. On eût dit qu'un maître de ballet leur dictait quels pas-de-deux danser, qu'un maître de chant leur montrait quelles pièces chanter, qu'un maître de musique leur indiquait quelles partitions jouer [46]. Ah ! la belle ordonnance, il faudrait un Rameau pour écrire un opéra-ballet à la manière du XVIIIe. J'aurais bien des choses à dire encore. C'est assez. 

 

Qui veut la fin veut aussi les moyens [47]

 

Les Amérindiens du Canada jouissent d'un prestige certain auprès des peuples dits du quart monde. Il suffit d'assister, par exemple, aux ONG qui se tiennent chaque année à l'ONU à Genève pour s'en convaincre. Les Amérindiens du Canada apparaissent forts et structurés, et ils tiennent un langage novateur. D'une certaine manière, ils apparaissent comme les chefs de file de la révolution autochtone contemporaine. Les regards des autochtones des deux Amériques sont tournés vers eux : cela ceux du Canada le savent très bien [48]. Cela est d'autant plus tragique que le gouvernement du Canada qui tient à défendre ailleurs les droits des peuples à disposer d'eux-mêmes se révèle ici faible d'esprit et pauvre d'imagination. Sans doute craint-il de voir surgir les cadavres -exquis ?- qu'il a si soigneusement enfermés dans son placard. La lenteur dont il fait preuve pour régler les négociation territoriales de Kanesatake montre son peu d'ardeur dans le dossier. Le refus qui vient d'être signifié aux Gitskan de Colombie britannique confirme que la lutte s'avère encore très longue et que le chemin est semé d'embûches et de périls. 

Tout se passe comme si le gouvernement s'en tenait encore à la doctrine propre au siècle dernier, celle de la « destinée manifeste » (Manifest Destiny) qui prévoyait à court ferme la disparition des autochtones. On pouvait supposer alors qu'ils étaient prisonniers d'un système d'enfermement et de ségrégation : tel était du moins ce que le sens de l'histoire leur réservait : intégration ou disparition. Or, on sait que les événements qui se sont succédé montrent le contraire. Ils ont su éviter - et cela en passant par des épreuves diverses : souffrance, ethnocide, subversion les pièges que leur tendait l'État, en particulier dans le cadre d'une opération tentaculaire de normalisation du champ politique qui eût signifié leur assimilation de facto. Ce n'est donc pas par hasard si les autochtones doivent avoir recours à une contestation permanente : au niveau du discours, de la langue, de la tradition ou du respect de la tradition. 

Ce militantisme renaissant auquel on assiste depuis une vingtaine d'années déconcerte la société blanche nord-américaine. Prenant exemple sur d'autres cas, elle n'hésite pas à ravaler toute résistance au registre du terrorisme et de la délinquance. Étant donné que pendant des décennies, elle n'avait pas entendu la voix des Amérindiens, elle a cru que ceux-ci avaient abdiqué. Cependant, il faut souligner que cette résistance n'a jamais cessé, elle n'a fait que prendre de nouvelles formes, que gagner en intensité en raison de la crise qui monte de l'intérieur même de notre société. 

Les Amérindiens de ce pays mènent un combat politique qui consiste à réinscrire ce qui a été effacé par des siècles de colonisation, à mettre en évidence une vérité essentielle : celle des premières nations qui se déploient soudain sur la ligne d'horizon, et que l'histoire, en se faisant, avait camouflées et réduites. 

J'ai appelé ma lettre le « Cabinet des Estampes ». Cabinet pour musée, estampes pour gravures. Eaux-fortes mordantes en clair-obscur. L'épreuve de l'artiste. (Les preuves de l'ethnologue ?) Mais je n'aurai pas parcouru le catalogue de l'irréparable. 

Ces temps-ci, je suis envahie d'une infinie tristesse. J'imagine que je ne suis pas la seule, mais cela ne change rien, et ne me rends ni moins triste ni plus gaie pour autant. 



[1]    Alejo Carpentier, Le partage des eaux, Gallimard, Paris, 1986. Tr. de l'espagnol, Los pasos perdidos. Le héros est un musicien qui fuit New York pour se réfugier chez les Indiens de la forêt vénézuélienne, où il connaît des aventures fabuleuses. Revenu de force à New York, il réussit à regagner la forêt pour se rendre compte qu'elle n'existe plus comme avant, que le chemin qu'il avait emprunté lui est désormais interdit.

[2]    Respectivement les gouverneurs français et anglais.

[3]    La Hontan, Voyages du baron de La Hontan dans l'Amérique septentrionale, tome 1, Éditions Élysée, Montréal, [1705], 1974, pp. 60-61

[4]    Mémoires d'outre-tombe, vol. 1, Flammarion, [1841] 1982, p. 298.

[5]    Une petite partie de ce texte a servi a une présentation devant les délégués du Parlement européen à Kahnawake en janvier 1991.

[6]    Pour une explication magistrale du principe de Wakan Tanka, voir J.R. Walker, « The Sun Dance and other Ceremonies of the Oglala Division of the Teton Dakota », Anthropological Papers, vol. XVI, part II, American Museum of Natural History, New York, 1917, pp. 51-221.

[7]    J. Epes Brown, ed., The Sacred Pipe, Penguin, New York, 1972, p. 77.

[8]    Ward Churchill & Jim Vander Wall, Agents of Repression, South End Press, Boston, 1990.

[9]    Ibid. et Johanna Brand, Life and Death of Anna Mae Aquash, Lorimer & Co, Toronto, 1978.

[10]   Je pense en particulier à Mulroney qui a tenu exactement ce discours cet été, mais sans promesses aucune.

[11]   Histoire et mémoire, Folio, Gallimard, Paris, 1988.

[12]   Collection de manuscrits contenant lettres, mémoires, et autres documents historiques relatifs à la Nouvelle-France, vol. 1, 1692. Québec, Imprimerie A. Coté et Cie, 1883. p. 593.

[13]   Michel Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la Prison,. Gallimard, Paris, 1975.

[14]   Robert François Damiens écartelé pour avoir donné un coup de canif à Louis XV.

[15]   Op. cit., p. 38.

[16]   Relations des jésuites, année 1649.

[17]   Op. cit., pp. 52-53.

[18]   Cf. P Désy, éd., « L'lndien blanc : transculture et identité », in Trente ans de captivité chez les Indiens 0jibwa. Le récit de John Tanner Bibliothèque historique, Payot, Paris, 1983, p. X. [En préparation dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[19]   En 1686, le chevalier de Troyes et une centaine de soldats, après une opération de guérilla dans la baie James, s'emparaient de trois fort de la Compagnie de la Baie d'Hudson et rentraient victorieux à Québec.

[20]   Northern Quebec and Labrador Journals and Correspondence 1819-35, The Hudson's Bay Record Society, 1963, p. 104.

[21]   David Blanchard, Patterns of Tradition and Change : The Re-Creation of Iroquois Culture at Kahnawake, ms, Ph.D., University of Chicago, 1982, p. 105.

[22]   Archives publiques du Canada, MG1 C11A vol. 45.

[23]   Emma Coleman, New England Captives Carried to Canada, vol. I, Portland, Maine, 1925, p. 294.

[24]   Yolande Lavoie, démographe, communication personnelle.

[25]   Vine Deloria, God is Red, Delta Book, New York, 1980, p. 176.

[26]   Le Totémisme aujourd’hui PUF, Paris, 1962, p. 141.

[27]   Philleo Nash, « The Place of Religious Revivalism in the Formation of the Intercultural Community on Klamath Reservation », pp. 415-416 in Fred Eggan, ed. Social Anthropology of North American Tribes, The University of Chicago Press, Chicago, 1955, pp. 375-442.

[28]   En contrepoint, dans les années 1630 apparaît chez les Puritains de Nouvelle-Angleterre la doctrine millénariste (qui annonce l'événement du millenium, c'est-à-dire la période de mille ans annoncée par l'Apocalypse pendant laquelle le principe du Mal sera rendu impuissant). Les Puritains réservent alors une place aux Indiens dans leur nouvelle théocratie. Cela n'a rien d'étonnant car le vieux mythe du siècle précédent selon lequel les Indiens sont descendants d'une des Tribus perdues d'Israël est ressorti. Notons que dans les années 1650, le grand projet eschatologique des Puritains finira par disparaître. Voir P Désy, « Un secret sentiment : les diables et les dieux en Nouvelle-France au XVIIe siècle », pp. 123-176. L'impensable polythéisme. Études d'historiographie religieuse, E Schmidt, éd., Éditions des Archives Contemporaines, Paris, 1988, pp. 148-149.

[29]   Voir James Mooney, The Ghost Dance Religion, Fourteenth Annual Report, Bureau of American Ethnology, Smithsonian Institution, Washington 1896.

[30]   P. Désy, « Messianisme et politique », ms, 1983.

[31]   Smohalla vivait dans la région de la rivière Columbia avec un petit groupe de ses fidèles. Sa doctrine se répandit rapidement parmi les tribus de la région et gagna de nombreux adeptes dont certains se chargèrent de la répandre encore plus loin. Elle dépassa largement les frontières puisqu'on rapporte qu'en 1856, une prophétesse kutenai prêchait chez les Athapaskan du fleuve McKenzie.

[32]   Mooney, op. cit., p. 721.

[33]   Richard Slotkin a développé ce concept dans Regeneration through Violence : The Mythology of the American Frontier, 1600-1860, Wesleyan University, Middletown, Conn., 1973.

[34]   Op. cit., p. 290.

[35]   Allusion au romande Balzac La peau de chagrin. On trouve cette inscription sur la peau de cuir magique qui se réduit avec chaque désir accompli.

[36]   Voir note 42.

[37]   La muraille de Chine, Folio, Gallimard, Paris, 1981, pp. 88.

[38]   « Historical Notes on the Abitibi Dominion Band, Treaties & Historical Research, ms., MAIN, 1983.

[39]   Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians, Belfords, Clarke & Co., Toronto, 1880.

[40]   Pierre Clastres, Préface, ibid., pp. 11-30 et Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d'abondance, Gallimard, Paris, 1976.

[41]   P Désy, « Les Indiens du Nouveau-Québec », De l'ethnocide, 10/18, Paris, 1972. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[42]   Je veux bien que les saisons m'usent.

      À toi, Nature, je me rends ;

      Et ma faim et toute ma soif.

      Et, s'il te plait, nourris, abreuve

      Mais rien de rien ne m'illusionne ;

      C'est rire aux parents, qu'au soleil,

      Mais moi je ne veux rire à rien ;

      Et libre soit cette infortune.

            Rimbaud, « Bannières de mai ».

[43]   P. Désy, « Les revendications historiques des Mohawks », Le Devoir, Montréal, les 21, 22 et 23 août 1990.

[44]   Contrairement à ce qu'on a affirmé, l'armée américaine et les tanks étaient bel et bien à Wounded Knee en 1973. Cf. Churchill et Vander Wall, op. cit., p. 144.

[45]   Voir l'affiche des protestataires au camp Paul-Sauvé d'Oka, qui comparaissait le Québec à l'Afrique du Sud ; celle à l'entrée de Kahnawake : « Welcome to Auschwitz-Québec », l'encart paru dans un journal de Toronto : « Stop the Genocide in Quebec ».

[46]   On notera seulement comment les médias ont conduit le bal des thèmes : on aura eu droit à la semaine « Monseigneur Tutu », à la semaine « S.Q. », à la semaine « signature du traité », à la semaine « Lasagna » dont on a fait tout un plat c'est le moins qu'on puisse dire. « Lasagna » est-il ou n'est-il pas Mohawk ? Ne serait-il pas plutôt une sorte d'Italo-Indien de western-spaghetti ou de cinéma hollywoodien (autrefois, Hollywood engageait des acteurs italiens pour tenir le rôle d'Indiens), ou encore un « bum » de Brooklyn où il a résidence ? Lasagna, c'est d'abord Ronald Cross dont le malheureux cousin fut abattu sans raison par la S.Q. à Kahnawake, il y a quelques années.

[47]   « Qui veut la fin veut aussi les moyens, et ces moyens sont inséparables de quelques risques, même de quelque pertes », Rousseau, Du Contrat Social, Flammarion, Paris, [1762] 1966, pp. 71-72.

[48]   Il y a quelques années, j'ai visité des M'byaGuarani dans la province de Misiones, et quand ils apprenaient que je venais du Canada, la première chose qu'ils me demandaient était de parler des luttes que les autochtones mènent ici.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 17 mai 2008 11:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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