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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierrette Paule Désy, “Autobiographie d'un «sorcier» sioux”. Un article publié dans la revue La Quinzaine littéraire, no 257, 1er-15 juin 1977, pp. 22-23. Compte rendu du livre de Tahca Ushte et Richard Erdoes, De mémoire indienne. Paris: Éditions Plon, 1977. Coll. Terre humaine. [Avec l'autorisation formelle de l'auteure accordée le 24 juillet 2007.]

Pierrette Désy

chercheure, ethnohistoire et anthropologie

Autobiographie d'un « sorcier » sioux.”

 

Un article publié dans la revue La Quinzaine littéraire, no 257, 1er-15 juin 1977, pp. 22-23. Compte rendu du livre de Tahca Ushte et Richard Erdoes, De mémoire indienne. Paris : Éditions Plon, 1977. Coll. Terre humaine.

 

De mémoire indienne est une oeuvre singulièrement belle dont le pouvoir d'envoûtement captive l'esprit longtemps après sa lecture. Ce livre est un événement ethnologique, car il nous donne à entendre ce qu'est la vie quotidienne et religieuse d'un « pejuta wicasa », c'est-à-dire un medicine-man, contemporain. En outre, c'est une contribution anthropologique remarquable, et l'absence apparente d'un appareil scientifique distingue De mémoire indienne des travaux livresques banals auxquels les sciences humaines nous ont trop souvent habitués dans ce domaine. Le medicine-man Tahca Ushte se situe dans la filiation spirituelle de Hehaka Sapa dont les paroles aussi ont été recueillies par des écrivains qui, comme Richard Erdoes, savaient que la pensée amérindienne peut être harmonie et poésie [1]. 

Rigoureuse et authentique, l'autobiographie de John (Fire) Lame Deer démontre de façon éclatante que ni la grande misère économique ni le pouvoir étatique n'ont réussi à briser de façon définitive la culture amérindienne. Si parfois cette dernière a semblé vaciller, ce n'était là qu'un phénomène illusoire. En fait, elle était cachée, telle une source invisible et souterraine, prête à sourdre le moment venu. Les Indiens ont d'ailleurs amplement fait la preuve de leur vitalité en portant leur combat sur la scène internationale. 

Cet ouvrage était déjà paru aux Etats-Unis en 1972, sous le titre de Lame Deer, Seeker of Visions, (New York, Simon & Schuster). Les événements dont Wounded Knee fut le théâtre l'année suivante constituèrent l'illustration de certaines propositions énoncées par Lame Deer dans son livre, et en particulier de celles qui concernaient la reviviscence, au niveau tribal, de rituels comme ceux de la pipe sacrée ou de la danse du soleil [2]. 

Conçu lentement au fil des mois, grâce à une profonde amitié entre Richard Erdoes et John (Fire) Lame Deer, ce livre a connu un vif succès en Amérique du Nord. Les Indiens connaissent cet ouvrage dont la date de parution a coïncidé de surcroît avec un besoin impératif pour eux d'avoir en main des écrits qui témoignent de leurs exigences politiques et religieuses. Seule la nouvelle littérature amérindienne, avec des exceptions en ce qui concerne les travaux rédigés par des Euro-Américains, pouvait combler cette double nécessité. 

À la même époque, curieusement, mais il n'y a là aucun paradoxe, ce livre suscitait les passions de jeunes Américains déçus soit dans leur quête absolue d'un gourou, soit par les enseignements de leurs maîtres locaux. Déjà, les premiers écrits de Carlos Castañeda mettaient en évidence les pouvoirs visionnaires d'un Indien yaqui. D'une certaine façon, Tahca Ùshte deviendra pour eux, à son corps défendant, un autre Don Juan. Mais il ne refusera pas de recevoir chez lui, dans sa petite maison de Winner, au sud Dakota, ces « Jésus » comme il les appelle affectueusement. 

L'auteur, Tahca Ushte, s'attache dans son livre à montrer constamment l'importance de ce qui constitue l'envers des choses. Tout ce qui présente un caractère dualiste est un objet de réflexion. Ce penseur voit le monde comme un vaste théâtre. Mais un « wicasa wakan » [3] ne saurait être un saint. « Vous devez être dieu et diable à la fois », dit-il (p. 85). Il ne veut pas entendre parler d'un Dieu, être de perfection. Cela l'ennuie souverainement. Pour un medicine-man, c'est-à-dire un intermédiaire entre les forces terrestres et supraterrestres, « quelquefois, le mauvais esprit donne une plus profonde connaissance que le bon ». (p. 86) 

Ces quelques vérités énoncées, Lame Deer ne craint à aucun moment d'affronter les tourmentes extérieures. Il vit, à plusieurs niveaux, des expériences étonnantes. Il faut lire à ce sujet les pages où il raconte avec une verve sans égale ses escapades au volant de voitures volées en plein hiver (chapitre IV), les passages qui ont trait à ses occupations occasionnelles de berger, de policier tribal, de clown de rodéo, ou sa critique toute sagace des dollars, « ces peaux de grenouille verte »(chapitre III). Mais ces pages n'ont pas seulement pour fonction de divertir le lecteur, certes, elles sont drôles, mais elles sont aussi un témoignage capital sur la belle santé morale et l'esprit de subversion d'un peuple face aux valeurs que les « wasichus » (les Blancs) lui ont imposées.

 

Les mœurs de la tribu

 

Bien entendu, les pages les plus émouvantes sont celles où il décrit les cérémonies et les rituels sioux, les coutumes et les mœurs de sa tribu, comme celle des « winkte » (les berdaches) ou des « heyoka » (les contraires) [4]. Ces descriptions, toujours dominées par la retenue, l'allusion et la discrétion, forment un tableau singulièrement révélateur des formes nuancées de la foi spirituelle omniprésente du peuple sioux et des institutions variées et complexes qui en sont le support. 

Si les folles équipées que connaît Lame Deer, les jobs disparates qu'il occupe, les aventures amoureuses qu'il vit, lui confèrent parfois cette dimension propre au décepteur mythique (le trickster) [5], cela vient du fait qu'il se tient de l'autre côté du miroir. Il n'y a là que l'aspect visible. Lors d'une de ses grandes visions, ne sent-il pas qu'il y a lui-même « et un autre ; un double qu'on ne voit pas mais très réel pourtant » (p. 150). « Toute la nature est en (lui) ; un peu de (lui) est dans tout ce qui compose la nature » (p. 151). Mais ce qu'il éprouve du monde extérieur porte une charge émotionnelle propre à alimenter cette dimension mystique qui fait la force d'un medicine-man et lui donne son pouvoir chamanique. Puisque sa vision intérieure suit son cours, qu'importe l'itinéraire géographique qu'il emprunte, il reviendra toujours à un point de départ - le cercle intérieur - même si un jour de la dernière guerre, il s'est retrouvé sur les plages de Normandie. 

Tout au long de cette oeuvre captivante, Tahca Ushte décrit avec une noblesse infinie les rituels sacrés des Sioux, parle avec un humour enjoué des séquences de sa vie personnelle, et fait une satire virulente de la société de consommation dans laquelle il ne craint pas de faire des incursions. 

Tahca Ushte était un homme d'une grande sagesse. Il possédait également des pouvoirs inhérents à sa fonction de medicine-man. Indiens ou Blancs qui lui rendaient visite dans sa cabane toute simple de Winner le savaient. Malgré la pauvreté apparente de ces lieux, Lame Deer tenait à y habiter alors même que, nous avoua-t-il un jour, « Rockefeller lui avait proposé de lui construire une maison dans les Black Hills ». Les biens matériels ne l'intéressaient guère, parvenu qu'il était au bout de sa vie qu'il continuait de mener d'ailleurs avec une joyeuse vigueur. 

Cette voix, qui savait si merveilleusement chanter et parler, s'est tue. Tahca Ushte est décédé le 14 décembre 1976 [6]. Comme c'est la coutume, ses amis, les medicine-men Selo Black Crow, Ellis Chips et Godfrey Chips entre autres, ont célébré des cérémonies. Leonard Crow Dog l'a fait aussi au loin dans sa cellule de la prison où le gouvernement l'a absurdement incarcéré.


[1]    Joseph Epes Brow : Les rites secrets des Oglala Sioux, Payot, 1976. John G. Neihardt : Élan noir, Stock, 1977.

[2]    Malheureusement, la traduction ne rend pas toujours compte de ce qui est réellement dit. Ainsi dans l'édition américaine, Lame Deer parle du jour propice où les Sioux pourront sortir de leur cachette les pipes sacrées qui ont présidé aux rites. Il dit alors (p. 265) : « Quand ce jour viendra, nous le saurons ». Mais le traducteur écrit (p. 291) : « Quand viendra ce jour, nous ne le savons pas ». Pour un medicine-man, il y a là une nuance importante. Il nous faut ouvrir absolument une parenthèse sur certains points de la traduction, en particulier celle des noms propres. Pourquoi vouloir à tout prix traduire de l'anglais au français les noms sacrés des Indiens alors que le sens demeure caché « aux étrangers si on ne leur explique pas »comme le dit lui-même Lame Deer (p. 127-128) ? N'est-ce pas là faire preuve de colonialisme simpliste ? Prenons le cas de Hehaka Sapa (Black Elk) qui a été traduit en français par Elan noir. De même que le renne d'Amérique s'appelle caribou (rangifer caribou) il faut savoir que le grand élan d'Amérique (alces alces) s'appelle en français orignal - du basque « orignac -, et en anglais, moose - de l'algonkin. L'élan européen (alces alces) se dit elk en anglais - du grec [ ? ?Kñ] et du celte élain. De même que l'orignal occupe les forêts boréales américaines, l'élan occupe les forêts septentrionales européennes. L'autre cervidé qui vit dans les forêts méridionales américaines est le wapiti (cervus canadensis) - mot algonkin - et qui se dit elk en anglais. À part l'orignal - qui est cité une fois à la page 222 de l'édition originale -, et le wapiti, les autres cervidés dont 'parle Lame Deer sont le cerf de Virginie (odocoileus virginianus) qui habite également l'Ouest, le cerf mulet (odocoileus hemiones) et le cerf commun (odocoileus spp.). Pour être logique en traduisant le nom de Black Elk, il faudrait donc dire Wapiti noir, ce qui est évidemment contradictoire, wapiti n'étant pas un mot sioux.

            Que dire de plus lorsque Sitting Bull (Tatanka Yotanka) bénéficie d'un sursis de la part du traducteur - sa célébrité aidant, mais à la même page (p. 256), un certain Fool Bull devient « Taureau bouffon ». Tatanka est un mot sioux qui signifie bison (mâle s'entend) et non taureau (« bull »). Mais cette coutume ne date pas d'aujourd'hui puisque les Français au XVIIe siècle (Père Le Jeune dans les Relations des Jésuites) désignaient les bisons sous le nom de « bœufs et vaches sauvages, ». Mais autre temps, autres mœurs, aussi n'en restons pas là. A la page 286, un gardien d'une pipe sacrée, Stanley Looking Horse devient « Air de cheval ». C'est proprement navrant. Et que dire dm femmes sioux qui portent le nom de leur père ou de leur époux dans la vie civile ? Elles n'ont simplement plus de nom ! Ainsi, une femme remarquable, qui était de surcroît la gardienne de pipes ancestrales, « Mrs. Elk Head » (p. 262 de l'édition originale) devient « la soeur de Tête d'Elan » (p. 288). Certes, s'il revient au traducteur (et à l'ethnologue) d'expliquer en français le sens des noms propres à partir de la langue originale, il faut éviter à tout prix d'imiter le style elliptique américain qui occulte la signification symbolique de ces noms qui ont valeur sacrale.

[3]    Littéralement, un homme qui a été touché par le pouvoir sacré par opposition à un « ikte wicasa », un homme ordinaire.

[4]    « Berdaches » : homme ou femme touché par le pouvoir sacré (du persan barah ou du français bardache), terme employé en anthropologie pour désigner les homosexuels (ou travestis). Les « contraires » devaient tout faire à l'envers (acte et langage) à la suite d'une vision au cours de laquelle le tonnerre s'adressait à eux.

[5]    Le « trickster » ou décepteur (mot français du XVIIe siècle) est une sorte de démiurge dans la mythologie nord-amérindienne.

[6]    Ces renseignements et ceux qui suivent sont tirés de Akwesasne Notes (via Rooseveltown, New York 13683), vol. 8, no 5, 1977.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 juillet 2008 7:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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