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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Monique Desroches, “La religion des engagés”. Un texte publié dans Monique Desroches, Tambours des dieux. Musique et sacrifice d’origine tamoule en Martinique, chapitre 2. Montréal : L’Harmattan, Éditeur, 1996, 180 pp. [Avec l'autorisation de diffuser dans Les Classiques des sciences sociales accordée par Mme Desroches le 4 septembre 2007 et par M. Benoist le 17 juillet 2007.]

Monique Desroches 

La religion des engagés”. 

Un texte publié dans Monique Desroches, Tambours des dieux. Musique et sacrifice d’origine tamoule en Martinique, chapitre 2. Montréal: L’Harmattan, Éditeur, 1996, 180 pp.

Résumé
 
Intégration du social au religieux
Le panthéon indien
La religion des castes inférieures
Rang social des musiciens
Le sacrifice : élément fondamental de l'hindouisme
Sacrifice : nourriture des dieux
Conditions requises à l'accomplissement d'un sacrifice

 

Résumé 

 

Ce chapitre, écrit dans une étude consacrée aux "Coolies" de la Martinique, apportera aussi
un éclairage particulièrement utile à la connaissance du milieu malbar réunionnais. En effet, 
il est consacré aux pratiques religieuses d'ancêtres communs aux Coolies et aux Malbars, avant
leur arrivée dans les îles. 

 

Intégration du social au religieux

 

En Inde, le religieux et le social forment un tout indissociable rendant extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, l'établissement d'une démarcation entre le sacré et le profane. Le comportement de chaque hindou est, en effet, régi par un ensemble de règles précises qui lui dictent, par exemple, la place qu'il doit occuper dans la société, le genre de travail qu'il peut accomplir, la nourriture à laquelle il a droit, les dieux qu'il doit vénérer ainsi que les modes d'adoration. Les traditions varieront donc selon l'appartenance à une classe précise dans la hiérarchie sociale. Cet encadrement de la société s'est cristallisé dès les temps anciens et apparaît clairement dans les textes sacrés des Codes des lois de Manu ainsi que dans L'art de gouverner (Artha-Sastra). Ces textes stipulent d'abord une division de la société en quatre grandes classes sociales, les castes, et précisent ensuite pour chacune d'elles, des rôles socio-religieux spécifiques. Ainsi: 

• aux "Brahmanes", le Créateur assigna d'enseigner et d'étudier, de sacrifier pour eux-mêmes et pour les autres (comme officiants), de donner et de recevoir des dons ;

• aux "Ksatriyas", de protéger les créatures, de donner, de sacrifier pour eux-mêmes et d'étudier, ainsi que de ne pas s'attacher aux objets des sens ;

• aux "Vaisyas", il enseigna de protéger le bétail, de donner, de sacrifier et d'étudier, de faire commerce, du prêt à intérêt et de cultiver la terre ;

• aux "Sudras", le Tout-Puissant enjoignit une seule activité, l'obéissance sans murmure aux trois premières classes. 

Cette répartition des activités entre les castes a entraîné une distribution variable de celles-ci à travers le pays. Il semble, en effet, que les castes se soient regroupées dans des régions où leur présence était requise et où l'environnement allait faciliter l'accomplissement de leurs fonctions quotidiennes. Cependant, l'observation directe des phénomènes vécus rapportés dans la littérature contemporaine révèle que la division en castes ne serait pas aussi rigide, imperméable et sclérosée que semblent le démontrer les textes anciens. Il arrive quelquefois, rapporte Srinivas (Religion and Society among the Coorgs of South India, 1952 : 30), que des éléments propres aux castes supérieures soient empruntés par les castes inférieures. Ces emprunts se retrouvent, réinterprétés à des niveaux quelconques de la vie religieuse, sociale et culturelle, et constituent ainsi ce qu'on appelle le phénomène de sanskritisation. L'hindou qui respectera entièrement la liste des devoirs spécifiques à sa caste d'appartenance, se verra réincarner, après sa mort dans une caste supérieure. Benoist souligne à ce sujet que cette idéologie, diffusée par les castes supérieures, permet à chacun d'accepter sa place dans la hiérarchie sociale, puisque le respect de celle-ci et des devoirs qui y sont associés est le gage d'un accès à une connaissance supérieure ("Religion hindoue et dynamique de la société réunionnaise" - Annuaire des pays de l'Océan Indien, 1979 : 128).

 

Le panthéon indien

 

L'ensemble des pratiques religieuses indiennes se rattache à l'hindouisme, c'est-à-dire à la croyance en un Esprit Absolu appelé Brahman. La présence de ce dernier se manifeste à travers une trinité, dénommée Trimurti, composée de Brahma, le créateur, Vishnu, le conservateur et Civa, le destructeur et producteur de vie. Brahma ne fait pas l'objet d'un culte spécial. Par contre, les Brahmanes dédient à chacun des deux autres un culte particulier. Ces deux cultes ont donné naissance à deux grandes traditions religieuses indiennes : les vishnuites et les civaistes. Les vishnuites croient en la théorie de la réincarnation. Ils sont à la recherche d'un dieu personnel qui est en quelque sorte un avatar de Vishnu. Dans cette recherche individuelle, Krishna, lui-même avatar de Vishnu, occupe une place prépondérante. Civa, pour sa part, est connu comme étant à la fois un dieu destructeur et régénérateur. Les paysans l'associent aux mystères de la reproduction. 

Mais il faut souligner que la religion indienne ne possède pas de dogme monolithique applicable à l'ensemble de la population ; une large interprétation du mystique caractérise, en fait, chacun des niveaux de la hiérarchie sociale. Yarrow écrit à ce sujet :
 

The Hindu generally does not follow any rigid dogma ; there is a great deal of interpretation between the various views of the divine... ("Hinduism" - Sources of Indian Tradition, 1958 ; 201) 

Cependant, malgré la diversité socio-religieuse apparente entre les divinités invoquées et conséquemment entre les modalités cultuelles, Benoist insiste sur le fait que la discontinuité entre la religion issue des grands textes sacrés, pratiquée par les castes supérieures, et la religion dravidienne des castes inférieures, n'est pas aussi radicale qu'elle peut le laisser paraître : 

Par-delà la multiplicité des dieux et des rites, écrit-il, des analogies profondes permettent une vision unitaire et hiérarchique de l'hindouisme... Tout se passe, poursuit l'auteur, comme si chaque sous-ensemble social (famille, caste, tribu), s'était accroché en quelque point du continuum religieux hindou, dont il fait le centre de sa vie religieuse, tout en s'adressant pour telle ou telle fin précise à d'autres points situés plus ou moins loin et occupés par d'autres sous-ensembles sociaux dont on sollicite les services. (Benoist "Religion hindoue et dynamique de la société réunionnaise" - Annuaire des pays de l'Océan Indien, 1979 : 138). 

Cette conception du phénomène religieux hindou est fondamentale, principalement en ce qui a trait à sa composante dynamique dans un système qui, à première vue, apparaît rigide et figé.

 

La religion des castes inférieures

 

Pour mieux saisir la nature des activités religieuses des descendants tamouls en terre antillaise, je livrerai maintenant quelques particularités concernant les pratiques religieuses de leur caste d'origine. Les connaissances sur l'hindouisme proviennent principalement des textes anciens et des écrits plus récents d'indianistes qui se sont penchés sur les principes de la grande tradition sanskrite. La littérature est néanmoins beaucoup moins abondante quand il s'agit de l'examen des pratiques religieuses des castes inférieures, dont un bon nombre se retrouve dans les milieux ruraux du sud de l'Inde. Cette religion y rassemble aujourd'hui plus de 80% de la population. Elle présente, en outre, des caractéristiques uniques qui la distinguent nettement de l'hindouisme brahmanique.
 

Ainsi que Jean Benoist et moi l'avions déjà souligné, 

malgré ses liens étroits, sa continuité avec l'hindouisme, il s'agit là d'une religion dont les manifestations sont faites de violence, de tortures corporelles, de sacrifices sanglants, de possession du prêtre qui n'est ni brahmine, ni végétarien... (Desroches et Benoist, 1982 : 42) 

Malgré la vision unitaire signalée préalablement, il existe des variantes importantes entre les pratiques religieuses des castes inférieures et celles des castes supérieures, notamment au niveau de la pratique. Un premier élément concerne les ministres du culte. Ceux-ci ne constituent pas à l'instar des brahmanes une caste sacerdotale en soi. En Inde, les prêtres sont sélectionnés selon leur aptitude, leur sensibilité et leur habileté à agir en de telles circonstances (Gonda 1965). Leur sensibilité extrême leur permet, entre autres, d'entrer en transe, moment particulier où le prêtre emprunte la voix du dieu dont il est l'incarnation. Car l'un des enjeux majeurs des cérémonies est la possession du prêtre par le plus puissant des dieux. Ce n'est qu'alors, souligne le sociologue Harper, que le prêtre se tiendra debout, sur le côté tranchant de la lame d'un sabre sans pour autant se blesser la plante des pieds. Harper poursuit en rapportant les mots mêmes d'un de ses informateurs de la région de Mysore : 

Ramappa is carried while standing on two sword's blades resting on the shoulders of two men. This is done because when the deity comes to him it says : Now I have come. To show my presence I want you to stand on the swords, so that no one will disbelieve me. ( 1957 : 269) 

De toute évidence, la manifestation de la transe par la montée sur le coutelas se veut une preuve tangible de la présence des dieux sur terre. (On constatera au prochain chapitre, comment cette composante signalée par Harper se situe, elle aussi, au coeur du déroulement cérémoniel tamoul à la Martinique). 

La religion des castes inférieures se distingue également du brahmanisme des castes supérieures puisque ses adeptes, ainsi que le spécifie l'indianiste Gonda (1965), redoutent et implorent d'autres dieux que Civa et Vishnu auxquels les brahmanes rendent hommage dans les grands temples urbains. Les dieux invoqués par les castes inférieures sont donc des divinités mineures mais qui sont néanmoins en relation avec Civa et Vishnu. 

Robertson souligne lui aussi la distinction des pratiques villageoises avec les coutumes brahmaniques. Parlant de la dévotion aux Ammas (mères), divinités mineures du sud de l'Inde, il écrit : 

In South India every village has its collection of Ammas or Mothers... Frequently one of these is the head of the sorority, while the others are local deities manifesting particular powers or having control over limited subjects... The priests of such deities are not brahmins. (1976 : 3) 

Selon Harper (1959), ces divinités mineures sont de trois sortes : les dieux végétariens ou devarus, les dieux carnivores ou devatas et les dieux sanguinaires, les devas, avec lesquels il n'est pas recommandé d'entrer en contact (op. cit. : 227-228). La distinction entre les domaines végétarien et carnivore demeure une dichotomie fondamentale et on verra, encore là, combien cette dimension s'est profilée dans le déroulement cérémoniel à la Martinique. Le rôle essentiel des divinités consiste à veiller au bon déroulement de la vie quotidienne des villageois. Pour s'assurer de leur bienveillance, les paysans leur offrent des cérémonies incluant des sacrifices d'animaux (buffles, porcs, moutons, poules). 

La majorité des divinités mineures sont des figurines féminines dont l'adoration s'est développée au temps des Guptas (IVe siècle a.d.), conjointement avec le développement des rites magico-religieux. Ce dernier aspect constitue à son tour une autre spécificité des pratiques inférieures. Yarrow écrit à ce sujet : 

Low castes always gave interest in the cults of feminine divinities and in the practices of magico-religious rites which were believed to lead to salvation or to supernatural power and which often contained licentious and repulsive features. (1958b : 189) 

Cet hindouisme villageois duquel émane l'essentiel du rituel indo-martiniquais souscrit donc à sa manière aux grands principes de la philosophie brahmanique [1]

 

Rang social des musiciens

 

Les actions rituelles paysannes étant généralement accompagnées d'une musique spécifique, quel est alors le rôle ou la place du musicien en Inde ? On sait déjà que tout contact direct ou indirect avec le monde animal doit, au sein de cette catégorie sociale, être évité. Le tambourineur devant nécessairement manipuler la peau animale essentielle à la fabrication de ses instruments, se retrouve forcément au bas de la pyramide sociale. Cependant, la position du musicien n'en demeure pas moins ambiguë. Ainsi que l'a noté Schneider ("Sociologie et mythologie musicales" - Les Colloques de Wégimont, 1960), le musicien, malgré son appartenance aux castes inférieures ou aux hors-castes, est parfois considéré comme un être privilégié doté d'un pouvoir particulier qui lui permet de communiquer avec le monde des esprits. Il devient alors le médiateur entre les dieux et les hommes, et le prestige que lui confère son statut est souvent perçu par l'ensemble de la population avec une certaine « angoisse » on craint, par exemple, qu'il n'abuse de son pouvoir, qu'il n'interfère dans le déroulement de la vie quotidienne des individus. C'est pourquoi, selon Schneider, est-il en quelque sorte expulsé des réseaux sociaux habituels et se retrouve-t-il malgré lui au sein des hors-castes, des Intouchables.

 

Le sacrifice :
élément fondamental de l'hindouisme
 

 

Le caractère « ancien » du sacrifice contemporain hindou, constitue la première conclusion d'une intéressante étude menée par Biardeau et Malamoud (Le sacrifice dans l'Inde ancienne, 1976). Partant des recherches effectuées par Bergaigne (1878-1897) sur la religion védique, par Hubert et Mauss qui publiaient en 1899 L'essai sur la nature et la fonction du sacrifice, et s'appuyant à la fois sur les textes sacrés et sur les études de certains indianistes dont Gonda (1962-1965), les auteurs du Sacrifice dans l'Inde ancienne voient dans la pratique du sacrifice le tronçon commun au Védisme, au Brahmanisme et à l'Hindouisme. Véhiculé depuis les temps védiques, le thème du sacrifice forme selon les auteurs, l'unité fondamentale de la religion des hindous. Voyons maintenant quelques données relatives au « sacrifice » en Inde. Cette présentation succincte aidera le lecteur à mieux saisir l'enjeu de la dimension sacrificielle des cérémonies en contexte martiniquais.

 

Sacrifice : nourriture des dieux

 

Selon la philosophie hindoue, le sacrifice est le moyen qui assure la primauté du sacré dans la vie quotidienne. Les textes védiques spécifient en effet, qu'il revient aux hommes de veiller à la subsistance et au bien-être des divinités qui, en retour, envoient la pluie dans les temps requis. Médiation entre les êtres visibles et invisibles, le sacrifice est, pour l'hindou, nourriture offerte aux dieux et c'est par le feu sacrificiel que celle-ci pourra atteindre le royaume des cieux : 

Agni, le feu, et notamment le feu sacrificiel est la bouche des dieux. Les oblations qui sont faites directement dans le feu et qui sont consumées montent ainsi vers le ciel pour nourrir les dieux qui les inhalent. (Biardeau et Malamoud : Le sacrifice dans l'Inde ancienne, 1976 : 22) 

Il est intéressant de noter dans cette conception, une interdépendance directe entre le ciel et la terre, voire un rapport de causalité (matérielle) car, si l'homme ne sacrifie pas, c'est-à-dire n'offre pas de nourriture aux dieux, ceux-ci s'affaibliront et ne pourront intervenir sur terre aux moments voulus. Le sacrifice serait donc un moyen utilisé pour renforcer la puissance des dieux. Les sacrifices d'animaux pratiqués en Inde aujourd'hui demeurent l'apanage des castes inférieures et, bien que ces sacrifices aient été réprouvés par la religion officielle, les castes inférieures des villages ont continué à les pratiquer. Thurston (Omens and Superstitions of Southern India, 1912 : 137) ajoute qu'auparavant, et ce, jusqu'à son abolition en 1852, la coutume voulait que l'on offrît en sacrifice une personne humaine (généralement un adolescent fort et robuste) dans le but de s'assurer la bienveillance des dieux et de connaître une année prospère et sans cataclysme. Les animaux que l'on offre maintenant semblent être en quelque sorte un substitut de la personne humaine que l'on avait coutume de sacrifier autrefois. 

Ainsi,

le végétarisme devint le privilège exclusif des castes supérieures pures, dont les brahmanes, tandis que la consommation de viande, associée au sacrifice sanglant, est tombée dans le domaine des classes populaires. ("L'apport culturel indien : le cas de la Guadeloupe" - Historial Antillais, Tome I, Singaravelou 1980 : 299) 

Néanmoins, que l'on appartienne à une caste supérieure ou inférieure, certains principes doivent être respectés dans l'accomplissement du rituel sacrificiel. 

 

Conditions requises
à l'accomplissement d'un sacrifice

 

Pour que l'opération sacrificielle soit féconde, certaines conditions de réalisation s'avèrent essentielles. Le sacrifiant et les participants au sacrifice doivent, en premier lieu, suivre une préparation qui aidera le sacrifiant à s'introduire dans le monde des dieux : un jeûne et une abstinence sexuelle sont généralement respectés. La durée de cette préparation peut varier de quelques jours à plusieurs semaines selon la décision personnelle du sacrifiant. 

En deuxième lieu, le sacrifice doit se fonder sur un acte d'abandon, c'est-à-dire que le sacrifiant doit se départir de biens personnels en faveur des dieux. Cette offrande comprend, outre les honoraires à verser [2] aux officiants du sacrifice (le prêtre et ses assistants), de la nourriture destinée aux divinités : riz cuit et animaux d'élevage (buffles, porcs, moutons, poules) qui seront ultérieurement sacrifiés. 

Un troisième point concerne le mode de mise à mort. Car en Inde, les castes supérieures ont hérité de l'aspect non-violent (offrandes végétariennes) du sacrifice, tandis que certaines castes inférieures prônaient une mise à mort violente [3] de leurs victimes, par décapitation des animaux offerts aux divinités. Cet aspect violent du sacrifice peut sembler difficile à comprendre, mais les castes inférieures ont une conception particulière du sacrifice sanglant : selon la croyance populaire, l'acte de décapitation, de par son insertion dans l'acte sacrificiel, acquiert un caractère sacré, car le sacrifice rend non-violent ce qui serait violent en dehors de lui. 

Cette forme violente de mise à mort semble tirer son origine de l'épopée du Mahabharata, où Krishna, accablé d'injures par un de ses cousins, le tue en lui tranchant la tête. L'épopée continue en ces termes :
 

Les témoins racontent que, peu de temps après la mort, on a vu sortir de la victime, quelque chose qui pourrait s'apparenter à son énergie vitale, qui, par la suite, est allée se fondre dans le corps même de Krishna. (Mahabharata, 11(45) : 25) 

Ces sacrifices font également intervenir le personnage du possédé par l'intermédiaire duquel ce n'est plus seulement un homme qui officie, mais un homme investi par la divinité et qui ne fait qu'accomplir la volonté de celle-ci. Les divinités présentes entretiennent, par ailleurs, de bonnes relations avec les divinités supérieures des hautes castes, et la violence inhérente à ce sacrifice est acceptée par tous. 

Enfin, un dernier point concerne le sort des animaux sacrifiés : le sacrifice étant, rappelons-le, nourriture des dieux, certaines parties de l'animal leur seront réservées et aucun humain ne sera autorisé à les consommer. Ces parties, la tête et les pattes avant de l'animal, seront déposées scrupuleusement aux pieds des divinités. Quant au reste, la chair, elle sera cuite sur le feu et consommée le jour même par les officiants et les participants. Ce repas communautaire où les victimes seront transformées en nourriture sacrée pour les êtres humains, constitue la dernière étape essentielle à l'obtention des faveurs demandées. 

Il est intéressant de noter déjà qu'une pratique rituelle analogue à celle décrite ici semble être encore en vigueur dans certains villages de l'Inde du Sud (Dumont : Une sous-caste de l'Inde du Sud, 1957 ; Gonda : Les Religions de l'Inde II,1965 ; Reiniche : Les Dieux et les Hommes (Etude des cultes d'un village du Tirunelveli, Inde du Sud), 1979). 

Un culte s'est ainsi construit autour du sacrifice, et ce sont des éléments de ce culte qui ont été importés par les « engagés », dans la deuxième moitié du XIXème siècle, aux Antilles françaises. De cette conception sacrificielle, l'essentiel semble avoir été préservé par les descendants des Tamouls aux Antilles françaises. Je pense notamment aux éléments matériels du sacrifice, à la musique tambourinée, aux rôles des acteurs cérémoniels, aux offrandes végétariennes, au sacrifice animal, à la possession du prêtre et aux divinités invoquées.  

Monique Desroches
Faculté de musique, Université de Montréal
Montréal, Québec H3C 3J7



[1] Le terme est ici comme étant la « systématisation du védisme (religion la plus ancienne de l'Inde qui remonterait aux temps des Aryens) duquel devait sortir ultérieurement l'hindouisme » (Pike and Huston 1954 : 160).

[2] Selon Malamoud, la raison profonde de ce geste viendrait de la volonté du sacrifiant de conserver une certaine autonomie face au prêtre, lequel agit en son nom.

[3] Biardeau et Malamoud (1976) font remonter l'origine de cette coutume à une période pré-aryenne et non védique où le principe de la non-violence était prohibé.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 28 juillet 2008 9:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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