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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Monique Desroches, “Musique et identité culturelle des tamouls de la Réunion”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Jean-Luc Bonniol, Gerry L'Étang, Jean Barnabé et Raphaël Confiant, Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles. Mélanges offerts à Jean Benoist, pp. 321-330. Petit-Bourg, Guadeloupe: Ibis Rouge Éditions, GEREC-F/Presses universitaires créoles, 2000, 716 pp. [Avec l'autorisation de diffuser dans Les Classiques des sciences sociales accordée par Mme Desroches le 4 septembre 2007.]

Monique Desroches 

Musique et identité culturelle
des tamouls de la Réunion
”. 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Jean-Luc Bonniol, Gerry L'Étang, Jean Barnabé et Raphaël Confiant, Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles. Mélanges offerts à Jean Benoist, pp. 321-330. Petit-Bourg, Guadeloupe : Ibis Rouge Éditions, GEREC-F/Presses universitaires créoles, 2000, 716 pp. 

Introduction
 
Une île marquée par le métissage
Malbars ou Tamouls ?
La musique rituelle des plantations
La musique des temples urbains
Indianité et malbarité : deux axes identitaires distincts
 
Conclusion
 
Références bibliographiques

 

Introduction

 

Parler de musique, c'est parler des gens qui la produisent et qui l'écoutent. C'est aussi parler des moments, des lieux et des circonstances qui la font naître et qui lui donnent sens. Jeter un regard sur les musiques d'un groupe induit donc que l'on se penche sur les relations ou les rapports particuliers que ce groupe entretient avec la musique. Quelle qu'en soit sa nature, la pratique musicale reflétera toujours les goûts et les valeurs véhiculés par un groupe donné, à une période donnée. Elle traduit ainsi, en en devenant la trace privilégiée, l'histoire de ce groupe. 

Cette approche prend une couleur particulière dans les sociétés créoles où les frontières entre les groupes sont souvent perméables et où les emprunts mutuels, les adaptations, les substitutions et transformations constituent la norme. L'île de la Réunion dont il sera question dans cet « hommage » à Jean Benoist, présente un profil unique qui la distingue des autres îles créoles de la Caraïbe et des Mascareignes. En effet, en raison probablement de sa côte inhospitalière et de l'exiguïté des terres disponibles, limitées au littoral, les Européens lui préfèrent d'abord l'île Maurice et Madagascar. Toutefois, les Français s'y installent au XVIIIe siècle. Ils réalisent alors que l'île est inhabitée, dimension qui, au plan de l'analyse, aura toute son importance dans la problématique identitaire. Car cette absence d'un peuple autochtone marque, encore aujourd'hui, la quête identitaire des groupes qui fondent la mosaïque socioculturelle de la Réunion. 

Celle-ci porte bien son nom car la société réunionnaise s'est développée aux XVIIIe et XIXe siècles, à partir de souches ethniques diversifiées. Aux côtés des descendants des esclaves venus de l'Afrique occidentale et orientale ainsi que de Madagascar, ceux que l'on appelle en créole les Kafs, on trouve les descendants de l'Inde, surtout tamoule, les Malbars, appellation créole des hindous nés dans l'île. Une mince proportion d'Indiens musulmans, les Zarabs, vient compléter l'apport de l'Inde à la Réunion. Quant aux descendants des premiers colons français, ils sont aujourd'hui divisés en deux groupes distincts, les petits Blancs et les grands Blancs. L'histoire du peuplement et du développement de la Réunion, conjuguée à la géographie particulière de l'île, ont milité en faveur d'un certain clivage, celui des Hauts, territoire associé aux montagnes et aux cirques des grands volcans, et où se retrouvent en forte concentration, petits Blancs et Kafs, et celui des Bas qui renvoie au milieu urbain et aux grandes terres cultivables, c'est-à-dire à la grande plantation dominée par les grands Blancs. On retrouve aussi des descendants de l'Inde qui exercent en ville une profession libérale ou détiennent un commerce. Enfin, quelques descendants de Chinois et de Comoriens viennent compléter la mosaïque sociale de la Réunion.

 

Une île marquée par le métissage

 

Si les grands Blancs et les Zarabs constituent des groupes endogames, la population se définit davantage par le métissage, notamment entre les petits Blancs, les Malbars et les Kafs. Si bien que pour la plupart des Réunionnais, l'identité culturelle sera fonction des situations et des lieux où ils se trouvent. On se sentira par exemple français en salle de classe, créole-réunionnais dans la cour d'école, et selon son origine ethnique, malbar ou zarab par exemple, aux offices religieux ou en famille. 

Cette situation complexe fut pendant longtemps le champ d'observation de Jean Benoist. À la fois anthropologue et médecin, son regard analytique s'est non seulement porté sur le métissage au sens biologique du terme, mais aussi et surtout au plan culturel et social. À ce chapitre, nous lui devons d'ailleurs l'utile terminologie « d'appartenances situationnelles » (1994), terminologie qui renvoie aux différentes possibilités d'adoption identitaire à la Réunion. 

Car cette préséance d'une culture inclusive qui caractérise les milieux créoles ne s'est pas concrétisée que par le métissage biologique ; elle a aussi favorisé la mise en place d'une pensée métisse au sens où Gruzinski (1999) la définit. L'auteur nous invite ici à repenser le métissage pour tenter de dégager des « logiques » métisses propres à ces espaces intermédiaires, poreux, désordonnés en apparence, intégrateurs. Dès lors, la question du métissage et des rencontres culturelles ne peut se limiter à la seule recherche de compréhension d'un d'objet d'étude : elle pose également le problème d'approche et de méthode. Car le métissage casse le temps linéaire de l'histoire. « La métaphore de l'enchaînement, de la succession ou de la substitution qui sous-tend l'interprétation évolutionniste, écrit Gruzinski, n'a plus cours car non seulement le temps des vaincus n'est pas automatiquement remplacé par celui des vainqueurs, mais il peut coexister avec lui des siècles durant » (1999 : 53). 

L'île est ainsi caractérisée par cette forme d'écologie humaine où chacun des groupes épouse des valeurs socioculturelles, économiques et religieuses qui lui sont propres. Toutefois, à d'autres niveaux du comportement, et le maloya, musique et danse d'origine afro-malgache en est un exemple, se dessinent des zones de partage, des lieux de passage. 

Ici comme ailleurs, penser l'identité culturelle ne peut se faire sans référence aux héritages historiques et culturels. Et comme l'a bien démontré Barth (1969), les emprunts et adaptations s'élaborent selon un processus dynamique de délimitations de frontières ethniques et culturelles, issues de négociations, voire de confrontations entre les groupes et sous-groupes qui se partagent un espace, un territoire. La musique se fait écho à la fois de ces interactions, de ces clivages et de ces lieux de rencontres. 

 

Malbars ou Tamouls ?

 

L'espace socioculturel des descendants de l'Inde à la Réunion constitue, à cet égard, un lieu vivant d'observation. Je dois d'ailleurs à Jean Benoist cette curiosité du regard sur la Réunion. C'est lui qui, à l'issue de mon étude sur la musique tamoule de la Martinique (Desroches, 1996), où j'avais tenté de mettre en relief le lien entre les structures musicales et la symbolique des rituels (renvois aux divinités, accompagnement des phases cérémonielles), m'a suggéré d'y poursuivre mes réflexions. La complexité et la diversité des rituels tamouls permettraient, m'avait-il alors souligné, une mise en perspective, et conséquemment, une compréhension plus éclairée de ces musiques migrées et de leur rôle dans les rituels et la société. L’enjeu m'apparut intéressant et, en 1988, j'entreprenais mes premiers terrains en océan Indien. 

Toutefois, dès les débuts de l'enquête, mon attention a été captée par une autre dimension. Au-delà de la diversité des musiques et des rituels, se profilaient des distinctions sociales résultant d'une mobilité socio-économique des descendants tamouls. 

Si au moment de la colonisation, les Tamouls émanaient de souches sociales indiennes semblables (basses castes, intouchables), le groupe est aujourd'hui scindé en deux principales composantes. D'un côté, on retrouve les descendants d'une société de plantation dont la majorité demeure des travailleurs agricoles au revenu modeste, les Malbars, et de l'autre, ceux qui, ayant gravi l'échelle sociale, se sont installés dans les bourgs pour y exercer un profession libérale ou un métier lié au commerce. Ces derniers ont aujourd'hui tendance à tourner le dos au monde des plantations au profit d'une identification axée sur le monde tamoul et parfois brahmanique de l'Inde contemporaine. Dans cette foulée, on sent chez les uns comme chez les autres, le désir de se donner des marques visibles, distinctives tant au plan individuel que collectif. Citons, entre autres, le port du sari dont la popularité récente est désormais fort répandue en milieu urbain, de même que l'architecture fastueuse des temples des bourgs, élément du patrimoine urbain qui contraste grandement avec l'allure modeste des temples de plantations. 

Selon Barth (op. cit.), ces phénomènes d'attribution permettent à l'acteur social de construire des frontières ethniques sur la base de considérations symboliques et qui sont constamment évaluées, selon un processus dynamique d'interaction entre les groupes. Un élément peut ainsi être mis en relief dans un groupe, en réaction à l'adoption d'un autre élément dans le groupe voisin.

 

 

 

Mais les différences observées entre les milieux ruraux et urbains ne se limitent pas qu'à ces paramètres du patrimoine bâti. Ainsi, dès les premières présences aux rituels, j'ai remarqué des expressions stylistiques et musicales nettement distinctes d'un contexte à l'autre. J'ai donc tenté, dans un premier temps, de saisir ces distinctions musicales afin de voir dans quelle mesure, et de quelle manière, la musique et le rituel pouvaient contribuer à la construction identitaire de chacun des groupes. Ce regard croisé du social et du musical a d'ailleurs donné lieu à une publication conjointe avec Jean Benoist en 1997, dans la revue québécoise, Anthropologie et sociétés.

 

La musique rituelle des plantations

 

L'élément le plus caractéristique, celui qui singularise la musique des temples de plantation, est sans conteste le recours exclusif aux tambours. Plusieurs types de membranophones sont utilisés pendant les rituels. Le plus répandu, le tapou ou tambour malbar, est un tambour sur cadre circulaire à une membrane, tenu à l'épaule à l'aide d'une courroie ; les tambourineurs frappent sur la peau à l'aide de deux baguettes. Ce tambour provient directement du sud de l'Inde, où un tambour similaire, le tappu, est encore aujourd'hui, intégré aux rituels villageois. À la Réunion, il accompagne les cérémonies de la Fête à Maliémin, de la Fête Kali et de la Marche dans le feu. Aux côtés de ces ensembles de tapous, se trouve parfois le môlon, tambour cylindrique à deux membranes et dont la technique de jeu se caractérise par une battue exécutée par un bâton dans la main droite, et une battue à main nue sur la face gauche du tambour. 

Le môlon s'ajoute à la rythmie des tapous lors des cérémonies à Maliémin, tandis que le sakti, tambour sur cuvette, procure une couleur musicale particulière à l'accompagnement des Marches dans le feu. Aux côtés de ces tambours, il faut mentionner le tambour à boules fouettantes en forme de sablier, appelé bobine ou encore ulké (du tamoul, ourdoukai) et dont l'usage est réservé à l'officiant principal des marches dans le feu [1]. 

 

 

Une dimension réunit tous ces tambours : aucun d'eux ne pénètre l'intérieur du temple. La présence de la peau animale viendrait souiller l'espace où reposent les divinités. Confinés pour cette raison à l'extérieur, mais à proximité du temple, leur espace, bien délimité, est néanmoins considéré sacré. 

D'emblée, nous pouvons affirmer que la musique des temples des plantations est marquée par la répétition du message musical, dimension que nous désignons ici par le terme, circularité. Chaque cérémonie est en effet structurée selon un nombre restreint (entre 7 et 11) de patrons rythmiques. La répétition de chaque battement de tambour sera fonction de la durée de la phase cérémonielle qu'il accompagne ou encore selon la divinité invoquée. Pour assurer une communication claire et directe avec les divinités, les musiciens doivent exécuter ensemble le même rythme. « Un bon son, nous précisait un musicien de St-Gilles les Hauts, signifie pour nous une musique où tous les tambourineurs exécutent ensemble, le même rythme, comme s'il n'y avait qu'un seul musicien » (entrevue de 1988). 

Il y a donc ici, repli de l'individu et de la créativité, au profit du collectif. Cette homogénéité de la couleur instrumentale en raison de la prédominance des membranophones, conjuguée à la conception verticale de l'exécution musicale où le groupe a préséance sur toute possibilité d'improvisation individuelle, constitue deux paramètres fondamentaux de la conception esthétique et philosophique de cette musique rituelle. Dans cette foulée, la musique devient garante d'une certaine mémoire collective. La connexion fonctionnelle de l'exécution musicale avec les divinités limite en effet les possibilités de modification ou d'improvisation, car toute modification du langage initial pourrait induire un changement dans le message adressé au dieu. Ici, l'appréciation esthétique passe par la fonctionnalité musicale dont le but ultime est la transe du prêtre, ou à tout le moins, la communication avec les divinités. On comprendra dès lors que, sans ce profil répétitif, cyclique et homogène, la musique rituelle des plantations ne pourrait établir une communication claire avec le panthéon indien ; mais plus encore, la cérémonie serait inefficace. C'est sans doute pour cette raison que l'apprentissage et la pratique sont établis selon un lignage patrilinéaire, en plus d'être réservés à des initiés. 

La musique crée ainsi des espaces d'accueil qui traduisent à la fois les attentes des célébrants et celles des divinités.

 

La musique des temples urbains

 

La musique des grands temples urbains répond à une toute autre logique religieuse et musicale. Jouée indifféremment à l'intérieur ou à l'extérieur du temple, elle se compose d'un ensemble instrumental diversifié, où le tapou, trop fortement associé aux sacrifices d'animaux, est exclu. L’instramentarium se caractérise par le recours à deux types de hautbois, les narslon, où l'un assure la mélodie et l'autre tient lieu de bourdon, de cymbalettes appelées talam et d'un tambour cylindrique à double peau, le môlon. Cet ensemble instrumental accompagne généralement les processions extérieures, comme celle du Kavadi, sorte d'autel portatif maintenu en équilibre sur la tête du pénitent, lors de la Fête de dix jours, destinée au Dieu Marouga. 

À cet ensemble hétérogène, se joignent généralement un petit harmonium portatif et les tablas. Ces derniers ne sont joués qu'à l'intérieur de l'aire sacrée, i.e., soit dans la cour, soit dans une des salles du temple. L'harmonium et les tablas accompagnent alors les chants dévotionnels, les bhajans et les chants classiques récemment importés de l'Inde et de l'île Maurice. Si l'apprentissage et la transmission de la technique instrumentale reposent sur un lignage familial dans le milieu des plantations, les temples urbains dispensent des enseignements délivrés par des maîtres indiens et dont les coûts sont défrayés par les associations responsables de la gestion du temple. Aux côtés de la langue tamoule, on y apprend le chant classique, la technique du tambour mridangam, des tablas et de l'harmonium.

 

 

La musique des grands temples urbains se veut une musique d'accompagnement dont l'enjeu n'est pas d'invoquer les dieux, mais de les honorer, de souligner leur présence. Elle n'est donc pas reliée étroitement à l'efficacité de la cérémonie, comme il en était pour les rituels de plantation. 

Ces nouveaux apports bouleversent les habitudes musicales des gens, et ce, tant au plan de l'exécution des musiques que de celui des choix de répertoire et des critères d'appréciation. Les fondements de l'esthétique musicale reposeront notamment sur la beauté et l'originalité de l'interprétation, par le truchement de la richesse des timbres, de la complexité des itinéraires proposés, de la justesse des voix, etc. Plus intégrative, explorant des avenues nouvelles, elle relève d'une catégorie musicale que l'on pourrait qualifier de « semi-ouverte ». Elle s'oppose ici à la musique répétitive, tel un circuit fermé, des temples de plantation. 

 

Indianité et malbarité :
deux axes identitaires distincts

 

Bien plus que deux types de rituels et de musique, ces deux profils distinctifs servent aujourd'hui de point d'appui à un débat sur l'identité culturelle et sur la notion d'authenticité. Certains revendiquent la mise en valeur de la malbarité, c'est-à-dire, la conservation et la valorisation d'un patrimoine tamoul réunionnais. L'expression religieuse et musicale de cette malbarité s'inscrit dans la continuité des origines populaires indiennes certes, mais la tradition du sud de l'Inde a été par la suite réinterprétée sur une base insulaire, et ce depuis des générations. Les pratiques des temples de plantation traduisent ce choix culturel. 

Par sa présence confinée exclusivement aux cultes des plantations, le tambour tapou devient un des symboles forts, non seulement de ce mouvement socioculturel, mais aussi d'une forme de revendication identitaire du groupe malbar à la Réunion. 

Les tenants de l'indianité préconisent quant à eux une philosophie qui tourne le dos aux pratiques villageoises des premiers Tamouls, au profit d'une Inde brahmanique et végétarienne. Il s'agit là aussi d'un retour aux sources, mais où le cadre de référence n'est plus la société de plantation, le contexte insulaire, mais l'Inde où la transe et les sacrifices d'animaux sont exclus. Dans cette foulée, l'harmonium et les tablas associés aux seuls cultes des temples urbains peuvent être vus comme des marqueurs identitaires des tenants de l'indianité. 

Moins répétitive que la musique des plantations, plus diversifiée dans son style et dans son instrumentarium, ce type de musique place la créativité et l'innovation au cœur de son expression. C'est pourquoi la musique est-elle considérée ici comme une expression artistique du geste dévotionnel. 

 

Conclusion

 

On peut faire ici l'hypothèse, et un projet conduit conjointement avec Jean Benoist la testera, de la coexistence de deux axes de jugement de valeur opposés, conduisant à un véritable dualisme du jugement esthétique. A l'instar de l'identité, ce dernier apparaît alors comme une construction, une création individuelle et collective en situation, ayant, de ce fait, valeur opératoire dans les relations sociales elles-mêmes. Nous avons déjà remarqué par exemple, une forte tendance à l'autonomisation de l'intention esthétique en milieu urbain nettement opposée au jugement de conformité rituelle dans les temples de plantation. Cette autonomisation se traduit par exemple par l'émergence de singularités expressives propres à tel musicien, à tel prêtre. 

Comme on peut le constater, les deux types de musique, investies de symboles spécifiques et ainsi contextualisées, participent à l'édification de deux modes qui répondent à des logiques sociales, religieuses et culturelles distinctes. A ces deux axes de la construction identitaire, l'un prend progressivement le relais du précédent, en réponse au changement de la société réunionnaise et au changement du mode d'insertion de l'Inde dans la société insulaire globale. 

Ces dernières considérations montrent combien chacun des deux groupes est engagé dans la conduite d'un projet identitaire, tous deux soucieux d'authenticité, au sein duquel la musique et la religion participent activement à l'édification de ces différences. 

Mais par-delà ces différences, à l'issue des choix et des sélections de traits expressifs, chacun des deux groupes montre une cohérence socioculturelle qui assure une certaine pérennité au projet identitaire. Car sans cette cohérence, aucune identité culturelle n'est viable. Ainsi, dans le milieu des plantations, l'identité et la recherche de l'authenticité se profilent-elles dans des lieux de mémoire et des lieux de résistance à la modernité. À l'opposé, les tenants de l'indianité cherchent leur identité dans le retour aux sources indiennes, mais une Inde franchement ouverte aux passages et à la modernité. 

En ancrant les rituels dans la continuité du social et du culturel, la pratique musicale apparaît alors comme un symbole puissant, comme un marqueur identitaire. 

 

Références bibliographiques

 

BARAT, Christian, Nargoulan, éd. du Tramail, Île de la Réunion, 1989.BARTH, Fredrik, « Les groupes ethniques et leurs frontières », in Théories de l'ethnicité (1995), PUF, Paris, 1969, p. 203-249. 

BENOIST, Jean : 

• « Le métissage : biologie d'un fait social, sociologie d'un fait biologique », in Métissage, L'Harmattan, Paris, 1994, p. 13-22. 

• Hindouismes créoles, Publications du CTHS, Paris, 1998. 

DESROCHES, Monique, Tambours des dieux, L'Harrnattan, Inc. Montréal et Paris, 1996. 

DESROCHES, Monique et BENOIST, Jean : 

* « Musique, culte et société indienne à la Réunion », Anthropologie et sociétés, vol. 21, no 1, 1997, p. 39-52. 

* Musiques de l'Inde en pays créoles, disque compact UMMUS, Université de Montréal, 1991. 

GRUZINSKI, Serge, La Pensée métisse, Fayard, Paris, 1999. 

Monique Desroches
Faculté de musique, Université de Montréal
Montréal, Québec H3C 3J7



[1]    Pour de plus amples détails ethnographiques, on peut se référer au livre de C. Barat (1989) intitulé, Nargoulan, ainsi qu'à l'ouvrage récent de J. Benoist, Hindouismes créoles (1998).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 28 juillet 2008 15:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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