Le travail que voici relève de l'ethnomusicologie, c'est-à-dire de l'étude des "musiques de l'oralité". La délimitation est donc nette : des deux modes recensés de la tradition musicale, l'un qui concerne la musique écrite, l'autre qui regarde la musique transmise par le groupe social qui la véhicule, c'est celle-ci qui sera ici étudiée : notre musique populaire qui rythme depuis des siècles la vie profonde de notre île. Plus précisément encore, ce livre ressortit (pour parler le langage savant) à l'organologie : il décrit les instruments populaires, les matériaux qui les composent, les procédés de fabrication utilisés, les styles de jeu, n'oubliant pas toutefois de prendre en compte la position sociale des "facteurs".
Sans doute peut-on imaginer quelques réticences : notre musique n'est-elle pas, avant tout, appel aux rythmes du monde, aux pulsions du corps ; expression d'émotions et de sentiments ; lieu géométrique dès élans du coeur, et des sens ? L'étude technique ne conduit-elle pas, objectivement, à dépoétiser son objet ? Et le regard de l'ethnologue (étranger ou indigène) ne risque-t-il donc pas, en séparant "les moyens" de l'œuvre elle-même, de conduire facteurs et exécutants à tellement améliorer, perfectionner l'outil (l'“organon”), que la tradition en soit affectée ?
Si risque il y a, nous pensons qu'ils doivent être courus. Nous ne sommes pas frileux devant l'avenir. Nous pensons que dans un univers de communication incessante et accélérée, il est en vain de croire à l'invariabilité de la tradition ; que l'essentiel est d'en préserver l'inspiration profonde, le souffle originel, sans cesse renouvelés, réincarnés à travers des formes nouvelles lentement sécrétées ; et que la marque, élan et sentiment est aussi inspiration et création, c'est-à-dire fruit du travail et de la technique.
Par ailleurs, ce livre nous aide à pénétrer, dans leur réalité précise, les éléments de base de notre patrimoine, nous éloignant de la connaissance vague, nous aidant, pour sa part, à comprendre que "ce qui se sait est bien supérieur à ce qui ne se sait pas".
Il nous aide dans sa sécheresse technique, à mieux cerner notre qualité d'héritiers de la culture africaine aussi - mais héritiers réinterprétant l'héritage ; et par la même à comprendre notre place dans l'espèce humaine, puisque tous les peuples ont fondé leur être sur le milieu géographique et le devenir historique qui leur ont été assignés.
Camille Darsières
Président du Conseil Régional