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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Paul Desbiens, SE DIRE, C'EST TOUT DIRE. (Journal). (1989)
Avertissement


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Paul Desbiens, SE DIRE, C'EST TOUT DIRE. (Journal). Montréal: Les Éditions L'Analyste, 1989, 237 pp. Une édition numérique réalisée par ma grande amie de longue date, Gemma Paquet, professeure de soins infirmiers retraitée de l'enseignement au Cégep de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Avertissement


par Jean-Paul Desbiens

Le 5 juillet 1958, Jean Guitton ose écrire ceci, à propos de son Journal de ma vie : « Je travaille à trier, à classer mon Journal. (...) Au fond, un Journal doit être pour d'autres, de la nourriture. Il a été pour moi une manne ; il doit être pour d'autres également une manne. Il faut que ce ne soit pas un livre, mais quelque chose de plus, au-delà, au-dessus d'un livre : une présence de moi, de ma psyché propre. Il faut que la gravité enjouée, l'amitié offerte à tous, l'unité ouverte à tous, les perspectives ramassées autour d'un centre, tout s'y retrouve en même temps que le portrait de mon propre esprit, flexible, modéré, constant, impressionnable. »

Il existe autant de sortes de journal qu'il y a de personnes qui en tiennent. Le journal de Guitton n'est pas le journal de Jünger ; celui de Julien Green n'est pas celui de Claudel, ni les Notes intimes de Marie Noël. Le journal personnel, le journal intime, le journal de l'écrivain est certainement le genre littéraire le plus pratiqué. Qui n'a pas écrit, conservé ou déchiré ses quelques dizaines, ses quelques centaines de pages de son journal ? Et je ne pense pas ici aux écrivains professionnels ; je parle de tout un chacun, ou presque. On calfeutre sa vie avec des mots.

L'utilité de tenir un journal ne fait guère de doute. Il s'agit d'abord d'un exercice d'écriture et, par là, une occasion de préciser sa pensée. Il permet ensuite de constituer des réserves, d'engranger des observations fugitives, des citations que l'on aurait bien de la peine à retrouver autrement. Il permet encore de fixer sa propre pensée. Or, l'on sait comme la pensée est fugace ; comme il est difficile, parfois, de remettre la main sur une idée que l'on a eue et qui nous a coulé entre les doigts, faute d'avoir été tout de suite épinglée. Le journal permet encore de pouvoir se comparer soi-même à soi-même, de mesurer ses propres mouvements, de relativiser ses états d'âme présents par rapport à ceux que l'on a pu connaître il y a peu et dont on prend après coup la juste proportion. Enfin, un journal est une source de ravitaillement imprévisible pour des travaux qui nous arrivent.

Fort bien, dira-t-on, et ainsi soit-il pour le beau petit journalier bleu. Mais à quoi cela peut-il servir à un autre ? Je réponds par la bouche de Montaigne : « Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition. » Les Essais sont un journal recomposé par thèmes et longuement retravaillé. Se dire, en conversation ou par écrit, c'est donc dire l'autre. La conversation est un filtre où se déposent les âmes qui s'y engagent. Par l'accueil ou par le rejet, les autres nous définissent. Saint Augustin, au moment (qui fut long) où il hésitait à se convertir, se répétait souvent l'exemple de la vie des saints. « Ce que ceux-ci et celles-là ont fait, pourquoi ne le ferais-tu pas ? » Quod isti et istae, cur non tu ? L'homme est curieux de l'homme, c'est dans sa nature. Le soliloque est le commencement de la folie.

Les extraits de mon journal que l'on trouve dans le présent volume couvrent la période de 1978 à 1985. Ils ne sont pas datés, sauf lorsque la mention d'une date précise est nécessaire pour l'intelligence d'une notation.

Il s'agit bien, par ailleurs, d'extraits, de choix. Quand on tient quotidiennement un journal, on note des réflexions, des humeurs, des détails auxquels on n'a pas le goût de faire un sort, un mois ou un an plus tard. Je n'ajoute pas grand-foi à celui qui prétend publier intégralement son journal. Jean Guitton, par exemple, dans Journal de ma vie n'a retenu que deux ou trois pages de son journal pour une année complète. Et j'ai été fort surpris d'apprendre que Léon Bloy, durant certaines périodes de sa vie, tenait littéralement deux journaux parallèles. Dans l'un, il notait les événements tels qu'il les vivait ; dans l'autre, celui qu'il a publié, il faisait des choix et des arrangements qui arrangeaient, justement, sa posture pour la postérité.

Je n'ai rien fait de tel dans le présent volume, et c'est bien vainement que je l'affirme. Je me suis laissé dire à quelques reprises qu'il fallait être doublement prétentieux pour tenir et publier son journal. Que voulez-vous répondre à cela ? Répliquer que l'on n'est pas prétentieux équivaut à proclamer son humilité, chose fort délicate. Celui qui est vraiment humble s'échappe à lui-même, c'est un suicidé vivant : il a donné la mort à son amour-propre.

Je suis depuis toujours un lecteur avide de journaux : cela tient sans doute au besoin que j'ai de vérifier sans cesse mes positions. Avec cette différence toutefois que je ne donne pas tant mes positions que je ne cherche à les déterminer en prenant connaissance de celles des autres. Et ma prétention, c'est qu'il existe d'autres êtres comme moi.

On ne s'étonnera pas, je suppose, que le dernier mot de cet Avertissement soit moi.

Jean-Paul Desbiens


Retour au texte de l'auteur: Jean-Paul Desbiens, philosophe et essayiste Dernière mise à jour de cette page le samedi 30 mai 2009 8:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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