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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Paul Desbiens, “Préface” publié dans l'ouvrage de Jean-Luc Migué et Richard Marceau, Le monopole public de l'éducation. L'économie politique de la médiocrité. Préface, pp. ix-xvii. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 1989, 195 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[ix]

Jean-Paul Desbiens
(alias Le Frère untel)

Préface

Un texte publié dans l'ouvrage de Jean-Luc Migué et Richard Marceau, Le monopole public de l'éducation. L'économie politique de la médiocrité. Préface, pp. ix-xvii. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 1989, 195 pp.


« Que la loi ait le devoir d'établir des règles pour l'éducation et la rendre commune, cela n'est pas douteux. Mais il ne faut pas passer sous silence quelle est la nature de l'éducation et de quelle façon elle doit être dispensée. »
(Aristote, Politique)


Il y a 200 ans, Saint-Just disait : « Le bonheur est une idée neuve en Europe ». J'ignore si l'idée de bonheur a grandi. (Je voulais écrire : profité, au sens où l'on disait dans mon village qu'un enfant profite, c'est-à-dire qu'il grandit.) Mais on peut dire que la démocratie est encore une idée neuve, au sens où l'on dit qu'une auto est neuve quand elle n'a pas roulé beaucoup.

L'ouvrage de Migué et Marceau est une réflexion sur la démocratie, appliquée à l'école, à la lumière de l'économique.

Les auteurs démontrent que la suppression de la concurrence au profit des règles du jeu politico-bureaucratique aboutit à l'abaissement de l'école. La comparaison qu'ils établissent longuement entre l'école privée et l'école publique n'est pas tant une « deffence et illustration » de l'école privée, qu'un plaidoyer contre la centralisation. Voyons les choses d'un peu plus près, mais en avertissant le lecteur au préalable qu'il s'agit ici d'un ouvrage austère.

Le monopole public, mis en place par la réforme scolaire, fait que tous les décideurs, définisseurs de la chose publique et autres [x] protecteurs du bien commun ont intérêt à être inefficaces. Telle est la thèse centrale de l'ouvrage. Efficacité doit s'entendre ici selon l'acception de ce terme en économique, qui ne s'éloigne d'ailleurs pas tant que ça du sens populaire et familier.

Le monopole privé, c'est un trust, un cartel. Les trusts ont connu leur période faste à la fin du XIXe siècle et jusqu'au milieu de XXe siècle. Les États, ensuite, ont légiféré pour les démanteler, les contraindre, les contrôler. De toute façon, les trusts n'ont jamais eu la cote d'amour des intellectuels ni non plus des citoyens. Il leur a toujours manqué l'auréole de la légitimité, le prestige moral de la « vertu ».

Un monopole public, par contre, se déploie dans une atmosphère de légitimité, de désintéressement, de vertu civique. Et, comme un gaz, il tend à occuper tout l'espace. Un monopole privé cherche le profit. Un monopole public cherche le bien. Et le bien s'appelle, tout ensemble : égalité, accessibilité, justice. Et « économie d'échelle », par-dessus le marché, c'est le cas de le dire.

En ce qui a trait au financement, les auteurs démontrent que le coût par élève est plus élevé pour les écoles publiques que pour les écoles privées. Au point que, malgré toutes les misères administratives que le gouvernement lui fait, l'existence d'un petit reste d'écoles privées permet au gouvernement d'économiser, chaque année, plusieurs dizaines de millions de dollars. Ce résultat s'explique par trois raisons. a) Les parents qui inscrivent leurs enfants dans les écoles privées sont soumis à une double imposition : ils commencent par payer 100 cennes dans la piastre pour le financement du système public. Ensuite, ils payent les droits de scolarité exigés par les écoles privées. b) À cause de l'histoire scolaire du Québec, la plupart des écoles privées sont partiellement soutenues par les communautés religieuses ou le clergé diocésain. c) Les hommes prennent naturellement plus de soin de ce qui leur appartient qu'ils n'en prennent de la propriété anonyme et publique.

Que l'entreprise privée soit plus « efficace » que l'entreprise publique, il n'y a plus grand monde qui conteste la chose. De ce strict point de vue, la déroute des systèmes totalitaires et des économies centralisées et bureaucratisées confirme ce que l'on sait depuis longtemps.

Les auteurs entreprennent de démonter les postulats dont découle le monopole d'État en éducation. Je dis : démonter, ce qui veut dire : « jeter quelqu'un à bas de sa monture ». Il s'agit, bien sûr, de la monture bureaucratique. Ces postulats ne sont jamais interpellés, au sens [xi] policier du terme. Ils circulent avec arrogance et jamais on ne leur demande leurs papiers.

Le premier de ces postulats, c'est que l'État est « le gardien et le garant de la culture du tout social », lui seul peut définir et assurer le bien commun. En matière d'éducation, le monopole garantirait « la sauvegarde et l'essor de la démocratie ».

Là contre, les auteurs rétorquent que :


ce précepte constitue une contradiction même dans les termes. La supériorité du régime démocratique lui vient de ce qu'il donne heu au marché des idées, de ce qu'il est seul conciliable avec l'idéal de liberté de pensée, de religion et d'action. [...] Le seul rôle de l'État en cette matière (serait) de créer les conditions favorables à l'échange volontaire d'idées. La liberté du choix de l'école devient une composante essentielle de cet aménagement. [...] Dans les conditions présentes, la solution évidente s'avère impossible, parce que tous sont forcés de payer pour l'école publique, qu'ils le veuillent ou non. Il ne reste plus dès lors à la plupart d'entre nous assez de ressources pour assumer en surplus le coût de l'école privée. Si la liberté de parole et de religion est désirable, pourquoi la liberté d'éducation ne le serait-elle pas ? Si l'on peut et doit choisir l'alimentation, le vêtement et le logement de nos enfants, pourquoi ne peut-on choisir leur école ? (pp. 84, 86-7)


L'exemple de l'alimentation est excellent : il s'agit là d'un besoin fondamental. Mais sous prétexte que la production et la distribution du pain sont des services essentiels, personne ne veut pour autant d'État boulanger. Ce qui n'empêche d'ailleurs pas que l'État doive intervenir pour assurer certaines normes d'hygiène, d'étiquetage, de poids, etc.

Un autre postulat en faveur du monopole d'État en éducation vise à pallier l'ignorance ou l'incurie des parents. Il s'agit là d'un paternalisme qui ne dit pas son nom. On est tenté ici de reprendre le mot de Clémenceau : « L'État a beaucoup trop d'enfants pour être un bon père ». Plus sérieusement, les auteurs répliquent :


[...] cette bienveillance formelle vis-à-vis l'incompétence des autres tient du plus pur autoritarisme. Mais c'est l'incohérence même de cette argumentation qui, en dernière analyse, la condamne. Si en effet les citoyens d'une démocratie s'avèrent incompétents à juger de l'éducation, comment peuvent-ils posséder la compétence pour choisir les représentants qui, eux, décréteront la bonne éducation ? (pp. 107-108)


[xii]

Le monopole d'État se justifierait surtout du fait qu'il assure l'égalité, la justice, le transfert équitable de la richesse. Ce postulat multiforme se nourrit de confusion entretenue et prend appui sur la mauvaise conscience qui marine dans le dépôt culturel chrétien. Les idées chrétiennes sont devenues folles, comme disait Chesterton. Confisquées par les États, elles sont d'autant plus folles que ceux-ci ne peuvent, d'aucune façon, se réclamer d'une quelconque Transcendance, hormis les abstractions de l'égalitarisme, de la justice identifiée à l'égalité, du souci des pauvres ravalé à un slogan électoral.

Or, la justice n'est pas l'égalité. Obliger l'école à réparer ou à abolir les inégalités naturelles, c'est la condamner à la médiocrité.


Le caractère intenable de la position égalitariste saute ainsi aux yeux. En imposant l'uniformité à toutes les écoles, privées et publiques, en supprimant chez toutes les écoles le souci de progresser et de faire mieux que la voisine, en pénalisant les plus dynamiques qui ont la volonté et la capacité d'améliorer l'enseignement, on risque de chasser les meilleurs éducateurs. L'ambition ultime est de soumettre tous les étudiants aux plus mauvaises écoles, aux pires enseignements. Le rythme du progrès serait ainsi réglé sur les éducateurs et les écoles les plus lentes. [...] nous socialisons le système scolaire, haussons le coût en bannissant la concurrence et abaissons la qualité en introduisant un cadre d'incitations défavorables à la production de tous les agents. Résultat : des millions de diplômés jugés fonctionnellement analphabètes ! Si l'intention louable des bien-pensants était de supprimer le risque, le résultat fut son amplification. (pp. 103-104)


Reste la question du transfert de la richesse et des économies d'échelles. En ce qui a trait aux économies d'échelles, les auteurs concluent :


Les données connues ne supportent la supériorité d'aucune taille particulière d'école ou de commission scolaire sur une autre. Il faut abandonner la poursuite, suspecte au départ, de la qualité et de l'économie par cette voie. Le monopole public perd ainsi l'un de ses fondements présumés les plus généralement invoqués (p. 113)


Touchant le transfert de richesse, les auteurs démontrent que la nationalisation de l'éducation a surtout profité à la classe moyenne :

[xiii]


On estime qu'au Canada 29 p. 100 seulement des transferts proprement sociaux et de 5 à 10 p. 100 de l'ensemble des budgets vont aux individus classés sous le seuil de pauvreté. Avec 5 à 10 p. 100 des budgets actuels, on pourrait faire plus pour les pauvres que ce que produit l'appareil public actuel, qu'on rationalise souvent au nom des défavorisés et de la justice sociale ! L'éducation gratuite pour tous, comme tous les autres services publics, est un moyen inefficace et coûteux de venir en aide aux défavorisés. (p. 98)


La mesure scientifique et increvable de la qualité d'un système scolaire est fort difficile. Au demeurant, les auteurs ont analysé un grand nombre d'enquêtes, d'études, de sondages portant sur cette question. Ces études concluent toutes à la supériorité de l'école privée par rapport à l'école publique.

Plus généralement, et au-delà de la distinction privé-public, deux facteurs distinguent les bonnes écoles des moins bonnes écoles :


a) D'abord les grands objectifs poursuivis distinguent les bonnes écoles des moins bonnes. Le progrès scolaire des élèves est le plus marqué là où l'école privilégie l'excellence plutôt que les qualifications professionnelles et les habitudes de travail. Et les objectifs formulés sont aussi formulés plus clairement : la maîtrise du sujet par l'étudiant retient l'attention des maîtres et le sens d'une mission est davantage partagé par le corps professoral.

b) Les principaux des bonnes écoles font de leur fonction une vocation, plutôt qu'une étape de leur ascension dans la filière administrative. Ils jouissent plus de la confiance des maîtres. Le leadership est aussi de nature pédagogique plutôt que gestionnaire et autoritaire. En retour, les maîtres acceptent mieux le leadership du principal comme initiateur de la mission et orienteur de la communauté sur les façons de promouvoir la cause collective. Et pourtant, la prise de décision est beaucoup plus décentralisée dans les bonnes écoles. La tâche de choisir les manuels, de définir le code de discipline, de choisir le programme et même de recruter les collègues associe davantage les enseignants eux-mêmes. L'autorité a tendance à se déléguer au niveau de la classe. Les maîtres ont plus le sentiment de posséder l'autorité et le pouvoir de décision. La collaboration entre eux est plus grande et ils [xiv] connaissent mieux le contenu d'enseignement de leur voisin, son groupe d'étudiants. L'entraide y est aussi plus développée. Ils en retirent en conséquence plus de satisfaction personnelle. Les relations à l'intérieur de la communauté de l'école diffèrent donc sensiblement, en ce qu'elles acquièrent la prépondérance sur le programme formel, les structures et les cours proprement dits. » (pp. 36-37)


Ce qui commande l'action des deux facteurs décrits ci-dessus, c'est le degré d'autonomie des écoles :


[...] la plupart des qualités organisationnelles favorables à la performance sont directement proportionnelles à l'autonomie dont jouit l'école et inversement proportionnelles au contrôle extérieur qui s'exerce sur elle. (p. 38)


Ce n'est pas pour rien que le Goliath public, tout puissant qu'il soit, se sent menacé par le David privé, car il sait bien que le petit reste d'autonomie, le petit reste d'espace de liberté qu'il n'occupe pas, c'est le privé qui le respire. Aussi longtemps qu'on n'est pas le seul coureur, on n'est pas tout à fait sûr de gagner la course. Ce n'est pas pour rien que le programme du PQ, édition 1976, prévoyait l'écrasement du privé. Il n'a pas osé donner suite ouvertement à son projet. Il a procédé de façon occulte. On lira, à ce sujet, le mémoire de Camille Laurin (alors ministre de toutes les éducations) destiné à ses collègues du Cabinet, au moment où M. Jacques Parizeau, le prestidigitateur des HEC, modifiait la loi de l'enseignement privé en 1981 [1]. Le gouvernement Bourassa, malgré son étiquette et ses engagements, a continué l'asphyxie financière du privé par ordinateurs interposés.

Pourquoi en est-il ainsi ? Mon Dieu ! pour l'éternelle raison indiquée plus haut : aucun pouvoir ne se limite, à moins d'y être obligé. En l'occurrence, par qui et comment serait-il contraint à réduire ou à rompre son monopole ?

Par les parents ? Par l'opinion publique ? Les parents ne constituent pas une force organisée, sauf en cas de crises pointues et localisées. Des orages d'été. Ça ne change pas la température. Quant à l'opinion publique, elle est fugace, distraite, facilement manipulable en cette matière.

Mais il y a plus. Il existe une Sainte-Alliance entre les politiciens, les syndicats d'enseignants et les bureaucrates en faveur du maintien et de l'extension du monopole. Les clientèles captives sont moins rétives, moins malcommodes que les clientèles libres. Quand on a soif, on est [xv] bien obligé de franchir les tourniquets de la SAQ. Faut être riche pour aller boire au sud. En clair, le monopole public garantit des rentes politiques et financières aux membres de la Sainte-Alliance.


Pour le plus grand malheur de l'école, la réalisation de ces buts disparates, de ces choix de société, ne s'obtient pas gratuitement. Il faut des ressources pour fournir aux enseignants et aux administrateurs des conditions d'emploi plus avantageuses que ne le ferait un marché du travail concurrentiel. Si l'école publique doit servir à la création factice d'emplois en régions ou à niveler les budgets entre la ville et la campagne, il faudra bien que les ressources soient puisées à la ville. Et c'est le monopole et lui seul qui rend ce transfert possible. L'école concurrentielle s'avère inconciliable avec cette course aux rentes politiques. (p. 166)


Dans un tout autre contexte, et d'un point de vue non pas économique, mais philosophique, Jean-Claude Milner tient des propos analogues. [2]

C'est le refus de la concurrence qui a aplati l'école. Non seulement le refus de la concurrence entre le privé et le public, mais le refus de la concurrence entre les écoles publiques elles-mêmes. Répétons ici que le refus de la concurrence s'exprime par l'extrême centralisation et par le pointillisme qui engendrent le carcan des conventions collectives. Avec le résultat que les « consommateurs » de l'école sont des clients captifs ; que les directions d'école ne dirigent plus rien et que l'école de la médiocrité coûte de plus en plus cher, socialement et financièrement. Comme remède, les auteurs préconisent le recours au « bon d'étude et aux crédits fiscaux » dont ils traitent longuement au chapitre V. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une panacée magique. Cette solution est trop radicale pour être recevable.

En conclusion, les auteurs rivent leur clou une dernière fois :


Le premier moyen d'élargir la concurrence au secteur public, c'est d'abord de placer financièrement l'école privée sur un pied de plus grande égalité avec l'école publique par le truchement élargi de bons d'étude et de crédits fiscaux. Le retour à l'autonomie locale des institutions publiques serait aussi une source de concurrence accrue. L'une et l'autre voies sont susceptibles de faciliter aux parents moins fortunés l'accès aux écoles de leur choix, privilège trop souvent réservé aux revenus moyens-supérieurs. Le sous-produit incontestable de cet aménagement plus libéral sera, grâce à la concurrence, l'amélioration de l'école publique elle-même et l'abaissement du fardeau des contribuables. (p. 181)


[xvi]

La thèse présentée dans cet ouvrage est radicale. Les auteurs en sont conscients :


[...] les pages qui précèdent n'inspirent guère d'optimisme. Il faut reconnaître pourtant que l'évolution récente du cadre juridique et budgétaire dans plusieurs provinces, dont la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario, se fait en faveur de l'élargissement des choix. (pp. 183-184)


J'ajoute, pour ma part, qu'une analyse, quelle qu'elle soit, menée à la lumière d'une discipline particulière (en l'occurrence, l'économique), est forcément réductrice.

Trois cents ans avant Jésus-Christ, Aristote avouait sa perplexité au moment d'entreprendre sa propre « enquête » (comme il dit) sur l'éducation. On a le droit d'avouer, soi aussi, sa perplexité. On voudrait seulement « perplexer » librement.

Si le présent ouvrage, malgré son austérité, malgré surtout qu'il se place si loin en aval de la « pensée reçue », réussit à inquiéter les prébendés de la Révolution tranquille, il n'aura pas été vain.

Sans remonter plus loin que ces derniers mois, ce ne sont pas les clignotants d'alarme qui ont manqué. Gil Courtemanche en a déclenché un dans son journal de simple journaliste [3] ; plus près des cuisines scolaires, Balthazar et Bélanger [4] ont dénoncé le détournement de l'école ; ces dernières semaines, le Comité catholique constate froidement l'échec de l'école en matière de transmission de la foi.

Je veux croire que les auteurs n'entretiennent pas d'illusions excessives quant à l'impact que leur ouvrage pourra avoir sur l'état de chose et la chose de l'État. À la lumière, et dans les limites de leur discipline, ils dénoncent le monopole de l'État en éducation. En fait, ils ont choisi le secteur scolaire comme champ d'application de leur analyse, mais le présent ouvrage est d'abord une réflexion sur la démocratie. La démocratie est une idée neuve, répétons-le. Le bonheur aussi. Le christianisme aussi, comme vient de le rappeler le Cardinal Lustiger lors de sa conférence à l'Université Laval en juillet dernier.

Poussée à la limite, la thèse des auteurs conduirait à l'anti-étatisme, dont l'historien Michel Brunet disait qu'il a été une des trois caractéristiques de la mentalité canadienne-française (avec l'agriculturalisme et le cléricalisme), jusqu'au milieu du XXe siècle. Vis-à-vis de l'État, on est toujours enfermés dans le dilemme formulé par Valéry : « Si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons. »

[xvii]

L'histoire du peuple juif, en cette matière comme dans toutes les autres, est révélatrice. Relisez ce qu'en dit Samuel. (I Samuel, chapitre 8) Vous n'irez pas voir, je le sais. N'importe !

Je ne peux m'empêcher d'avouer que je trouve cocasse l'occasion où je suis de préfacer cet ouvrage. J'ai travaillé pendant six ans au ministère de l'Éducation. Bien plus tard, j'ai travaillé près de trois ans dans un cégep public. Il est salutaire de goûter à sa propre cuisine. Le problème, c'est que beaucoup de « cuisiniers publics », ministres bureaucrates ou colonels syndicaux, se ménagent toujours l'accès à des services privés d'appoint. Les boîtes à peuple pour tout le monde ; la limousine pour les ministres. Avez-vous déjà vu un ministre dans une salle d'urgence d'hôpital ? Ou un cardinal, quant à dire ?

Le fait est que je travaille, pour l'heure, dans une école privée. Je me souviens clairement qu'un soir de grand vent, Monsieur Arthur et moi-même nous nous étions dit qu'il fallait rapatrier l'excellence du privé vers le public. Cette idée fut reprise, plus tard, dans un des livres blancs ou jaunes du MEQ. C'était, je pense, sous la houlette de Jacques-Yvan Morin. Je n'ai pas de raison de penser que Jacques-Yvan Morin - à supposer que ce fût lui - n'était pas sincère. Mais la politique se fait avec des faits. Not creeds but deeds. Le fait dominant de la réforme scolaire, c'est la constitution d'un monopole d'État par l'écrasement de la concurrence. Aucun pouvoir, de lui-même, ne se contente de 90% de l'espace : il le veut au complet. Relisez la parabole du prophète Nathan (2 Samuel, chapitre 12).

Je vous laisse là-dessus, électeur épisodique et contribuable permanent.


Jean-Paul Desbiens

août 1989



[1] Entre autres avantages qu'il distinguait aux modifications proposées en 1981 aux articles 14 et 17 de la Loi sur l'enseignement privé, qui substituaient un financement à taux uniforme (per capita) aux subventions de 80 p. 100 (DIP) et 60 p. 100 (RFS), le ministre Laurin soutenait « qu'un troisième avantage consiste à ouvrir le dossier de l'enseignement privé sous un aspect particulier (celui de rendre légalement applicables des compressions décidées) plutôt que de l'ouvrir à partir d'un énoncé de politique sur l'existence même ou la disparition de ce secteur. » Camille Laurin, ministre de l'Éducation, Mémoire au Conseil des ministres, 12 mai 1981, art. 3.3, p. 22.

[2] Jean-Claude Milner, De l'école, Seuil, 1984, pp. 21-31.

[3] Gil Courtemanche, Douces colères, VLB, 1989.

[4] Louis Balthazar et Jules Bélanger, L'école détournée, Boréal, 1989.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Paul Desbiens, philosophe et essayiste Dernière mise à jour de cette page le lundi 10 octobre 2011 8:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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