RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les insolences du Frère untel. Texte annoté par l'auteur. (1988)
La petite histoire des Insolences.


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Paul Desbiens, Les insolences du Frère untel. Texte annoté par l'auteur. Préface de Jacques Hébert. Montréal: Les Éditions de l'homme ltée, 1988, 256 pp. Une édition numérique réalisée par Laurent Potvin, bénévole, frère mariste, Château-Richer, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[9]

Les insolences du Frère Untel.
Texte annoté par l’auteur
(1988)

La petite histoire des Insolences
par Jacques Hébert


La publication des Insolences du Frère Untel fut l'une des grandes aventures de ma vie, plutôt encombrée côté aventures.

Tout a commencé le 3 novembre 1959 quand André Laurendeau publia dans Le Devoir une première lettre de Jean-Paul Desbiens, qui s'appelait alors le frère Pierre-Jérôme.

Cette première lettre créa un joli tumulte ! Pendant des mois, tout le monde lisait et discutait les réponses outragées ou enthousiastes qui paraissaient dans Le Devoir. Et tout le monde attendait la prochaine lettre du Frère Untel. Il en parut une douzaine entre novembre 1959 et juin 1960. Autant de coups de tonnerre dans le ciel lourd d'un Québec au bord du grand orage.

Réagissant en citoyen autant qu'en éditeur, je voulais à tout prix que ce diable d'homme fasse encore un pas et publie un livre. N'y tenant plus, j'en discutai avec André Laurendeau qui, jusque-là, avait jalousement gardé le secret de l'identité du Frère Untel. Il hésita un moment, me fit un clin d'œil et, sur un bout de papier, il écrivit un nom et le numéro de téléphone du sanatorium du Lac-Édouard, où Jean-Paul Desbiens faisait une cure. Entre dix-neuf et vingt-cinq ans, passant d'infirmerie en sanatorium, il avait survécu à la tuberculose, maladie presque incurable à cette époque.


« La tuberculose, racontera-t-il plus tard [1], était encore considérée comme une maladie honteuse (on n'avouait pas volontiers qu'on était ou qu'on avait été tuberculeux), et que l'on soignait à peu près de la même façon qu'en 1900. Le sanatorium... on y entrait pour mourir. »


Pas tout à fait guéri, Jean-Paul Desbiens devait, de temps à autre, retourner au sanatorium, et c'est là que j'avais prévu de le rencontrer la première fois. Au téléphone, il me proposa un lieu plus agréable, le restaurant La Bastogne, en banlieue de Québec.

Le 25 juillet 1960. Une journée radieuse... Et, pour agrémenter le long voyage en auto, j'avais emmené ma petite fille de quatre ans, Pascale.

À La Bastogne, Jean-Paul Desbiens m'attendait en compagnie de Jacques Tremblay et d'un collègue et ami sûr, le frère Louis-Grégoire, qui [10] était depuis peu son supérieur local. Nous avions bavardé un bon moment avant d'aborder le sujet de la rencontre. Et rigolé, sans aucun doute !

J'ai vite compris que j'avais devant moi un homme, un vrai, sûr de lui, de sa foi, de sa vocation, de son expérience d'éducateur et des idées qui en jaillissaient comme un geyser généreux. Mais, en même temps, un homme discret, presque étonné des remous provoqués par ses lettres au Devoir. Un être fort, mais timide et vulnérable, un « petit frère » à la fois ravi et inquiet de voir un « grand éditeur » lui courir après. Trop intelligent pour mettre en doute l'opportunité de son intervention fracassante dans une société qui s'était dotée du « meilleur système d'éducation au monde » et qui, par surcroît, était « en possession tranquille de la vérité ». Trop intelligent aussi pour ne pas comprendre les risques que courait en 1960 un « petit frère » qui osait penser fort.

Je lui offrais quoi ? Des droits d'auteur ? Cela ne pouvait avoir de sens pour un religieux qui avait fait vœu de pauvreté. La notoriété ? Jusqu'à un certain point, il l'avait déjà, mais il vénérait trop les livres pour ne pas en apprécier la puissance et la pérennité. Non. Sans être trop modeste, cet homme simple n'aspirait pas à la notoriété.

Entre la poire et le fromage, je me lance : « Il vous reste une chose à faire : permettre à un éditeur de rassembler dans un livre les lettres déjà parues et, peut-être, quelques-uns de vos écrits inédits. »

Il ne me répondit pas tout de suite. Peut-être faisait-il l'inventaire de ce que j'avais appelé ses « écrits inédits ».

« Oui, je crois avoir en main quelques textes... Peut-être assez pour faire un livre... Pourquoi pas ? Bon, d'accord !

- D'accord, ça veut dire que vous m'envoyez le manuscrit d'ici quinze jours : le lancement de votre livre aura lieu au Cercle universitaire de Montréal le 6 septembre.

- Pourquoi le 6 septembre ?

- Parce que c'est la rentrée, parce qu'on ne lance pas de livre avant le 6 septembre et parce qu'il n'y a pas une minute à perdre. »

Jean-Paul Desbiens a eu un rire profond, sans doute un rire aux sonorités du Lac-Saint-Jean : j'avais gagné ! Non, c'est la liberté qui venait de marquer un point.

Pour qu'il continue de rire, je me suis retourne vers ma petite fille qui nous regardait avec ses yeux immenses tout en dégustant sa glace au chocolat : « Pascale, ma belle chouette, tu n'en sais rien, mais tu viens de vivre un moment his-to-ri-que ! »

Quelques jours plus tard, nous avons signé le contrat d'édition...

[11]

Au début d'août, je reçus la grande enveloppe attendue sur laquelle Jean-Paul Desbiens, gamin incorrigible, avait écrit en grosses lettres : « DANGEREUX ! MANIER AVEC SOIN ! DYNAMITE ! » En effet...

J'avais lu le manuscrit des Insolences du Frère Untel d'une seule traite, jusqu'aux petites heures du matin, pleinement conscient que ce livre allait faire un malheur. À cause des idées, bien sûr, mais aussi à cause de son style unique, percutant, vrai. Jusqu'à ce jour, personne n'avait osé proclamer cette évidence : « Nos élèves parlent joual parce qu'ils pensent joual, et ils pensent joual parce qu'ils vivent joual... C'est toute notre civilisation qui est jouale. »

J'étais fébrile, je sentais que chaque page de ce manuscrit allait bouleverser à jamais notre petit monde, chaque page brûlante (MANIER AVEC SOIN) chacune capable d'allumer un incendie purificatoire.

Il travaille « à la hache », comme il se plaît à dire. Une hache à la Léon Bloy, le démolisseur illuminé dont il a lu et relu tous les livres. Une hache qui donne la trouille aux médiocres et provoque la stupeur des bien-pensants ensoutanés, sans parler des autres. Une hache qui dérange les crânes plus qu'elle ne les fend, qui dérange énorme, comme aurait dit Céline, un autre de ses inquiétants amis.

Ah ! il parle de ses racines rugueuses, de son père sage, pauvre et illettré, de la modestie de son petit milieu, celui des frères enseignants, mais à chaque ligne, il bondit avec la souplesse d'un ouistiti, il fait mille cabrioles et nous laisse voir qu'il a une « tête bien faite » et qu'il a lu avec passion absolument tous les livres disponibles dans toutes les infirmeries, tous les hôpitaux et tous les sanatoriums du Québec !

Comme il est magnifique quand il se cabre et devient le gavroche inspiré que nous aimons, quand il donne ses grands coups de hache dans les idées reçues ! Et vlan ! Et vlan ! Oui, magnifique. Et puis, tout à coup, il a le sentiment d'avoir dépassé les bornes, peut-être, sait-on jamais, « calme-toi, mon petit lapin bleu ! » Alors, il reprend sa phrase et lance en l'air chacun des mots, il les rattrape au vol sans jamais en laisser échapper un seul, il nous épate - il le sait ! - avec ses prouesses de jongleur, ce qui l'amuse, mais quand même un peu moins que les coups de hache.

________________________

Peu de temps avant la publication des Insolences, Jean-Paul Desbiens avait reçu des supérieurs de sa communauté l'injonction formelle de cesser toute activité publique et, surtout, de ne plus écrire de lettres aux [12] journaux. On ne se doutait pas qu'un livre - quelle horreur ! - serait bientôt sous presse. En religieux obéissant, il finit par s'en ouvrir aux plus hautes autorités des frères maristes. On lui donna aussitôt l'ordre d'empêcher, par tous les moyens, la parution du livre. La mort dans l'âme, il prit le premier train pour Montréal avec la ferme intention de m'en convaincre.

Vers 8 h du soir, je le rencontrai dans sa petite chambre de l'hôtel La Salle, rue Drummond. L'homme était triste, épuisé, déchiré.

Il a bien failli m'ébranler en invoquant l'argument suprême : si le livre paraissait, il serait sans doute expulsé de sa communauté, et cela il ne le voulait absolument pas.

Je m'étais pris d'amitié pour Jean-Paul Desbiens - ce n'est pas difficile ! - et je savais l'authenticité de sa vocation religieuse. Sa réputation était, déjà considérable, mais le livre allait lui donner de nouvelles lettres de créance, lui ouvrir bien des portes, même dans le Québec fermé des années 60. Oui, sauf que rien ne lui importait autant que d'être un « petit frère ».

Mais comment pouvais-je oublier la conversation que nous avions eue, peu de semaines auparavant ? Jusqu'à la dernière minute - je le savais, il le savait - on pouvait lui interdire la publication des Insolences. Sans doute, il avait signé un contrat d'édition, c'est-à-dire que le manuscrit appartenait aux Éditions de l'Homme. Mais si on insistait ? En 1960, quand l'Église insistait...

« Mes supérieurs n'ont pas autorité sur vous, m'avait-il dit. Quoi qu'ils fassent, rien ne vous empêcherait de publier le livre.

- Et cela ne vous embêterait pas ? Et si vous-même, obéissant à un ordre, veniez me supplier de stopper la publication ?

- Même alors, vous devriez publier.

- D'accord ! »

Or voilà que j'étais en train de vivre le pire des scénarios : avec un pouvoir de conviction étonnant, Jean-Paul Desbiens me suppliait. Il argumentait ferme, il faisait appel à ma conscience de catholique.

Je lui rappelai l'entente conclue, le verre de gin et tout...

« Mais les choses ont changé. Maintenant, je sais que je risque d'être expulsé de ma communauté ... »

En fin de soirée, je le quittais sans lui dire ni oui ni non. Il a dû mal dormir. Pas plus mal que moi ! Le livre était déjà sous presse mais, à la maison, j'avais un jeu d'épreuves. J'ai passé la nuit à les relire, ce qui me confirma dans ma décision : ce texte extraordinaire devait être publié, coûte que coûte.

[13]

Un seul passage me gênait. Prodigieusement. Je l'avais relu vingt fois : « Je n'ai aucune envie de démoiner. À l'usage des jeunes générations, j'explique que démoiner, dans notre argot communautaire, cela signifie retourner à la vie séculière. Je n'ai aucune envie de démoiner. Je le dis sans fanfaronnade ; je le dis avec une certaine humilité. Avec la grâce de Dieu et la tolérance de Sainte Marie (et de mes supérieurs), j'entends bien mourir frère ; Frère Untel pour l'éternité. »

Le lendemain, vers dix heures, Jean-Paul Desbiens se présente à mon bureau des Éditions de l'Homme, rue Lagauchetière, cette fois accompagné de l'assistant général des frères maristes, dont le siège est à Rome. J'écoute le plaidoyer de l'un et de l'autre, distrait par le bruit des presses, mon bureau n'étant séparé de l'imprimerie que par un mur léger. Mes interlocuteurs ne s'en doutaient pas, mais on était en train d'imprimer les Insolences à dix mille exemplaires. Nous étions le 23 août et le lancement était toujours prévu pour le 6 septembre.

À un moment donné, Jean-Paul Desbiens sort de sa poche une lettre et me demande de la lire. Elle ne comporte qu'un seul paragraphe :

« Je suis obligé, en conscience, de vous demander de suspendre définitivement la publication du livre projeté : Les Insolences du Frère Untel.

- Je réfléchirai ... »

En fait, ma décision était prise, je cherchais à gagner du temps, à éviter que la communauté ne fasse appel à l'autorité du cardinal Léger, sinon du pape !

Le supérieur de Jean-Paul Desbiens insista pour que nous allions rencontrer le propriétaire de la maison, Edgar Lespérance : nous nous étions mis d'accord la veille, et Lespérance conclut, lui aussi, qu'il réfléchirait... Pendant que les presses continueraient de gémir !

Quelques jours plus tard, je reçois la visite de l'assistant général. Je me suis dit : « Après celui-là, pas de doute, c'est le cardinal ! » Je l'écoute, je tergiverse, j'utilise tous les arguments, y compris l'argument financier :

« Frère, rendez-vous compte ! Nous avons signé un contrat en toute bonne foi, le manuscrit appartient aux Éditions de l'Homme, et nous avons déjà engagé des frais considérables.

- Combien ?

- Heu... Au moins 7 000 $, répondis-je, au pifomètre.

- Alors, je vous fais un chèque. »

Je n'avais pas prévu le coup.

« Heu... Je ne suis pas absolument sûr du chiffre que je viens [14] d'avancer... Permettez-moi de faire des calculs plus précis... Une journée ou deux ?

- Je vous téléphone demain matin. Vous avez de l'estime pour le frère Pierre-Jérôme, je le sais. Mais je regrette de vous dire que, si le livre paraît, cela risque d'entraîner pour lui des conséquences graves. »

C'était clair. Je regardai dans les yeux ce grand patron des frères maristes du Canada et je me demandai comment il pourrait, en conscience, prendre une pareille décision et briser la vie d'un religieux dont la vocation ne faisait pas l'ombre d'un doute. Je lui en voulais d'avoir réussi à me replonger dans l'angoisse. Je me débattais : « Après tout, il a brandi son carnet de chèques ! Il veut nous acheter, à n'importe quel prix ! Je ne mange pas de ce pain-là ! »

Plus tard, j'ai compris que l'homme réagissait en bon père de famille : un de ses fils avait fait une gaffe énorme, et il trouvait normal et moral de payer les pots cassés. Le lendemain, il oublierait tout cela et pardonnerait aux uns et aux autres.

Le lendemain, les dix mille exemplaires des Insolences étaient imprimés, reliés, mis dans des cartons, prêts à aller empoisonner tout le Québec !

« Je n'ai aucune envie de démoiner. »

Sacré Frère Untel, il ne lâche jamais, il ne nous lâche jamais la conscience ! Oui, oui, il est encore possible de détruire les dix mille exemplaires.

« Je n'ai aucune envie de démoiner. »

Je consulte mes amis, ceux qui avaient été le plus vivement touchés par les lettres du Frère Untel et qui souhaitaient autant que moi la parution du livre : André Laurendeau, Gérard Pelletier, Jacques Tremblay, J.-Z.-Léon Patenaude, peut-être aussi Pierre Elliott Trudeau, l'abbé Gérard Dion.

Dans l'espoir de vaincre mes derniers scrupules, on me recommande de consulter un canoniste, mais pas n'importe lequel : l'immense chanoine Racicot, le curé « rouge » de Longueuil. Je cours lui raconter toute l'affaire, de A à Z : « Calme ta petite conscience, me dit-il, de sa voix bourrue. Ne fais pas l'idiot et publie le livre. Compte sur moi : je serai au lancement, le 6 septembre, et je servirai de paratonnerre au Frère Untel. »

Pour Jean-Paul Desbiens, pour son supérieur immédiat, et pour l'assistant général, je réfléchissais toujours, mais les dix mille exemplaires des Insolences étaient en train d'être distribués dans toutes les librairies (il y en avait vingt-cinq, à l'époque ... ) et les principaux dépôts de journaux du Québec. On ne pouvait plus me joindre au téléphone.

[15] J'étais loin de me douter que cent mille autres exemplaires allaient être imprimés au cours des mois à venir, brisant tous les records de l'édition canadienne.

Le soir du lancement, au vieux Cercle universitaire de la rue Sherbrooke, le Tout-Montréal était là. Beaucoup d'électricité dans l'air. Nous sentions qu'il ne s'agissait pas d'un lancement comme les autres. Ce que nous ignorions encore, c'est que la « Révolution tranquille » - l'expression même restait à inventer ! - était commencée. Ce 6 septembre 1960, enfin, la liberté avait eu le dernier mot.

Il convenait qu'André Laurendeau, rédacteur en chef du Devoir, le vrai père du Frère Untel, le préfacier des Insolences, fût le porte-parole de l'auteur, forcément absent. Devant la presse, il avait été égal à lui-même, c'est-à-dire intelligent, sensible et chaleureux. À Alma, Jean-Paul Desbiens écoutait la radio avec quelques frères de sa communauté. La parution du livre faisait la manchette, et l'auteur eut la surprise d'entendre à CKAC une interview d'André Laurendeau.

Le lendemain, je crois, je téléphonai à Jean-Paul Desbiens. J'avais franchement peur de sa réaction, mais il eut vite fait de me rassurer : « Croyez-moi, j'étais sincère quand je vous ai imploré de ne pas publier les Insolences. Vous en avez décidé malgré moi. Sans doute avez-vous eu raison ... »

L'événement eut un tel retentissement qu'il paraissait dorénavant inconcevable que le « petit frère » soit invité à « démoiner ». Cinq ans plus tard [2], Jean-Paul Desbiens faisait le point :


« J'étais content que le livre fût sorti, mais fort inquiet quant aux réactions éventuelles. Les jours qui suivirent, il y eut de nombreux articles dans les journaux. J'en recevais de partout, de même qu'un volumineux courrier auquel je n'avais pas le temps de répondre. Cela devait continuer sans interruption pendant toute cette année scolaire. Justement, il fallait faire la classe. J'enseignais pour la première fois la philosophie au niveau terminal du cours classique. Les élèves furent parfaits, c'est-à-dire parfaitement naturels.

« Dès avant la publication des Insolences, j'étais sous le coup d'une interdiction absolue d'écrire ou de parler publiquement. Cela compliquait ma vie : d'une part, j'étais assailli de demandes de toutes sortes venant de journalistes, de Radio-Canada, de divers organismes ; d'autre part, je n'avais aucune possibilité d’« administrer » le Frère Untel. Je vois bien maintenant que ce dernier pouvait se passer de moi. »

[16]

Les événements se précipitèrent. Le cardinal Léger, dont nous avions eu bien tort de craindre les foudres, demanda à voir le Frère Untel et réussit à convaincre le provincial des maristes de permettre à son illustre « petit frère » de s'expliquer à la télévision de Radio-Canada : tout le Québec, qui avait lu ou était en train de lire les Insolences, put enfin voir et entendre l'auteur, à la fois modeste et imperturbable, gauche et merveilleux. Plus important, le geste du cardinal aurait dû le réhabiliter, le blanchir, le sauver peut-être... Pas tout à fait. Peu de temps après, le Frère Untel était formellement condamné par la Sacrée Congrégation des Religieux à Rome.

« Je n'ai aucune envie de démoiner. »

Jean-Paul Desbiens en donna une nouvelle preuve : envoyé en pénitence dans la Ville éternelle, il y vécut trois ans en reclus silencieux, à l'ombre de la réprobation romaine.

Un jour, je lui rendis visite dans la sinistre banlieue de Rome où il habitait une quelconque maison des frères maristes, pour ainsi dire en résidence surveillée. Il avait réussi à s'en échapper un moment, je n'ai jamais su sous quel prétexte, et nous nous étions réfugiés dans un restaurant du quartier. Nous avions trinqué au gin, boisson rare en ces lieux, et nous avions bouffé des pâtes et bu du chianti jusqu'à 4 h de l'après-midi. Et, bras dessus, bras dessous, à cause du chianti mais aussi à cause de l'amitié, nous avions repris le chemin de sa résidence. Je le vois encore, joyeux et léger, m'envoyant la main, par-derrière les barreaux de la grille.

« Salut, Untel ! Salut, mon frère ! Merci d'être un homme vrai, un homme libre, un « petit frère » qui ne démoinera jamais ! »

Automne 1988.



[1] Sous le soleil de la pitié, Éditions du Jour, Montréal, 1965. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT,]

[2] Sous le soleil de la pitié, Éditions du Jour, Montréal, 1965.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Paul Desbiens, philosophe et essayiste Dernière mise à jour de cette page le dimanche 5 février 2012 9:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref