Préface
d'André LAURENDEAU
À force d'être attaqué, et parfois louangé, le journaliste devient moins sensible aux réactions des autres. Il a la couenne épaisse. Pourtant...
Je me souviens d'une lettre reçue l'automne dernier, après un billet assez aigre sur la langue que parlent les jeunes. C'était d'un petit Frère et d'une région lointaine. Il y avait là, en même temps qu'un bonheur d'expression assez rare, un accent humain qui m'a rejoint. Nous L'avons publiée. Ainsi est né Frère Un Tel.
Pourquoi l'avoir baptisé Frère Un Tel ? Je crois m'en souvenir.
D'abord pas une seconde je n'ai pensé qu'il pouvait s'agir d'une fraude : cet homme était, de toute évidence, un enseignant, qui met jour après jour la main à la pâte, qui garde la fraîcheur de ses intentions, mais qui avoue que c'est dur et que la pâte résiste. En un sens il était donc un Frère anonyme, le premier venu, n'importe lequel de l'armée des Frères. Mais en même temps, ce personnage, il l'était admirablement : il incarnait les meilleurs d'entre les siens. Il était une voix pour tous ceux qui travaillent dans L'ombre et le silence, ceux que nous n'entendrons jamais. C'est-à-dire : Frère Un Tel.
Depuis, nous nous sommes rencontrés deux fois. Je puis rassurer les douteux : il s'agit d'un Frère en chair et en os, membre d'une communauté précise, chargé d'une fonction régulière dans une ville de province. C'est un homme enthousiaste et simple. Il aime les choses et les mots savoureux. Je crois qu'il aime son métier, les garçons qu'on lui confie et dont il parle parfois rudement, et même les autorités, cibles privilégiées de ses insolences ; mais son goût instinctif le porte vers les gens simples, et peut-être en particulier les vieilles gens qui ne sont pas sortis de l'obscurité. J'ai mieux compris en lisant dans ce livre ses confidences (trop brèves) sur ses origines. Il a gardé de la naïveté, mais un peu roublarde. Il a souffert.
L'attitude qui, me semble-t-il, lui convient le mieux, et qui lui permet en tous cas d'aller au bout de lui-même, c'est celle du fils, soumis quand même, qui se plaint des sécheresses d'une autorité trop ritualiste et trop lointaine. La déception, qu'il ressent très vivement, ne le rend pas amer, et s'il a parfois des mots lestes, c'est sans perdre le sens du sacré. Au reste, il a gardé sa bonne humeur : je le reconnais bien dans le portrait qu'il trace de lui-même.
Le voici lancé dans L'aventure de la notoriété : je lui souhaite de garder son goût du réel et sa limpidité.
André LAURENDEAU