C'est à la hache que je travaille. Remarquez que je n'aime pas ça. Je suis plutôt délicat par tempérament, aimant les morts, le fromage d'Oka et le café-brandy. Mais enfin, le temps n'est pas aux nuances, au pays de Québec. Quand tout le monde parle joual, ce n'est pas le moment de surveiller ses ne ... pas et ses ne ... que. Si un homme est en train de dormir dans sa maison en feu, on ne le réveille pas au son de la petite sérénade nocturne de Mozart. On lui hurle de se réveiller, et s'il dort trop dur, on le taloche aller-retour.
Les membres de l'Académie canadienne-française et de la Société royale itou perdraient leur temps à déplorer mes excès de langage et le désordre de mes paragraphes. J'écris avec une hache (hé ! hé ! quelle métaphore ! c'est une incohérence de métaphore que tu viens de commettre, mon petit Frère, c'est assez grave. Tu blâmes les élèves qui en font et tu veux nous passer celle-là ?) "Qu'on se le tienne pour dit !" comme écrivait M. Ls.-Ph. Roy, j'écris avec une hache. On fignolera plus tard. quand les curés et les ministres ne parleront plus joual
Il est bien entendu que j'ai surmonté une fois pour toutes la tentation du perfectionisme. Le perfectionisme consiste à préférer le néant à l'imperfection ; c'est un autre nom de l'angélisme. On n'a jamais les mains sales quand on n'a pas de mains. Disons encore que j'accepte lucidement de faire du provisoire. Mes textes ne sont pas des devoirs d'académiciens ; mes textes sont des actions. Et toute action est plus ou moins sale : toute action est désespérante. On sait ça.
Déblayer n'est pas oeuvrer ; il faut pourtant commencer par déblayer ; et avant même de déblayer, il faut démolir. Saint Léon Bloy se déclarait entrepreneur en démolition. Je relaye Léon Bloy, génie en moins (il faut bien que je dise ça, mais je n'en crois rien), à cinquante ans de distance, comme il convient dans un pays où l'on vit avec un retard de deux révolutions et demie : horloge d'Amérique, heure du Moyen-Age.
Dernière remarque : je récuse d'avance toute critique de ce travail qui ne porterait que sur la forme. Je ne méprise pas la forme. Je sais parfaitement bien qu'il ne suffit pas de ne pas avoir de forme pour avoir du fond. Je sais aussi que la forme est gardienne du fond ; je sais enfin que rien ne dure, même qui a du fond, qui n'a pas de forme. Mais enfin, je récuse toute critique qui s'en tiendrait à la forme. On se rabat sur la forme quand on est trop compromis, ou trop mou, ou trop rusé pour s'attaquer au fond. J'écris du mieux que je peux, sans verser dans l'esthéticisme pour lui-même. Mes textes sont des actions, je le répète. Je ne suis pas un acrobate de haute voltige.
Il y avait de la mauvaise foi à faire semblant de croire que le plus important dans ce que j'écris, c'est la forme. Les pharisiens (et toutes les activités humaines, y compris l'activité du critique littéraire, nourrissent leur pharisaïsme domestique) sont d'abord des formalistes. On leur dit qu'ils sont pourris, et ils nous répondent que notre langage est irrecevable parce que trop brutal. Relever un anglicisme ou une impropriété de terme dans un texte qui descend le joual, ce serait peutêtre habile, mais ce ne serait pas sérieux. Il faut être malhonnête pour faire le délicat quand au ton (cantoton) d'articles mettant en question l'atmosphère religieuse au Canada français. Faire des remarques sur le ton d'un article, c'est une manière jésuite d'escamoter le vrai problème soulevé par l'article.
Ici, un psychiatre à la petite semaine fera remarquer que je me sens faible, côté forme, et que je veux me couvrir à bon compte. Le psychiatre aurait tort : je suis en pleine forme.