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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de la conférence de Jean-Paul Desbiens, “Nos défis pour le nouveau siècle”. Conférence prononcée à la Basilique Notre-Dame de Québec, le 16 mars 2003 dans le cadre des Conférences Notre-Dame de Québec. Québec : Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec, carême 2003. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Paul Desbiens ( - 2006)

Nos défis pour le nouveau siècle”.

Conférence prononcée à la Basilique Notre-Dame de Québec, le 16 mars 2003 dans le cadre des Conférences Notre-Dame de Québec. Québec : Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec, carême 2003.

Mise en perspective
L’Église et l'histoire
Changements et mutation
Nos défis pour le nouveau siècle
La proclamation de la Parole
La liturgie
L’Église et les médias
Le Dieu des vivants
L’Église et les jeunes
Conclusion


Si tu ne sais pas où tu vas,
regarde d'où tu viens.




Mise en perspective

Le sujet que je dois traiter porte les mots : défis et nouveau siècle. Avant de l'aborder, je veux procéder à une mise en perspective : j'ai choisi de m'appuyer sur mon expérience de simple fidèle et de me tenir à l'intérieur de l'empan de ma propre vie.

Me voici donc devant vous, et en ce lieu. C'est en 1941, j'avais 14 ans, que je vis pour la première fois la basilique-cathédrale de Québec. Je ne savais pas ce que veut dire basilique ou cathédrale, mais je fus surpris de voir une église qui n'avait pas deux clochers très hauts et symétriques. À Métabetchouan, l'église avait deux clochers très hauts et parfaitement symétriques. C'est vous dire que de me retrouver ici ne faisait pas partie de mon plan de carrière.

Je suis 62 ans plus tard. Dans l'assemblée que nous formons, je suis parmi les plus vieux. Le temps, c'est du transport en commun. Mais, dans l'autobus du temps, il n’y a pas deux contemporains, c'est-à-dire deux hommes qui coïncident en tous points : avec leur billet respectif de la loterie génétique, selon leur histoire personnelle, selon leur expérience, selon leur réflexion, selon leur situation vis-à-vis de leur foi et vis-à-vis de l'Église.

J'ai été incorporé dans l'Église en 1927. La date et le lieu de ma naissance sont mieux documentés que la date et le lieu de naissance de Jésus. Si je fais mention de la date de ma naissance, c'est pour me donner l'occasion de rappeler que dans le cours de mon existence, j'aurai connu (avec un degré de conscience qui va de la simple connaissance du nom, à une étude assidue de leur enseignement), j'aurai connu, dis-je, les règnes de Pie XI, Pie XII, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier et Jean-Paul II. Cette énumération me rappelle ce que Jean Sulivan écrit dans L’Exode (Desclée de Brouwer, 1980) :

Que de papes dans une vie ! L’un long, sec, hiératique, tel les personnages du Greco, brûlé d'une flamme idéaliste. L’autre rond, comestible et joyeux, à la nature œcuménique, témoin d'un sacré pour ainsi dire athéologique. Un autre, d'une telle intelligence évangélique, en proie à l'hésitation, couronné d'épines. Un autre rapide comme la parabole de la gloire et de la mort. Un autre résolu, comme quelqu’un longtemps contraint. Il nous enterrera. Que de supputations à chaque fois, applaudissements, lamentations, de l'autre, louvoiements, prudences, retournements. Comme si chaque chrétien, à l'écoute dans le respect ou la vénération, n'avait pas à exercer sa liberté spirituelle sans chercher à savoir d'où vient le vent.

Dans l'Église de Québec, cette même date rappelle le cardinal Rouleau, le cardinal Villeneuve, le cardinal Roy, le cardinal Vachon, Mgr Couture et, depuis quelques semaines, Mgr Marc Ouellet. Dans l'Église de Montréal, cette même date rappelle Mgr Bruchési, Mgr Charbonneau, le cardinal Léger, le cardinal Grégoire, le cardinal Turcotte.


L’Église et l'histoire

Le temps est consubstantiel au catholicisme (Guitton). Depuis l'origine de l'homme, deux histoires se déroulent et se superposent en même temps : l'histoire des sociétés et l'histoire du Salut. À la liste des noms que je viens de rappeler, je pourrais donc ajouter ceux de Taschereau, Godbout, Duplessis, Sauvé, Lesage, Johnson, Bertrand, Bourassa, Lévesque, Bouchard, Parizeau, Landry. Ailleurs dans le monde, je pourrais mentionner les noms de Hitler, Mussolini, Staline, Roosevelt, Churchill, Kennedy, Mao, De Gaulle, Adenauer.

Je pourrais aussi faire état des grands mouvements idéologiques ou philosophiques qui ont secoué la pensée depuis à peine un siècle : marxisme, existentialisme, structuralisme, féminisme, phénoménologie, etc.

Je dois encore mentionner Internet. Ce fait, à lui seul, m'amène à dire que nous sommes passés des simples changements à une mutation. La domestication de la vapeur n'est pas si loin en arrière de nous, ni celle de l'électricité, ni celle de la radio, ni celle de la télévision. Mais ce n'était là que des changements. Je dis changements par opposition à « mutation » : de la première traversée de l'Atlantique en avion (en 1927) aux sondes interspatiales, il y a plus qu'un changement. Entre la chrysalide et le papillon, il y a plus qu’un changement ; il y a mutation. Dans la conférence qu’il prononçait ici même le 14 mars 1999, sur le thème Les Défis de l’Église au seuil du troisième millénaire, le cardinal Paul Poupard appliquait le terme mutation aux transformations culturelles survenues au Québec depuis 1960.

Il suffit bien de mentionner ces noms et ces réalités quotidiennes pour se remettre en mémoire les défis de l'Église universelle et ceux de l'Église du Québec. Défis, je veux dire les défis qui sont survenus depuis ma naissance et dont je n'ai pris conscience que 20 ou 25 ans plus tard. Pour l'Église universelle, je viens de le rappeler, les défis ont porté les noms de fascisme, de nazisme, de marxisme. Au Québec, les défis ont pris la forme des houles énormes qui déferlaient sur le reste du monde. Ce ressac, on l'a appelé la Révolution tranquille. En fait, il y a peu de sociétés qui soient passées aussi tranquillement et aussi rapidement de l'état de « société chrétienne », pour ne pas dire « cléricale », à celui de « société laïque ». En cela, nous rattrapions, ou nous étions rattrapés par la civilisation contemporaine, la première civilisation athée de l'histoire humaine (Vaclav Havel, Forum 2000, Prague, 1997).


Changements et mutation

Je viens de faire allusion à une mutation. Je ne m’enfermerai certes pas dans une métaphore. Je distingue l'actuel et l'actualité. Je distingue le futur et l'avenir. Le futur est prévisible. Il est de l'ordre de la mécanique. Avec encore un peu, très peu de calculs scientifiques, on pourra annoncer un futur tremblement de terre ou une éruption du Vésuve. L’avenir est déjà. L’actualité se reflète dans les médias. L’Évangile ne parle pas d'hier ni de demain. Il parle de maintenant. L’Évangile, c'est toujours : Femme, si tu savais, l'heure est déjà venue (Jn 4, 23). Le temps est accompli (Mc 1, 15).

Nous ne pouvons pas déterminer exactement l'an Un du premier millénaire, mais nous savons que le millénarisme a exploité la terreur de l'an Mil. Dès les premières décennies du christianisme, les chrétiens, saint Paul en tête, pensaient que le Second Avènement du Christ était imminent. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) n'a pas échappé à l'exploitation du millénarisme. Beaucoup plus près de nous, mais avec d'autres intérêts en tête, nous savons que les États et les entreprises internationales ont dépensé des milliards de dollars pour éviter le bogue de l'an 2000. Nous savons aussi que Jean-Paul Il n'est pas tombé dans le panneau, ayant pris soin d'intituler sobrement le Grand Jubilé de l'an 2000 : Tertio millennio adveniente : À l'approche du troisième millénaire.

Dans la liste des 72 sujets traités depuis le début des Conférences Notre-Dame de Québec (y compris la liste de cette année), j'ai compté une dizaine de sujets qui portent les termes « défi » ou « tournant du troisième millénaire ». La fin d'une année, la fin d'un siècle, la fin d'un millénaire sont des déterminations arbitraires. La loi de Moïse ordonnait la célébration des jubilés chaque 50 ans, mais en lui donnant un sens proprement religieux : le repos du sol, le repos des bêtes, le repos des hommes, la libération des esclaves, la remise des dettes.

Je viens de mentionner Jean-Paul II. Voici un pape « sphérique », par opposition à un pape « elliptique ». Tous les points d'une sphère sont à égale distance du centre. Par contre, une ellipse est une figure géométrique à deux foyers. Paul VI fut un pape elliptique ; Jean-Paul II est un pape sphérique. Hans Küng disait de Paul VI « Notre Hamlet au Vatican ». To be or not to be. Jean-Paul II tranche : être est la réponse. Il récapitule dans sa personne tous les défis du XXe   siècle : orphelin de père à neuf ans, enfance et adolescence sous la patte d'ours de l'URSS ; victime du terrorisme anonyme en pleine Place Saint-Pierre ; rejoint par une maladie qui atteint des millions d'êtres humains ; il frappe d'ukases impopulaires (je pense à la « théologie de la libération ») les ouvriers impatients de démêler le bon grain de l'ivraie, et il n'a jamais à présenter aux jeunes, à Denver, Reims, Paris, Rome ou Toronto, qu'une rondelle de farine. Il ne semble pas s'inquiéter des déficits des journées mondiales de la jeunesse.

Les premiers mots proférés publiquement par Jean-Paul II sont précisément les premiers mots de l'Évangile : Nolite timere. N'ayez point peur. Ces premiers mots furent dits par les anges aux bergers de Bethléem. La racine du péché, c'est la peur. Quelle peur, au bout du compte ? La peur de la mort (1 Co, 15, 56 ; He 2, 14). Et quelle est la parade à cette peur ? Réponse : le mensonge. Mensonge politique, mensonge technique, mensonge économique. Vous avez tous entendu parler du clonage. Le clonage a été réussi sur une brebis. Que les Raéliens aient réussi ou non à cloner un être humain, cela ne m'importe guère. Tout, absolument tout, ce qui est techniquement possible sera. Vous savez bien que le Prince de ce monde, c'est le père du mensonge (Jn 8, 44). La grimace de Dieu.


Nos défis pour le nouveau siècle

C'est le moment de comprimer le titre de mon exposé, tel qu'il a été communiqué aux médias : Nos défis pour le nouveau siècle. Il serait risible que je m'embarque à décrire ou à simplement énumérer les défis pour un siècle au complet ! Ni les politiciens ni même les économistes ne s'engagent pour aussi longtemps. Je trouve risible le titre du livre d'Olivier Le Gendre : Lettres aux successeurs de Jean-Paul II (Desclée de Brouwer, 2002). Je peux bien rappeler ici qu'aucun observateur politique n’avait prévu la chute du mur de Berlin, en 1989, ni l'implosion de l'ex-URSS, le 8 décembre 1991, sous Mikhaïl Gorbatchev. En quelque domaine que ce soit, prédire au-delà de cinq ans, c'est de la rhétorique, de la démagogie, de l'imposture.

Personne ne s'attend à ce que je parle des défis dans l'ordre politique, économique, technique. Il s'agit des défis de l'Église du Québec, qui ne sont pas différents des défis de l'Église universelle. Le mot « défi » lui-même signifie :


• L’action de défier quelqu'un à un combat ; l'action de provoquer, au sens où l'Écriture dit : Goliath défiait les Hébreux (I Samuel, chapitre 17).

• Le refus de se soumettre. Le refus d'obéir. Le non serviam des Hébreux, dénoncé par Jérémie 2, 20.


L’Église est un défi et l'Église sera toujours défiée. L’Église défie le monde et le monde défie l'Église. L’arrangement des textes liturgiques nous ramenait, le 14 février dernier, le dialogue fondateur de l'histoire humaine. Le Tentateur défie Dieu par personnes interposées. À Ève et à Adam, il dit : Pensez donc ! Dieu vous a interdit de croquer la pomme, sous peine de mort ! Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Vous serez comme des dieux. Quelques versets plus loin, Dieu fait semblant de chercher Adam et Ève qui s'étaient cachés « parce qu’ils étaient nus ». Il reprend alors ironiquement les mots du Tentateur : Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous par la connaissance du bien et du mal (Genèse 3).

À Jésus au désert, Satan proposera la même « négociation ». Jésus ne se laisse pas séduire. Cela le conduira à la mort sur la croix. Cette mort du nouvel Adam dans « la foi nue, l'espérance déçue, l'amour bafoué » (Marcel Légaut, Méditation d'un chrétien du XXe siècle, Aubier, 1983). Cette mort, dis-je, aura été la « surprise » de Satan, sa déconvenue définitive. Non pas que Satan ait renoncé à être la grimace de Dieu. Le XXe siècle nous aura appris, et de la bouche d'un agnostique, je veux  dire Malraux, qu'avec les camps, Satan a reparu sur le monde (Les chênes qu'on abat, Gallimard, 1971).

L’Église a toujours dû affronter des défis. Dans plusieurs de ses lettres, saint Paul demande aux fidèles d'éviter les hérétiques. Saint Justin (martyrisé en 165) avait déjà dressé une espèce de catalogue des hérésies. Saint Épiphane composa vers 375 une liste de 80 hérésies. Faut-il mentionner aussi les grands schismes qui ont déchiré et qui déchirent encore la tunique inconsutile : tunica inconsutilis (Jn 19, 23) du Christ ?

Toute époque a toujours été la pire. Et s'il y en a qui furent vraiment pires, c'est celles qui enfantèrent les plus grandes choses. Saint Augustin, cette lumière qui nous éclaire encore, c'était, sur la fin, un petit évêque assiégé par les Barbares, qui voyait crouler le grand empire dont l'histoire semblait se confondre avec celle du monde. C'est au VIe siècle, « époque de perpétuelle menace et d'affliction, l'Italie étant livrée aux Goths et aux Lombards, que la Liturgie romaine, cette merveille, s'est le plus enrichie ». Au milieu du XIIIe siècle de la chrétienté, le plus grand et le seul, celui qui éveille tant de nostalgie, celui qui ne reviendra plus, la chrétienté crut son dernier jour arrivé. Nul cri de détresse universelle n'est peut-être comparable au discours prononcé par le pape Innocent IV, en 1245, à Lyon, dans le réfectoire de Saint-Just : mœurs abominables des prélats et des fidèles, insolence des Sarrasins, schisme des Grecs, sévices des Tartares, persécution d'un empereur impie : telles sont les cinq plaies dont meurt l'Église. Pour sauver le peu qui peut être sauvé, que tous se mettent à creuser des tranchées, seul recours contre les Tartares.

On connaît quelques défis tout à fait contemporains. Défis, je veux dire obstacles à surmonter, questions auxquelles il faut répondre, problèmes qu'il faut résoudre, dilemme qu’il faut trancher, mais surtout mystère qu’i1 faut adorer en silence, comme Job après que Yahvé lui eut demandé ironiquement : Je vais t'interroger et tu m'instruiras (40, 6 ; 41-42, 6). Guitton survole de façon altière le problème de Job lorsqu'il écrit que l'absurde et le mystère sont les deux solutions possibles de l'énigme qui nous est proposée par l'expérience de la vie (L’Absurde et le mystère, Desclée de Brouwer, 1984). Mgr Marc Ouellet mentionnait plusieurs de ces défis lors de la cérémonie de son intronisation, le 26 janvier dernier. Mgr Maurice Couture, dans Le Soleil du 25 janvier, fut amené à faire allusion à ce qu'il faut bien appeler « l'affaire Raymond Dumais ».

« L’affaire Dumais » elle-même pose le problème du célibat des prêtres. Elle pose obliquement la question du sacerdoce des femmes. On sait aussi que Mgr Dumais fut confronté au scandale de la pédophilie par un curé de son diocèse. The sex abuse scandals are the most serious calamity to befall the Church in recent Centuries (The Tablet, 15 février 2003). Ce scandale secoue l'Église canadienne, l'Église américaine, l'Église d'Angleterre, l'Église d'Irlande. On sait aussi que tous les cardinaux américains ont été convoqués par Jean-Paul II à ce sujet. On sait aussi que Jean-Paul II est intervenu pour faire modifier la déclaration de l'Épiscopat américain relativement à la pédophilie, pour la faire modifier en direction de la miséricorde. À l'inverse, si je peux ainsi dire, il est intervenu sur la question de l'absolution collective. Mgr Ouellet en a parlé lors d'une récente entrevue à la télévision.

André Naud aborde quelques-uns de ces défis dans Les Dogmes et le respect de l'intelligence (Fides, 2002). Il n'entrait pas dans son propos d'aborder certaines questions d'ordre disciplinaire. Par exemple, l'interdiction d'admettre les divorcés à la communion eucharistique. J'ai exprimé plus haut mes réserves quant au livre d'Olivier Le Gendre. Je retiens cependant qu'il s'étonne avec raison de l'interdiction dont je parle et qui fait scandale pour des personnes que je connais personnellement. Les fidèles ont digéré comme ils ont pu les énormes changements survenus depuis Vatican II. Mais je comprends aussi que l'Église catholique n'est pas une chaloupe qui peut virer sur sa longueur. Je viens ! J'étonnerai vos patiences, dit une hymne de l'Office. Maran atha, dit saint Paul (1 Co, 16, 22).

Qu'importe le titre donné au sujet que j'aborde devant vous aujourd'hui, je veux remplacer le mot « défi » par le mot « attention ». En clair, je veux dire comment je me sens, comme simple fidèle, dans mon expérience quotidienne et dominicale, comment je me sens dans l'Église. Et alors, je dis :

Attention à la proclamation de la Parole Attention à la liturgie.


La proclamation de la Parole


     Quelques mois après la Pentecôte, les Douze décidèrent de procéder à l'élection des diacres en invoquant la raison suivante : Il ne nous plaît pas de délaisser la parole de Dieu pour servir aux tables (Ac 6, 1-3). Il existait déjà un conflit au sujet des veuves d'origine grecque par rapport aux veuves d'origine juive, ces dernières étant priorisées, pour parler en termes politiques ou administratifs contemporains.

Mais, si je parle de la proclamation de la Parole, je ne pense pas à cette discrimination ethnique. Ni même sexuelle. Il ne m'importe aucunement que ce soit une femme ou un homme qui lise les passages de l'Écriture d'une messe. Pourvu que je puisse comprendre, c'est-à-dire écouter les yeux fermés. La chose est généralement impossible. D'où je dis que l'on devrait réactiver l'ordre des lecteurs. L’Église a longtemps distingué les ordres mineurs et les ordres majeurs. Au nombre des ordres mineurs, il y avait l'ordre des portiers, des lecteurs, des exorcistes, des acolytes. Au nombre des ordres majeurs, il y avait les sous-diacres, les diacres, les prêtres. Il n'y a plus maintenant que deux ordres mineurs : lecteur et acolyte. Et trois ordres majeurs : diaconat, presbytérat, épiscopat. Le sous-diaconat est passé aux « comptes à recevoir », comme on dit en comptabilité. Quant aux évêques, écoutons saint Augustin :


Quand je suis effrayé par ce que je suis pour vous, je suis consolé par ce que je suis avec vous. Pour vous, je suis l'évêque ; avec vous, je suis un chrétien. Le premier est une fonction, le second est une grâce ; le premier, un danger ; le second est le salut.


   Vous aurez compris que je m'en tiens ici au contenant et non au contenu de la proclamation de la Parole. S'agissant du contenu, je n'ai rien à voir et je ne veux rien savoir du « vécu » de l'homéliste, pour parler en psycho ceci et cela. Il me plaît cependant de noter que, dans l'annuaire téléphonique, il y a autant d'annonces de psycho ceci et cela que d'annonce de garages. On a mal à l'âme et on a mal au « char ». Tout ce que je demande, c'est que l'homéliste soit bref. Si l'on s'est bien préparé, on peut livrer beaucoup de contenu en cinq minutes. Je parle toujours de célébrations ordinaires. Brièveté, donc. Saint Benoît, qui n'était pas un laxiste, dit dans sa Règle : Brevis debet esse et pura oratio : La prière doit être brève et pure.

Mais encore, et surtout, je souhaite que la proclamation de la Parole s'enracine dans les textes mêmes que l'on vient d'entendre. Et quand je dis « s'enraciner », je veux dire que la prédication doit situer la Parole dans le contexte historique où elle fut écrite. La prédication doit donc savoir utiliser les informations historiques et archéologiques disponibles, de même que les recherches de l'exégèse. Dans une entrevue récente, Timothy Radcliffe, Maître général des Dominicains, disait que celui qui a reçu le « don de dire la Parole » doit l'écouter avec grande attention, la partager avec d'autres, la digérer, la ruminer longuement, comme une vache, précisait-il invergogneusement.


La liturgie

    Je parle toujours comme simple fidèle en situation quotidienne et dominicale. Je dis quotidienne en tant que membre d'une communauté religieuse. Par ailleurs, les sondages nous disent que la fréquentation dominicale est de l'ordre de 10% à 15%. Quel est le défi à relever à ce sujet ?

Certainement pas le défi des discothèques. La liturgie catholique doit être sans surprise et sans racolage. La liturgie ne doit pas chercher à concurrencer la société du spectacle. La liturgie doit être le lieu du recueillement et non pas le lieu de l'étonnement ou de la surprise.

La forme de la liturgie peut demander un certain renoncement à l'individualité, autrement dit : des structures fixes et éventuellement aussi des formulaires fixes sont désirables et nécessaires. En effet, c'est seulement si le texte et la forme du culte ne sont pas « inventés » chaque fois de nouveau, qu'on a l'évidence d'avoir affaire avec la confession de l'Église et pas seulement avec une forme d'expression plus ou moins fortuite de tel ou tel groupe de chrétiens... Le texte et la forme fixes ont aussi leur importance pour la liturgie en tant que « recueillement » et célébration. Car, dans le culte comme ailleurs, on ne peut pas se recueillir si l'on doit toujours s'attendre à du nouveau, et y porter toute son attention. Une certaine régularité de la forme, qui fait que l'on sait ce qui va venir, délimite à tout le moins le cadre à l'intérieur duquel se trouve le nouveau à attendre, assure à la liturgie un authentique effet de détente et contribue à faire du culte ce qu'il doit être : une coupure et un accumulateur des forces dans les épreuves de la foi que chaque jour apporte avec soi (Le Nouveau Livre de la foi, la foi commune des chrétiens, Le Centurion, 1976).

Ce que je viens de rapporter s'applique évidemment aux chants. Que de fois n'ai-je pas assisté à des messes, y compris des messes de funérailles, où l'on pouvait entendre quelqu'un s'efforcer d'entraîner la foule, mais se retrouvant seul à chanter pour la bonne raison qu’il était le seul, ou presque, à connaître « l'air et la chanson ». On m'objectera : « Était-ce tellement plus "participatif" du temps de votre enfance, avec textes en latin et chants en grégorien ? » Je peux répondre en tout cas avec Jean Fourastié, Jean Guitton, Marcel Légaut et combien d'autres, que l'usage du latin ouvrait davantage au mystère que le français aplati que l'on nous offre avec, en prime, l'incohérente féminisation de la langue. Au point que les célébrants ne savent plus, à l'Offertoire, s'ils doivent dire « homme/femme ; genre humain ; ouvrage de nos mains, personne ; frère/sœur ».

Là-dessus, écoutons Marcel Légaut :


Quand mes enfants ou des jeunes me disent qu’ils s'ennuient à la messe, que puis-je leur répondre ? Moi-même, je m'y ennuie ; bien plus, j'en sors malade. Quelques lignes plus loin, il ajoute : jamais nous n’avons été plus près de la renaissance de l'Église. Ce sont les jeunes qui la connaîtront en en étant les principaux artisans. Que l'autorité ne joue pas auprès d'eux le rôle que jadis a tenu le grand prêtre ! (Patience et passion d'un croyant, Le Centurion, 1976).


Dans un chapitre intitulé De la pastorale, Fernand Ouellette écrit : « Je suis parfois consterné par les efforts pathétiques de tant de prêtres pour attirer et conserver leurs paroissiens. J'ai trop souvent des moments d'impatience quand je vois certains d'entre eux faire des efforts naïfs pour animer le « spectacle » d'une cérémonie, s'ingénier à séduire les gens avec quelques tonalités du mouvement charismatique. On entraîne les fidèles dans des exaltations collectives de surface, en oubliant qu'à forcer le spectacle pour des gens si familiers de mégaspectacles, à la télé, dans un stade, ou en grugeant sans cesse le silence avec des cantiques doucereux, des ombres de dévotion, les fidèles se retrouveront sans nul doute encore plus démunis et perdants. Dire que nous avions jadis, comme élément de prière, le pur grégorien, de l'or mat coulant dans quelques formes d'élévation. » (Le Danger du divin, Fides, 2002). Remontant de 2002 à 1400, je cite l'auteur de L’Imitation de Jésus-Christ : « On doit en célébrant éviter tout extrême, et n’être ni trop lent ni trop précipité. La vraie règle qu'on doit se proposer et suivre, c'est l'usage de ceux avec qui on doit vivre. Gardez-vous en effet de produire en autrui, par excès de lenteur, la fatigue ou l'ennui. Suivez plutôt les us établis par vos pères ; et, laissant de côté ce qui vous semble doux, n'ayez qu’un but constant, l'utilité de tous. » (Livre IV, IV).


L’Église et les médias

J'ai vu Mgr Ouellet soumis à un barrage de micros, les « orgues de Staline » contemporaines, dès le lendemain de son intronisation. Il fallait bien. On sait, en effet, comment les médias avaient présenté et prédéterminé sa nomination. L’Église n'a jamais boudé les médias. Dès la création de l'État du Vatican, en 1929,

Pie XI créait une station d'émission de radio. On sait du reste que Jean-Paul II est plutôt médiatique, et que les évêques, tout comme les premiers ministres, sont constamment sous l'œil des caméras et le barrage des micros.

Les médias sont le quatrième pouvoir. Si l'on n’est pas « vu », on n’existe pas. Je réponds que, si quelqu'un est, cela se saura bien. Les médias « couvrent » tous les incendies et tous les meurtres. Ils finiraient bien par « couvrir » un évêque qui prendrait la parole, fût-il seul. Le risque serait de se réfugier derrière les « déclarations » inermes coast to coast. La proclamation de l'Évangile doit être claire.

Je cite maintenant Ratzinger, qui a un peu de « vécu » derrière lui. Il dit :


Dans mon propre pays, une Conférence épiscopale existait déjà dans les années 30. Eh bien, les textes vraiment vigoureux contre le nazisme furent ceux qui émanaient d'évêques isolés, courageux. Ceux de la Conférence semblaient souvent édulcorés, trop faibles pour ce que la tragédie requérait » (Entretien sur la foi, Fayard, 1985).


Les messagers de la Bonne Nouvelle, la seule nouvelle vraiment nouvelle, pourquoi seraient-ils à genoux devant les médias ? Les médias viendront bien. Où que soit le cadavre, là se rassembleront les vautours » (Mt 24, 28).


Le Dieu des vivants

    Le Dieu de Jésus n'est pas le Dieu des morts. Il est le Dieu des vivants. En fait, que savons-nous de la vie ? Existe-t-il de la vie, en haut, en bas, à l'ouest ou à l'est de notre petite planète ? Je n’en sais rien. Mais je sais que l'Église catholique a maintenu le cap. Quel cap ? Le cap sur la vie. J'ai placé devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur. Choisis la vie (Deut 30, 13-19).

Je viens de dire que l'Église catholique a maintenu le cap sur la vie. Elle maintient le cap sur la vie en ce qui touche les deux bouts de la vie humaine : la conception et la mort. Et l'entre-deux. Et c'est précisément sur ce choix que l'Église est davantage contestée, écartée, tenue pour « empêcheuse de tourner en rond ». Saint Paul a très tôt dénoncé la mentalité de ceux qui tournaillent autour des vraies questions : Languens circa quaestiones (1 Tim 6,4).


L’Église et les jeunes

Qu’avons-nous à tant nous inquiéter des jeunes ? Et, de façon oblique, à tant nous inquiéter de la survivance de l'Église. L’Église détient la promesse de la vie éternelle. Aucun ordre religieux, aucune communauté religieuse ne détient cette promesse. Et surtout, surtout, aucun individu ne la détient, nonobstant l'élévation statistique de l'espérance de vie. Cela ne peut intéresser que les compagnies d'assurance ! Marcel Légaut, du haut de son vieil âge, écrivait :


Nous sommes dans des conditions sociologiques assez semblables à celles qui ont permis la première naissance du christianisme. Nous sommes dans un monde menacé. Cette instabilité empêche de se fier trop aux contingences et permet de s'attacher avec foi et courage à l'essentiel. Nos jeunes le sentent mieux que les adultes qui sont installés dans la situation, et qui même lorsqu’ils la critiquent n’ont pas le vrai désir que cela change, car il faudrait d'abord qu'ils changent eux-mêmes. Et ils n'en ont ni la pensée ni, a fortiori, la possibilité (Patience et passion d'un croyant, Le Centurion, 1976).


Ce que je sais, c'est que les jeunes ont besoin d'être définis. Les jeunes, les vieux aussi, les vieux « habitués », comme disait Péguy, ont besoin de frapper le mur des NON. Suis-je en train de dire que mon Église est celle qui dit NON ? L’Église catholique dit, comme Jésus, que votre OUI soit OUI, et votre NON, NON. Que votre langage soit Oui ? Oui, Non ? Non (Mt 5,37).

Dans une famille, dans une école, dans une ville, dans une société, il est plus facile de dire « oui » que de dire « non ». L’Église dit OUI à la vie ; elle dit NON à la culture de mort. Les NON impopulaires ne peuvent être dits que par l'Église. Par l'Église, contre le MONDE. Jésus a dit qu’il ne priait pas pour le Monde. Non rogo pro mundo. Jn 17, 9). Il disait aussi : Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s'est complu à vous donner le Royaume (Lc, 12, 32). Et dans Jean : Gardez courage ! Moi, j'ai bel et bien vaincu le monde (16, 32).


Conclusion

Il faut bien que j'aboutisse dans le temps qui m'est imparti. Je ne vous soutiens pas ; c'est vous qui me soutenez de votre attention. Je dis « attention ». Roulant sur les autoroutes, nous sommes constamment avertis de faire attention. Nous le sommes par mode de pictogrammes : Attention à la vitesse, cédez le passage, ne jetez rien par la fenêtre de l'auto ; ne doublez pas ; chaussée glissante si. Dans le même temps, et pour les mêmes « usagers », les médias ne sont que le miroir de nos « Attention ! ». Sur les rétroviseurs latéraux des autos, on peut lire : Ce que vous voyez est plus proche qu'il ne vous paraît.

Quelle ne fut pas ma surprise, en lisant la conférence du cardinal Poupard, de rencontrer une citation de Maldoror : Je suis fils de l'homme et de la femme, d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne. Je croyais être davantage !

J'ai déjà cité Marcel Légaut. Il accompagne ma réflexion depuis plusieurs décennies. Il l'accompagne, je veux dire qu’il la précède de peu, la devance de peu, se tient à mon pas. Comme Jésus avec les deux disciples sur le chemin d'Emmaüs. Mane nobiscum, Domine, quoniam advesperascit. Reste avec nous, Seigneur, il se fait tard et déjà le jour touche à son terme (Luc, 24, 28). Et dans le dernier verset de l'Évangile selon Matthieu, on entend : Et voici que je suis avec vous jusqu'à la fin des temps. Me dira-t-on pourquoi, vers 18 ans, j'ai été frappé par cette promesse de Jésus ? J'étais dans la force de l'adolescence. Le mot adolescence dit tout : nourrir, grandir. Et, être vieux, c'est, symétriquement, s'abolir. N'avoir plus de fonction. Le vieux ou le défunt, c'est celui qui n'a plus de fonction.

Dans une des merveilleuses préfaces de la messe, on peut entendre ceci : Le mémorial de la Passion nous donne raison d'espérer encore. Je n'aime pas le mot « mérite ou mériter ». Nous ne méritons même pas d'exister, fût-ce sous forme d'un galet d'une plage ? Et cependant, comme catholiques, nous croyons que nous sommes des fils de Dieu ; nous professons que nous attendons son retour dans la Gloire. Mais il nous est demandé davantage de foi et d'espérance qu’il ne fut demandé à Thomas ou à Marie-Madeleine.

Quand viendra la fin des temps, il faudra aux derniers chrétiens plus de foi et plus de grâce qu’aux premiers. Jeune, la Religion eut des amants. Ils l'embrassèrent avec passion. Ils l'épousèrent par espérance. [...] Vieille, elle n’aura plus que des fils, des soutiens de famille qui la garderont, la nourriront, l'entretiendront comme une mère appauvrie et tombée à leur charge (Marie Noël, Notes intimes, Stock, 1984).

L’Église universelle, comme celle de Québec, n'est pas « tombée à notre charge ». Au contraire, elle est chargée, comme l'arche de Noé. Chargée d'un couple de tous les animaux. On voit la chose ! Le lion, la lionne et la gazelle ; le tigre, la tigresse et l'antilope ; l'éléphante et l'éléphant, si tristes, et ne sachant sous quelles oreilles cacher l'éléphanteau conçu avant l'embarquement dans l'arche ; les girafes, l'hyène ricaneuse, le lièvre et la tortue, la mouche noire et le colibri.

Selon la liturgie des dernières semaines, Dieu déclare qu’il regrette d'avoir fait l'homme. Mais, dans le même mouvement, il ordonne à Noé de construire l'Arche. Trois jours plus tard, selon la suite des lectures de la messe, nous sommes à Babylone. C'est le récit de la tour de Babel. À peu que l'on croirait lire les journaux !

Je vous remercie de m'avoir soutenu de votre attention.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Paul Desbiens, philosophe et essayiste Dernière mise à jour de cette page le mercredi 6 juillet 2011 8:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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