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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Paul Desbiens, Sélection de citations. Sous le soleil de la pitié (1965). Une présentation et une sélection de Laurent Potvin, frère mariste, Château-Richer, Qc. Chicoutimi: Les Classiques des sciences sociales, avril 2009, 42 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications.]

Présentation
Sélection de citations.

Présentation

Par Laurent Potvin,
frère mariste, avril 2009.

Le 28 juillet 2006, à l’occasion du décès de Jean Jean-paul Desbiens,  M. André Gaulin publiait dans Le Devoir un article remarquable  intitulé « Le frère Untel ou l’anonymat d’un collectif. » Cet hommage, il l’adressait à « un humble frère comme tant d’autre», au «Desbiens des Insolences, qui écrit dans Sous le soleil de la pitié (1965) des pages chrétiennes admirables parmi les peu nombreuses écrites dans ce pays dit catholique, pages aussi peu citées que les admirables Croquis laurentiens de Marie-Victorin alors très proche de Pascal (dans Anticosti, par exemple), ce fonceur, cet homme un peu carré. »

Les recherches que vous pouvez effectuer sur Internet afin d’y consulter les sites qui présentent des citations d’auteurs seront peu fructueuses quand vous en demanderez qui concernent  Jean-Paul Desbiens, philosophe, écrivain,  journaliste. Vos récoltes  plutôt  minces   porteront surtout sur la langue française.   Cinquante ans  bientôt après la parution des Insolences du Frère Untel, un ouvrage au tirage record  de 150 000 exemplaires ; 45 ans après  la publication de Sous le soleil de la pitié ; après les éditions de plus de dix autres ouvrages de cet écrivain, polémiste, conférencier…comment se fait-il que nous trouvions sur Internet si peu de citations consignées dans ces centres ?

Par ailleurs, les lecteurs qui ont  parcouru Sous le soleil de la pitié ont  sans doute noté  que plusieurs passages remarquables de cet ouvrage méritaient d’être mis en évidence et d’être mieux connus du grand public. On vient donc d’extraire de ces pages un certain nombre de citations sélectionnées que nous vous présentons maintenant.  La découverte ou la redécouverte de ces pensées rédigées, pour la plus large partie, lors de « l’exil » de l’auteur en Suisse, sauront vous faire connaître la pertinence de la pensée de celui qui, alors âgé de  40 ans,  se trouvait au milieu de sa vie.

Malgré la rédaction rapide de ce genre de Mémoires que constitue Sous le soleil de la pitié, vous  noterez que  ces pensées sont ciselées soigneusement et que toutes vous sont livrées en confiance, comme à l’occasion d’une rencontre personnelle avec un auteur qui étale devant vous, dans une atmosphère de confidence,  tout  un pan de sa vie. Vous apprécierez aussi ses vues tempérées sur la liberté, son appréciation de l’amitié, son attachement aux valeurs sûres concernant l’homme, tout homme, son attachement marqué à des valeurs religieuses.

Vous noterez facilement l’insistance occasionnelle avec laquelle il signale son attachement à la lucidité, à la clarté. La science médicale, d’un commun accord,  souligne le haut degré de lucidité et de profondeur de vues  chez  les personnes souffrant ou ayant souffert de tuberculose. Ces deux aspects, lucidité et profondeur, ont marqué profondément par la suite toute la carrière comme l’action de Jean-Paul Desbiens.  Ils ont sans doute  joué un  rôle clef dans le choix de sa spécialisation en philosophie et dans ses deux travaux majeurs : thèse de licence sur le rôle du maître selon saint Thomas d’Aquin, et thèse de doctorat  -  mention summa cum laude - sur la philosophie  et la psychologie de l’intelligence d’après Jean Piaget. La première de ces deux thèses vient de paraître dans Les Classiques des sciences sociales. La seconde devrait  paraître sous peu.

Le style de l’auteur vous permettra de percevoir tout au long de la lecture de notre Sélection de citations l’influence marquée de celui qui fut son maître à penser et à écrire : Léon Bloy. Jean-Paul Desbiens a lu presque toutes les œuvres de ce vitupérateur incurable ! Et cette influence a conféré à son style une marque caractéristique dans le choix des idées comme dans l’emploi des mots !

La lecture de cette Sélection de citations vous plaira sans doute. Elle vous invitera peut-être à relire en entier  l’œuvre dont elle est tirée. Le présent recueil de courts passages  choisis  vous permettra, avec le minimum de consultation, de citer commodément, dans vos écrits comme dans vos discours, des points de vues personnels  de cet écrivain bien de chez nous qui, pendant plus de quarante ans, a tenu à écrire pour  « parler au monde », et qui, par la magie d’Internet, parle toujours au monde aujourd’hui.

Laurent Potvin, frère mariste, Château-Richer,
3 avril 2009
Les Classiques des sciences sociales


A

Accusations

Il y a une fin à mettre en accusation la religion, le système hospitalier, le système scolaire, le système judiciaire, le journalisme. Que voulons-nous vraiment ? Je dis : que voulons-nous vraiment et quel prix sommes-nous disposés à payer ? Car il y aura présentation de la facture, un bon jour.

Action

Si l'impatience pouvait s'accumuler comme l'eau derrière une écluse, je me serais rompu, car je tendais de toutes mes forces à cette forme d'action, que j'avais essayée à tâtons et qui avait réussi.

Adolescence

« Seigneur, donnez-moi la trempe nécessaire et faites de moi le paratonnerre des miens ». 

Ce qui me frappe encore aujourd'hui dans cette formule que j'avais inventée, c'est son tour synthétique ; le soin que j'avais de ramasser tous les cas possibles dans un petit nombre de mots. 

Aimer

Aimer le Christ, où que l'on soit, cela consiste toujours à aimer les hommes. Partout où un homme réel est réellement aimé et aidé, le Christ est aimé et aidé ; partout où un homme réel est traité avec dignité, le Christ est traité avec dignité.

Amis (1)

Mais la richesse d'une vie d'homme, ce sont ses amis. On parle d'amitié ; on dénombre ses amis. J'ai de bons amis, qu'on dit. Je l'ai dit moi-même. Mais Pascal : « Je pose en fait que si les hommes savaient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde ». Mais Péguy : « L'amour est plus rare que le génie, et l'amitié, plus rare que l'amour »

Amour (1)

L'amour humain, c'est la pitié promise. Sur la fin (de sa vie), peut-être qu'on pourra s'aimer soi-même de nouveau, avec un petit sourire. Tout le long, on aura été aimé par Quelqu'un qui « sait ce qu'il y a dans le coeur de l'homme », et qui l'aime quand même. Mais, ça, c'est un autre mystère.

Amour (2)

Cette démarche envers un inconnu, que nous avons remise en question jusqu'au moment de l'achever.... Qu'est-ce qui nous poussait ? Faut-il parler d'amour ? Mon amour pèse sur ma vie ; c'est toujours lui qui fait obscurément basculer mes décisions. Je le sais après coup.

Amour (3)

Le sacrifice de l'amour humain constitue le coeur de la vie religieuse.

Apparences

Quelqu'un sourit, et on croit qu'il est heureux ; quelqu'un ne dit rien, et on croit qu'il ne souffre pas trop.

Argumenter

Il n'y a que les désespérés de l'esprit pour aimer à argumenter.

Autorité

Personne n'a d'autorité s'il n'est serviteur de l'esprit. La crise de l'autorité, c'est la crise des valeurs. Les jeunes sont purs, mais ils sentent qu'ils risquent de faire comme tout le monde. Ils cherchent désespérément des preuves, plus haut, que l'esprit existe.

B

Bonheur

Quand je veux savoir ce que c'est que le bonheur, je ne vais pas voir Aristote ; je mets la main sous le menton d'un chat qui ronronne. 

C

Canadien français

L'image que je propose, c'est celle du Canadien français typique, parti de loin, soumis à une éducation erratique, mais parvenu quand même à la vie. Je veux qu'on puisse dire : Hé ! ce qu'il a fait, je peux le faire ; ce qu'il a traversé, je peux le traverser.

Caractéristique nationale

L'une de nos caractéristiques nationales, c'est d'être un peuple qui n'a pas souffert collectivement.

Catéchiser

Tout ce qu'on demande à un ministère, c'est d'être juste et efficace. Ce n'est pas à l'État à catéchiser. Quand l'État catéchise, il ne catéchise pas Jésus-Christ ; il catéchise l'État.

Cercle vicieux

Il y a un cercle vicieux qui va du joual à la servitude.

Chauffage

Avoir ou n'avoir pas assez de bois pour traverser l'hiver, c'était un problème dont on commençait à parler à la maison dès octobre. Dans le plus creux de la Crise, nous ne pouvions même pas acheter toute une corde à la fois. ( Un à deux dollars la corde). Nous achetions le bois à la demi-corde. On ne chauffe pas une semaine avec une demi-corde.

 

Chômage

Présentement, il y a une jeunesse étudiante et une jeunesse sur le marché du travail ; mais bientôt, jeune sera synonyme de scolarisé ou bien il sera synonyme de chômeur et de pensionné.

Chrétien

Le chrétien n'est pas un homme qui aime Jésus-Christ ; c'est un homme qui croit que Jésus-Christ l'aime. Le religieux est peut-être un homme qui tente de le croire plus fermement

Chrétiens responsables

Je décris un état de fait, je ne prophétise pas sur l'issue de l'opération. Car il est bien possible, qu'au terme de l'opération, le christianisme ait été évacué. Mais alors, ce sera la faute des chrétiens et non le résultat d'une conspiration du MLF

Clarté

On introduit en soi une immense clarté dès que l'on a vraiment renoncé. Et il faut renoncer : vivre, c'est décider, et décider, c'est couper.

Classement

Les hommes se divisent en hommes de droite et en hommes de gauche, comme ils se divisent en introvertis et en extravertis ; en obèses et en filiformes ; en imbéciles et en malins. Le malheur, c'est qu'on est toujours le gauchiste ou le droitiste de quelqu'un.

Communiquer

Platon a fait passer toutes ses idées par la bouche ironique et bavarde de Socrate, un autre de ces hommes qu'on s'imagine connaître comme on connaît un ami.

Conditionnement

À vouloir tout expliquer par le conditionnement, on finit par ne plus rien expliquer. C'est le conditionnement lui-même qu'il faut expliquer, loin qu'il soit une explication universelle.

Courant électrique

Vivre sans électricité, ce n'est pas un drame. Les seigneurs du Moyen âge n'avaient pas l'électricité : ils étaient quand même les seigneurs. Mais dans un village où tout le monde a l'électricité, si vous ne l'avez pas, vous êtes déclassés.

Crises

Faut-il qu'une nation, comme un individu, connaisse des tourmentes pour mûrir? J'espère toujours que nous ferons l'économie des grandes secousses. Suis-je pessimiste ou optimiste ? Ni l'un ni l'autre, n'étant ni un imbécile triste ni un imbécile heureux.

Culture

Quant à la culture, le cas est clair : on peut être cultivé et manqué, du moins si on prend le terme culture selon son acception courante.

D

Débâcle

Je suis maintenant au milieu de ma vie, et bien content d'y être. Les circonstances ont fait que j'ai été mêlé à une aventure immense : la débâcle d'une nation.

Déception

Comment ne pas décevoir quand on est devenu un mythe et que l'on veut encore parler ? Il ne dépend pas de moi de ne point décevoir. 

Décider

Il est clair que nous vivons une crise religieuse. Crise, c'est jugement. Un jugement s'opère chez nous. Il n'est plus possible d'être catholique comme on a les yeux bleus. Chacun devra décider.

Découverte [1)

Les enfants d'aujourd'hui, à cause de la télévision, voient les choses en même temps qu'ils en entendent parler. Nous, nous entendions parler des choses longtemps avant de les voir, ce qui engendre l'amour.

Découverte (2)

Voir le pont de Québec, ce fut pour moi la réalisation d'un vieux rêve. Je ne fus point déçu. J'en fis une description lyrique dans une lettre à ma mère, où figurait le nombre de boulons, la longueur, la hauteur, et même le poids, tous détails que je lus sur une plaque fixée à l'entrée du pont. 

Départ

Quand je partis tôt le matin, mon père était absent : il travaillait au loin et ne rentrait à la maison que le samedi soir. Je n'avais pas voulu qu'on réveillât mes frères et soeurs. Seule ma mère était debout. Je la revois qui agite la main du haut de la galerie. Il pleuvait. J'emportais avec moi tout l'argent qu'il y avait à la maison : $6.00. Le voyage ne me coûtait rien.  

Devise

Je choisis la devise qu'on attribue à Dollard des Ormeaux : Jusqu'au bout ! Jusqu'au bout de quoi, je n'en savais rien, mais il est clair que je sentais le besoin de me provoquer : on ne s'engage pas à respirer.

Dignité nationale

Nous voulons la dignité nationale. Mais la dignité ne se réclame pas. La dignité n'est pas une constitution enfermée dans un coffret anglais

E

Écrire (1)

En écrivant ce livre, j'y trouve ma joie, une joie de jeune chien qui s'ébroue dans les mots et qui s'en jette partout, comme de la neige. 

Écrire (2)

 Mais je sais de science certaine que tout homme recoupe tout homme. Ce que j'ai vécu, ce que j'ai assumé, un autre doit le vivre et l'assumer à sa façon. Je veux qu'un homme dise, parce qu'il aura lu ce livre : « S'il est passé, je passerai bien moi aussi. » Exactement comme nous disions à l'hôpital : « Si celui-ci et celui-là ont passé l'opération, ça veut dire que l'opération se passe par du monde. » 

Écrire (3)

Je ne réussis pas à expliciter davantage le poids qui a pesé sur ma décision d'écrire ce livre. Je veux toujours parler à des hommes. Il n'y a que les hommes.

Écrire (4)

Je ne cherche pas à me situer dans la littérature canadienne-française. Je ne suis pas un littérateur. Je vise trop l'utile et l'immédiat pour prétendre au titre d'écrivain. Mettons que je suis un journaliste qui écrit une longue lettre à tout le monde. 

Écrire (5)

Je veux peut-être tout simplement prouver le mouvement par la marche ; m'exprimer jusqu'à paraître impudique pour bien montrer que c'est faisable, s'exprimer.

Écrire  (6)

« Tu mettras ça dans ton livre », me disait un Espagnol, après m'avoir raconté un fait de la guerre d’Espagne. Le pauvre, il ne veut pas que son indignation demeure à jamais muette. Job, lui aussi, disait : « Oh ! Que je voudrais qu'on écrive mes paroles dans le roc avec un stylet. » 

Écrire (7)

J'écris ce livre pour un inconnu qui me lira dans un train

Écrire (8)

On jette son âme dans un livre comme une pierre dans un puits. 

Écrire (9)

Est-ce donc si malin d'être un homme et d'écrire comme on parle ? Parfaitement : écrire comme on parle. Et puis, bien sûr, avoir du coeur. Mais cela même, est-ce donc si malin ? Est-ce donc si malin d'avoir du coeur ? 

Écrire (10)

Un homme ne devrait écrire qu'un seul livre, et le publier après sa mort. Mais on se croit important, et on publie de son vivant!

Écrivain  (1)

Je vise trop l'utile et l'immédiat pour prétendre au titre d'écrivain. Mettons que je suis un journaliste qui écrit une longue lettre à tout le monde. En attendant le plein salaire de littérature qui permettra aux Canadiens français d'acheter leur image, j'offre un acompte et je tire cet acompte sur ma vie. 

Écrivain (2)

Je veux bien être un peu naïf. Il faut l'être pour écrire. Je tiens quand même à expliquer soigneusement pourquoi je me mettrai en scène dans ce livre. Je pars de l'idée que l'homme intéresse l'homme.  

Éducation

Il n'y a que les chrétiens à pouvoir assurer l'éducation chrétienne : un système scolaire ne sera jamais ni plus ni moins chrétien que les maîtres.

Enseignement

Et je songe à ce paradoxe : dans les pays où l'Église est obligée de mettre sur pied un système d'enseignement libre non rémunéré par l'État, elle est du même coup condamnée à n'atteindre, à toute fin pratique, que la classe aisée, la classe de ceux qui peuvent affronter la double taxation. L'enseignement libre devient l'enseignement aux riches.

Esprit vs nature

Seul l'esprit décrète l'unité ; la nature, elle, ne s'intéresse qu'aux naissances.

État et ministère

Tout ce qu'on demande à un ministère, c'est d'être juste et efficace. Ce n'est pas à l'État à catéchiser. Quand l'État catéchise, il ne catéchise pas Jésus-Christ ; il catéchise l'État.

État et religion

Si on respecte assez les pauvres pour leur rendre accessible, à eux aussi, un enseignement religieux, il faut que cet enseignement soit soutenu par l'État ce qui n'entraîne pas du tout, on le sait assez, que cet enseignement soit le seul. 

Expliquer

Expliquer, expliquer, c'est ma passion, c'est ma vie. Déplier les choses, déplier les hommes, les mettre debout. Mais jamais, jamais plus n'être cause qu'un homme ait de la honte.  

F

Foi

Ici il faut quand même faire attention : c'est trop facile de dire aux chrétiens : ayez l'air un peu plus sauvés ! Keep   smiling ! Un chrétien a le droit d'avoir la face longue. La foi n'est pas une technique d'hygiène mentale.

Force

On est fort si l'on parle de ce qu'on a vécu. 

Forceurs

Il y a bien peu d'hommes qui aient atteint le sommet de Himalaya, mais il est sans doute nécessaire que des hommes l'aient foulé et que d'autres hommes, plus nombreux encore, l'aient essayé. Rien n'avancerait, dans aucune direction, sans les forceurs. Les forceurs, la race de ceux qui veulent sans cesse reculer les frontières : frontière de la science, du sport, de l'esprit.

G

Gauche-droite

L'homme de gauche, c'est l'homme qui aime la pauvreté ; l'homme de droite, c'est l'homme qui aime le pouvoir. Point. Ce sont là, de part et d'autre, les plus petits communs dénominateurs. 

H

Hésitation

L'humanité est parvenue au seuil d'une nouvelle naissance ; de nouveau, elle hésite en face de la liberté, et il est normal que ce soient les jeunes qui vivent le plus intensément cette hésitation. Leur malaise, c'est l'inconfort de la liberté dans un monde vide de témoins.

 

Hésitation

Nous avons tous l'expérience de certains gestes que nous avons posés sans savoir si nous devions les poser ou les omettre. Cette confidence à un ami, dont nous nous sommes demandé longtemps si nous la ferions. Cette démarche envers un inconnu, que nous avons remise en question jusqu'au moment de l'achever.

Histoire (1)

Notre histoire est éclusée depuis deux siècles ; ce n'est que depuis cinq ans que les vannes sont ouvertes et voilà pourquoi nous charrions tant. Nous ne fûmes point heureux et pourtant, nous n'avons point connu de tourmentes collectives. (Déclaration faite en 1965)

Histoire (2)

Je suis gouverné, ici, par l'idée générale, souvent exprimée, que l'histoire d'un homme c'est l'histoire de tout homme.

Histoire (3)

N'y a-t-il rien eu de fait depuis 1960, disons ? 

Homme (1)

Non seulement l'homme intéresse l'homme, mais seul l'homme intéresse l'homme 

Homme (2)

Je disais au début de ce volume : il n'y a que l'homme pour l'homme. Je le maintiens. Mais les hommes trouvent leur signification dans le Christ. Supprimez le Christ, nous ne sommes plus que des bêtes mortelles et dont l'immense majorité aura vécu sous le signe de l'injustice.

Homme (3)

Mon père était un « bon homme ». Cette expression dit tout : Oh ! il faudrait fixer ce langage, ce saint langage, que plus personne, bientôt, ne comprendra tout à fait. Quand on disait : Untel, c'est un bon homme, on voulait dire qu'il était un rude travailleur. Du point de vue du « jobbeur », un bon homme, c'était un homme qui rapportait.

Hommes de confiance

Dans une mêlée, je cherche d'abord où se trouvent les hommes en qui j'ai confiance, quitte à leur demander longuement, ensuite, pourquoi ils se sont trouvés là.

I

Ignorance religieuse

Il demeure pour moi inexplicable que nous en soyons rendus là, Là, c'est-à-dire, à ce point de désintégration, à cet abîme d'ignorance religieuse même chez nos universitaires, nos étudiants. Est-ce la sanction inévitable de toute tentative de vouloir édifier une chrétienté, au sens où on l'entendait au Moyen âge ?

Illettré

Mon père, tu m'avais dit, pour t'excuser du « dérangement » que tu me causais (en allant te conduire moi-même à l’hôpital) : « C'est pas drôle de pas savoir lire ; on vit à tâtons ».

Influence

Un milieu, et ici, le milieu des enseignants en général, ne se féconde que de l'intérieur. Nous devrions être capables, comme groupe minoritaire dans l'ensemble des enseignants, d'assurer ce rôle de fécondation

J

Jésus-Christ

Simone de Beauvoir a raison, malgré sa gloire, sa culture, sa santé, son argent, de se dire flouée : c'est le mot qui termine le dernier volume de ses mémoires. Mais Simone de Beauvoir se trompe : il y a Jésus-Christ.

Jeunesse (1)

Ma mère était une grande vivante et qui a gardé toute sa vie un côté jeune, inusable, obstiné. Les pauvres n'ont souvent pas d'enfance véritable. Leur capital d'enfance et d'émerveillement, ils n'ont pas eu l'occasion de le dépenser. Ils sont ainsi : ils n'ont point d'enfance. Et ils n'en finissent plus de débloquer leur enfance tout le long de leur vie, avec ce goût de l'immédiat qui caractérise l'enfance. 

Jeunesse (2)

La caractéristique principale de la jeunesse comme telle, c'est la disponibilité psychologique et sociale.

Jeunesse  (3)

La société industrielle, en ce qui concerne la production, aura de moins en moins besoin des jeunes, et elle en aura besoin de plus en plus tard. La période de disponibilité entre l'enfance et l'âge adulte s'allongera donc de plus en plus.

Jeunesse (4)

C'est à cause de cette double révolution technique que l'humanité connaît pour la première fois une jeunesse comme telle. Ce phénomène porte d'ailleurs un autre nom : le loisir.

Jeunesse (5)

J'appelle jeunesse, cette capacité d'accueil, cette obstination à garder le menton au-dessus de l'eau, cet appétit de connaître, ce refus de s'installer dans l'ignorance. Dans une lettre récente, ma mère prit la peine de rajouter un « h » au mot psychologue. À 72 ans, et ayant abandonné l'école à 9 ans. Sainte mère, jeunette, jeunette, inusable comme de la lumière, toi et ton « h » à psychologue !    

Jugement

Nous ne serons pas jugés par les manuels de théologie mais par Celui qui sait ce qu'il y a dans le coeur de l'homme.

L

Langage

On m'a raconté le fait suivant : un petit homme malingre et « chaudette » agace depuis un bon moment un placide colosse. Le colosse est aussi patient que l'on veut, mais à la fin, il dit à l'ivrogne : « Tu ne t'aperçois pas que tu es en train de jouer avec tes poignées de tombe ». Peut-on imaginer raccourci plus puissant et plus drôle tout ensemble ? Et le colosse ne savait même pas qu'il venait de frapper une médaille.

Lecteur (1)

À la maison, il n'y avait aucun livre, sauf les manuels scolaires. Ma soeur aînée possédait un volume de Morceaux choisis. Je le lus en entier….. Je lisais aussi l'Almanach du Peuple. À la fin du volume, la Librairie Beauchemin annonçait des livres d'aventure. À lire tous ces titres merveilleux et inaccessibles, je « salivais de l'imagination ». Je passai aussi des heures à feuilleter le petit Larousse, m'arrêtant longuement aux planches : pavillon, navire, armure, habitation, etc. 

Lecteur (2)

On ne sait jamais ce qui nous attend, ni qui nous attend : quel homme, quelle femme, nous attend gravement quelque part dans l'avenir, pour nous demander des nouvelles de Jésus-Christ. Est-il vrai que le Christ est vivant ? Est-il vrai que Dieu est fidèle ?    

Lecture (1)

Dans la Vie intellectuelle, Sertillanges, que je lus aussi beaucoup à cette époque, conseille d'apprendre par coeur des passages de la Bible, afin de « sanctifier la mémoire ». J'appliquai ce conseil : j'appris par coeur le Sermon sur la montagne, en saint Matthieu, à la virgule près.

Lecture (2)

Je savais à peu près lire avant de commencer les classes ; j'avais appris en me passionnant pour les bandes illustrées du Soleil ou de l'Action, que ma mère m'apprit à déchiffrer. Dès cette époque, je préférais lire à jouer.

Lectures du passé

N'importe quoi, ou presque, peut tolérer deux lectures. C'est à chacun à décider la lecture qu'il fera de son passé, puisque le passé demeure plastique et se prête à l'introduction rétroactive de la liberté.

Léon Bloy

J'étais naturellement accordé avec ce contempteur féroce et excessif. Je ne le jugeais pas ; je le buvais comme du lait. 

Levure

Il n'entre qu'une pincée de levure, pour beaucoup de farine, dans un pain. Le mérite objectif des Insolences fut d'être la pincée de levure.

Liberté (1)

Je vis sur deux ou trois certitudes qui fondent ma paix, sinon toujours ma joie. La liberté, c'est l'acceptation personnelle des déterminations qui nous grèvent dès avant notre naissance et tout le long de la vie. 

Liberté (2)

Je feuillette mon journal et je vois ceci : « Le jour où vous avez accepté la prison d'un corps mutilé, vous avez obtenu la liberté. » Je n'ai pas noté de qui est cette remarque ; je la trouve vraie, c'est ce qui compte. 

Liberté (3)

Dieu nous invente avec nous au fur et à mesure. C'est aussi cela la liberté. La liberté est en avant et en arrière, à gauche et à droite. Tous les doutes s'étoilent devant moi.

Liberté (4)

Notre erreur, c'est de toujours situer notre liberté en arrière, dans un passé minéralisé. Notre erreur, c'est de croire que nous n'étions pas libres dans les circonstances qui furent effectivement les nôtres, ou que nous ne le sommes plus aujourd'hui. En vérité, si j'étais libre à 23 ans, je le suis encore aujourd'hui  

Liberté (5)

La liberté n'est pas une allumette : elle ne sert pas qu'une fois. Ce qui ne sert qu'une fois, c'est la démission devant la liberté. Si nous matérialisons le passé, si nous en faisons un conditionnement nécessitant, il faudra dire que notre marge de liberté va se rétrécissant à mesure que nous vieillissons. 

Liberté (6)

 Reprendre sa liberté, ainsi qu'on dit parfois, est une expression dépourvue de sens.

Liberté (7)

La condition humaine, c'est la condition d'êtres libres. Il s'agit de comprendre que la liberté n'est pas en arrière, mais quotidienne ; il s'agit aussi de comprendre qu'on n'est pas libre « pour rien » : on est libre pour des valeurs. 

Liberté et valeurs

En fait, la liberté est service ; service des valeurs

Littérature

La littérature est le miroir dans lequel un peuple peut se contempler.

Littérature

Un peuple sans littérature serait encore plus aveugle que muet.  Un peuple a besoin de littérature pour se démêler, pour se peigner l'âme. Mais la littérature est aussi médiation : c'est à travers elle que les valeurs collectives prennent corps.

Littérature

La conscience d'un peuple cristallise dans sa littérature. 

Lucidité (1)

Je ne me présente pas comme un modèle de sérénité et d'équilibre, mais je me donne le témoignage d'avoir à peu près réussi à tenir mon attelage en main. Ma lucidité m'a sauvé, à la longue, car les ravages ne commencent qu'au moment où nos bêtes intérieures cessent d'être vues pour ce qu'elles sont : des bêtes.

Lucidité (2)

Au pays de la confusion, les vrais explorateurs, ce sont les hommes lucides, et les hommes lucides peuvent être assurés de déplaire à beaucoup de monde en disant ce qu'ils voient. Voilà pourquoi, ils doivent être courageux. Et comme il y aura de leurs amis parmi ceux qu'ils décevront, ils doivent aussi s'armer de douceur.   

M

Maître (1)

Si éduquer, c'est libérer, il est clair que l'éducation exige des témoins. Le maître, qu'il s'agisse des parents ou des professeurs, doit être le témoin des valeurs. Le témoin n'impose rien ; il s'engage et il engage les autres à s'engager : il les accule à leur liberté.

Maître (2)

Il me semble, toutefois, que ce qui m'a manqué, à cette époque de ma vie, ce furent de vrais maîtres. Je dis maîtres, selon l'étymologie du terme : magister, magis existere. 

Maître (3)

Le maître, c'est l'homme qui dispose d'un surplus d'existence, qui a assumé plus de science et surtout plus de valeur qu'un autre homme 

Maître (4)

Le maître, c'est l'homme qui dispose d'un surplus d'existence, qui a assumé plus de science et surtout plus de valeur qu'un autre homme. Entre 16 et 20 ans, il est important de pouvoir dialoguer avec un « plus existant ». 

Maître (5)

Qu'est-ce qu'un maître ? C'est d'abord un homme qui sait.

Maître (6)

Un maître, c'est un homme qui a su unifier sa vie autour d'une valeur. Un maître, c'est un homme qui aime. S'il enseigne la philosophie, c'est qu'il aime la philosophie ; s'il enseigne la littérature, c'est qu'il aime la création littéraire et notamment quelques auteurs. 

Mal (1)

La vérité, c'est que le chrétien titube comme tout le monde dans le dédale des problèmes concrets. Le problème des problèmes, celui qu'il faut avoir vraiment rencontré sinon on demeure un enfant, c'est le problème du mal.

Mal (2)

Le chrétien est le seul homme qui détienne une réponse au problème du mal. Cela me suffirait amplement pour y adhérer. Mais c'est une réponse « en espérance » ; en attendant, il faut faire tout ce qu'on peut pour reculer les frontières du mal. Il faut repousser le mal de toutes ses forces, comme tout le monde.

Marginaux

Dans le monde qui vient, l'existence de petits groupes marginaux sera de plus en plus importante. Eux seuls donneront un sens à la masse homogène. C'est toujours « l'un-peu-plus » qui crée la signification.

Mère

Ma mère avait une belle voix de contralto. Elle aimait chanter. Jeune, elle avait appris à jouer du piano. Elle chantait avec mes soeurs qui rapportaient à la maison des chants appris à l'école. Souvent, elle improvisait une deuxième partie.

 

Métier

Le métier de l'avenir, c'est le métier d'éducateur. Il y faudra des hommes entièrement dévoués, car ce métier est rongeur de temps et rongeur d'âme. Dans ce métier, l'utilité du Frère est incontestable son appartenance à une communauté ne signifie rien si elle ne lui est pas instrument d'un meilleur service.

Milieu de vie

Je vécus dans un monde où seule comptait la bonne volonté et où l'intelligence pouvait arriver sans égard au porte-monnaie. Y avait-il beaucoup d'autres lieux, au Québec, où un fils de pauvre était traité absolument sur le même pied qu'un fils de riche ? Les frères étaient ceci et cela, mais on ne peut nier ce que je dis ici, et non seulement en ce qui regarde ma communauté, mais également pour les autres communautés.

Moi haïssable

Pascal a dit que « le moi est haïssable », et je ne passe pas facilement par-dessus une remarque de Pascal. Mais justement, ce même Pascal qui a dit que le moi est haïssable, il ne nous est jamais plus fraternel, jamais plus proche, par-dessus trois siècles, que lorsqu'il nous parle de son moi. 

Mots

J'aurai souvent l'occasion, dans ce récit, de m'appesantir sur les mots. C'est une manie dont je ne cherche pas à m'affranchir. Professeur, je veux être compris. Or, il n'est jamais assuré qu'on le soit d'emblée, même si l'on emploie les mots les plus simples. Les mots sont presque toujours embués. Il faut les frotter, comme on se frotte les yeux, pour mieux voir.   

N

Noviciat religieux

Le but du noviciat, où qu'on le fasse, c'est d'amorcer un homme nouveau, le seul à qui il puisse arriver quelque chose de vraiment neuf : « Que peut-il arriver de nouveau au vieil homme », demande Lanza del Vasto. Si je simplifie à l'extrême, je vois ceci : il s'agit de démolir ce qui est et de bâtir quelque chose de neuf avec les matériaux anciens.

P

Paix

Dès maintenant, je peux le dire, et c'est la source de ma paix, je ne dis pas de ma joie : quand je mourrai, j'aurai toujours parlé de Jésus-Christ avec dignité et quelquefois avec amour. Mais je n'aurai fait que parler. D'autres vivent leur amour dans le silence et plusieurs, sans même le savoir.

Parler (1)

Voyageant seul en Europe, j'ai mesuré comme j'avais besoin de parler pour que prennent forme ma joie, mon émerveillement ou ma gravité. Une capitale, deux capitales, le Forum, la tour Eiffel, le Colisée, les Alpes, une cathédrale, deux musées, cela ne nourrit pas son homme. En tout cas, pas moi.

Parler (2)

Il y a toujours un risque de juger des hommes avec qui l'on n’a jamais parlé, surtout s'ils sont jeunes. Je cours ce risque, disposé à réviser aussi souvent qu'il le faudra mon jugement sur les personnes, mais ferme dans mon refus de l'attitude dogmatique.

Parler (3)

On n'écrit pas pour les arbres ; on écrit pour parler aux hommes. Je reçus de chaleureux témoignages : d'obscurs ouvriers m'écrivaient, des mères de familles, des jeunes gens. Qu'avaient-ils donc trouvé dans ce livre ? Je dis en toute simplicité qu'ils y avaient trouvé un homme. « On s'attendait de voir un auteur, » dit Pascal, « on est tout étonné et ravi parce qu'on trouve un homme. »  

Parler (4)

Il n'y a que les hommes. Dans la plus belle ville du monde, Rome, Paris, par une splendide journée, vous êtes seul. Vous glissez à la surface des choses. Vous êtes noué. Personne à qui parler, c'est l'enfer. 

Parler  (5)

Il n’y a que les hommes.  J'ai un terrible besoin de parler à des hommes, mais je ne veux pas parler pour parler ; je veux être utile.  Ma prétention, mon unique prétention, c'est que l'homme compte pour l'homme. Il n'y a que les hommes.

Passé (1)

Je viens de refaire mon passé, comme on refait son chemin. Les événements que j'ai retracés n'ont rien d'extraordinaire. Des milliers de Canadiens français ont vécu une enfance encore plus pauvre que la mienne ; des milliers aussi furent tuberculeux et des milliers en sont morts. 

Passé (2)

Nous sommes toujours maîtres du sens que nous donnons à nos vies. Et ce sens dépend de la lecture que nous faisons de notre passé. « Le plus vrai d'un individu, le plus lui-même, c'est son possible, que son histoire ne dégage qu'incertainement », a écrit Valéry. Ce passé est tellement incertain qu'on n'est même pas assuré de maintenir la lecture qu'on a décidé d'en faire. Cette décision, c'est l'exercice même de la liberté ; et la fidélité, c'est la fidélité à une lecture.

Paternité

Si on la rencontre, la paternité, on la reconnaît, on ne s'y trompe pas. 

Pauvres (1)

C'est aux pauvres d'abord que s'adressent les promesses de Jésus-Christ. C'est devant eux et avec eux qu'il faut témoigner de la réalité des promesses de Jésus-Christ. Mais qui n'est pas pauvre de quelque façon ? Pauvre de santé, pauvre de réputation, pauvre d'intelligence, pauvre d'amour, pauvre d'argent. Aussi bien, les promesses de Jésus-Christ concernent tout le monde

Pauvres (2)

Les pauvres n'ont souvent pas d'enfance véritable. Leur capital d'enfance et d'émerveillement, ils n'ont pas eu l'occasion de le dépenser. Ils sont ainsi : ils n'ont point d'enfance. Et ils n'en finissent plus de débloquer leur enfance tout le long de leur vie, avec ce goût de l'immédiat qui caractérise l'enfance. 

Pauvreté (1)

Il n'est pas facile aux pauvres d'êtres fiers et dignes. Une longue pauvreté, doublée d'un manque absolu d'instruction, vous ploie un homme et l'enfonce dans la servitude. Il finit par avoir toutes les apparences, les apparences de la lâcheté.

Pauvreté (2)

Il est dur d'être pauvre quand on ne sait pas pourquoi, quand on ne sait pas que les pauvres sont les portiers du Royaume, selon la forte expression de Bossuet, et que personne n'y entrera sans leur permission. 

Pauvreté (3)

Les pauvres n'ont souvent pas d'enfance véritable. Leur capital d'enfance et d'émerveillement, ils n'ont pas eu l'occasion de le dépenser. Ils sont ainsi : ils n'ont point d'enfance. Et ils n'en finissent plus de débloquer leur enfance tout le long de leur vie, avec ce goût de l'immédiat qui caractérise l'enfance

Pensées

J'avais aussi un petit carnet où je notais ce que j'appelais sans broncher « mes pensées ». Je l'ai détruit il y a longtemps. Je le regrette un peu : je serais curieux de savoir ce que je pouvais bien « penser » à l'époque. Je me souviens très bien, en tout cas, avoir écrit dans ce carnet ce qui fut longtemps pour moi une prière familière : « Seigneur, donnez-moi la trempe nécessaire et faites de moi le paratonnerre des miens ».

Pères

Transposant le Sermon sur la montagne, je lis : « Si vous, qui êtes mauvais, vous ne tuez pas vos fils quand ils vous ont offensés, combien plus votre père des cieux saura-t-il vous pardonner et vous supporter ». Nous n'avons que nos pères de chair pour nous faire une idée de notre Père des cieux.     

Peur

En classe, quand j'appris que l'Australie était le grand fournisseur mondial de laine, je me disais qu'un jour il y aurait trop d'hommes et pas assez de moutons. Je souffrais vaguement de l'éventualité d'une disette en quelque domaine.  

Philosophie

Partout où le tissu humain est déchiré, là est la place de la philosophie. Il y a plusieurs demeures dans la maison de Sophie. Il y a place pour les grosses têtes jargonneuses, les astronautes de l'analyse. Il y a place aussi pour des hommes comme moi, les hommes à qui il faut des conclusions pour l'action et qui se contentent d'ailleurs fort bien de conclusions provisoires. L'intelligence peut servir à bien des choses ; il me semble qu'elle doit notamment servir à vivre.

Prendre soin

Prendre soin. Cette expression me rappelle cette femme de Chicoutimi, une veuve, que j'avais rencontrée à l'occasion d'une « journée des parents ». Deux de ses fils fréquentaient le collège, l'un d'eux, dans ma classe. Elle me disait : « Ils sont bons pour moi : ils me prennent soin ». Telles furent beaucoup de femmes de cette génération : elles « prenaient soin » en attendant d'être « pris soin », à leur tour. Et si on les « prenait soin », elles le recevaient comme une faveur. Dès qu'elles croyaient ne plus donner, elles se jugeaient chanceuses de n'être point abandonnées.  

Professeur (1)

Si j'ai voulu être professeur, je dirais instituteur si j'étais sûr que l'on sait ce que ce mot veut dire, c'est peut-être pour qu'il n'y ait plus, dans la mesure où cela dépend de moi, personne qui vive à tâtons ; c'est peut-être pour délivrer les captifs, selon la calme grandeur de ce passage de saint Thomas : « Protéger un homme contre un genre d'oppression quelconque, est un acte qui se rattache à la rédemption des captifs ».

Professeur (2)

On sait, en effet, qu'un professeur (d’université) qui se respecte n'écrit pas au tableau noir : ça fait primaire. Un bon professeur doit avoir l'air ennuyé.

R

Radio

 Les marchands, pour la réclame, consentaient parfois à installer (dans les familles) un appareil radio gratuitement pour une semaine. Ma mère voulut profiter de l'aubaine. Quelle fête ! Mais il fallut rendre l'appareil… 

Réussite

À supposer que l'on accepte comme principe l'aphorisme de Nietzsche, toute la question est de savoir ce que c'est qu'être réussi. J'insiste : Nietzsche ne dit pas : ceux qui ont réussi, mais : ceux qui sont réussis. Mais qu'est-ce qu'être réussi ? Cela veut-il dire : être heureux ? En santé ? Cultivé ? Libre ?

Réussite

Je me contente de dire qu'être réussi, c'est avoir surmonté les obstacles sociaux qui s'appellent pauvreté, maladie, ignorance, et ces trois choses n'en font qu'une ; ou intérieurs à soi-même qui s'appellent éducation erratique, bêtise, névrose, et ces trois choses n'en font qu'une aussi.

Révolution scolaire

L'originalité de notre révolution scolaire, c'est qu'elle ne se fait pas contre la religion chrétienne. Elle se fait au nom du réalisme et de la démocratie.

S

Sanatorium

Le séjour au sana n'est pas purement et simplement défaisant ; à un niveau plus profond, il donne occasion à un homme de déceler l'essentiel : c'est le temps de l'attention.

Savoir

Cette année-là, je connus pour la première fois de ma vie un véritable appétit de savoir organisé. Je ne l'ai plus retrouvé avec cette fraîcheur. Socrate dit bien que si la philosophie doit être aimée, elle le sera par les jeunes gens de 18 ans.

Seigneurs

Au Foyer de Saint-Jérôme, ma mère m'a présenté à un vieillard de Grande-Baie, un homme de 80 ans, qui désirait me voir depuis longtemps. Il mesure six bons pieds et il est encore droit comme une épinette. Il a pleuré en me voyant. Je lui disais : «  Vous appartenez à une race de seigneurs. » Il me répondit : « Oui, monsieur, on était des seigneurs ». Cette race d'hommes avait du courage et de l'humour, qui sont l'essence de l'aristocratie. 

Solidarité

Mais si tu veux que nous parlions ensemble de notre commune misère, tous les deux, au fond, et non pas l'un dehors et l'autre dedans, alors, oui : marchons ensemble sous le soleil de la pitié. Pitié, piété, c'est tout un ; c'est amour d'hommes qui savent ce qu'ils sont. 

Souvenirs

On dira que je filtre mes souvenirs et que je laisse passer ce que je veux. Je ne le nie pas. Ce que je raconte fut vécu et là je n'invente rien, mais je ne raconte pas tout. J'ai le droit de garder mes hontes pour moi.  

Succès (1)

C'est au juvénat que je connus mes premiers succès littéraires. Tous les 15 jours, nous devions écrire une rédaction française. Une fois de temps en temps, la meilleure copie était lue par l'auteur devant tous les juvénistes. À deux ou trois reprises, je lus de mes travaux. Je me fis là une solide réputation de fort en français.

Succès (2)

Alain a bien vu que le peuple écolier a l'admiration sincère pour les premiers en quelque genre que ce soit : le meilleur frappeur, le meilleur coureur, le meilleur en français, y sont reconnus sans arrière-pensée.

T

Témoigner

Le religieux témoigne de la même chose que le chrétien ; il en témoigne autrement. Il ne fait rien que ne doit faire tout chrétien : il consacre sa vie à Jésus-Christ. Mais il peut y avoir des modalités dans cette consécration. Le religieux consacre sa vie exclusivement à Jésus-Christ.

V

Vaillance

Chez nous, on ne dit pas qu'un homme est vaillant. Vaillant, c'est presque littéraire. On dit qu'il est travaillant. Mon père avait la réputation d'être travaillant.

Valeur absolue

Passé trente ans, on n'est plus jeune, inutile de se leurrer. Infinie tristesse de ces adultes qui mendient leur place dans la jeunesse. On fausse tout le monde avec cette mentalité. On laisse croire que la jeunesse est une valeur absolue. La valeur absolue, ce n'est pas la jeunesse, c'est l'accomplissement.

Valeurs (1)

Basculer l'argent et une certaine indépendance, ce n'est pas une bien grosse affaire, car ce ne sont point là les valeurs suprêmes, mais l'amour humain est la plus haute valeur humaine. Y renoncer, c'est vraiment tout risquer.

Valeurs (2)

Les valeurs n'existent concrètement que si on les pose. Toute la question se ramasse à ceci : autour de quelles valeurs décidera-t-on d'unifier sa vie ? Encore une fois, cette question-là est posée à tout homme.

Veilleur

Au fond, et sur un plan purement humain, et sans doute un peu romantique, tel est mon sentiment : il faut des hommes qui veillent ; la cité a besoin de sentinelles, et conscientes de l'être. Custos, quid de nocte ? Sentinelle, qu'en est-il des valeurs ? Et de la plus haute valeur humaine : l'amour?

Vie (1)

On choisit son menu ou la couleur de sa cravate, mais on décide de sa vie.

Vie (2)

Ce qui fait le sens d'une vie ne se renferme pas dans une ou deux propositions.

Vie (3)

Ma mère aimait la vie, l'animation, les voyages, le monde, tout ce dont elle avait été privée. Elle était inquiète aussi, et toute sa vie elle a eu peur de quelque chose. Guéhenno parle, lui aussi, du regard apeuré de sa mère. Bretagne ou Lac-St-Jean, même pauvreté, même soumission et même peur. Pourtant, la gaîté n'était jamais loin en elle, car c'était une nature libre. 

Vie à gagner

Je voyais un homme qui devait être dans la cinquantaine, maigre, le visage blafard aux rides profondes. Cet homme-là ne travaillait pas là pour rire ; il gagnait sa vie. Mais gagner sa vie est le premier commandement : c'est la plus urgente manière d'aimer son plus proche prochain : sa femme et ses enfants.

Vie éternelle

Les religieux sont ainsi l'argument vivant de l'Église. L'Église dit au monde : il y a une vie éternelle, que vous le vouliez ou non. Cette vie éternelle vous affranchira des conditions de la vie présente : nécessité des biens matériels ; nécessité de la multiplication des âmes ; nécessité des contraintes sociales, qu'elles s'appellent lois civiles ou obéissance religieuse

Vie future

L'Église a voulu qu'il y ait des hommes et des femmes qui vivent, dès maintenant, la vie future telle qu'elle est promise à tous ceux qui cherchent Jésus-Christ, même sans le savoir. Les religieux, dans la mesure de leur générosité, vivent comme si c’était déjà arrivé.

Vie nationale

Éclusée depuis deux siècles (je simplifie), notre vie nationale a rompu l'embâcle en 1960. Ce fut la débâcle. Toutes nos grandes institutions furent mises en procès. Elles perdirent. Bon. Et après ? Il y a une fin à mettre en accusation la religion, le système hospitalier, le système scolaire, le système judiciaire, le journalisme. Que voulons-nous vraiment ? Je dis : que voulons-nous vraiment et quel prix sommes-nous disposés à payer ?

Vie religieuse

Saint Thomas compare la vie religieuse à une école. On entre en religion comme on entre à l'école. On n'entre pas à l'école parce qu'on est savant, mais pour apprendre; de même, on n'entre pas en religion parce qu'on est parfait, mais pour y tendre. Notre leçon est difficile à apprendre.

Vieillesse

Si je  « pépérise » assez loin, je ferai sans doute le plus doux, le plus serein et le plus aimable des petits vieux.

Vocation

 Toute vocation comporte une part de souvenirs, l'identification des minutes de vérité que l'on refuse de considérer comme des illusions. N'importe quoi, ou presque, peut tolérer deux lectures. C'est à chacun à décider la lecture qu'il fera de son passé, puisque le passé demeure plastique et se prête à l'introduction rétroactive de la liberté.

F I N


Retour au texte de l'auteur: Jean-Paul Desbiens, philosophe et essayiste Dernière mise à jour de cette page le dimanche 12 avril 2009 14:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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