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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean-Paul Desbiens, Appartenance et liberté. (1983)
Table des figures.


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Paul Desbiens, Appartenance et liberté. Propos recueillis par Louise Bouchard-Accolas. Chicoutimi: Les Éditions JCL., inc., 1983, 205 pp. Une édition numérique réalisée par ma grande amie de longue date, Gemma Paquet, professeure de soins infirmiers retraitée de l'enseignement au Cégep de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 20 janvier 2005 de diffuser la totalité de ses publications.]

Ces textes proviennent des écrits de Jean-Paul Desbiens, s'échelonnant de 1960 à 1983. Les extraits sélectionnés sont tirés de :

Les Insolences
Sous le soleil de la pitié
Dossier Untel
Confession d'un révolutionnaire tranquille (article)


Photo 1A.

Les plus clairs de mes souvenirs sont des souvenirs de pauvreté.

Ma mère supportait mais n'acceptait pas. L'injustice c'était l'injustice. Elle était de la race des loups maigres réduits, mais le regard qui ne se rend pas.

Humiliation, insécurité, Voilà le plus clair de la pauvreté. Il est dur d'être pauvre quand on ne sait pas pourquoi.

Les pauvres n'ont souvent pas d'enfance véritable. Leur capital d'enfance et d'émerveillement, ils n'ont pas eu l'occasion de le dépenser. Ils sont ainsi : ils n'ont point d'enfance. Et il n'en finissent plus de débloquer leur enfance tout le long de leur vie, avec ce goût de l'immédiat qui caractérise l'enfance.

Photo 1B.

Photo 2A.

Antennes de télévision sur les taudis et scandales des imbéciles nantis.

La pauvreté, certes, comporte des nécessités, mais inversement, elle libère.

Du point où j'étais, je ne pouvais que monter. C'est le confort de la pauvreté.

Aujourd'hui je ne suis plus pauvre. Dès qu'on est instruit on n'est plus pauvre.

Mon amour pèse sur ma vie : c'est toujours lui qui

fait obscurément basculer mes décisions. Je le sais

après coup.

On commence par s'aimer soi-même férocement : c'est nécessaire pour s'accoutumer à vivre ; ensuite, on ne peut plus s'aimer soi-même : on sait trop qui l'on est. L'amour humain, c'est la pitié promise.

Mon partage, c'est indivisiblement, l'angoisse et la ferveur. Delà, l'invincible besoin de communiquer.

Photo 2B.
Photo 2C.

Photo 3A.

Si j'ai voulu être professeur, c'est peut-être pour qu'il n'y ait plus, dans la mesure où cela dépend de moi, personne qui vive à tâtons. C'est peut-être pour délivrer les captifs.

Je veux expliquer. Tout simplement prouver le mouvement par la marche m'exprimer jusqu'à paraître impudique, pour bien montrer que c'est faisable, s'exprimer.

Je suis un Frère éducateur... Je veux le demeurer parce que j'y trouve un sens à ma vie. Il faut en effet que je le découvre : Personne ne peut le trouver à ma place. Je suis parti pour le Juvénat à 14 ans. Que vaut un choix fait à 14 ans ? Mais qui parle de choix ? On choisit son menu ou la couleur de sa cravate, mais on décide de sa vie. Et c'est tout le long de sa vie que l'on décide... Toute décision consiste à trancher dans le vif.

On nous engageait à choisir une « devise ». On nous prenait pour des nations ! Je choisis la devise qu'on attribue à Dollard des Ormeaux : Jusqu'au bout ! Jusqu'au bout de quoi ? Je n'en savais rien, mais il est clair que je sentais le besoin de me provoquer : on ne s'engage pas à respirer.

Photo 3B.
Photo 3C.

Photo 4A.

Un coup de chapeau à cet adolescent que je fus : logique rentré, passionné. Je n'ai pas l'impression d'avoir dépassé cet adolescent : je m'en suis plutôt écarté. Il m'attend silencieusement quelque part.

Je parle des choses passées sans nostalgie. Je peux les retrouver quand je veux. De plus, j'en ai été suffisamment nourri dans ma jeunesse pour vivre sur ces provisions jusqu'à ma mort. La grâce de ma jeunesse ; ç'aura été ça : avoir eu l'occasion, sans mérite, de faire des provisions.

Ainsi donc, le renoncement le plus radical de la vie religieuse, je le dis sans broncher, c'est le renoncement à l'amour humain... L'absence de femme dans une vie, c'est l'absence de la compagne, l'être devant qui on aurait pu dételer. L'être à qui se dire absolument...

Photo 4B.
Photo 4C.

Photo 5A.

Car la femme est un autre monde, plus radical, plus neuf, plus accordé, que le monde des mâles.

Pourquoi accepter de vivre avec ce vide, cet être en creux ? Une raison profonde, une seule : témoigner, dans la solidarité avec les pauvres, de la réalité des promesses de Jésus-Christ... Qui pense encore aux soldats de Leningrad ? Aux prisonniers, à tous ceux que la bêtise, la maladie, la laideur, la politique ont retenus en dehors du bonheur ? Qui, sinon l'homme qui a décidé  de rester dehors ?

Ne sachant point ce que c'est que d'aimer le Christ, je sais en tous cas ce que son amour est pour moi. Le non dégage, le oui engage. Je n'ai pas encore dit oui à Jésus-Christ. Mon oui se confondra sans doute avec mon dernier soupir. Mais je n'ai jamais cessé de dire non au reste.

Il s'agit toujours de se poser devant son conditionnement. Et ça, on le peut toujours. Ou alors, ne parlons plus de liberté et décidons à pile ou face.

Photo 5B.
Photo 5C.

Photo 6A.

On pourrait dire que je me définis par le renoncement, ce qui n'est pas très exaltant. Faudrait voir : on introduit en soi une immense clarté, dès que l'on a vraiment renoncé. Et il faut renoncer vivre c'est décider, et décider c'est couper.

Je dis que l'engagement dépossède. Une fois engagé on est pris, comme le dit très bien l'expression : être pris. On ne s'appartient plus ou, en tout cas on s'appartient moins. Des fois, je me trouve bête de tant me débattre. Des fois, je me dis aussi qu'on ne peut pas s'épargner et se mettre de côté, comme on met de l'argent de côté. L'argent qu'on met de côté, soi ou d'autres en profiteront ; mais si l'on se met de côté, on n'est pas sûr de pouvoir se retirer, comme on retire un chèque.

A l'hôpital, j'eus l'occasion de décaper mon vrai moi, ou en tout cas, de commencer ce travail de récupération de moi-même. Je pompiérise en appelant cela mon passage de droite à gauche. On voit du moins ce que je veux dire par là. Mais on peut s'entendre sur ceci, qui est fondamental pour la question qui nous occupe ici : l'homme de gauche, c'est l'homme qui aime la pauvreté,­l'homme de droite, c'est l'homme qui aime le pouvoir. POINT.

Photo 6B.

Photo 7A.

Ma lucidité m'a sauvé, à la longue, car les ravages ne commencent qu'au moment où nos bêtes intérieures cessent d'être vues pour ce qu'elles sont : des bêtes.

Avoir été longtemps multiples est peut être la condition pour être enfin un avec richesse.

Je voulais, moi, j'ai toujours voulu faire la preuve qu'un chrétien peut être « baveux » .

Mes textes sont des actions. Et toute action est plus ou moins sale : toute action est désespérante. On sait ça.

Je parle de ces choses avec humilité et parfaitement conscient de mon indignité et de ma fragilité. Ma façon à moi de protéger, c'est de me mettre à découvert.

Ma nature, c'est l'allégresse. Je dis ma nature, mon fonds, car superficiellement je suis assez mobile, assez vulnérable. J'ai souvent la face longue.

Photo 7B.
Photo 7C.

Photo 8A.

Il se trouve que j'ai le goût d'écrire. Dès lors, je me sens tenu d'exprimer ceux dont je suis. Je leur appartiens : je suis la part d'eux-mêmes qui . est parvenue à l'expression. Il faut sauver quelque chose de cette immense patience.

La vérité des souvenirs, c'est que la réalité y est époussetée.

J'étais plutôt jeune, en 60, et par conséquent inepte. On ne veut rien savoir ; on a bon moral, on va changer le monde. Ça ira mieux, vous verrez. On voit. La bêtise optimiste n'est pourtant pas mon fort. J'émarge plutôt à l'autre bêtise, la pessimiste, un peu moins affligeante quand même. En tout cas, moins dangeureuse pour les autres. Les prometteurs de paradis font plus de mal que les annonciateurs de catastrophes. Les premiers trouvent toujours preneurs ; les seconds, on ne les croit pas. Les contemporains de Noé ne croyaient pas au Déluge. S'ils y avaient cru, ils se seraient bâti des chaloupes.
Photo 8B.

Photo 9A.

Être un franc-tireur n'a jamais été un projet pour moi. Je pense même qu'il y aurait quelque chose de faux à vouloir délibérément être un franc-tireur.

Malgré que je sois vulnérable au terrorisme conceptuel, je continue d'affirmer qu'il n'y a pas de liberté à « gravité zéro » et je continue de préférer les libertés réelles aux libertés formelles. J'ai formellement le droit et la liberté d'être heureux et en santé ; à cela je préfère la liberté concrète d'être inconfortable et de m'user comme je l'entends, quitte à accepter les conséquences et en veillant à ne pas bâdrer la société avec mes problèmes.

Je suis un individu. Il n'y en a plus beaucoup de ma race. Je ne représente rien que moi-même et je n'accepte pas d'être représenté par qui que ce soit. Personne ne me représente.

Je ne me reconnais pas d'obédience idéologique. Je n'en avais pas au moment des Insolences et je n'en ai pas plus maintenant. Cela ne veut pas dire que je n'ai changé en rien. Vivre marque. Et je ne me suis pas mis entre parenthèses tout ce temps. Ce que je veux d'abord dire, c'est que je n'ai pas de difficulté avec moi-même quant à ma cohérence. La logique, c'est la cohérence des idées ; mais la cohérence, c'est la logique des valeurs. Un cheminement peut signifier une rupture ; il peut aussi être l'explication d'une fidélité.

Photo 9B.

Photo 10A.

Je ne me reconnais pas d'obédience idéologique. Je n'en avais pas au moment des Insolences et je n'en ai pas plus maintenant. Cela ne veut pas dire que je n'ai changé en rien. Vivre marque. Et je ne me suis pas mis entre parenthèses tout ce temps. Ce que je veux d'abord dire, c'est que je n'ai pas de difficulté avec moi-même quant à ma cohérence. La logique, c'est la cohérence des idées ; mais la cohérence, c'est la logique des valeurs. Un cheminement peut signifier une rupture ; il peut aussi être l'explication d'une fidélité.

Je suis trop sûr de mes valeurs pour m'inquiéter de mes raisons. D'ailleurs, les raisons se déplacent comme les oies : en troupe. Mais les valeurs ne se promènent pas.

Ce qui me brûle c'est de manquer à mes valeurs ; ce n'est pas de manquer à la logique. La cohérence ou, en tout cas, l'effort vers la cohérence, m'intéresse plus que le polissage de ma logique. Poli, ça veut dire usé.

Au cas que vous ne le sauriez pas, je précise que je ne suis pas démocrate par tempérament. Par tempérament, je suis féodal. Mais j'ai gagné sur moi un peu de foi en la démocratie.

Photo 10B.

Photo 11A.

Très peu, et je tiens peu au peu que j'ai ai gagné. Je tiens à rien, épouvantablement, même pas à mes idées, ces bouchons de liège qui me permettent de flotter à la surface de la prétention.

La modeste expérience que j'ai faite du pouvoir m'a marqué. De plus, elle m'a amené à beaucoup réfléchir sur l'exercice du pouvoir en général, à quoi j'étais fort incliné depuis toujours,

je dois en convenir. Tout cela m'a marqué en ceci d'abord que j'ai mesuré la lourdeur et la complexité du gouvernement, de toute forme de gouvernement. Avant de lier les autres, le pouvoir lie celui qui l'exerce. Au fond, je le savais intuitivement. Dans les Insolences, je parle de la liberté des loups maigres. Quand on est au pouvoir on est toujours un peu mâtin attaché, et le cou pelé a l'endroit du collier.

Il faut bien que j'en sorte. Enfermé entre la lâcheté et l'évidence, je choisis l'évidence. La clarté est toujours libératrice.

Photo 11B.

Photo 12A.

 C'est les autres qui nous donnent à nous-mêmes, c'est les autres qui nous définissent, au sens étymologique du terme, nous déterminent, nous situent, nous clôturent.

Voilà donc mon projet : dire où je me situe ; dire où je suis. Le dire en montrant, à ma façon, comment j'assume mon passé, comment je tâche dans le présent et quel est mon pauvre courage devant l'avenir. C'est le moment pour moi de dire ces choses. La fatigue me submergera peut-être bientôt et je ne veux pas parler selon ma fatigue, mais selon ce que j'ai reçu de courage. Je serai à gauche, à droite, à côté, où je voudrai et surtout, où je pourrai. Je ne suis pas processionneux.

Nous autres, les bêtes à mots, il ne nous suffit pas d'avoir de la peine : il faut la dire au moins à soi-même. Peut-être a-t-on moins de peine que ceux qui ne disent rien. Une peine moins absolue.

Photo 12B.
Photo 12C.

Photo 13A.

Un homme de mon âge n'en finit plus de vérifier ses positions, comme un navire. Il songe à son passé, et il pense à ses parents. Il se demande en quoi il les prolonge ; comment il s'assure que leur patience n'a pas été vaine.

Le possible, une fois réalisé, devient nécessaire. Ce que je suis devenu, il est maintenant nécessaire que je le sois.
Photo 13B.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 12 avril 2009 6:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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