RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Danny Deraps, “Le citoyen handicapé et le dépistage des maladies héréditaires.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective. Chapitre 14, pp. 115-123. Chicoutimi, Québec: Les Éditions JCL, 1994, 156 pp. [Autorisation formelle accordée par Marcel J. Mélançon le 27 septembre 2008 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales. Cette autorisation a été reconfirmée le 30 mars 2012. L’éditeur, Monsieur Jean-Claude Larouche, nous a accordé le 19 avril 2012, son autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[115]

BIOÉTHIQUE ET GÉNÉTIQUE.
Une réflexion collective.

Troisième partie. LES CITOYENS

Le citoyen handicapé
et le dépistage des maladies
héréditaires
.”

Danny Deraps


Ma contribution consistera à exposer les vues du citoyen en regard de cette problématique. Vous voudrez bien excuser la tangente que prendra mon propos, puisqu'il sera en grande partie développé à travers la lorgnette du citoyen vivant avec un handicap physique. Ceci dit, j'essaierai autant que faire se peut de ne pas orienter mon propos sur une voie à sens unique, mais bien de signaler de façon réaliste quelques-unes des ornières qui pourraient se trouver sur le chemin des personnes devant envisager des politiques cohérentes dans le domaine qui nous préoccupe aujourd'hui.

Pendant quatre ans, j'ai occupé le poste de secrétaire de la section Saguenay-Lac-Saint-Jean de l'Association canadienne de la dystrophie musculaire. Par la suite, j'ai eu le plaisir de siéger durant quatre ans au conseil d'administration de CORAMH. Au cours des dix dernières années, j'ai donc, à de nombreuses reprises, côtoyé des personnes atteintes de maladies neuromusculaires, les membres de leurs familles ainsi que des intervenants dans le domaine. Les préoccupations familiales, sociales, émotives et professionnelles de ces personnes me sont assez familières, particulièrement la problématique de l'intégration scolaire et de la faible scolarité des personnes présentant une déficience, l'impossibilité que je qualifierais de presque « héréditaire » pour la majorité de se dénicher un emploi tant soit peu rémunérateur dans une société où même les mieux portants et les mieux instruits ont peine à trouver leur place au soleil, ainsi que la question du loisir et de l'isolement affectif et social.

[116]


MES PRÉOCCUPATIONS PROFESSIONNELLES,
SOCIALES OU INDIVIDUELLES
EN REGARD DE MON EXPÉRIENCE


Un nombre croissant de personnes handicapées ainsi que les intervenants auprès d'elles, tant au Canada que dans beaucoup d'autres pays dits avancés, sont maintenant d'avis que l'éventail des politiques sociales concernant les besoins des personnes vivant avec une déficience mène à un véritable cul-de-sac. Au cours des trois dernières décennies, les gouvernements de ces pays ont adopté un grand nombre de mesures visant au bien-être et au développement physique et social de ce groupe de citoyens, mais la plupart de ces politiques ont pour caractéristique d'être morcelées, parfois incomplètes et souvent incohérentes. Pour tout dire, le tout-à-la-pièce qui prévaut dans ce domaine ne fait qu'aggraver les difficultés existantes. J'en prends pour exemple les nombreuses chasses gardées qui se sont multipliées au sein des divers ministères, et dont la mission est de répondre aux besoins spécifiques de cette catégorie marginale de citoyens, que ce soit dans le domaine de la santé, de l'éducation, du transport, du travail et des loisirs. Il arrive parfois même que deux ou plusieurs ministères aient des missions plus ou moins convergentes, alors que les politiques mises de l'avant pour arriver à leurs buts sont, en fin d'analyse, carrément antagonistes.

Mais pourquoi en est-il ainsi ? Peut-être qu'au fond les personnes présentant une déficience physique ou intellectuelle, à l'instar d'autres groupes marginaux de nos sociétés, relèvent d'une sous-culture que l'on préfère ignorer de façon plus ou moins tacite, selon l'humeur du moment. Du moins sont-elles perçues comme telles par le public, par certains intervenants, et souvent même par d'autres personnes atteintes. La marginalisation de cette sous-culture, et toutes les caractéristiques de cette marginalisation, mènent nécessairement à une limitation dans les moyens d'appropriation des pouvoirs, à un certain désintéressement des besoins de cette sous-culture par l'ensemble et, par voie de conséquence, à un état de stagnation plus ou moins prononcé.

[117]

Se pourrait-il qu'un processus identique de mise à l'écart et de désintéressement plus ou moins généralisé du public puisse éventuellement surgir pour les questions se rattachant au dépistage génétique ? Il me semble qu'il serait bon que l'on s'interroge à ce sujet. Bien que je reste optimiste et que je veuille croire au gros bon sens du public, l'exemple de la problématique du SIDA au sein de nos sociétés contemporaines, pour ne citer que celui-là, me laisse quand même songeur. C'est tout ce phénomène sournois de l'indifférence plus ou moins érigé en système qui empoisonne véritablement l'existence de nombreuses personnes présentant une ou des déficiences. Je suis profondément convaincu que le désintéressement poli de nombre d'employeurs potentiels ou de décideurs publics, qu'ils se trouvent au sein de nos commissions scolaires, dans les conseils d'administration de nos collèges et universités, dans les réseaux de transport urbains et interurbains, ou dans le domaine de la conception architecturale de nos édifices publics, est du même ordre que celui qu'affectent certains responsables des réseaux de santé qui refusent de considérer comme importante la problématique du dépistage des maladies héréditaires.

En plus du désintéressement affiché par le public et par ceux que j'appellerai, pour les besoins de la discussion, les intervenants-décideurs, il m'apparaît que les promoteurs du dépistage génétique risquent eux aussi de faire face à un autre phénomène de société, soit celui d'une marginalisation plus ou moins consciente de la problématique qui nous réunit cet après-midi. Cette marginalisation pourrait être de deux ordres. En premier lieu, on peut penser que la complexité des concepts abordés aura pour effet de reléguer à la sphère des seuls initiés les questions primordiales touchant l'ensemble des populations concernées. Si on songe que les progrès scientifiques dans le domaine des maladies génétiques se font à un rythme tel qu'ils en étonnent même les plus grands spécialistes, on peut envisager avec une quasi-certitude la possibilité que le public ne se désintéresse complètement de ces questions.

[118]

Désintéressée, parce que résignée à n'y rien comprendre, la personne de la rue aura tendance à effectuer un mouvement de recul. Il faudra donc que l'éducation des citoyens sur le sujet se fasse avec d'infinies précautions, tout en tenant compte de l'évolution des mentalités et des croyances de chacun.

L'autre écueil que le dépistage génétique pourrait rencontrer sur son chemin serait peut-être lié à la nature même des syndromes en cause. Tant et aussi longtemps que nos concitoyens n'auront pas saisi toute l'importance que prend le gène anormal dans un très grand nombre de maladies, le dépistage génétique sera voué à la sphère de l'épiphénomène. Si on veut éviter cet écueil, les intervenants-décideurs du domaine médical devront s'atteler à la tâche de faire comprendre à leurs concitoyens qu'au moins 60 % d'entre eux développeront ou mourront d'une maladie déterminée génétiquement. Dans un tel contexte, le travail de sensibilisation auprès de la population entrepris par CORAMH il y a nombre d'années devrait être mieux soutenu financièrement et son modèle d'organisation et de travail, repris à une plus large échelle.

Au cours de mes nombreux contacts avec les personnes présentant une déficience, j'ai aussi été à même de constater que ces personnes sont souvent les victimes autant de l'indifférence et de la mise à l'écart au sein de notre société, que d'un manque criant de moyens de tout ordre. Point n'est besoin d'élaborer longuement sur le sujet : ces personnes sont, pour la plupart, dans une situation financière précaire et doivent se résigner à vivre de l'aide sociale. Bien sûr, nos sociétés acceptent en principe le fait que les personnes handicapées aptes au travail puissent participer à la course à l'emploi au même titre que leurs concitoyens bien portants, sauf que l'ignorance et les préjugés minent la portée des politiques incitatives dans ce domaine. Mal à l'aise et peu sensibilisés à ces questions, nos concitoyens considèrent comme relevant du symbole l'embauche de personnes handicapées aptes au travail. Selon un récent sondage Décima auquel la Presse canadienne [119] faisait écho le 9 mars 1993, le syndrome du « pas dans ma cour » est une attitude généralisée chez la majorité des employeurs du pays. Et que dire des politiques d'incitation à l'embauche qui rencontrent une vive opposition pour ne pas dire une fin de non-recevoir de la part de nombreuses entreprises et de syndicats ?

Ce type de discrimination larvée auquel fait face un nombre croissant de personnes présentant une déficience risque de prendre une tournure plus dramatique avec la venue de tests diagnostiques plus raffinés. On peut en effet craindre que les personnes dont les tests révèlent qu'elles sont porteuses d'un gène anormal ne soient l'objet d'une véritable discrimination, en particulier de la part de certains employeurs, d'intervenants-décideurs du domaine médical ou scolaire, ainsi que de compagnies d'assurances. À ce propos, il a été plus d'une fois porté à ma connaissance que certaines compagnies d'assurances refusaient carrément d'assurer des personnes atteintes de dystrophie myotonique. Aujourd'hui les personnes présentant une déficience apparente, demain les porteurs ? La question est posée.

Les mesures actuelles de protection de la confidentialité devront donc être renforcées afin que les informations recueillies au cours d'un test de dépistage ne tombent pas entre les mains d'une tierce personne, d'un assureur ou d'un employeur mal intentionnés. Dans la même veine, les organisations du type Medic Alert devront elles aussi être réglementées, car l'apparition des micro-puces rend désormais possible l'implantation d'une information codée et complète, ce qui signifie que cette même information est disponible en tout temps pour quiconque a en sa possession l'équipement de lecture standard.

Dans un futur qui n'est pas si lointain on peut envisager que la demande de services génétiques sera énorme : pour le diagnostic prénatal et le conseil, mais aussi pour le suivi, le traitement et la prévention, pour ceux chez qui un gène anormal a été [120] dépisté. Bien qu'extrêmement dispendieux, ces services devront être accessibles au plus grand nombre. L'attitude du « pas dans ma cour » devra être mise à l'écart et les intervenants-décideurs devront s'assurer que la redistribution des budgets dans ce domaine se fasse équitablement, sans chercher à favoriser les grands centres au détriment des régions plus affectées, toute proportion gardée, par la problématique de la transmission d'anomalies à caractère génétique. Le nombre de conseillers et de conseillères en génétique devra aussi être accru de façon substantielle au Canada comme dans la plupart des pays industrialisés du reste. À ce propos, certains d'entre vous seront peut-être étonnés d'apprendre que les États-Unis ne comptent guère plus de deux mille spécialistes en ce domaine.

Ce n'est pas faire le procès des médecins généralistes que d'affirmer que beaucoup d'entre eux et d'entre elles ont une préparation tout à fait insuffisante lorsqu'il s'agit de diagnostiquer certains syndromes de nature neuromusculaire comme la dystrophie myotonique de Steinert par exemple. Il m'est parfois arrivé d'en constater le fait en conversant avec des personnes présentant ce type de déficience. De même, une demi-vérité présentée par un médecin non spécialiste fera mentir les nouvelles connaissances dans le domaine de la génétique. C'est pourquoi il faudra trouver le moyen de transposer toutes ces nouvelles connaissances au sein même du corps médical et des organisations régionales de santé, afin que la population d'ici puisse être à même d'en tirer bénéfice. Cette nouvelle facette de la médecine moderne, soit celle du pronostic, ne doit pas avoir valeur accessoire, mais bien être vue comme étant un complément véritable à sa vocation actuelle de diagnostiquer la nature des nombreux syndromes qui nous affligent. Ce qui me fait dire que les tests de dépistage devraient faire partie intégrante des programmes de santé provinciaux, avec le caractère de gratuité universelle que cela exige. Surtout que dans le cas de plusieurs maladies à caractère génétique, ces tests de dépistage sont, pour l'heure, tout ce que nous avons pour en limiter la progression.

[121]


LES SOLUTIONS ENVISAGÉES

Tout au long des pages qui précèdent, je me suis attardé à décrire par l'oblique quelques-unes des situations auxquelles je fus confronté lors de mes rencontres avec des personnes ayant une déficience de type neuromusculaire. Ce faisant, j'ai essayé de tisser un lien entre ces situations particulières et ce que devrait être ce nouveau phénomène de la médecine moderne qu'est le dépistage génétique. Le point fort du message que je désire livrer est le suivant : le dépistage génétique ne pourrait être en bout de ligne que ce que nous voudrons bien qu'il soit, tout comme la situation sociale des personnes ayant une déficience est, pour l'heure, ce que nous en avons fait au cours des vingt dernières années. À ce titre, nombreux sont ceux qui, comme moi, conviennent que sans être vraiment désespéré, le bilan social des personnes handicapées souffre de lacunes sévères que l'on tarde à corriger. N'est-il pas désespérant de constater qu'après plus de trente ans de revendications incessantes, les personnes vivant avec une ou des déficiences en sont encore à réclamer plus de stationnements réservés et un accès plus aisé à tous les édifices publics ? Il ne viendrait jamais à l'esprit de nos transporteurs de refuser l'accès à leurs autocars circulant sur les routes interrégionales de la province à certaines minorités visibles ; pourtant, ne le font-elles pas dans le cas de personnes âgées, de personnes avec mobilité réduite ou circulant en fauteuil roulant ? Les coûts d'installation de leviers hydrauliques sur ces véhicules sont-ils à ce point prohibitifs que l'on refuse à 10 % de la population le droit le plus élémentaire au transport interrégional ?

Afin d'éviter que l'histoire ne devienne qu'un éternel recommencement dans le domaine du dépistage génétique, il m'apparaît souhaitable que des mesures concrètes de diffusion de l'information soient prises dans le but de contrer l'indifférence et le désintéressement que le public pourrait entretenir à l'égard des questions qui nous préoccupent aujourd'hui. Ces questions ne touchent pas que quelques familles disséminées [122] ici et là sur notre vaste territoire, mais bien l'ensemble de nos collectivités. Pour la première fois de notre histoire, les progrès fulgurants de l'étude du génome humain obligeront nos sociétés à élaborer une vision globale de la maladie et des individus, qu'ils soient de simples porteurs ou qu'ils présentent les symptômes d'une maladie à caractère génétique. La vision singulière de ces questions devra donc céder le pas à une responsabilisation collective à tous les niveaux, et ce, sans aucune espèce d' exception.

De même faudra-t-il trouver des façons inédites de propager les nouvelles connaissances dans le domaine de la génétique afin que ce que j'ai qualifié de phénomène de la « marginalisation sociale » des déficiences ne puisse émerger. À ce titre, il me semblerait approprié qu'une vaste étude sociologique sur les causes profondes des préjugés et des appréhensions qu'entretient la majorité de nos concitoyens face au SIDA, pour ne citer que ce syndrome, soit entreprise afin de servir à orienter les positions des intervenants-décideurs dans le domaine des maladies à caractère génétique. Il me semble qu'il y aurait là des leçons à tirer pour ne pas retomber dans les mêmes ornières que celles qui se trouvent sur le chemin de nos concitoyens sidéens.

De même, afin que l'ensemble de notre population puisse avoir accès aux nouvelles connaissances acquises dans le domaine de la génétique, et ce, dans une perspective globale où les visions individuelles sur le sujet seront traitées avec respect et considération, un plus grand nombre d'organismes à vocation identique à celle de CORAMH devront être mis sur pied. Ces organismes devraient avoir pour mission d'informer tous les secteurs de nos sociétés de l'existence des maladies héréditaires et des progrès récents de la science génétique. Et j'irais même jusqu'à leur attribuer un rôle complémentaire, soit celui de promouvoir l'adoption de mesures accrues de sauvegarde de la confidentialité des tests diagnostiques.

[123]

Je termine cet exposé en formulant le souhait que, dès à présent, nos sociétés cherchent à intéresser et à former un plus grand nombre de conseillers et de conseillères en génétique afin de répondre à la demande de services de counselling de tous ordres qui sera énorme. Et il est à souhaiter que ces services seront offerts aussi bien dans les grands centres qu'en région, là où l'incidence des maladies héréditaires est la plus grande.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 17:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref