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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

État fédéral et syndicalisme (1988)
Introduction


Roch DENIS, État fédéral et syndicalisme”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Yves Bélanger, Dorval Brunelle et collaborateurs, L'ère des libéraux. Le pouvoir fédéral de 1963 à 1984, pp. 257-293. Montréal: Les Presses de l'Université du Québec, 1988, 442 pp.  [Autorisation accordée par l’auteur en janvier 2003.]

Introduction

Dans le mémoire qu'elle présente en avril 1968 à la Commission fédérale d'enquête Woods sur l'état des relations de travail, la Chambre de commerce du Canada dresse un constat sévère où se mêlent inquiétude et réprobation : « l'équilibre de force raisonnable » qui doit exister entre le patronat et les syndicats, constate la Chambre, est « actuellement rompu » au Canada, en faveur de ces derniers [1]

L'organisme patronal entend réagir à une situation qui n'a pas cessé de s'amplifier depuis le début des années 60, aussi bien sur les scènes provinciales que fédérale. Cette situation est marquée notamment par une croissance spectaculaire de la syndicalisation, par la montée des revendications et des augmentations salariales, par « l'épidémie des grèves » et des grèves illégales, la violation des injonctions et un esprit général de combativité et de contestation au sein du mouvement syndical. 

On a reproché au gouvernement fédéral d'avoir encouragé ces processus en consentant des hausses de salaires de 30% aux débardeurs des ports de Montréal, Québec et Trois-Rivières, qui avaient déclenché la grève en mars 1966 contre l'avis de leurs dirigeants syndicaux. Le gouvernement libéral de Lester B. Pearson a dû céder des augmentations semblables aux travailleurs de la voie maritime et depuis ce temps, les milieux patronaux stigmatisent ce qu'ils appellent la « formule Pearson » de règlement des conflits de travail. 

Pourtant le gouvernement fédéral n'a pas de ligne cohérente à opposer aux nouvelles turbulences qui secouent la scène sociale canadienne et s'il fait des concessions d'un côté, il résiste de l'autre, par exemple, en légiférant pour briser la grève des travailleurs non itinérants des chemins de fer, au mois de septembre 1966. Mais c'est aussi au même moment qu'il crée la grande équipe spécialisée en relations de travail présidée par le doyen de la Faculté des arts et des sciences de l'Université McGill, H.D. Woods, afin de trouver des solutions aux problèmes. Après avoir enquêté au Canada et dans plusieurs pays pendant deux ans, elle remettra son rapport au nouveau premier ministre libéral, Pierre E. Trudeau, le 31 décembre 1968. Entre temps, cependant, le gouvernement Pearson n'a pas été capable de contenir la vague revendicative qui monte du secteur publie et, avant même que l'équipe spécialisée ait pu terminer ses travaux, il concède tous les droits de la négociation collective, y compris le droit de grève, aux fonctionnaires et à tous les employés du secteur public fédéral. Les grèves de reconnaissance syndicale gagnées par les employés des postes au Québec et en Colombie-Britannique et la percée générale réalisée au Québec, en 1965, ont été irrésistibles. 

Voilà donc dans quel contexte s'ouvre la période que nous étudions. De grands changements sont enclenchés dès le milieu des années 60 et parce qu'ils touchent à tant d'aspects quantitatifs et qualitatifs, on peut dire que c'est une nouvelle période historique des rapports entre le capital et le travail qui s'ouvre au Canada avec les années du pouvoir libéral à Ottawa. Depuis les lois spéciales anti-grèves jusqu'à la première grève générale « pancanadienne » de 1976, en passant par le Programme de lutte anti-inflation de 1975 (PLI), les contrôles de 1982 (les 6 et 5%) et les tentatives manquées de réaliser la concertation bipartite ou tripartite, tout y passe. Et si la stabilité a déjà prévalu dans les relations de travail au Canada, à partir des années 60 celle-ci n'est plus que souvenir d'une époque révolue. 

L'étude des rapports du travail pendant cette période ne peut pas être une entreprise individuelle. Comme nous venons tout juste de l'illustrer, trop d'aspects sont impliqués pour qu'une telle étude soit autre chose qu'un projet de travail collectif. Il faudrait situer la recherche dans la conjoncture internationale qui est à bien des égards marquée par les mêmes processus. Prendre en compte directement l'évolution de la situation économique, essayer de mesurer l'impact des développements économiques et sociaux aux États-Unis sur les relations de travail au Canada. Il faudrait aussi intégrer à la recherche les développements majeurs qui ont lieu sur le plan politique, notamment en ce qui touche la crise constitutionnelle et le mouvement national québécois et étudier leurs retombées, non seulement sur les relations entre les diverses composantes québécoise et canadienne-anglaise du mouvement ouvrier, mais sur les relations mêmes du syndicalisme avec l’État fédéral. Nous ne pouvons pas prétendre intégrer toutes ces dimensions à notre travail. 

L'analyse de l'évolution des relations entre État et syndicalisme rencontre un obstacle supplémentaire au Canada, relié à la division politique du travail entre le fédéral et les provinces pour la gestion des rapports entre le patronat, l'État et les syndicats. Même en voulant se limiter à n'étudier que les secteurs qui relèvent d'Ottawa comme la fonction publique fédérale, les sociétés de la Couronne, les transports, les communications, les postes, un éclairage adéquat de l'objet de notre étude nécessiterait qu'on dresse un tableau de l'évolution des rapports du travail dans les provinces pendant la même période. Car si, à première vue, les secteurs et la main-d’œuvre qui relèvent du fédéral sont bien distincts de ceux qui sont du ressort provincial, en pratique l'orientation et l'intervention de l'État canadien ont souvent été influencées par des développements survenus dans l'une ou l'autre des provinces, tout comme l'action fédérale a eu ses répercussions au palier provincial. 

La période que nous étudions est même particulièrement propice en exemples de cette interaction, mais nous n'avons ici ni l'espace ni les moyens pour en faire une analyse exhaustive. Nous pourrons néanmoins constater qu'après des décennies d'une évolution relativement parallèle et cloisonnée (sauf évidemment au moment des guerres) du fédéral et des provinces en matière de relations de travail, on assiste pendant les 21 ans de l'ère libérale, à un certain « décloisonnement » des modes d'intervention. Le fédéral intervient davantage et avec plus d'impact, et chaque palier de la sphère étatique parait davantage s'inscrire dans un partage des tâches au service de politiques de plus en plus similaires, comme si l'on voyait se réaliser là l'un des terrains privilégiés du fédéralisme coopératif... Décloisonnement, rapprochement ou plus grande concertation institutionnelle fédérale- provinciale face aux secousses qui agitent la scène des rapports sociaux, il s'agit d'une caractéristique de la période sur laquelle nous reviendrons. 

Même si la mise en garde peut paraître rituelle, notre travail ne devrait donc pas être considéré en dehors de ces limites. Il faut ajouter que la recherche sur ce champ d'étude au Québec reste fort peu développée. Les chercheurs se sont surtout intéressés à l'étude des rapports du travail dans cette province, plutôt qu'aux rapports du mouvement syndical canadien et de l'État fédéral dans leur ensemble. 

Dans une première partie, nous présenterons un certain nombre de données sur le développement du mouvement syndical depuis le début des années 60, parce qu'il nous semble que ce rappel est le point de départ essentiel de toute compréhension de la transformation des rapports État fédéral/ syndicalisme dans la période étudiée. Dans la deuxième partie, nous analyserons plus directement les faits marquants et les caractéristiques de ces rapports et nous tenterons en conclusion de dégager certains éléments d'interprétation générale.


[1]     Chambre de commerce du Canada, « Mémoire » présenté à l'Équipe spécialisée en relations de travail, Montréal, avril 1968, dans Bureau du Conseil privé, Les relations du travail au Canada, Rapport de l'Équipe spécialisée, Ottawa, Imprimeur de la Reine, décembre 1968, p. 102.


Retour au texte de l'auteur: Roch Denis, politologue québécois Dernière mise à jour de cette page le mardi 13 février 2007 7:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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