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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La politique économique canadienne 1968-1984 – II . (1985)
Conclusion


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Deblock (Christian) et Perreault (Denis), “ La politique économique canadienne 1968-1984 – II ”. Un article publié dans la revue Conjonctures et politique. Revue québécoise d’analyse et de débat, no 6 (La politique en excursion), printemps 1985, Études et documents. (pp. 157 à 181). Montréal : Les Éditions Saint-Martin. [Autorisation accordée lundi le 23 juin 2003].

Conclusion

De l'analyse de la politique économique canadienne de 1968 à 1984 nous pouvons tirer trois conclusions.

En premier lieu, trois sous-périodes subdivisent nettement cette période, exceptionnelle par sa longévité, exceptionnelle aussi par le contexte particulier de passage de la croissance à la crise dans laquelle elle s'inscrit. D'une période à l'autre, d'importants changements, tant dans l'ordre des priorités que dans le contenu de la politique économique, doivent être notés. Ces changements, nous les avons interprétés dans la perspective particulière d'une transition critique entre deux modèles de croissance et donc entre deux modèles de gestion étatique. Temps de ruptures, la crise est aussi le temps des « remises en ordre », comme le rappelle Attali, un processus qui ne prendra forme que progressivement, au Canada comme ailleurs [note 37].

Période charnière, période de retournement dans la croissance, la période 1968-1984 s'inscrit nettement en continuité avec le passé. En dépit des difficultés croissantes rencontrées par les autorités, tant dans la réalisation des objectifs nationaux, dans les domaines du développement industriel et régional que dans la poursuite des grands équilibres de la croissance, la politique économique restera marquée par le modèle de gestion étatique de l'après-guerre. Les politiques macroéconomiques resteront l'outil privilégié d'une stabilisation contracyclique, mais renforcée, de la croissance. Les politiques de développement resteront, de leur côté, et en dépit de la forte poussée de nationalisme économique de cette période, orientées sur la substitution à l'importation et la promotion du capital national dans un contexte d'ouverture sur l'extérieur et d'interdépendance avec les États-Unis.

L'année 1975 marque le passage de la gestion de la croissance à une première forme de gestion de la crise qui demeurera jusqu'à la fin de la décennie exclusivement orientée sur la stabilisation des prix et des revenus. La lutte contre l'inflation devient, en effet, la priorité du gouvernement, et la voie de l'austérité sera adoptée de façon à permettre, dans l'esprit du gouvernement du moins, la résorption des déséquilibres inflationnistes et la restauration des conditions d'équilibre de la croissance. L'approche préconisée dans la conduite des politiques macroéconomiques sera modérée et graduelle, mais néanmoins clairement orientée sur une remise en ordre de l'économie par la discipline de la déflation, l'instauration de 1975 à 1978 de normes d'augmentation des prix et des revenus et la rigueur monétaire et financière.

La troisième période va de 1980 à 1984. Elle coïncide avec le dernier mandat du Premier ministre Trudeau. Elle est aussi marquée par l'approfondissement de la crise et le débat constitutionnel. La gestion de la crise prendra durant cette période une nouvelle forme. Le caractère structurel de la crise sera reconnu, de même que l'ampleur des mutations en cours dans les domaines de la technologie aussi bien que dans le domaine des relations internationales. Crise inflationniste, autrement dit crise du régime d'accumulation d'après-guerre, la crise était maintenant perçue comme la crise d'un modèle de développement industriel. Les priorités gouvernementales opteront durant cette période 1980-1984 pour le « renouveau économique national », la reconstitution du modèle de développement autour de nouveaux axes et la relance de l'investissement. La voie de l'adaptation dite positive et de la gestion du changement « par le bas » sera préconisée dans le but, double, de jeter les bases du nouveau modèle de développement et de rétablir la position compétitive de l'industrie canadienne.

Le rappel des orientations et du contenu de la politique économique montre que, plus que tout autre chose, c'est l'idée intuitive de « mise en ordre de l'économie » qui constitue, par-delà les tergiversations, les alternoiements et les virages successifs de la politique, le fil directeur de la politique économique canadienne de 1968 à 1984. C'est aussi elle qui lui donne cette cohérence observée avec le recul dont nous disposons pour l'analyse des virages successifs de la politique.

L'analyse permet de dégager une seconde conclusion : de réajustements ad hoc en réajustements ad hoc, nous constatons le dépérissement du modèle keynésien de gestion étatique qui fut celui du Canada d'après-guerre et la recherche de nouvelles avenues.

La remise en cause du modèle keynésien est venue essentiellement de deux choses durant la période 1968-1984 : premièrement, de son incapacité à rétablir les conditions de la croissance dans une situation à la fois de dérèglement du modèle de croissance (inflation et crise du régime d'accumulation) et de mutations profondes de l'économie, et deuxièmement, de l'effet de plus en plus perturbateur joué par la contrainte extérieure sur les politiques nationales [note 38].

Les limites du modèle keynésien face à l'inflation et au défi du changement conduiront le gouvernement libéral à se tourner d'abord vers la voie traditionnelle de la déflation, puis devant l'échec de cette approche, vers les politiques d'offre et les politiques micro-économiques. La contrainte extérieure fixera, quant à elle, au gouvernement un autre défi, celui de la stabilisation de la conjoncture, de la maîtrise du développement en économie ouverte. À ce défi, le modèle keynésien ne pouvait répondre en dehors de la traditionnelle fonction d'arbitrage entre objectifs macro-économiques contradictoires. Nous avons ainsi pu noter, à cette occasion, les difficultés de la politique monétaire à concilier les objectifs de stabilité interne et de stabilité de changes ou celles de la politique industrielle à concilier libre-échange et protection. Les limites des politiques de stabilisation et de développement définies dans une perspective nationale dans le contexte d'ouverture et d'interdépendance qui est plus que jamais celui du Canada seront très rapidement atteintes.

Une remarque doit cependant être apportée : si nous pouvons parler de dépérissement du modèle de gestion étatique d'après-guerre, nous ne pouvons pas conclure pour autant à son abandon total ni à sa substitution par un nouveau modèle clairement défini.

La politique économique restera, durant la période 1968-1984, typique des périodes de transition qu'ont toujours été, rappellons-le, en économie capitaliste, les crises. Les incertitudes quant à l'avenir et les risques toujours présents de rupture feront que la fonction économique et sociale de l'État telle que définie dans l'après-guerre ne subira que des changements à la marge; et ceci, en dépit des contradictions croissantes que ne pouvaient manquer d'entraîner sur les finances de l'État le maintien de programmes de soutien, dans un contexte de conjoncture déclinante, en dépit aussi de la crise de légitimité d'un État impuissant devant la crise qui secoue le Canada. La volonté d'un changement dans la condition des affaires économiques est néanmoins demeurée présente. Elle conduira à la création en 1982 d'une Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives économiques du Canada. Il faut aussi noter que, des « ajustements ad hoc », rendus nécessaires par l'évolution de l'économie et les impasses des politiques antérieures, émergent déjà certaines tendances, caractéristiques d'un nouveau type de gestion de l'économie. Les contraintes de compétitivité qu'imposent l'interdépendance et l'ouverture montrent notamment la nécessité d'une flexibilité plus grande des prix et des salaires, et des conditions de travail. Elles poussent aussi à remplacer les politiques existantes de sécurité du revenu par des politiques de régulation et de soutien ex-post, moins perturbatrices. Elles poussent enfin, sur le plan économique, le gouvernement à être plus sélectif et plus discriminant dans ses politiques de subvention.

Enfin, c'est la troisième conclusion, il ressort de cette période que si les changements de politique ont été nombreux, force est aussi de constater la médiocrité des résultats et les impasses dans lesquelles se trouve la politique économique canadienne à la fin de cette période.

Le laxisme du gouvernement à l'égard des questions économiques et les erreurs de politiques ont souvent été invoqués pour expliquer les difficultés de l'économie canadienne. Ces critiques, malgré leur valeur, présentent le double défaut de faire rapidement de l'État le bouc émissaire de la crise et d'ignorer le rôle joué par l'État dans la reconstitution des conditions d'accumulation. Une part de responsabilité dans la dégradation de la situation économique canadienne incombe cependant à la conduite de la politique économique. Il est difficile de le nier. Trois facteurs, en particulier, contribueront à cet état de fait:

a) L'inadaptation de l'administration de la fonction économique de l'État au contexte de la crise ;
b) la nature des choix qui ont été pris pour favoriser la remise en ordre de l'économie ;
c) l'incapacité du gouvernement central de réaliser les consensus nécessaires.

Un premier point ressort, en effet de cette période : les retards pris par le gouvernement à modifier ses politiques. Les changements de politique ont toujours été provoqués par la conjoncture économique et les impasses de la politique antérieure.

L'administration de la fonction économique a été considérablement améliorée durant la période Trudeau. Les réformes administratives auront notamment permis d'améliorer la prise de décision, de mieux coordonner les politiques et de mieux concilier rigueur financière et fonction de l'État. Néanmoins, le mode d'intervention de l'État est resté, durant cette période, lui aussi en continuité avec son modèle historique : limité, palliatif et correctif, conformément à la théorie du contre-poids. Les défauts de ce modèle étaient déjà visibles durant les années de croissance. Ils le seront davantage dans cette période de crise que traverse le Canada. La voie du volontarisme industriel de la planification sera toujours rejetée durant cette période, et les moyens mis en oeuvre, sans commune mesure avec les objectifs visés. L'exemple du document, Le développement économique du Canada dans les années 80, politique-cadre morte-née faute de contenu et d'un engagement de la part de l'État, illustre ceci.

Une certaine part de responsabilité dans la détérioration de la conjoncture durant la période 1968-1984 tient en second lieu au contenu même des politiques et aux choix qui ont pu être pris pour rétablir les conditions de la croissance.

Le pragmatisme politique, la prudence et la recherche du compromis et du consensus auront été une ligne de conduite de la politique économique canadienne de 1968 à 1984. Et, ainsi que nous l'avons noté à plusieurs reprises, cela aura permis de tempérer certains choix et de maintenir des garde-fous. La gestion de la croissance, puis celle de la crise furent malgré tout très libérales d'esprit. Cela correspondait à la conception de l'État contrepoids dont nous faisions état plus haut, mais aussi à la conception d'une politique économique assise sur les présupposés d'équilibre économique et d'auto-ajustement de l'économie. L'intervention de l'État sera ainsi définie en rapport avec des conditions d'équilibre à maintenir (1968-1974), à retrouver (1975-1979) ou à recréer (1980-1984). Elle le sera aussi en fonction de mécanismes de régulation marchande qu'il s'agira de compléter par des politiques de stabilisation (modèle keynésien de 1968-1974) ou de renforcer par des politiques monétaires restrictives (modèle monétariste, 1975-1979) et des politiques d'ajustement positives (modèle de l'offre, 1980-1984). Illusoire sur le plan des résultats, coûteuse sur le plan humain, cette approche conduira la politique économique canadienne d'impasse en impasse et laissera planer continuellement sur l'économie canadienne le risque de la dépression et de la désindustrialisation.

Enfin, jamais le gouvernement fédéral n'est parvenu à obtenir le consensus nécessaire autour de ses politiques. Le programme de lutte contre l'inflation fut rejetée tant par les milieux d'affaire que par les représentants du monde du travail. Quant à la stratégie de renouveau économique, elle ne suscita que méfiance et hostilité de la part des provinces, et guère d'intérêt de la part des milieux d'affaires et syndicaux. Indépendamment de son contenu et des conditions intrinsèques à remplir, toute politique économique nécessite pour sa mise en oeuvre et la réalisation de ses objectifs un climat de confiance et un consensus national, en période de crise plus que jamais. Pour des raisons différentes, jamais le gouvernement fédéral n'est parvenu à rallier à ses politiques les différents partenaires sociaux. Faute de ce consensus, les politiques étaient vouées dès le départ à déboucher, soit sur des situations d'affrontement, soit sur des situations d'isolement du gouvernement central. Dans un cas comme dans l'autre, l'impasse était inévitable.

Christian Deblock et Denis Perreault

Notes:

37. Voir à ce sujet, entre autres, Jean-Louis Reiffers, Économie et finances internationales, Paris, Dunod, 1984 (sous la direction de) ; Henri Bourguinat, Processus d'internationalisation et autonomie de décision, Paris, Economica ; Mollis Chenery, Changements de structures et politiques de développement, Paris, Economica, 1979 ; Alain Lipietz, « Le fordisme périphérique étranglé par le monétarisme », Paris, Cepremap, 1984.

38. Jacques Attali, « Le concept de crise en théorie économique l'ordre par le bruit », Xavier Greffe et Jean-Louis Reiffers, L'occident en désarroi : rupture d'un système économique, Paris, Dunod, 1978, p. 29.

Retour au texte de l'auteur: Christian Deblock, économiste, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 février 2007 9:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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