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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“ La politique économique canadienne 1968-1984 – I ”. (1985)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Deblock (Christian) et Perreault (Denis), “ La politique économique canadienne 1968-1984 – I ”. Un article publié dans la revue Conjonctures et politique. Revue québécoise d’analyse et de débat, no 6 (Le politique interrogé), printemps 1985, Études et documents. (pp. 175 à 193). Montréal : Les Éditions Saint-Martin. [Autorisation accordée lundi le 23 juin 2003]

Introduction

Au Canada comme ailleurs, l'État central fut, dans l'après-guerre, interventionniste sur le plan économique et le plein emploi constitua, avec toutes les nuances qu'il convient d'apporter, l'objectif prioritaire de la politique économique [note 1]. Comme ailleurs également, le keynésianisme, auquel sera associé l'interventionnisme, donnera à ce dernier la légitimité indispensable pour marquer, et ceci positivement, de sa présence l'évolution économique et sociale de la société canadienne, et à la politique économique il conférera le cadre analytique organisateur nécessaire pour penser pouvoir, comme ce sera le cas, encadrer et réguler la croissance. Notons toutefois que l'interventionnisme demeura au Canada, et ce malgré les pressions des différents courants nationalistes et l'existence de nombreux problèmes structurels, davantage marqué par cet esprit voyant dans l'État un contrepoids et un élément de correction plutôt que ce levier de développement ou ce moteur de la croissance souhaité par certains [note 2].

On peut voir là le reflet des options et des orientations fondamentales des deux principaux partis politiques, tous deux imbus de libéralisme, tous deux peu enclins à aller à l'encontre des milieux d'affaires, tous deux peu intéressés à remettre en cause la présence envahissante de l'investissement américain. Cependant, à l'encontre de ceux qui ont toujours cru voir dans un État central fort et dans l'élaboration d'une véritable stratégie économique le moyen de réaliser la « souveraineté technologique et économique » ou le plein emploi, il faut aussi noter que l'autonomie dont pouvait disposer l'État central pour mettre en place ses politiques a toujours été inscrite à l'intérieur de limites aussi objectives qu'implicites. L'intervention de l'État a plutôt été considérée au Canada (vision à laquelle se ralliera le gouvernement Trudeau) comme une intervention de nécessité et de dernière instance pour corriger, dans l'intérêt du public, les travers de l'économie de marché, pour pallier ses insuffisances et faire contrepoids, le cas échéant, aux égoïsmes individuels. Marquée des sceaux du réalisme politique pessimiste et de l'utopisme économique si caractéristiques de la pensée libérale classique, ce « système d'initiative mixte » présentait le double défaut de ne faire de l'interventionnisme qu'un interventionnisme par carence, toujours empreint de mauvaise conscience, toujours à la recherche de compromis et de consensus, et de croire qu'avec le temps, les problèmes finiraient par se résorber [note 3]. La croissance soutenue de l'économie dans les années soixante et l'amélioration constante du niveau de vie paraissaient encore être la meilleure justification de cette approche et le meilleur argument contre la critique.

Sur la base de telles prémisses, la politique économique ne pouvait être ni directive ni organisatrice. En l'absence de la planification et d'une stratégie économique qu'impliquerait cette direction, la politique économique se réduisait essentiellement à trois choses : à un ensemble de programmes visant à impulser la croissance et à créer un climat environnant favorable, au mixage contracyclique des politiques sectorielles et spatiales. Parmi ces dernières, on retrouvait notamment les politiques régionales à caractère redistributif et un semblant de politique industrielle orientée sur la substitution à l'importation, la polarisation au centre et l'attrait des investissements étrangers.

Avec toutes les réserves qu'il convient encore une fois d'apporter, il est possible d'avancer que seules les politiques macroéconomiques de soutien et de stabilisation de la demande avaient une quelconque articulation. La cause doit en être imputée en partie au fait que le ministère des Finances, jouissant d'une situation privilégiée, voire impériale, par rapport aux autres ministères dans l'élaboration des politiques, et en partie à l'emphase mise sur la gestion de la demande plutôt que sur la gestion de l'offre pour les raisons déjà invoquées. Mais, contrairement à d'autres pays, le gouvernement n'a jamais vraiment su disposer de l'entière panoplie des leviers économiques ni toujours pu réaliser le mixage souhaité des politiques. L'ouverture du Canada sur l'extérieur, cette variable exogène si perturbatrice de la politique keynésienne, limitait la manipulation des taux d'intérêt à des fins internes et rendait la politique monétaire dépendante du comportement du dollar canadien sur les marchés des changes. La difficulté de trouver une adhésion consensuelle, tant de la part des milieux d'affaires que des syndicats, rendait également difficile d'utilisation, l'instrument de la politique des revenus. Comme le dit très bien Wolfe, le chômage constituait encore au Canada la meilleure discipline des revendications salariales [note 4].

Les particularités et les bases d'application du modèle keynésien au Canada feront que la croissance ne se fera pas sans distorsion ni perte d'autonomie. Le modèle lui-même était très fragile, dépendant qu'il était de la contrainte extérieure et de la direction prise par le rapport de force avec le mouvement syndical. Mais à la fin des années soixante, si la persistance de certains problèmes structurels et la présence d'une inflation rampante pouvaient susciter quelques inquiétudes, rien ne semblait remettre fondamentalement en cause le modèle keynésien de politique économique. Le débat portait alors sur la question de savoir s'il fallait élargir le rôle de l'État ou renforcer les politiques existantes plutôt que sur les fondements et les limites du modèle lui-même [note 5]. L'économie canadienne, aux yeux de beaucoup, paraissait en 1967 avoir atteint sa maturité et un niveau de prospérité que la présence rassurante du contrepoids de l'État et la maîtrise qu'il semblait avoir acquise sur le cours de la croissance semblaient garantir « ad aeternam ». Les principaux indicateurs économiques en faisaient foi. « Au début de la décennie 70, note rétrospectivement la Revue économique, nul n'aurait pu prévoir le nombre et l'importance des problèmes et des nouvelles tendances qui sont apparus. L’inflation constituait certes un problème ennuyeux, en 1970, mais qui se comparaît à plusieurs autres questions... Étant donné la croissance économique soutenue qu'avaient apportée les années soixante, de plus en plus on considérait les récessions comme étant choses du passé. Une hausse constante du niveau de vie semblait assurée, vu les fortes améliorations de productivité enregistrées pendant la décennie 1960. Les années d'expansion industrielle avaient considérablement renforcé le secteur manufacturier canadien et il semblait que l'activité économique allait continuer de graviter autour des provinces centrales » [note 6].

C'est dans ce climat de très grande confiance en l'avenir que Trudeau, celui en qui les médias voyaient déjà un Kennedy canadien, allait accéder au pouvoir en 1968... En fait, la décennie des années 70 produira l'effet d'une douche froide.

« Il s'était présenté, écriva Radwanski, comme l'homme capable de moderniser le mécanisme de la prise de décision et de voir d'un oeil nouveau les grands problèmes du pays, mais il avait peu de brillantes solutions en tête et refusait de s'engager dans des dépenses folles » [note 7]. Quant à Marc Lalonde, il dira de lui qu'en matière d'économie, il était plutôt conservateur, il réagissait aux conseils de la finance et de la Banque du Canada que l'inflation inquiétait toutes deux grandement... Il n'a jamais eu la prétention d'être bon économiste : il se fiait plutôt à ses conseillers financiers. Ces deux jugements nous permettent de situer l'orientation qui sera donnée à la politique économique sous son gouvernement, une orientation marquée par la recherche obstinée de la croissance non inflationniste et animée par cette volonté d'adapter l'État aux nouvelles réalités économiques sans pour autant avoir trop d'idées quant à la stratégie à suivre ni par quoi remplacer le modèle keynésien périmé sur lequel semblait reposer la croissance passée.

Ne nous y trompons toutefois pas. Par-delà les indécisions et les alternoiements, la politique économique ira dans la double direction d'une « remise en ordre » de l'économie et d'un remodelage du développement. Et, par-delà ce pragmatisme de bon aloi qui animera le gouvernement dans la gestion des affaires économiques, une nouvelle conception de l'État et de la politique commence à prendre forme. Ce sont les deux idées que nous voulons faire ressortir de l'analyse des changements successifs d'orientation et de conduite de la politique économique canadienne de 1968 à 1984, soit celles de transition entre deux modèles de croissance et de transition entre deux modèles de gestion étatique.

Nous avons, dans un article antérieur [note 8], proposé un découpage temporel de la politique économique canadienne de 1968 à 1983 en trois phases successives [note 9]. Nous le reprendrons ici en réitérant néanmoins les réserves alors exprimées à l'égard de cette reconstruction que nous permet le recul du temps. Il importe notamment de souligner que les virages successifs de la politique économique ne constituèrent jamais des ruptures brutales mais, plutôt des changements de cap, fermes sans doute, mais empreints malgré tout d'une certaine volonté de continuité, de modération et de progressivité. Soulignons également que la cohérence que nous prêtons aujourd'hui à chacune des trois périodes est analytique et « post facto ». Prises sous la pression des faits, les orientations nouvelles données à la politique économique ne le furent pas sans ce tâtonnement ni ce pragmatisme que le recul du temps permet d'oublier. Ce qui nous permettra, par contre, de cerner le découpage temporel c'est d'une part, le glissement de la politique économique qui s'est opéré sur une dizaine d'années, passant d'une gestion libérale de la croissance à une gestion libérale en deux temps de la crise, d'abord axée, à partir de 1975, sur la lutte contre l'inflation puis, à partir de 1980, sur la relance du développement et, d'autre part, une fois le mythe de l'efficacité à toute épreuve de l'État-providence écroulé, pour reprendre l'expression de Jean-Marie Vincent, les difficultés et les contradictions croissantes éprouvées par l'État à se doter d'une nouvelle légitimité [note 10].


Notes:

1. Voir à ce sujet, entre autres, Le Collectif, « Emploi et politiques économiques au Canada », dans Interventions économiques, nos 12-13, printemps 1984, pp. 91-102 ; Vincent van Schendel, « Les débats sur te plein emploi au Canada : perspectives historiques », dans Interventions économiques, nos 12-13, printemps 1984, pp. 125-36 ; Nixon Aple, « The Rose and Fall of Full Employment Capitalism », dans Studies in Political Economy, no 4, Fait 1980 ; et Diane Bellemare et Lise Poulin-Simon, Le plein emploi, pourquoi ?, Montréal, P.U.Q., 1983.

2. Voir à ce sujet, Leo Panitch, The Canadian State. Political Economy and Political Power, Toronto, University of Toronto Press, 1977, (sous la direction de); Dimitri Roussopoulos, The Political Economy of the State, Montréal, Black Rose Books, 1973.

3. James Laxer et Robert Laxer, Le Canada des libéraux : Pierre-Elliot Trudeau, et la survivance de la Confédération, Montréal, Québec-Amérique, 1978,

4. Leo Panitch, op. cit.

5. Cet extrait d'une conférence de John Shepherd donnée en 1978, me paraît être tout à fait significatif de cette position qui prévaut encore aujourd'hui, notamment au Conseil des sciences du Canada. « ... l'adaptation de l'économie keynésienne, plus adaptée à de grandes économies autonomes... nous a caché la nécessité de politiques discrétionnaires dans une économie en voie de développement telle que celle du Canada. En conséquence, nous n'aurons pas tenu compte des nombreux avertissements de ceux qui nous rappelaient que le Canada se trouve dans une situation particulière et que l'introduction de philosophies et de politiques plus adaptées à des économies développées risquait de leur être néfaste ». (John J. Sherpherd, « Vers une stratégie économique pour le Canada : la reprise en main de notre économie politique », dans Série de conférences en l'honneur de Walter L. Gordon, 1978-1979, vol. 3, Toronto, 1979, p. 12).

6. Ministère des Finances, Revue économique, perspective sur la décennie, 1970-1979, Ottawa, 1980, p. 1.

7. George Radwanski, Trudeau, Montréal, Fidès, 1979, p. 277.

8. Christian Deblock, « La politique économique canadienne à la dérive ? », dans Interventions économiques, no 11, août 1983.

9. La périodisation recoupe les cycles économiques et les cycles politiques. L'emphase sera surtout mise sur le rapport existant entre la politique et la conjoncture économique. La conjoncture politique et les débats électoraux exerceront une influence non-négligeable sur l'évolution de la politique économique. Nous y ferons référence mais, sans cependant analyser cette influence en profondeur.

10. Jean-Marie Vincent, Les mensonges de l'État, Paris, Sycomore.

Retour au texte de l'auteur: Christian Deblock, économiste, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 février 2007 9:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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