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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'organisation du travail, enjeu de la lutte de classes ” (1980)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Hélène David, “ L'organisation du travail, enjeu de la lutte de classes ”. Un article publié dans Travailler au Québec, Actes du colloque 1980 de l’Association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française (pp. 11-34). Montréal: Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1981, 427 pp. [Mme David est sociologue, chercheure à l’Institut de recherche appliquée sur le travail (IRAT). [Autorisation accordée par l'auteure le 8 juin 2004 de diffuser la totalité de ses publications]
Introduction (1)

Identifier les enjeux actuels que pose l'organisation du travail exige qu'on situe les affrontements dont il est l'objet dans la lutte de classes. C'est donc viser à comprendre pourquoi, à ce moment-ci, la bourgeoisie a besoin de recourir à diverses formes particulières d'organisation du travail pour maintenir sa domination non seulement sur le procès de travail, mais aussi plus largement sur l'ensemble de la société.

Le procès de travail est, en effet, au cœur de tout système économique parce qu'il est le processus par lequel les hommes et les femmes transforment des matières premières en produits (2) à l'aide d'outils, de machines ou de systèmes automatiques. Le procès de travail est central à l'économie capitaliste spécifiquement parce que les processus de valorisation et d'accumulation du capital ne peuvent se réaliser que dans la production de valeurs d'usage (3). C'est pourquoi le principe explicatif des transformations que subit - c'est-à-dire des différentes formes que prend - le procès de travail relève des exigences contradictoires de l'évolution du système capitaliste (4).

Trop d'analyses présentent les formes actuelles et prédominantes d'organisation du travail comme les résultantes d'un processus en quelque sorte « naturel » d'évolution de la société. L'exploitation des travailleurs-euses, leur assujettissement à des formes d'organisation du travail visant avant tout à augmenter les profits et à assurer aux patrons et à leur classe le contrôle total du procès de production se nomme alors « développement » ou encore « industrialisation ».

Les postulats de ce type d'analyse ont même profondément pénétré la problématique des partis communistes, des organisations et des courants qui s'y rattachent (5). La croissance des moyens de production y est en effet considérée comme le facteur déterminant en lui-même de la maturation des conditions propres à la révolution socialiste alors que les conditions subjectives, c'est-à-dire l'état des rapports sociaux - et avant tout l'organisation politique de la classe ouvrière, sont ignorées (6).

Parmi les courants se réclamant du marxisme plusieurs théoriciens, fortement marqués par le structuralisme, ont contesté cette vision économiste et ont prétendu la renverser en attribuant la primauté aux rapports sociaux. Mais en centrant leur analyse sur la complexité, la diversité et la structure des mécanismes de domination de classe et en mettant de côté la question de savoir si le capitalisme assure encore le développement des forces productives, ils n'ont pas davantage mis les rapports sociaux au centre de leur perspective.

En se centrant uniquement sur les multiples processus de domination de classe, les tenants de ce courant ont totalement évacué le processus central de l'histoire - et donc le principe de transformation de toute société : la lutte des classes. Les enjeux et les diverses manifestations de la lutte de classes, l'état des rapports de force entre les classes selon les conjonctures sont absents de ces analyses.

Depuis quelques années, l'émergence et l'amplification des luttes ouvrières contre les conditions de travail ont amené plusieurs chercheurs marxistes de différentes disciplines à s'intéresser à l'organisation du travail. De différentes manières, ils se sont interrogés sur la place du procès de travail dans l'évolution et le fonctionnement du système capitaliste. Leurs analyses ont en commun de concevoir le contrôle du procès de travail comme un enjeu majeur de la lutte de classes, y compris dans les États ouvriers bureaucratiques. Ces auteurs analysent les différentes formes d'organisation du travail comme autant de tentatives patronales visant à s'assurer ce contrôle. C'est là le sens fondamental qu'ils attribuent au perpétuel affrontement entre les travailleurs-euses et les patrons sur ce terrain (7).

Toutefois, bien que ce renouveau d'intérêt pour le procès de travail procède directement de la volonté de saisir le sens et la portée des nombreuses luttes qui se mènent sur ce terrain, ces analyses ne situent pas les enjeux des luttes autour de l'organisation du travail dans le processus d'ensemble de la lutte des classes. En constituant le champ des rapports de production et, en particulier, le contrôle du procès de travail en objets d'analyse privilégiés, ces analyses ont en fait isolé ces questions en ne les articulant que théoriquement à la domination du capital.

Dans le but de situer les enjeux actuels en organisation du travail dans ce processus d'ensemble, nous tenterons de voir comment, dans la conjoncture actuelle de crise du marché mondial capitaliste, le patronat cherche à contrôler le procès de travail et aussi de comprendre pourquoi il utilise certains moyens de préférence à d'autres.

Il faut situer cette question dans la conjoncture précise d'un moment historique particulier, c'est-à-dire dans l'état des rapports de classes en général mais aussi, spécifiquement, dans la conjoncture dans le champ particulier des rapports de production. Il est alors nécessaire d'identifier les caractéristiques majeures de l'état des forces productives et des rapports de production qui pèsent sur les formes particulières des contradictions entre capital et travail que les patrons tentent de résoudre. Il s'agit, notamment, de la composition et des caractéristiques de la force de travail (telles que la qualification de la main-d’œuvre, son niveau de scolarité, le statut, le sexe, etc.) ainsi que de son niveau d'organisation et de combativité. Les caractéristiques des procédés de production et de leurs transformations sont aussi cruciales sans oublier la nature des matières premières, de leur disponibilité et des possibilités de substitution.

Dans le cadre de cette communication, nous ne pouvons prétendre répondre de manière complète à cette question qui constitue, en soi, tout un programme de recherche. De portée beaucoup plus limitée, notre exposé vise avant tout à mettre en relief les principales conclusions d'autres analyses plus fouillées réalisées au cours des dernières années (8). Nous commencerons, dans une première partie, par dégager le sens du discours actuel de la bourgeoisie sur l'organisation du travail pour analyser ensuite ses principales stratégies. Un aspect des effets conjugués de ces stratégies patronales sera analysé plus en détail. Ensuite, dans une seconde partie, les conséquences de ces stratégies seront analysées en tant qu'enjeux de la lutte que les travailleurs-euses mènent pour la reconnaissance de leurs capacités individuelles et collectives, c'est-à-dire de la valeur de leur force de travail.

Notes:

(1) Le texte qui suit est une version largement remaniée de la communication prononcée lors de la session d'ouverture du colloque Travailler au Québec organisé par l'ACSALF et tenu à Québec les 15 et 16 mai 1980.

(2) Il s'agit ici d'une définition générique où les matières premières et les produits peuvent être matériels ou immatériels, des objets inanimés ou des personnes. Par exemple, un patient malade peut être considéré comme une « matière première » que des soins transforment en personne guérie, « produit » final.

(3) Au sujet du procès du travail, de la production de valeurs d'usage et de la valeur d'échange, voir le chapitre VII du premier livre du Capital.

(4) C'est là l'objet spécifique de l'étude de l'organisation du travail, qui a trait aux différentes formes que prend le procès de travail. Ces formes se définissent par la caractérisation des trois éléments constitutifs du procès de travail (la force de travail, les moyens de production, les matières premières) ainsi que de leurs rapports. Ainsi, dans la section IV du livre 1 du Capital, Marx distingue la coopération simple, la coopération supérieure (la manufacture) et le machinisme (la grande industrie); se sont ajoutées, depuis, des formes nouvelles qui constituent le point culminant du machinisme : le fordisme et les systèmes automatiques.

(5) i.e. les partis liés à l'appareil international du Kremlin, des organisations syndicales et des courants de pensée animés par des intellectuels et des universitaires qui y sont liés.

(6) Il est hors de notre propos ici de discuter de l'autre postulat fondamental de cette analyse, à savoir que le capitalisme est encore en mesure d'assurer la croissance des forces productives et donc, que les conditions pour passer à un autre mode de production ne sont pas réunies. Pour un exposé clair et concis de la thèse de la «révolution technique et scientifique» selon un de ses principaux théoriciens, Richta, voir la critique de Benjamin Coriat dans Science, technique et capital, Paris, Seuil, 1976, pp. 21-61.

(7) Harry Braverman, Travail et capitalisme monopoliste. La dégradation du travail au XXe siècle, Paris, Maspero, 1976, traduit de l'américain. Benjamin Coriat, L'Atelier et le chronomètre, Paris, Christian Bourgeois, 1979. Andrew L. Friedman, Industry & Labour. Class Struggle at Work and Monopoly Capitalism, Londres, MacMillan, 1977. André Gorz (sous la direction de), Critique de la division du travail, Paris, Seuil, 1973. Robert Linhart, « Procès de travail et division de la classe ouvrière», dans La Division du travail, Colloque de Dourdan, Paris, Éditions Galilée, 1978, pp. 23-24. Stephen Marglin, «Origines et fonctions de la parcellisation des tâches», dans Critique de la division du travail, op. cit., pp. 41-90. David Montgomery, «The new unionism and the transformation of workers' consciousness in America, 1909-1922», Journal of Social History, vol. 7, no 4, été 1974, pp. 509-529. Theo Nichols et Beynon Hun, Living with Capitalism Class Relations and the Modern Factory, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1977. Christian Palloix, «Le procès de travail. Du fordisme au néo-fordisme», La Pensée, n° 185, 1976, pp. 37-60. Canadian Dimension, nos spéciaux : Industrial Democracy : Leading the Workers down the Garden Path, vol. 12, n° 3, juillet 1977, et Baille for the Work-Place, vol. 14, n° 3, déc. 1979. C.F.D.T., Les Dégâts du progrès. Les travailleurs face au changement technique, Paris, Seuil, 1977. Le Syndicat et l'organisation du travail. L'expérience de la CGT italienne, Paris, Éditions Galilée, 1978, traduit de l'italien.

(8) Voir les ouvrages cités précédemment.

Revenir à l'auteure: Mme Hélène David, sociologue-chercheure. Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 février 2007 8:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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