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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Hélène David, “Les incidences du vieillissement au travail. Une perspective écologique.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Rodrigue Blouin, Gilles Ferland, Alain Larocque, Claude Rondeau et Lise Poulin Simon, Vieillir en emploi, chapitre 2, pp. 31-50. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1991, 199 pp. Actes du 46e congrès annuel des relations industrielles organisé par le département des relations industrielles de l'Université Laval, avril 1991. [Autorisation accordée par l'auteure le 20 janvier 2010 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales]

[31]

Hélène David

Sociologue, Institut de recherche appliquée sur le travail Montréal

Les incidences
du vieillissement au travail.
Une perspective écologique
.”

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Rodrigue Blouin, Gilles Ferland, Alain Larocque, Claude Rondeau et Lise Poulin Simon, Vieillir en emploi, chapitre 2, pp. 31-50. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 1991, 199 pp.



Le gaspillage de notre société, que j'appelle le syndrome de Détroit [...] incorpore l'obsolescence dans toute notre pensée et notre production. Seul le nouveau modèle est désirable, vendable, profitable. La mentalité de Détroit nous a gagnés comme société [...] On gaspille des gens qui ne peuvent produire aux sommets que nous estimons productifs. Ce sont des rebuts, des déchets [...] Nous les jetons aux ordures et, avant, nous les entreposons dans des institutions. Nous en faisons des légumes bons à rien sauf pour le tas d'ordures.
MAGGIE KUHN,
fondatrice des Panthères grises aux États-Unis [1]



La nécessité
d'une perspective écologique


Je vous propose d'aborder la question des incidences du vieillissement au travail dans une perspective écologique parce que celle-ci se préoccupe des milieux dans lesquels vivent et se reproduisent les êtres vivants ainsi que des rapports de ces êtres avec leur milieu. Une telle approche est actuellement nécessaire parce que dans les sociétés industrielles avancées, dont font partie le Québec et le Canada, les individus avancent en âge au sein de sociétés elles-mêmes vieillissantes, ce qui influence fortement la façon de [32] percevoir et de traiter le vieillissement individuel. De plus, le vieillissement collectif [2] (ou démographique) s'accentue ici alors que l'économie connaît des transformations importantes à l'échelle mondiale.

Si on néglige de situer le processus de vieillissement collectif dans le contexte économique, politique et social actuel, et si on n'articule pas le vieillissement individuel aux tendances démographiques lourdes de notre société, on risque de passer à côté de la question et de ne voir qu'un problème particulier et circonscrit, celui des personnes âgées, que le reste de la population aurait à régler à ses frais. Au contraire, le vieillissement individuel d'un nombre croissant de personnes, couplé au vieillissement collectif, dans le contexte actuel, soulève des enjeux d'une ampleur considérable à l'égard de toutes nos institutions et de tous les groupes sociaux [3].

Une perspective écologique tient pour acquis que les interventions sur les êtres vivants modifient leur milieu ; en retour, les transformations de leur milieu affectent aussi les êtres vivants. Mais actuellement, on est souvent davantage conscient de cette interaction en ce qui a trait à la faune et à la flore qu'à l'égard des êtres humains, de leurs collectivités et de leurs milieux de vie et de travail. C'est pourquoi je vous propose une analogie avec notre façon de traiter ce qu'on appelle « la nature » dans le but de pousser la réflexion et d'encourager les débats. Plus particulièrement, je vous propose de comparer l'évolution dans notre façon de traiter les déchets et dans celle de concevoir et de vivre nos rapports avec la partie la plus âgée de notre collectivité. Loin de moi, cependant, l'intention d'une métaphore méprisante à l'égard des membres les plus âgés de notre société. Le terme déchet dérive du verbe déchoir qui signifie « tomber dans un état inférieur à celui dans lequel on était ». C'est bien ce qui arrive à une grande partie d'entre eux, à cause de la manière dont on les traite, comme l'a déclaré Maggie Kuhn, et non en raison de leurs caractéristiques et conduites personnelles.

[33]

Le traitement des déchets

Vous vous rappelez sans doute l'époque où les déchets n'étaient qu'une question domestique. On se contentait d'apporter la poubelle familiale de l'arrière-cour au trottoir, les bons jours de la semaine, afin de s'assurer qu'elle soit vidée. Pas de questions sur le volume généré par son ménage, son entourage ou par l'industrie, ni sur la destination de ces ordures. Éloignés de notre vue et de notre odorat, ces déchets, somme toute, n'existaient plus.

Puis, la concentration urbaine et la transformation des modes de production et de consommation ont considérablement amplifié le volume des déchets et ont posé le problème opérationnel de leur disparition. On a alors créé des systèmes publics de gestion des déchets (transport vers des destinations plus éloignées, construction de systèmes de combustion, transformation par enfouissement, engloutissement). Ce mode de gestion, plus complexe, a encore réussi à soustraire les déchets à la perception immédiate des résidents. Mais ont ensuite surgi, pour les contribuables et les autorités locales, des problèmes de coûts et, pour les populations qui vivaient à proximité des sites de dépôt ou de transformation, des effets désagréables et même toxiques. Les protestations de ces populations ont non seulement rendu perceptibles les ordures qu'on croyait disparues, mais ont aussi fait apparaître certaines de leurs conséquences.

À l'heure actuelle, ces questions étant loin d'être résolues, divers mouvements se sont organisés pour qu'elles deviennent l'objet de débats politiques. La population se rend ainsi davantage compte de l'énormité croissante des déchets produits, de l'impossibilité d'en faire disparaître une proportion considérable, ainsi que des effets nocifs de leur réabsorption [4] devenue inévitable. Cette prise de conscience nous renvoie maintenant à nos modes de production et de consommation producteurs de gaspillage et de toxicité ; modes de production qui épuisent aussi des ressources peu ou pas renouvelables.

Le traitement des personnes
arrivées au terme de leur vie de travail


Au Canada, la période analogue à celle d'un traitement uniquement domestique des déchets n'est pas si lointaine. Une fois terminée sa vie de travail, lorsqu'une personne n'avait plus de revenu d'emploi, il n'y avait pas de revenu de remplacement de source publique. Ce n'est qu'en 1927 (en [34] 1936 au Québec) que les personnes de 70 ans et plus ont pu toucher une pension de vieillesse minime, et encore, seulement si elles étaient indigentes. Selon le courant de pensée prédominant, assurer sa sécurité financière pour ses vieux jours était une responsabilité individuelle et familiale. La vie après le travail n'était donc ni du ressort des entreprises ni de celui de l'État. La classe dirigeante d'alors estimait que des prestations d'un régime public auraient constitué un encouragement à la paresse et à l'imprévoyance [5].

Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale qu'on a lentement élaboré un système de gestion plus complexe des salariés vieillissants dont les employeurs voulaient se débarrasser. Faute d'un régime public de rentes, c'est par l'essor des régimes privés de retraite que ce système a commencé à être constitué [6], principalement sous les pressions du mouvement syndical qui revendiquait le droit à la retraite (c'est-à-dire le droit au repos et à un revenu de remplacement). Au cours des décennies suivantes, diverses mesures de sécurité du revenu pour les personnes âgées ou retraitées ont ensuite graduellement été adoptées par les pouvoirs publics [7].

Puis, au cours des années 80, en guise de solution à des taux élevés de chômage, comme dans la plupart des pays industriels avancés, les politiques publiques et d'entreprises se sont ici conjuguées pour accélérer la sortie de la vie active des travailleuses et travailleurs en bonifiant de diverses manières les prestations liées à des départs précoces.

Mais ces dernières années, la hausse de la proportion des personnes âgées [8] a commencé à semer l'inquiétude parmi ceux qui n'y voient qu'un problème de contrôle de la croissance des coûts alors que, simultanément, les personnes vieillissantes et âgées et leurs familles ont commencé à protester contre le manque de ressources pour maintenir leur autonomie et [35] éviter d'avoir recours à des ressources institutionnelles lourdes (hébergement, hospitalisation). Elles ont commencé à se regrouper en différentes associations pour revendiquer leurs droits et défendre leurs intérêts face aux conséquences de ces mesures ou, encore, à cause de l'inaction des pouvoirs publics dans certains dossiers [9].

On observe donc un certain nombre de réactions aux contradictions créées par les politiques d'exclusion de l'emploi et de marginalisation sociale des personnes vieillissantes ou âgées. Ainsi, plusieurs mesures adoptées par les gouvernements, dans l'intention de se déresponsabiliser à l'égard des personnes qui ne sont plus sur le marché du travail, rognent maintenant les prestations qu'ils avaient précédemment décidé d'accorder aux personnes âgées ou retraitées, dans le but de les amener à quitter le marché du travail [10]. Les inquiétudes des gestionnaires des régimes de sécurité sociale de différents pays, face au détournement de ces régimes de leurs finalités propres par les autorités politiques [11], sont aussi symptomatiques.

L'évidence de l'impasse vers laquelle nous nous dirigeons doit maintenant nous faire aller au-delà de ces réactions et déboucher sur un examen systématique de notre mode d'organisation sociale, car nos institutions sont encore actuellement conçues pour une société en expansion démographique et économique. Le vieillissement collectif de notre société, ainsi que l'augmentation en nombre et en proportion de la population la plus âgée, [36] résulte d'aspirations profondes maintenant réalisées : la maîtrise de la fécondité et des risques pour la santé ainsi que l'allongement de la durée de la vie. En ce sens, il est le fruit de plusieurs victoires ; mais nous n'en avons pas encore pris la mesure. Il est donc temps, comme société, que nous cessions de tenir les personnes les plus âgées de notre collectivité responsables de difficultés dues à notre propre aveuglement et à notre inertie, et que nous cessions de craindre un avenir collectif où notre vieillissement sera nécessairement beaucoup plus visible. Il est temps de se réorganiser pour tenir compte de ce que nous sommes en train de devenir - une société vieillissante - et d'amorcer un virage qui prend appui sur les points forts - il y en a plusieurs - de cette nouvelle situation.

Un pionnier réputé de la gérontologie sociale réaffirmait récemment [12] que les enjeux majeurs actuels, face à la vieillesse et au vieillissement, ne sont plus les exigences de la nature, mais plutôt les choix que permet une société. Mais on ne s'est pas encore interrogé sur les choix qui sous-tendent l'utilisation des ressources les plus précieuses que nous ayons : nous-mêmes. Comment permet-on aux adultes dans notre société d'avancer en âge ? Dans quel état et comment arrivent ces personnes à l'orée de la période qui suit celle de la vie active ? Ont-elles pu utiliser et exploiter leur potentiel ou, au contraire, en a-t-on abusé si bien qu'elles sont prématurément usées et se sentent comme des rebuts, des déchets, comme le dit Maggie Kuhn ?

Dans une société productiviste et individualiste comme celle dans laquelle nous vivons, le rôle principal de l'emploi et du travail, des revenus et de l'accès à différentes ressources qui en découlent n'a plus à être démontré. L'emploi influence aussi fortement les modalités de sortie de la vie active, ainsi que le revenu disponible à la retraite, à cause d'une conception des régimes de rentes et de sécurité du revenu qui articule celui-ci autour des revenus d'emploi au cours de la vie antérieure de travail.


Mais a-t-on le choix
de vieillir en emploi ?

Pour se donner les moyens de répondre à la question, commençons par en préciser les termes. « On » se réfère à la population active actuellement au travail ou en recherche d'emploi. Arbitrairement, décidons qu'à partir de 45 ans environ, on peut se permettre de parler de travailleuses et de travailleurs [37] « vieillissants », signifiant par là que diverses manifestations d'un vieillissement continu s'accumulent et sont plus évidentes à partir de cet âge chronologique [13].

D'où provient la possibilité d'avoir un tel choix ? La société qui permet les choix dont parle Maddox n'est pas une abstraction. Concrètement, ces permissions se manifestent dans les orientations, les politiques et les pratiques des institutions qui détiennent le pouvoir dans la société : l'État, les différents gouvernements, les directions d'entreprises - dont les décisions sont parfois infléchies par les actions de groupes sociaux organisés tels que les syndicats.

La question ainsi reformulée, demandons-nous donc si les institutions qui structurent les politiques et les pratiques d'emploi, de travail, de revenu et de sécurité sociale donnent actuellement aux personnes de 45 ans et plus, qui font partie de la population active, la possibilité de vivre les transformations qui accompagnent leur avancement en âge, en continuant à avoir une activité de travail, à être sur le marché du travail.


Les obstacles à l'emploi
parmi la population active
de 45 à 64 ans


Au sein de la population active, la tendance à abandonner le marché du travail s'amorce maintenant déjà parmi le groupe des personnes de 45 à 54 ans et s'accentue ensuite fortement. Cette tendance est aussi de plus en plus prononcée depuis plus d'une décennie [14]. si bien qu'en 1990, moins de la moitié (43,5%) des hommes et des femmes de 55 à 64 ans faisaient encore partie de la population active. Compte tenu de l'ampleur du phénomène et des catégories d'âge où il se manifeste, on ne peut l'attribuer à une somme de choix individuels rendus possibles par l'accès à d'autres sources de [38] revenu que l'emploi. L'éventail des facteurs auxquels on attribue généralement [15] l'amplification de la baisse du taux d'activité parmi les 45-64 ans est assez large et peut être divisé selon qu'il s'agit d'obstacles à l'emploi ou d'incitations à quitter le marché du travail.

Les obstacles

Le marché du travail

L'accélération des transformations de l'économie et des changements technologiques est un facteur important et lourd de conséquences. D'une transformation de la demande d'emploi résulte un déplacement des emplois de l'industrie vers les services et un taux de chômage élevé. On note également un autre phénomène majeur, soit l'émergence d'un nouveau mode de régulation du rapport salarial qui se manifeste par la recherche de flexibilité de la part des employeurs, la dualisation de l'économie et la précarisation d'une proportion croissante d'emplois [16]. Bien que ces tendances soient générales et débordent donc largement la question de la main-d’oeuvre vieillissante, elles n'en ont pas moins des conséquences importantes sur celle-ci. Mais ce qu'on observe sur le marché du travail résulte de politiques et de pratiques précises de la part des gouvernements et des entreprises.

Les politiques gouvernementales

Au Canada et au Québec, en plus des politiques et pratiques qui sous-tendent ces tendances principales, on estime qu'il y a également absence de politiques et de programmes appropriés de formation et de recyclage, [39] d'orientation et de placement pour les travailleuses et travailleurs vieillissants en recherche d'emploi qui vivent des périodes de chômage particulièrement longues [17]. Il semble aussi que les rares programmes en vigueur ne répondent pas aux besoins particuliers de cette catégorie de main-d'oeuvre. Enfin, dans l'application des rares programmes existants, on relève des failles importantes telles que des attitudes discriminatoires à l'égard des personnes vieillissantes qui s'y inscrivent [18].

Les politiques et les pratiques d'entreprises

Plusieurs politiques et pratiques d'entreprises contribuent aussi à ce que des salariés vieillissants ne puissent demeurer en emploi.

À cause de la généralisation du salariat, la majorité des personnes en emploi sont tenues de se soumettre à la politique et aux pratiques (qu'elles soient décidées unilatéralement ou négociées) de l'entreprise où elles travaillent en ce qui a trait aux modalités de sortie de leur vie active. Rares sont celles qui peuvent, comme Caillou La Pierre, sortir du havre à 86 ans et revenir avec sa barge si chargée de morue qu'elle ne pouvait accoster !, aux dires de Gilles Vigneault. Ce n'est donc pas un hasard si les occupations où la proportion de personnes avancées en âge est la plus élevée sont celles où on est ou peut être à son compte [19] (les professions libérales traditionnelles, l'agriculture, la vente) et adapter ses conditions de travail à la transformation de ses capacités avec l'avancement en âge.

De manière générale, les analyses soulignent que les entreprises gèrent trop souvent leur main-d'oeuvre sans tenir compte des transformations profondes qui ont marqué la population active au cours des dernières décennies alors que sa composition selon l'âge, le sexe, l'origine ethnique et culturelle [40] ou, encore, la situation familiale n'est plus du tout la même. Les rares programmes qui dénotent une préoccupation à l'égard du vieillissement au travail ne visent habituellement que les salariés les plus âgés à quelques années de leur retraite ; en ce sens, on ne tient donc pas encore compte du fait que, maintenant, c'est l'ensemble de la main-d'oeuvre qui vieillit [20].

Pour diverses raisons (changements technologiques, passage à la production continue ou, encore, recherche de l'excellence), certaines entreprises considèrent que le rajeunissement de leur main-d'oeuvre est devenu nécessaire. Dans un contexte de ralentissement économique où il y a peu ou pas d'expansion, lorsqu'elles ne peuvent créer de nouveaux postes, elles tentent alors souvent d'amener le personnel plus âgé à quitter afin d'en libérer. Dans certains cas, les moyens utilisées sont de nature plutôt coercitive. Il peut s'agir d'examens pour garder son poste, transformé par des changements technologiques sans que l'entreprise ait organisé un recyclage approprié, de nouvelles exigences d'accès aux autres postes ou, encore, de la retraite obligatoire à un âge déterminé.

Ainsi, dans une décision qui n'a pas fait l'unanimité, la Cour suprême du Canada a donné raison, en décembre dernier, à l'administration de l'Hôpital général de Vancouver. La retraite obligatoire à 65 ans, pour les médecins qui y sont rattachés, a été acceptée par la Cour à cause des « préoccupations institutionnelles » de l'hôpital qu'elle estime fondées :

[la] capacité [des hôpitaux] de se maintenir à la fine pointe des découvertes et des nouvelles idées « exige le concours permanent de nouveaux membres ». Elle dépend plus particulièrement [...] de leur capacité d'accueillir régulièrement au sein de leur personnel des jeunes médecins qui, en raison de leur formation récente, sont pleinement au courant des dernières théories, découvertes et techniques. Et comme les hôpitaux sont tout autant que les universités « un système fermé ayant des ressources limitées », cet apport régulier que fournissent les jeunes avec leur vitalité et leurs idées ne peut être réalisé que par le départ concomitant de certains des membres qui font déjà partie du personnel [21]. (L'italique est de nous.)

On trouve souvent associées à ce que la Cour suprême a pudiquement appelé des « préoccupations institutionnelles » des attitudes et des pratiques explicitement discriminatoires, c'est-à-dire l'interprétation de l'âge d'une [41] personne comme un indice de ses capacités ou de sa productivité au travail. Quand une administration veut embaucher du nouveau et jeune personnel sans en avoir les moyens, quoi de plus simple que d'attribuer diverses faiblesses et lacunes professionnelles à ceux et celles qu'on veut mettre au rebut, pour faire de la place ? Ainsi, dans la décision citée précédemment, les juges majoritaires se sont rendus aux arguments de la direction de l'hôpital et ont affirmé que les médecins ayant atteint 65 ans

seront de moins en moins capables de faire preuve de la haute compétence que le Vancouver General attend de ses médecins. L'expérience de tous les jours montre que le rythme de détérioration des compétences et des aptitudes essentielles à la pratique de la médecine varie considérablement d'un individu à l'autre. Mais elle enseigne également, et la preuve le confirme généralement, qu'en règle générale cette détérioration s'accentuera lorsqu'une personne atteindra les dernières étapes de sa vie [p. 526].

La juge L'Heureux-Dubé s'est cependant opposée à de telles généralisations en soulignant que

les médecins font face tous les jours à la nécessité d'une formation permanente et doivent continuellement faire des efforts pour se tenir au fait [...] qu'un médecin célèbre ses 40, 50 ou 60 ans ne modifie pas plus cet état de choses que l'arrivée de son 65e anniversaire. La compétence est menacée par plusieurs facteurs, mais l'âge n'en fait pas nécessairement partie [22].

Et la juge Wilson, également dissidente, a soulevé et répondu à la question fondamentale qu'occultent de tels stéréotypes discriminatoires :

n'y a-t-il pas quelqu'autre moyen de fournir, tel que souhaité, des soins médicaux de haute qualité qui permettrait de reconnaître et de prendre en considération les capacités des médecins âgés de 65 ans et plus ? Je crois que la réponse à cette question est manifestement « oui »,

a-t-elle écrit dans sa décision minoritaire [23].

L'importance de cet arrêt tient non seulement au poids des décisions de la Cour suprême dans la jurisprudence [24], mais également à ce que les personnes [42] en cause dans ces décisions, des médecins (et également des professeurs d'université dans des décisions semblables rendues simultanément), ont un niveau de qualification particulièrement élevé et qu'ils exercent un travail de nature intellectuelle pour lequel on sait que, contrairement au travail physique, l'avancement en âge n'est pas problématique [25].

Cette décision importante indique donc clairement que l'érosion du droit au travail des personnes vieillissantes et de leur droit de choisir le moment de leur sortie de la vie active est très réelle. Cet arrêt du plus haut tribunal du pays légitime, en effet, la subordination de ces droits aux aléas des économies nationales et des objectifs économiques flexibles des entreprises, comme l'a souligné Anne-Marie Guillemard pour l'Europe. Derrière le droit à la retraite se profile donc, avec de plus en plus d'insistance, le rejet dans le monde des improductifs, à des âges de plus en plus hâtifs, d'une proportion importante des salariés vieillissants [26].

Les incitations à quitter la vie active

Certaines incitations à quitter la vie active ont aussi pour effet d'encourager le détournement du marché du travail. Au cours de la dernière décennie surtout, la retraite, sans être obligatoire, a pris la forme d'incitations financières diverses auprès des personnels les plus âgés pour qu'ils hâtent leur départ définitif de l'entreprise. Bien qu'en principe l'adhésion à de tels programmes de retraite anticipée soit volontaire, il est bien connu que les personnes visées qui décident de demeurer en emploi sont l'objet de fortes pressions, plus ou moins informelles et de différentes sources, pour qu'elles libèrent leur poste. De plus, des mesures semblables de la part des pouvoirs publics, telles que celles donnant accès aux prestations de la Régie des rentes du Québec dès l'âge de 60 ans, moyennant une réduction actuarielle, ou, encore, l'assouplissement de la réglementation donnant droit à une rente d'invalidité pour les plus âgés, en 1984, ont également contribué à légitimer les politiques d'expulsion des plus âgés des milieux de travail.

En ce sens, certaines mesures visant à accélérer le rythme du passage à la retraite, bien qu'assorties de dispositions pécuniaires avantageuses, renforcent néanmoins les difficultés que rencontrent les salariés vieillissants à [43] demeurer en emploi. L'accès à une retraite hâtive pour des travailleuses et travailleurs prématurément usés par des conditions de travail trop dures, dans un milieu où la possibilité d'obtenir des postes plus légers n'existe pas, ne constitue pas moins, malheureusement, la seule protection importante contre des risques accrus d'incapacité [27].

Le cheminement professionnel et les comportements
des cohortes actuelles, c'est-à-dire nées entre 1925 et 1945

Soulignons enfin que les études sur les problèmes d'emploi des travailleuses et travailleurs vieillissants précisent que parmi les générations vieillissantes actuelles, une certaine proportion a particulièrement de la difficulté à se trouver de l'emploi à cause de plusieurs caractéristiques de leur cheminement professionnel passé [28]. Il va sans dire qu'il ne représente pas un facteur déterminant parmi les obstacles à l'emploi rencontrés par les personnes de 45 à 64 ans. Cela indique plutôt la nécessité d'adopter des mesures appropriées pour tenir compte des caractéristiques propres à ceux et celles pour qui les difficultés sont plus grandes.

Il est donc évident que les obstacles à l'emploi, pour les salariés vieillissants, sont nombreux et se situent à plusieurs niveaux.


Comment l'activité de travail
affecte-t-elle le vieillissement ?

il faut maintenant examiner cette réalité en tenant compte de l'activité professionnelle des salariés, car la possibilité de vieillir en emploi est aussi fortement structurée par les conditions dans lesquelles on travaille, tout en avançant en âge.

[44]

Le rapport entre le travail et le vieillissement est un rapport de réciprocité. D'une part, les conditions dans lesquelles se fait le travail affectent le rythme d'apparition et l'ampleur des conséquences du vieillissement. D'autre part, la personne qui vit des transformations liées à son avancement en âge doit faire face aux exigences des tâches qu'elle a à exécuter dans des conditions environnementales, sociales et économiques précises [29].

L'expression courante « déformation professionnelle » en exprime les conséquences avec justesse. On entend par là une façon de réagir, qui provient d'une longue pratique d'un métier ou d'une profession, à travers laquelle on s'est à la fois construit et abîmé, à travers laquelle on a pu utiliser et maîtriser certains talents et habiletés, mais où d'autres ressources ont été épuisées ou, encore, inutilisées. Cette relation complexe de réciprocité fait dire à Catherine Cailloux-Teiger, ainsi qu'à d'autres de ses collègues, que « la question cruciale n'est pas de savoir si on vieillit, ce qui n'a pas de sens en soi, mais à quel moment on devient « trop vieux » par rapport aux exigences sociales qu'on ne peut plus satisfaire [30] ». Cette relation de réciprocité est une des clés pour saisir le processus de constitution et de renforcement des inégalités sociales, parce qu'elle révèle des facteurs qui les approfondissent quotidiennement.

Actuellement, la période au cours de laquelle on doit gagner sa vie au travail s'étend encore sur une durée de 30 à 40 ans. Pour être en mesure de poursuivre pendant une aussi longue durée, il faut évidemment pouvoir récupérer (au sens d'être capable de reproduire sa force de travail). L'utilisation des habiletés et capacités nécessaires à l'exécution des tâches requises par l'emploi se fait-elle dans des conditions qui permettent une telle récupération ? Si oui, comme pour la plupart des personnes qui détiennent un poste exigeant une grande compétence, le processus de dégénérescence associé au vieillissement peut être moins rapide, moins intense et, également, compensé par des transformations dans les modes opératoires.

Si cette récupération n'est pas possible, à cause de diverses exigences excessives de l'activité de travail et de leurs effets cumulatifs, il s'ensuit une [45] usure prématurée, c'est-à-dire une accentuation et une intensification des conséquences du vieillissement dont la mortalité plus hâtive est une des manifestations les plus évidentes. Ainsi, à partir du recensement français de 1975, Desplanques a estimé que, pour les hommes, l'écart entre ceux dont l'espérance de vie est la plus élevée (les professeurs, les ingénieurs, les cadres supérieurs et les membres de professions libérales) d'une part, et les ouvriers d'autre part, était de cinq à six ans ; l'espérance de vie des ouvriers dépassait toutefois celle des manoeuvres de trois ans [31].

Au sein d'entreprises particulières, il existe aussi des écarts importants qui témoignent de la réalité de l'usure au travail. Dans une grande municipalité du Québec, on a constaté que parmi les retraités d'une décennie complète, les cols bleus décédaient en moyenne à l'âge de 70 ans, soit près de trois ans plus tôt que les fonctionnaires au service de la même municipalité. De plus, les cols bleus qui avaient été mis à la retraite pour invalidité, bien que plus jeunes en moyenne, avaient un taux de décès de trois à six fois plus élevé que les autres [32]. Une étude finlandaise, dans un milieu équivalent, a mesuré une détérioration marquée et inattendue des capacités physiques, musculo-squelettiques et cardio-respiratoires chez des ouvriers municipaux de 44 à 58 ans, au cours d'une période de quatre ans, et l'a également attribuée à des charges de travail devenues excessives pour des salariés de cet âge [33].

Autre exemple : parmi les métiers ouvriers des imprimeries de presse en France, il s'est avéré que les rotativistes étaient plus nombreux à avoir un état de santé déficient, à quitter leur emploi pour cette raison et à mourir avant les autres. Une conjonction de facteurs, dont les effets spécifiques ne peuvent être isolés, y ont été associés : au travail posté s'ajoutaient les effets [46] du bruit, de la chaleur, des postures contraignantes et de certaines matières toxiques [34]. Dans des industries où les femmes prédominent (la couture ou l'électronique) on a même observé l'élimination pratiquement totale d'ouvrières après l'âge de 25 ans causée par les exigences de certaines situations de travail (travail de grande précision, fortes exigences perceptives, charge physique statique importante, exécution à une vitesse presque maximum) [35].

Lorsqu'on apprend, par quelques rares enquêtes [36], que les conditions de travail et environnementales auxquelles sont astreints les salariés vieillissants ne diffèrent guère de celles des plus jeunes, force est de conclure, comme le fait Volkoff pour la France,

[qu'] il n'existe pas, dans l'appareil productif, une « vaste zone protégée » où les salariés âgés pourraient trouver refuge [37].

Que se passe-t-il alors ? D'une part, il y a des stratégies individuelles de mobilité interne qui amènent les travailleurs vieillissants à quitter, par exemple, des postes sous contrainte de temps pour d'autres (dont des postes de balayage, de gardiennage et d'entretien d'espaces verts), mais au prix, évidemment, d'une déqualification et, parfois, de certaines autres contraintes [38]. D'autre part, les règles d'emploi en vigueur mènent vers l'expulsion de ceux et celles pour qui l'organisation du travail ou certaines tâches exigent [47] plus que leurs capacités. C'est alors la déclaration d'inaptitude ou d'invalidité qui conduit plus ou moins directement à la retraite obligatoire. Un nombre élevé d'années d'ancienneté, ou d'années de service reconnues pour avoir droit à une rente de retraite, joue, dans de telles conditions, un rôle de protection important à l'égard de mauvaises conditions de travail et d'emploi qui accélèrent le rythme et l'intensité du vieillissement.

Les caractéristiques des accidents du travail en fonction de l'âge sont aussi révélatrices. Au Québec, des données récentes confirment des tendances observées dans bien des pays : si l'incidence des accidents est bien moindre chez les travailleurs vieillissants que chez les plus jeunes, la durée d'indemnisation ainsi que la proportion d'accidentés qui ont ensuite des incapacités permanentes sont, au contraire, beaucoup plus élevées chez les travailleurs vieillissants. Mais ces données nationales sont trompeuses parce que les endroits où peuvent continuer à travailler les personnes plus âgées sont ceux où il y a le moins d'accidents. On note aussi que les travailleurs vieillissants qui ont des taux plus élevés d'accidents effectuent souvent des tâches habituellement dévolues aux plus jeunes [39]. Ainsi, si l'expérience et l'ancienneté semblent protéger de certains risques ceux et celles qui avancent en âge, il demeure que lorsque l'organisation du travail et les règles d'emploi ne leur permettent pas d'avoir accès à des postes moins contraignants, ces personnes peuvent en être lourdement affectées.

Mais il y a aussi lieu de se demander comment on avance en âge dans des milieux de travail où les contraintes sont moins d'ordre physique. Bien qu'on ne puisse généraliser, l'exemple des enseignantes et enseignants du primaire et du secondaire, qui vivent l'avancement en âge comme une maturation qui indique une meilleure maîtrise des différentes composantes de la tâche pédagogique, en donne une idée. Pour ces personnes, la pratique prolongée du métier est alors une source de valorisation personnelle. Toutefois, des éléments tels que les directives bureaucratiques autoritaires ou une augmentation des heures d'enseignement sont perçues comme des obstacles à la réalisation du travail de manière adéquate [40] et constituent une source [48] d'épuisement psychique [41] dont témoignent une fatigue intense, un nombre élevé de congés pour maladie et l'aspiration à une retraite hâtive.

Enfin, il ne faut pas oublier que ce qui a été vécu au travail conditionne ensuite très fortement la vie à la retraite. Des incapacités et maladies précises, parmi des salariés à la retraite, hommes et femmes, ont ainsi pu être associées à des conditions de travail particulières [42]. Cela explique en partie pourquoi certaines personnes arrivent à la retraite en forme, et d'autres, en piètre état, et vivent cette retraite plus ou moins en santé, plus ou moins longtemps.

Lorsque l'on tient compte des conditions dans lesquelles les personnes salariées travaillent, il ressort que pour pouvoir vieillir en emploi, il faut non seulement détenir un emploi et pouvoir le conserver, mais aussi avoir une activité de travail qui n'amplifie ni n'accélère les conséquences du vieillissement.


Conclusion

pour pouvoir vieillir en travaillant

Le vieillissement est un phénomène naturel, un aboutissement normal de la vie et non un phénomène pathologique. Il est défini comme l'ensemble des changements lents, continus et irréversibles qui affectent tous les êtres vivants de leur naissance à leur Mort [43].

Malgré cette évidence, il y a actuellement une scission profonde entre le vieillissement et le monde du travail. Si, du jour au lendemain, on devient vieux ou vieille aux yeux des autres parce qu'on a pris sa retraite ou qu'on reçoit une pension, inversement, au travail, on est sans âge. Pire : si on fait allusion à l'avancement en âge d'une personne au travail, c'est un signal d'alarme qui se met à clignoter et que cette personne interprète comme la proximité de la porte de sortie. En parodiant Jean-Pierre Ferland, on [49] pourrait donc dire que « quand on travaille, on a toujours trente ans ! », pourtant, avec l'allongement de la durée de la vie et la tendance à la sortie précoce de la vie active, la période qui suit s'étire maintenant au point de compter pour un bon quart de la durée de notre vie.

Tenir compte de l'avancement en âge dans les milieux de travail, ainsi que du vieillissement collectif de l'ensemble des salariés d'un établissement, ne peut évidemment pas avoir pour objectif d'arrêter le processus de vieillissement. Il est cependant possible, et maintenant nécessaire, de se préoccuper des conséquences négatives du vieillissement et d'intervenir sur les facteurs qui peuvent les susciter ou les amplifier.

Mais dans les milieux de travail, il n'y a actuellement aucun mécanisme de gestion individuelle de l'avancement en âge des salariés, en rapport avec leur travail, ni d'outils de gestion des ressources humaines appropriés pour se saisir des questions que soulève le vieillissement de l'ensemble des personnels. À défaut, deux mécanismes sont abondamment utilisés, bien qu'ils ne soient pas du tout adéquats ; ce sont les régimes d'assurance maladie-invalidité et les régimes de retraite. Le vieillissement au travail devient donc équivalent à la maladie, à l'incapacité ou à l'interdiction de travailler.

Mais cet aveuglement a aussi des conséquences sur l'ensemble du milieu de travail. Les conditions qui ont suscité des difficultés pour les salariés vieillissants dans l'accomplissement de leurs tâches demeurent. Quelle que soit la durée d'un congé pour maladie ou invalidité, à son retour, la personne est à nouveau aux prises avec les mêmes difficultés qu'avant, et les salariés plus jeunes qui ne ressentent pas encore les effets de certaines contraintes les subissent néanmoins quotidiennement et les ressentiront éventuellement sur leur propre rythme de vieillissement. Il n'est donc pas abusif d'affirmer qu'actuellement le choix de vieillir en emploi n'existe pas.

Pour que ce choix existe, il faut en premier lieu reconnaître que le vieillissement n'est pas un problème personnel. Il ne s'avère pas non plus un problème d'organisation de la production qui peut se régler par une politique de gestion des rebuts.

Les solutions ne sont pas à chercher. Elles existent depuis longtemps [44]. Elles sont connues et inventoriées, même si elles sont rarement systématiquement [50] mises en œuvre [45]. Elles ont même fait récemment l'objet de recommandations officielles ailleurs. Leurs objectifs sont 1) de contrer une répartition de l'emploi fondée sur l'exclusion des plus âgés, 2) de favoriser une adéquation entre les capacités et les aptitudes des salariés, au cours de leur avancement en âge, et les exigences des postes de travail, et 3) d'améliorer les conditions de travail actuellement nocives pour la santé parce qu'elles constituent une source de vieillissement prématuré pour toutes les personnes qui les subissent, indépendamment de leur âge [46].

Ces solutions touchent tant le contenu que l'organisation du travail tant les mécanismes permettant la mobilité du personnel que l'orientation et le placement, la formation et le recyclage ; tant le temps de travail que les modalités de passage du travail à la retraite. Elles s'appliquent dans certains cas davantage dans l'entreprise, et dans d'autres, plutôt au marché du travail et requièrent alors des initiatives de la part des pouvoirs publics. Parfois, des interventions sur les deux plans seraient nécessaires pour être efficaces. Appliquer ces solutions, dans le but d'atteindre ces objectifs, permettrait de, commencer à les mettre au point dans des situations variées et, ainsi, de les améliorer.

Mais ce qui est nécessaire avant tout, en ce moment-ci, c'est une volonté de la part du pouvoir politique et de la direction des entreprises de se saisir de l'enjeu du vieillissement au travail et en emploi pour mettre un frein au gaspillage considérable de nos ressources humaines à l'échelle de toute la collectivité. Nous avons l'avantage de voir venir le vieillissement de notre société et de pouvoir tirer profit de l'expérience d'autres qui ont été placés avant nous devant ce phénomène. Par contre, d'ici une ou deux décennies, notre rythme de vieillissement s'accélérera considérablement, si bien qu'il n'est pas trop tôt pour décider d'intervenir dès maintenant si on veut qu'il devienne possible de « vieillir en travaillant [47] ».



[1] Maggie Kuhn on Aging, A Dialogue, sous la direction de Dieter HESSEL, Philadelphie, The Westminster Press, 1977, p. 15 (notre traduction). Longtemps responsable de programmes sociaux d'Églises aux États-Unis, Maggie Kuhn a fondé les Grey Panthers en 1972.

[2] Caractérisé par une proportion plus faible de jeunes et plus grande de personnes âgées et très âgées, ainsi que par une hausse de l'âge moyen des personnes qui font partie de la population active.

[3] Susan A. McDANIEL, « Demographic Aging as a Guiding Paradigm in Canada's Welfare State », Canadian Public Policy, vol. XIII, no 3, pp. 330-336 ; R.G. EVANS, « Reading the Menu with Better Glasses : Aging and Health Policy Research », texte présenté à Connections '88, First International Symposium, Research and Public Policy on Aging and Health, Saskatoon, Saskatchewan Health Board, 1988.

[4] Par l'air, l'eau, le sol ou les aliments d'origine animale ou végétale.

[5] Diane BELLEMARE, Les stratégies collectives face à la retraite et les valeurs qui les sous-tendent, Montréal, UQAM, cahier no 8301 du LABREV, 1983.

[6] Au Canada, on est passé de 711 régimes privés en 1937 à 8 920 en 1960.

[7] En 1951, la pension de sécurité de la vieillesse est devenue accessible à 65 ans pour les personnes indigentes et à 70 ans pour toutes les autres. En 1966 ont été instaurés les régimes publics de rentes (RPC/RRQ). La même année, il a été décidé d'abaisser graduellement de 70 à 65 ans l'âge d'accès universel à la pension de sécurité de la vieillesse ; le supplément de revenu garanti s'est aussi ajouté à celle-ci pour les personnes dont le revenu était insuffisant ; en 1973 s'y est ajoutée l'allocation au conjoint.

[8] Elle est de 10% au Québec en 1990, ce qui est encore peu, comparé à certains pays européens tels que la Suède, où les 65 ans et plus comptent pour au moins 18% de la population.

[9] Fondation du Forum des citoyens âgés (FCA), en 1965, de la Fédération de l'âge d'or du Québec (FADOQ), en 1970 et de l'Association québécoise pour la défense de droits des retraités et des préretraites (AQDR), en 1980. À partir du milieu des années 80, elles entreprennent des actions en commun. À l'échelle du Canada, ces associations ont surgi sur la scène politique, à l'instigation de l'AQDR, lorsque le gouvernement fédéral a annoncé son intention de désindexer les pensions de sécurité de la vieillesse et qu'elles l'ont fait reculer.

[10] Par exemple, la diminution de la période d'accès aux prestations de l'assurance-chômage de 52 à 3 semaines pour les personnes de 65 ans et plus, en 1973, puis l'exclusion des personnes touchant une rente de retraite, de 1985 à 1987 (depuis 1985, les prestations de retraite sont considérées comme un revenu d'emploi par l'assurance-chômage) ; la tentative de désindexation des pensions de sécurité de la vieillesse, en 1985 ; les mesures fiscales récentes visant à récupérer une partie des prestations versées ; la désindexation partielle des prestations du régime complémentaire de retraite du secteur public et parapublic au Québec, en 1982.

[11] Par exemple, par l'utilisation de l'avoir de caisses prévues pour indemniser les invalides ou des personnes en chômage, pour verser des prestations complémentaires à ceux et celles qui prennent des retraites anticipées. Voir à ce sujet de nombreux articles dans la Revue internationale de sécurité sociale.

[12] Exposé de George L. Maddox à la Conférence annuelle de l'Association canadienne de gérontologie, à Victoria en octobre 1990.

[13] Le vieillissement est un processus, et non un état dans lequel on entre soudainement ; il ne débute pas à un moment chronologique précis par rapport à l'avancement en âge. Ses manifestations sont éminemment variables, en nombre et en intensité, selon les individus, leurs organes et les milieux sociaux, parce que le vieillissement est fortement marqué par les trajectoires et les habitudes de vie individuelles ainsi que par les effets de l'environnement, dont les conditions de travail.

[14] Monique FRAPPIER, Le revenu et la sécurité du revenu des aînés, pour le Groupe d'experts sur les personnes aînées formé par le ministère de la Santé et des Services sociaux, mars 1991.

[15] Deux études ont fait le relevé des travaux récents en langue anglaise sur la question : Gilles GRENIER, Les travailleurs âgés dans une société vieillissante : tendances, théories et politiques, pour Santé et Bien-être Canada, 1989 (document non publié), et Joseph A. TINDALE, Older Workers in an Aging Work Force, pour le Conseil consultatif national sur le troisième âge (à paraître en 1991).

[16] Robert BOYER, La théorie de la régulation : une analyse critique, Paris, Algama/La Découverte, 1986 ; Ginette DUSSAULT, Les enjeux de la flexibilité : revue de la littérature, Montréal, IRAT, 1988 ; Gilles LAFLAMME, Gregor MURRAY, Jacques BÉLANGER et Gilles FERLAND (dir.), La flexibilité des marchés du travail au Canada et aux États-Unis, Genève, Institut international d'études sociales, 1989.

[17] En 1989 au Québec, la durée du chômage était trois fois plus longue pour les salariés vieillissants (31,3 semaines chez les 45-54 ans et 35,9 semaines chez les 55-64 ans) que pour les jeunes (11,3 semaines chez les 15-24 ans), et près de deux fois plus longue que pour les 25-44 ans (19,0 semaines) : Monique FRAPPIER, op. cit.

[18] Voir en particulier : Conseil consultatif canadien de l'emploi et de l'immigration, Les travailleurs âgés : crise imminente sur le marché du travail, Ottawa, 1985, et Gilles GUÉRIN et Michel HÉBERT, « Les obstacles rencontrés par les personnes de 45 à 64 ans à la recherche d'un emploi », Relations industrielles, vol. 45, no 2, 1990, p. 235-266.

[19] Mervin Y.T. CHEN, Employment Patterns of Canadian Workers 65 and Older, communication présentée au Symposium on Older Workers and Retirement, 19th Annual Meeting, Victoria, Canadian Association of Gerontology, 1990.

[20] Au Canada, de 1989 à 2011, l'âge médian de la population active passera de 37 à 43 ans (Statistique Canada, Projections démographiques pour le Canada, les provinces et les territoires, 1989-2011, Ottawa, numéro de catalogue 91-520 hors série, 1991).

[21] Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483-569, p. 525.

[22] Ibid., p. 562. La juge Wilson a renchéri en affirmant qu'« on a dépeint à trop grands traits les effets néfastes du vieillissement. L'hôpital appelant soutient que le vieillissement emporte une diminution de toutes les capacités liées à l'exercice de la médecine. Ce ne peut être le cas. Par exemple, l'habilité d'établir un diagnostic peut de fait augmenter avec l'expérience [p. 551] ».

[23] Ibid., p. 553.

[24] Malgré l'article 122 de la Loi sur les normes du travail au Québec qui interdit la mise à la retraite à un âge obligatoire, on estime que cette décision pourrait influencer les décisions des tribunaux québécois.

[25] Antoine LAVILLE, « Vieillissement et travail », Le Travail humain, vol. 52, no 1, 1989, p. 3-20 ; S. PACAUD, « Le vieillissement des aptitudes : déclin des aptitudes en fonction de l'âge et du niveau d'instruction », Biotypologie, 1953, p. 65-94.

[26] Anne-Marie GUILLEMARD, Ageing and the Welfare State, texte présenté au Symposium on Population Change and European Countries, Florence, 1988.

[27] Phil LYON, Nearing Retirement : A Study of Late Working Lives, Aldershot, Gower, 1987 ; Hélène DAVID et Michel BIGAOUETTE, « Inaptitude au travail et prises de retraite chez les ouvriers d'une grande municipalité », Le Travail humain, vol. 52, no 2, 1989, p. 131-146.

[28] Ces personnes viennent souvent d'un milieu rural, et possèdent peu de scolarité et une qualification désuète ; leur expérience de travail ne leur a pas donné l'occasion de développer leur savoir-faire professionnel ni leur capacité d'adaptation au changement ; elles ont souvent travaillé à des tâches physiquement pénibles et ont maintenant une mauvaise santé ou souffrent d'une incapacité ; elles ont connu de longues périodes de chômage et des baisses de salaire et de qualification lors de changements d'emploi et ont peu d'expérience dans la recherche d'emploi ; plusieurs interruptions à leur vie professionnelle amplifient en plus, parmi les femmes, la faible qualification qu'elles ont pour les emplois occupés et les bas salaires obtenus. Après de longues périodes de chômage et des comportements discriminatoires rencontrés, ces personnes sont davantage portées à quitter définitivement le marché du travail par découragement.

[29] Antoine LAVILLE, Op. cit.

[30] Catherine CAILLOUX-TEIGER, « Travailleurs vieillissants et formation : gageure ou enjeu ? », dans Actes du colloque sur le vieillissement au travail, une question de jugement, sous la direction d'Hélène DAVID, Montréal, Institut de recherche appliquée sur le travail, 1990, p. 40-54 ; Bernard CASSOU et François DESRIAUX, « L'usure physique : vieillissement ou empreintes de la vie », dans Les risques du travail, pour ne pas perdre sa vie à la gagner, sous la direction de Bernard CASSOU et al., Paris, La Découverte, 1985, p. 134-139.

[31] G. DESPLANQUES, « L'inégalité sociale devant la mort », Économie et statistiques, no 162, janvier 1984, p. 29-50 (calcul de l'espérance de vie à 35 ans). Des recherches réalisées aux États-Unis et au Québec arrivent à des résultats du même ordre : voir André BILLETTE, « Les inégalités sociales de mortalité au Québec », Recherches sociographiques, vol. XVIII, no 3, 1977 ; Evelyn M. KITAWAGA et Philip HAUSER, Differential Mortality in the United States : A Study of Socio-economic Epidemiology, Cambridge, Harvard University Press, 1973.

[32] Hélène DAVID et Michel BIGAOUETTE, « Le poids de l'inaptitude au travail dans une grande municipalité », Sociologie et sociétés, vol. XVIII, no 2, octobre 1986, p. 47-60.

[33] Juhani ILMARINEN, « La relation entre les conditions de travail, l'incapacité et la retraite chez les travailleurs municipaux », dans Actes du colloque sur le vieillissement au travail, une question de jugement, p. 30-35.

[34] Catherine CAILLOUX-TEIGER, Antoine LAVILLE et al., Les rotativistes : changer les conditions de travail, Paris, Agence pour l'amélioration des conditions de travail, 1983.

[35] Catherine CAILLOUX-TEIGER, « Caractéristiques des tâches et âge des travailleurs », dans Âge et contraintes de travail, sous la direction d'Antoine LAVILLE, Catherine CAILLOUX-TEIGER et Alain WISNER, Paris, NEB Éditions scientifiques, 1975, p. 235-290.

[36] P. VRAIN et G. GONTHIER, Les ouvriers vieillissants de la région parisienne, Paris, Presses universitaires de France, 1979 ; Françoise CRIBIER, « Itinéraires professionnels et usure au travail : une génération de salariés parisiens », Le Mouvement social, no 124, 1983, p. 11-44.

[37] Serge VOLKOFF, « Les salarié-e-s âgés et leurs postes de travail : ce que disent les statistiques françaises », dans Actes du colloque sur le vieillissement au travail une question de jugement, p. 63-71.

[38] F. DESRIAUX, F. DERRIENNIC, B. CASSOU et G. LÊCUYER, « Âge et changement de tâches dans une cohorte de salariés français d'une usine de construction mécanique », Le Travail humain, vol. 50, no 3, 1987, p. 225-236 ; Hélène DAVID et Michel BIGAOUETTE, Op. cit.

[39] Hélène DAVID, « Pourquoi la population active ne vieillit pas comme la population totale : une analyse des statistiques nationales », dans Vingt-cinq ans de pratique en relations industrielles, sous la direction de Rodrigue BLOUIN, Montréal, Corporation professionnelle des conseillers en relations industrielles du Québec et Éditions Yvon Blais inc., 1990, p. 1011- 1038.

[40] Hélène DAVID, Christian PAYEUR et Yvon DESJARDINS, « Âge, travail et cheminement professionnel », projet de recherche en cours auprès du personnel enseignant et professionnel des commissions scolaires du Québec ; interprétation de résultats préliminaires.

[41] Au sens que Christophe Dejours donne à cette expression qui recouvre les éléments affectifs et relationnels de la charge de travail : voir « La charge psychique de travail », dans Équilibre ou fatigue par le travail, sous la direction de la Société française de psychologie, Paris, Entreprise moderne d'édition, 1980, p. 45-54.

[42] F. DERRIENNIC et Y. IWATSUBO, « Santé après la retraite en relation avec le passé professionnel », Gérontologie et société, no 45, 1988 ; Michel VÉZINA, Alain VINET et Chantal BRISSON, « Le vieillissement prématuré des ouvrières du vêtement », dans Actes du colloque sur le vieillissement au travail une question de jugement, p. 136-141.

[43] Bernard CASSOU et François DESRIAUX, Op. cit.

[44] Shirley Dex et Chris Phiffipson rappellent comment, après la Seconde Guerre mondiale, en Angleterre, en situation de pénurie de main-d'œuvre (masculine), il y a eu un courant de recherche très important dont l'objectif était d'adapter les milieux de travail aux travailleurs vieillissants afin de les garder en emploi et dont les résultats sont encore tout à fait d'actualité. (« Social Policy and the Older Worker », dans Ageing and Social Policy, a Critical Assessment, sous la direction de Chris PHILIPPSON et Alan WALKER, Aldershot, Gower, 1986.)

[45] B. CASEY et B. BRUCHE, Work or Retirement ?, Aldershot, Gower, 1983 ; voir aussi le texte de Gilles Guérin dans le présent rapport du congrès.

[46] Haut Conseil de la population et de la famille, Vieillissement et emploi, vieillissement et travail, établi par Élizabeth LION, Paris, La Documentation française, 1989.

[47] Comme le propose Jeanne Marcelin par le titre de son livre (Paris, ANACT, 1989).



Retour au texte de l'auteure, Mme Hélène David, sociologue Dernière mise à jour de cette page le samedi 19 janvier 2013 10:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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