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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Maurice Cusson, “L'effet structurant du contrôle social” (1986)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Maurice Cusson, [professeur et chercheur, Université de Montréal], “L'effet structurant du contrôle social”. Un article publié dans la revue Criminologie, vol. 26, no 2, 1986, pp. 37-62. Numéro intitulé : “La criminologie comparée : hommage à Denis Szabo.” Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal.

Introduction

Pendant un moment, j'ai pensé titrer ce texte « La criminalité comme produit du contrôle social ». Je me suis vite ravisé en réalisant que ce titre véhicule deux sens profondément différents : soit que la criminalité est définie au terme d'un processus d'étiquetage, soit qu'elle est soumise à l'influence du contrôle social. C'est ce deuxième sens que je retiens ici, en examinant la question suivante. Jusqu'à quel point les tentatives des êtres humains pour contrôler le crime atteignent-elles leur buts [1] ? 

Il m'apparaît que cette question est au cœur de la criminologie. C'est aussi l'avis de Gassin (1990) selon qui l'objet de notre discipline n'est pas seulement l'action criminelle, mais aussi la « valeur scientifique des moyens de lutte contre la délinquance » (p. 46). Et pourtant, au terme d'une curieuse évolution, les positivistes aussi bien que les interactionnistes l'ont pratiquement évacuée. 

Les criminologues qui s'inscrivent dans la tradition des positivistes italiens croient qu'il ne vaut pas la peine de s'attarder bien longtemps à cette question, car la réponse est d'emblée négative. Selon eux, le contrôle social n'a qu'un effet insignifiant sur le crime, effet largement éclipsé par les facteurs biologiques, économiques, sociaux, etc. qui imposent leur déterminisme à la criminalité. Cette dernière fluctuerait au gré d'influences qui n'ont pas grand-chose à voir avec les moyens de lutte contre le crime. La criminologie pénitentiaire issue du positivisme se donne pour objet d'étude le récidiviste, sa personnalité, sa carrière criminelle et les forces qui le contraignent à la répétition compulsive d'une conduite d'échec. La préoccupation pratique qui l'animait était la découverte d'un traitement de la récidive. Mais, durant les années 1970, la popularisation des bilans largement négatifs sur l'efficacité des psychothérapies fit désespérer de cette solution (Martinson, 1974). Le thème de l'échec revient alors de manière lancinante en criminologie : le délinquant n'est pas seulement inintimidable, comme le pensait Lombroso, il est aussi réfractaire au traitement. Cela pousse les chercheurs à s'évader dans la recherche des « causes profondes » du crime. Malheureusement, plus une cause est profonde, moins elle donne prise à une action pour la supprimer. Le crime en vient alors à être perçu comme les éléments de la nature qui se déchaînent au gré de forces contre lesquelles nous ne pouvons rien. On laisse s'accréditer l'idée que les politiques criminelles n'ont d'effet ni préventif, ni répressif, ni thérapeutique. Il s'ensuit une conséquence théorique majeure : la rupture du rapport de causalité lie la criminalité aux mesures pénales. 

Les interactionnistes et les radicaux ont, eux aussi, tendance à penser que l'efficacité des contrôles sociaux est quasiment nulle. Mais ils vont plus loin. Ils nient la validité de la question elle-même et ils affirment que le vrai problème n'est pas à chercher du côté du crime, mais du côté de l'appareil mis en place pour le construire et le réprimer. Posant que le crime n'est rien d'autre que ce que la loi définit tel, ils se consacrent à l'étude de la criminalisation, du processus d'étiquetage qui transforme un acte quelconque en crime. Ils font de la criminologie une sociologie du pénal qui analyse les processus de création et d'application de la loi. Leur lecture des faits les conduit à la conclusion que l'action contre le crime cause plus de souffrances qu'elle n'en épargne. Ainsi donc, la réaction sociale produit artificiellement du crime, tout en produisant des souffrances très réelles. Il ne s'agit donc pas de s'interroger sur l'efficacité des contrôles sociaux, mais de militer en faveur de la décriminalisation, de la déjudiciarisation, de la dépénalisation et de la défense des droits des détenus. 

Positivistes et interactionnistes finissent donc par s'entendre au moins sur un point, à savoir qu'il ne vaut pas la peine d'étudier l'impact du contrôle social sur le crime. Les premiers réduisent alors la criminologie à un empirisme abdiquant toute finalité pratique. Les seconds en font un discours spéculatif et critique. Dans les deux cas, nous sommes coupés de l'action. Une certaine criminologie académique est de moins en moins concernée par la demande sociale de sécurité, de moins en moins préoccupée par la protection efficace de la société. 

C'est pour sortir de ce fatalisme qu'un nombre croissant de criminologues - dont je suis - renouent avec des classiques comme Beccaria et Bentham. Ils se proposent d'expliquer la criminalité et la victimisation en termes de choix. Et ils réintroduisent le contrôle social en bonne place parmi les variables indépendantes influençant le crime. Les modèles théoriques qu'ils construisent présentent deux caractéristiques sur lesquelles je voudrais insister brièvement. 

La première est une notion élargie du contrôle social : dorénavant, elle est utilisée pour inclure la totalité des actions menées contre le crime. La seconde résulte des progrès théoriques qui montrent que les choix faits par les délinquants ne sont pas indépendants des contingences issues du contrôle social, notamment des sanctions sociales et de la réduction des occasions criminelles. 

L'examen des implications logiques de ces deux points ouvre des horizons insoupçonnés. Il est, en effet, possible d'en déduire l'hypothèse selon laquelle l'ensemble des réponses au crime apportées par les pouvoirs publics et par la société civile structurent les choix des délinquants et donnent à la criminalité l'allure que nous lui connaissons. 

Telle est l'hypothèse que je voudrais ici défendre et illustrer. L'argument se développera en trois temps. 

Dans le premier, je proposerai une conception élargie du contrôle social. 

Dans le second, je développerai une théorie microcriminologique de l'action du contrôle social sur les choix des délinquants. 

Dans la troisième, je passerai au niveau macroscopique pour illustrer la thèse voulant que les contrôles sociaux exercent leurs effets structurants sur la distribution, l'évolution et la gravité de la criminalité.


[1] Ainsi posé, le problème présuppose que le crime et le contrôle social soient reconnus comme deux entités distinctes, mesurables de manière indépendante l'une de l'autre. Or on sait que, dans la théorie de l'étiquetage, on nie qu'il soit possible de produire une mesure de la criminalité indépendante de la réaction sociale. C'est ainsi que l'on a prétendu que les statistiques criminelles ne mesurent pas la réalité du crime, mais l'activité des institutions pénales (Robert, 1977, 1985). Cette position a perdu son lustre avec l'acceptation par la plupart des criminologues de mesures du phénomène criminel, comme les sondages de victimisation, mesures indépendantes de l'activité répressive et avec la reconnaissance de cette évidence que le crime cause injustement des préjudices très réels aux victimes. Je m'étais attaqué à cette question dans le « Contrôle social du crime » (1983). Je la reprends pour la poser en termes différents et pour faire un nouveau bilan des connaissances.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 août 2006 17:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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