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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Maurice CUSSON, DÉLINQUANTS POURQUOI ? (1981)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Maurice CUSSON, DÉLINQUANTS POURQUOI ? Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 1981, 275 pp. Cahiers du Québec / Collection: “Droit et criminologie”. Une édition numérique réalisée avec le concours de mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée retraitée du Musée de la Pulperie de Chicoutimi. [L’auteur nous a accordé le 31 mars 2014 son autorisation de diffuser électroniquement cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[3]

Délinquants Pourquoi ?

Introduction

Cet ouvrage porte sur les délits que commettent les adolescents. Il y sera question d’actes dont le degré de gravité est très variable, allant du petit vol à l’étalage jusqu’au meurtre, en passant par le cambriolage, le vol d’automobile, le hold-up et le viol.

La délinquance est une activité passablement répandue chez les jeunes, et pas seulement chez les pauvres, et pas seulement chez les fils de mauvaises familles. Nous le verrons dans ce livre, la majorité des adolescents commettent des actes qui peuvent être qualifiés de délit. Voilà quelque chose de surprenant, du moins à première vue. Car tous ces garçons qui volent et qui s’attaquent à autrui savent très bien qu’ils posent des gestes condamnables. Ils savent très bien qu’ils peuvent se faire arrêter par la police. Ils savent très bien qu’ils risquent de compromettre leur réputation et leur avenir.

Alors pourquoi tant de jeunes commettent-ils ces actes nuisibles, très mal vus et parfois sévèrement punis ? Et pourquoi sont-ils si nombreux, non seulement à le faire, mais aussi à recommencer ?

Sont-ils affligés d’une espèce de folie morale ? Sont-ils téléguidés par d’obscures forces sociales ? Peut-être. L’ennui c’est que, depuis un siècle déjà, certains experts ont tenté en vain de nous vendre ces idées. Jusqu’à maintenant, [4] ils n’ont pas trouvé d’acheteur. Ils n’ont même pas réussi à se convaincre les uns les autres.

Il est donc urgent de reprendre le problème autrement. Et un retour aux sources de la sagesse populaire serait peut-être utile. Que pensent les gens du crime ? Selon une idée assez répandue, ceux qui commettent des délits doivent bien en tirer un avantage quelconque ; ils ne le feraient pas si cela ne servait leurs intérêts.

Voilà une hypothèse assez vraisemblable : ils se livrent à la délinquance parce qu’ils y trouvent leur profit. Pour étayer cette proposition, il faudra examiner un certain nombre de questions : Quelle est la nature du profit que l’on tire du crime ? En quoi la délinquance est-elle une activité agréable, profitable, utile, nécessaire ? Quelles fins poursuivent les délinquants ? Qu’est-ce qui les pousse à poursuivre ces fins ? Et pourquoi prennent-ils ces moyens douteux pour arriver à leurs fins ?

Mais est-il possible de répondre à ces questions ?

À première vue, l’entreprise sera difficile, à cause de la crise qui, depuis quelques années, secoue la criminologie. En effet, vers la fin des années soixante, une véritable révolution culturelle a désagrégé la sociologie, la criminologie et la plupart des sciences de l’homme (Szabo 1978). Une série de remises en question ont sérieusement ébranlé les convictions les plus fermement établies. De nouveaux systèmes théoriques sont apparus. Les affrontements entre écoles sont devenus féroces. Il est devenu difficile d’échapper, soit au scepticisme, soit au fanatisme.

Ce climat de confusion a constitué un bouillon de culture idéal pour trois virus qui, de tout temps, ont menacé les intellectuels : la pédanterie, le dogmatisme et la complaisance.

La pédanterie consiste à vouloir éblouir par un discours incompréhensible, par l’étalage de l’érudition et par [5] la complexité des techniques. Le pédant dissimule son incapacité de dire quelque chose de nouveau derrière des performances de fort en thème attardé. Il énonce gravement évidences et insignifiances dans un jargon obscur et dans des phrases emberlificotées. Il n’est pas intéressé à communiquer mais à mystifier.

Le dogmatisme consiste à transformer les sciences humaines en idéologie. On juge plutôt que de comprendre ; on dit ce qui devrait être plutôt que ce qui se passe ; on sélectionne les faits au lieu de les analyser. Avec le dogmatique, nous avons droit à la solution miracle, au message, à la certitude, à l’explication unique, à la vision globale, au principe universel, à la théorie de société. Le dogmatique a peur des hommes tels qu’ils sont ; il ne les accepte que coulés dans le moule de ses grands principes. Il n’informe pas, il prêche.

La complaisance consiste, pour l’intellectuel, à chercher à plaire aux puissants et à l’opinion. On ne rapporte pas les faits, surtout pas ceux qui déplaisent ; on s’applique plutôt à flatter les préjugés des uns et des autres. La peur hante ces gens : peur de manquer le bateau, peur de choquer, peur de tomber en disgrâce. C’est pourquoi ils ne disent que ce qu’on veut bien entendre. Mais comme les puissants sont renversés et comme les modes changent, les complaisants sont obligés de changer d’idée constamment, ce sont des girouettes.

Mais il ne faut pas désespérer, bien au contraire. Car, malgré les formules alambiquées des pédants, malgré les solutions toutes faites des dogmatiques, malgré les propos insipides des complaisants, les recherches sérieuses se sont poursuivies, la réflexion a progressé et, aujourd’hui, nous comprenons mieux le phénomène de la délinquance qu’autrefois.

En effet, au cours des quinze dernières années, la recherche sur la délinquance juvénile a fait d’énormes progrès. Des chercheurs français, américains, anglais ont mené [6] à terme de fructueuses recherches. Et le hasard a voulu que les chercheurs québécois attachés à l’Université de Montréal aient été particulièrement productifs ; le hasard, mais surtout l’impulsion d’hommes comme Mailloux, Szabo, LeBlanc qui ont été à l’origine d’importantes entreprises de recherche.

Les observations cliniques se sont accumulées. Des mesures fiables de la délinquance ont été mises au point. D’innombrables données ont été recueillies auprès de centaines et de milliers d’adolescents. Des découvertes intéressantes ont été faites. Et la concordance des résultats est souvent frappante : des chercheurs de différents pays, utilisant des méthodes différentes, sont arrivés aux mêmes conclusions. Nous possédons maintenant une base empirique solide.

Malheureusement ces résultats de recherche sont mal connus. Ils sont dispersés dans des rapports à diffusion restreinte. Ils sont écrits dans un jargon rebutant. Ils sont farcis de détails techniques qui les rendent incompréhensibles aux non-spécialistes.

Jusqu’à maintenant personne ne s’est donné la peine de faire une bonne synthèse de ces informations. Personne n’a réussi à incorporer ces données dans un ensemble cohérent et facilement accessible.

Pourquoi ? Parce qu’il nous manquait le cadre théorique qui aurait permis d’organiser et d’interpréter cette masse disparate de résultats de recherche. Impossible de trouver les concepts nécessaires pour penser le problème de la délinquance et du crime. Tout ce que nous pouvions faire, c’était d’accumuler les observations, de les compiler, d’en faire le catalogue. Les principes organisateurs nous manquaient. Nous savions beaucoup de choses mais nous ne comprenions pas plus pour autant. La délinquance restait un mystère.

Il était donc essentiel de développer une nouvelle manière de raisonner sur la délinquance. La mienne s’est [7] inspirée de deux sources. Il y eut tout d’abord les autobiographies de criminels. Ceux-ci aiment se raconter (il faut bien dire qu’ils ont beaucoup à raconter). Ils sont nombreux à avoir fait le récit de leur vie, de leurs crimes, de leurs amours, de leurs succès et de leurs échecs. Or les délinquants qui écrivent sur eux-mêmes tiennent un langage très différent de celui des savants qui écrivent sur « les causes du crime ». Ils parlent de leurs décisions, des occasions qu’ils saisissaient, de leurs stratagèmes, de leurs combats...

C’est dans la sociologie que je puisai ma seconde source d’inspiration. Des auteurs comme Goffman, Crozier, Baechler ont développé une manière de penser le comportement social dont on ne retrouve pas l’équivalent en criminologie. Ils présentent l’homme comme un acteur qui prend des décisions, qui élabore des stratégies, qui poursuit des fins, qui attaque et se défend. Ces analyses allaient tout à fait dans le sens de ce que les criminels disaient d’eux-mêmes.

Ayant en main d’abord les faits et, ensuite, une méthode pour les penser, il était dès lors possible d’apporter à nos interrogations sur la délinquance des réponses intellectuellement satisfaisantes et appuyées sur des observations scientifiques bien établies.

Cette démarche a conduit à l’élaboration d’une analyse stratégique de la délinquance. Voici, très brièvement en quoi elle consiste.

L’activité délinquante apporte à ses auteurs plus d’avantages qu’on ne se l’imagine habituellement. Elle leur permet de satisfaire de nombreux désirs, de résoudre des problèmes très réels, de vivre intensément et de s’amuser ferme. De ce point de vue, le délit apparaît comme un moyen parmi d’autres pour réaliser des fins que visent la plupart des hommes : l’excitation, la possession, la défense de ses intérêts, la domination. Dans ces conditions, il est compréhensible que de nombreux adolescents se laissent tenter par la délinquance. Cependant, seule une minorité [8] d’entre eux, constituée surtout de jeunes gens actifs et orientés vers le présent, s’engageront profondément dans le crime. Ils le feront parce que celui-ci leur semble la plus accessible des solutions qui s’offre à eux. En effet, ils éprouvent des difficultés à l’école et sur le marché du travail ; de ce fait, les voies d’accès qui, normalement, s’ouvrent à ceux qui entrent dans la vie leur sont fermées. Par contre, ils fréquentent des camarades qui les initient aux techniques criminelles et qui peuvent être des alliés lors d’entreprises délinquantes. Ces relations leur ouvrent la voie à une activité illégale qui leur permettra d’atteindre leurs fins.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 février 2020 9:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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