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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Claude Crépault, La sexualité aujourd’hui (1985)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Claude Crépault, La sexualité aujourd’hui. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Jacques Dufresne, Fernand Dumont et Yves Martin, Traité d'anthropologie médicale. L'Institution de la santé et de la maladie Chapitre 36, pp. 733-742. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, l'Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC) et les Presses universitaires de Lyon (PUL), 1985, 1245 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 9 novembre 2005.]

Introduction

Éros n'est pas un dieu comme les autres. Il fascine et fait peur ; tantôt il est le symbole de la vie, tantôt il est le messager de la mort. Il exprime à la fois la force et la faiblesse, la fusion et la défusion, l'amour et la haine. Ses lois sont celles de la déraison. Il échappe à la logique du réel. Il se métamorphose et se dérobe au fur et à mesure qu'on essaie de le comprendre. Le chercheur qui tente de le saisir d'une façon rationnelle doit s'attendre aux pires déceptions ; lui-même sous son emprise, il le déforme et le trahit ; lorsqu'il le découvre à travers les autres, il risque de ne trouver que l'accessoire. Éros est dans chacun de nous et, en même temps, il n'est nulle part. 

Éros est immortel. On peut le mépriser mais non le tuer. Lorsqu'on s'acharne à le détruire, il resurgit plus puissant que jamais. C'est ce qui s'est passé dans les sociétés occidentales. Après avoir été presque enseveli à l'époque victorienne, il a ensuite envahi graduellement le champ social et s'est posé en tant que maître. Les attitudes face à la sexualité et aux rôles sexuels se sont alors profondément transformées. De nouvelles normalités sexuelles se sont développées. 

Aujourd'hui, le plaisir orgastique est considéré par plusieurs comme le but ultime de la sexualité. Tant pour la femme que pour l'homme, l'orgasme est devenu le gage d'une sexualité épanouie. On suppose même que l'orgasme est une sorte d'antidote contre la névrose. Reich (1952) a sans doute été l'un des principaux promoteurs de cette idéologie. Dans sa théorie, l'orgasme apparaît comme la condition sine qua non de la santé psychique. 

L'orgasme est censé avoir un effet libérateur dans la mesure où il s'accompagne d'une décharge tensionnelle. En fait, il s'agit là d'une conception «hydraulique» de la sexualité. On présume que l'excitation sexuelle, si elle n'est pas libérée dans la décharge orgastique, brise l'équilibre psychosomatique. Dans cette problématique, l'excitation sexuelle n'a pas de sens positif en soi : elle ne se justifie que par sa disparition dans l'orgasme. La décharge orgastique est considérée comme un besoin primaire au même titre que boire et manger; on en déduit alors que l'excitation érotique, tout comme la soif et la faim, ne peut se suffire à elle-même. Conception pour le moins limitative de la sexualité humaine. Au fond, on est en présence d'une nouvelle forme de contrôle social. D'un côté, on surexcite l'individu en mettant à sa disposition une quantité importante de stimuli érotiques (revues, films, etc.) ; d'un autre côté, on l'incite à libérer le plus rapidement possible son excitation. Éros devient alors une sorte de dépotoir pulsionnel au service du système social. 

L'anormale, c'est donc maintenant la personne anorgastique. À vrai dire, on a toujours reconnu à l'homme le droit à l'orgasme et plus spécialement à l'éjaculation ; de par sa fonction conceptive, celle-ci était vue comme une nécessité de l'espèce. Il en a été autrement pour l'orgasme féminin. Àl'époque victorienne, la femme qui se permettait un plaisir orgastique était perçue comme une déviante. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire. À la nécessité de ne pas avoir d'orgasme s'est substituée l'obligation d'en avoir. On est passé d'une aliénation à l'autre. 

Le culte de l'orgasme, ou ce qu'on pourrait appeler l'« orgasmolâtrie », reflète jusqu'à un certain point l'incapacité de l'homme et de la femme modernes de supporter des tensions. L'accent est mis sur la décharge de la tension au fur et à mesure qu'elle se crée. Au plan sexuel, cela traduit une inaptitude à se laisser envahir par l'excitation érotique. On peut supposer que ce mode de fonctionnement rejoint surtout des besoins masculins, qu'il légitime entre autres la soi-disant puissance phallique. 

Il n'est pas prouvé que l'incapacité orgastique soit habituellement un symptôme névrotique. Il n'est pas prouvé non plus que la satisfaction sexuelle soit assurée par l'orgasme. Certaines personnes ont des orgasmes régulièrement et pourtant elles se disent insatisfaites de leur vie sexuelle. Cette croyance à l'orgasme tout-puissant risque d'ailleurs d'être éphémère. En fin de compte, il est possible que l'orgasme obligatoire devienne éventuellement un critère d'incompétence sexuelle. 

La nouvelle normalité sexuelle se repère aussi dans la déculpabilisation du désir. Le fait de ne pas avoir de désirs érotiques ou d'exercer une auto-censure est perçu comme une sorte d'infirmité. Le désir n'a plus le choix d'être non-désir : il doit sans cesse être renouvelé. Et lorsqu'il ne peut être satisfait dans le réel, il l'est à travers l'activité masturbatoire déculpabilisée. Ce qu'on oublie dans tout cela, c'est qu'une sexualité sans interdits est probablement condamnée à un affaiblissement progressif : en la banalisant, on risque de la contaminer. L'érotisme se nourrit en partie de la transgression et du péché. Paradoxalement, une morale puritaine est peut‑être le meilleur stimulant de l'érotisme. Si tant de personnes recherchent avidement et parfois désespérément des sensations érotiques de plus en plus fortes, c'est peut‑être parce qu'elles ont perdu l'attrait du défendu et du péché. La sexualité est aussi activée par le secret. Une éducation sexuelle formelle et objective risque-t-elle d'appauvrir la sexualité en lui faisant perdre ses secrets ? Certains en sont convaincus. Pour notre part, nous pensons qu'une telle forme d'éducation sexuelle aurait paradoxalement pour effet de vivifier la valeur du secret, de lui donner un plus grand attrait. Peut-être qu'un jour la « paradoxologie » confirmera cette hypothèse ?


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 31 mai 2006 17:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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