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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de texte de Léon Courville, “Les intellectuels et la nation.” In Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec. Tome deuxième, Chapitre XXIX, pp. 491-506. Textes réunis par Georges-Henri Lévesque, Guy Rocher, Jacques Henripin, Richard Salisbury, Marc-Adélard Tremblay, Denis Szabo, Jean-Pierre Wallot, Paul Bernard et Claire-Emmanuelle Depocas. Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal, 1984, pp. 311-672. Une édition numérique réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée retraitée du Musée de La Pulperie de Chicoutimi. [Autorisation formelle accordée le 18 janvier 2016 par le directeur général des Presses de l’Université de Montréal, Monsieur Patrick Poirier, de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[491]

CONTINUITÉ ET RUPTURE.
Les sciences sociales au Québec.
TOME II

Quatrième partie
Les perspectives critiques : quelques remises en question

Les intellectuels et la nation.”

Léon COURVILLE


Il est futile d'attaquer la politique directement en montrant comment sa pratique vient en conflit avec la moralité et la raison. Ce genre de discours convainc tout le monde mais ne fait changer d'idées à personne... Je crois qu'il est préférable d'utiliser un détour et de susciter le dédain à l'égard de certaines pratiques politiques...
Montesquieu

Introduction

Mes premiers cours de sciences sociales m'ont fait baigner dans la foulée des constructeurs de société et les bouleversements multiples que le Québec a connus ont été façonnés par ces constructeurs. Certains, sinon la plupart, veulent même bâtir un pays. Je n'ai absolument rien contre ces gens sauf que, selon moi, ils ont quitté le domaine de l'observation critique. De plus, la lecture de la science sociale que je pratique m'a enseigné, d'une façon répétée, l'humilité par rapport aux capacités des hommes à concevoir et mettre en place des desseins qui améliorent le bien-être de la société. On s'est égaré dans un scientisme dont la société essaiera un jour de se départir, un peu à la manière dont on a dû se libérer d'Auguste Comte.

Cette grille a animé mon propos, que je ne prétends pas scientifique. Il s'agit d'une réflexion critique sur la façon dont on organise notre société et du rôle crucial que ceux qui se définissent comme intellectuels ont joué dans cette évolution.

L'économiste traite de la nation d'une façon bien indirecte. En fait, la plupart du temps, l'économiste prend comme une donnée l'existence de frontières, sorte de barrières institutionnelles entre des groupes d'individus. Le concept de nation est ignoré ou non expliqué ; pour les économistes dont la démarche disciplinaire est classique, le nationalisme évoque plutôt sa définition traditionnelle avec son caractère péjoratif et non sa variante angélique dont le Québec aura contribué à faire un [492] néologisme [1]. Un sous-groupe parmi les économistes explique la préférence à l'égard d'une nation par le jeu politique qui redistribue des richesses en faveur de certains regroupements d'individus. Certes, ceux qui sont visés par un tel jugement bénéficient fortement des mesures qu'ils proposent au nom du bien-être général mais cette vue n'explique pas pourquoi un cadre légal et politique donné accueille à bras ouverts et protège les ressortissants d'un territoire donné et méprise et exclut ceux qui sont en dehors du périmètre reconnu, même si des similitudes variées et profondes les associent à ces ressortissants. La science économique a donc peu à offrir pour expliquer et interpréter les comportements nationalistes.

Cela n'a pas empêché une foule d'économistes d'adhérer au projet national ; à bien y penser, le vide scientifique constitue une sorte de passeport pour l'action. Mais il y a un phénomène plus profond chez les économistes. Alors qu'autrefois l'économiste jouait un rôle apprécié et reconnu, du moins comme inspecteur de la société, sa légitimité a quelque peu baissé. L'économie est en dehors des grands débats. On pourra rétorquer qu'on voit, entend et lit des économistes un peu à toutes les sauces, mais à mon avis leur participation est accessoire. Ils sont devenus une sorte de filtre nécessaire à travers lequel doivent être mesurés et évalués les projets conçus en dehors de leur discipline. On pourra rétorquer également que bon nombre d'économistes participent sérieusement à la réalisation de certains projets et qu'aux yeux de plusieurs ils ont même une influence démesurée. Mais c'est là qu'il y a confusion entre l'intellectuel et le professionnel. Ces personnes travaillent en coulisses ou à titre d'éminence grise ; elles sont des acteurs sinon des activistes professionnels. Elles conçoivent des stratégies et les exécutent, mais elles sont à l'abri de la critique intellectuelle puisqu'elles n'écrivent presque pas. Il faut même se demander si elles lisent encore.

On comprend alors la réticence d'un économiste à parler de la nation, mais on comprend aussi pourquoi il doit examiner le rôle de ceux qui se targuent d'être les serviteurs d'une science qu'ils pratiquent comme un art. L'accent mis sur la pratique sociale de l'économie a détruit la fonction intellectuelle et a fait disparaître le débat. Pour beaucoup d'économistes dont je suis, la fonction d'intellectuel est devenue un hobby. Il en est ainsi probablement parce qu'il n'y a pas de tradition intellectuelle. Cela constitue une accusation sérieuse à l'égard des générations passées.

Mon propos est une plaidoirie articulant cette accusation. Conscient de parler à des juges et convaincu de leur verdict, je me réconforte à l'idée que je peux expliquer pourquoi le dogmatisme s'est substitué à [493] la critique. J'aborderai donc le sujet de la nation en confinant mon propos au rôle des gens de sciences sociales dans celle-ci.

La république

Il y a vraiment trois modèles de société. Le premier est essentiellement pragmatique et nous vient de celui chez qui l'on peut retracer le concept de nation : Machiavel. L'existence d'une autorité est postulée et les moyens pour l'asseoir à l'intérieur et la protéger de l'extérieur viennent comme conséquences de ce postulat. Le second est celui d'Aristote : le processus, celui de la démocratie, assure la symbiose nécessaire entre, d'une part, le gouvernement des individus et, d'autre part, les principes déduits de ce gouvernement qui animeront ces mêmes individus. Enfin, il y a le modèle platonicien, où l'autorité n'est plus postulée mais définie et finalement reconnue comme nécessaire. Ceux qui doivent l'assumer sont identifiés et les mécanismes assurant leur permanence sont précisés. L'élite dirigeante, en qui repose la connaissance, apparaît.

Peints à gros traits, ces modèles sont vides de sens mais ces gros traits permettent facilement de voir où l'on se situe. La chose politique, au Québec, appartient sans conteste au dernier modèle. On a maintenant au pouvoir (selon le mot fréquemment utilisé par ceux qui pensent l'avoir ou le convoitent) des personnes dont la moralité est sans reproche parce que, platoniciens, ils viennent stopper le cours naturel des choses qui amèneraient les Québécois dans le gouffre de l'extinction, n'était-ce de leur intervention. Ils ont appris, ils ont compris et ils dirigent. Ils savent distinguer le bien du mal ; certains, plus humbles mais peut-être plus dangereux, conscients de leurs limites intellectuelles, sont à tout le moins réconfortés par la conviction que leur présence assure la mise en place d'un processus dont seul le bien peut résulter.

En se référant aux personnes du pouvoir, il ne s'agit évidemment pas des membres du Parti québécois exclusivement. Je voulais plutôt parler des prétendus intellectuels qui assurent leur gouverne en appuyant ou en couvant un chef politique populiste nécessaire à leur mise en place. Nés de la Révolution tranquille, ils ont traversé toutes les couleurs politiques, poursuivant des visées qui rendent à leurs yeux leur présence sans cesse plus influente et nécessaire.

C'est l'image que j'ai de la génération qui m'a précédé et qui a articulé cet interventionnisme poussé de l'État dans les affaires de la nation. En fait, il ne s'agit pas d'interventionnisme mais plutôt de [494] l'utilisation du gouvernement comme agent principal et acteur social privilégié.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Une génération si brillante, disent les plus vieux. D'abord étouffée par le régime duplessiste et ignorée par l'indifférence fédérale, elle s'ouvre au monde, à ses idées. Elle réagit contre la génération précédente qu'elle qualifie de gâteuse ; elle s'expatrie et puise dans l'héritage intellectuel de l'Europe. C'est le début des voyages à Paris. Revenue au pays, elle étudie la nation. Armée d'outils nouveaux, de grilles d'analyse puissantes et d'un souci d'excellence, cette génération produit une documentation imposante sur notre société. On établit des modèles ou des paradigmes de fonctionnement de cette société et de ces modèles on dégage des prédictions que bien des faits confirment. L'histoire reçoit une nouvelle interprétation.

Je pense qu'on ne mettra pas en doute le fait que pour comprendre le réel, il faille simplifier les relations entre les faits qu'on veut expliquer. Mais ayant compris comment on fait des saucisses avec du bœuf, quelle tentation de mettre la machine « en renverse » pour produire du bœuf avec les saucisses. Ces analystes qui avaient compris étaient aussi dotés d'une morale. Cette morale leur faisait déplorer certains résultats qu'ils observaient : la machine, inventée par l'homme pour expliquer, pouvait maintenant être utilisée pour changer la réalité.

Et les intellectuels passèrent à l'action

On invente l'État moderne. On guide le politicien tout en se gardant bien de se confondre avec lui. Mais le politicien est impur puisqu'il élabore des compromis. Le technocrate ambitieux et frustré, devient politicien soit directement, soit par alliance. Arbitre, il s'indigne du comportement des boxeurs et il enfile les gants. L'intellectuel, produit d'une confrontation des idées, crée un climat d'exclusivité où la vérité prend une place prépondérante. D'esprit critique qu'il était, il devient convaincu et veut être convaincant. Les différents groupes de la société devront maintenant se conformer à sa vision. On assiste à l'élaboration d'une politique nationale dont je discute maintenant les principaux paramètres.

[495]

Les paramètres républicains

La nation devient la pierre angulaire de la république. Autour d'elle, on pourra concentrer les éléments de la société autrement divisés. Le mot Québec vient à l'honneur et il n'est pas possible de mettre sur pied une compagnie sans que la raison sociale se termine par un bec, surtout si l'on fait affaire avec le gouvernement. Toute recherche proposée dans l'université doit regarder le Québec : le prix mondial du pétrole... et ses implications au Québec ; la fission nucléaire dans une perspective québécoise ; une formalisation nouvelle du modèle de demandes linéaires : une application au Québec. Tout nouveau livre doit parler du Québec : cuisine chinoise pour les Québécois ; le thème d'un colloque : « comment soigner les animaux québécois ».

Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle nation. Le concept de nation est fondé sur des coordonnées raciales admettant des impuretés allophones pourvu qu'elles parlent le français. La nation est reliée à un passé culturel ; de ce passé, les intellectuels sélectionnent ce qui peut assurer une continuité cohérente avec leur vision. On écarte du passé ce qui est incohérent avec cette vision. Peut-on conclure autrement quand ministres, fonctionnaires et directives proclament qu'on choisira des politiques qui assurent le maintien de la culture québécoise ? (En passant, l'on reconnaît cette parenté platonicienne où des personnes s'érigeant en interprètes de l'histoire interviennent pour éviter la détérioration et choisissent les sentiers à suivre. D'ailleurs, la nation, ou du moins le sous-ensemble constitué par la race, n'a-t-elle pas en son sein des ennemis dont il importe de corriger les comportements ?)

On identifie les symboles propres à la vision des intellectuels devenus activistes et l'on s'efforce de détruire ce qui est discordant. L'île d'Orléans est propre à cette culture, le port de Montréal n'y appartient pas. Charlevoix est un lieu de pèlerinage culturel et l'on récupérera Chicoutimi pour montrer comment les ennemis de cette culture sont influents (la présence de l'Alcan, évidemment) ; les Cantons de l'Est sont à la marge de l'odyssée québécoise.

Le deuxième paramètre est l'État ou ce qu'on appelle l'État, alors qu'on veut parler véritablement du gouvernement. C'est la béatification de l'Assemblée nationale qui devient l'autorité suprême. Le pouvoir politique érige le gouvernement en être suprême. Le gouvernement grossit. La nation traverse une foule de problèmes et leur règlement n'attend que l'intervention de cet être omnipotent et omniscient qu'est le gouvernement. Tout est matière à intervention. On exploite le fait que l'homme est condamné à gagner son pain à la sueur de son front. [496] Faisons une loi, ajoutons-y 200 règlements et la sueur disparaîtra. Le pauvre ne le sera plus, mais à bas les riches ! Le consommateur québécois, il va sans dire, sera protégé. Le travailleur québécois aura enfin sa juste part. Le gouvernement est partout. Il nous attache à nos sièges, il détermine là où l'on doit se faire soigner et bientôt il sera le tuteur de chacune de nos familles. Il nous dicte quoi apprendre et calcule même nos notes. Évidemment, notre gouvernement est national et comme tel il est le seul à pouvoir prendre nos intérêts en main. Il est impensable qu'un peu moins de ce gouvernement serait préférable.

On comprend pourquoi nation et État sont des paramètres essentiels de la république. Pourrait-on parler de nation québécoise si l'État ne pouvait pas contraindre les ennemis indigènes et supprimer les forces sises en dehors de la culture ? Pourrait-on subir tant de contraintes, d'oppression, pourrait-on confier au gouvernement tant du fruit de nos labeurs si la nation n'était pas l'objectif de l'État ?

Le gouvernement, que les politiciens appellent État avec un grand É, sorte de veau d'or, a besoin de la nation pour assurer son emprise sur le cours des choses.

Le politicien s'est érigé en maître absolu de l'État et le consensus politique est la res ultima. Les autres institutions de l'État sont subordonnées et doivent se conformer à l'édit politique.

On admet généralement que le langage utilisé traduit bien les intentions. Au Québec, on parle de la collectivité québécoise et elle s'exprime par l'Assemblée nationale. Que veut-on dire par là ? Peut-on aller plus loin dans le langage pour identifier à soi l'ensemble des éléments de la société et pour légitimer qu'on agisse en son nom ? J'identifie un autre excès de langage ou à tout le moins une forme extrême d'expression : combien de fois avons-nous entendu parler de civilisation québécoise ? Avons-nous vraiment une civilisation au Québec ! On parle de la culture française (celle de France et, bien sûr, l'apport du Québec). On parle, comme dirait un de mes amis, de la sous-culture californienne. Mais imaginez, à côté des Grecs anciens, des Chinois, et de l'Égypte, le monde se débat maintenant entre la civilisation québécoise et la civilisation occidentale. D'ailleurs, on a poussé cette vision à l'extrême des choses : on a parlé de l'homme québécois. Je dois admettre ma surprise et mon étonnement qu'on n'ait pas plutôt utilisé la terminologie d'homo québécquensis à côté de celle d'homo sapiens et d'homo erectus.

En résumé, la nation se construit au Québec, un peu comme partout ailleurs. Les deux paramètres les plus significatifs de notre société, celui de la primauté du pouvoir politique, gardien et guide d'une collectivité et la nation comme culture dotée d'un avenir d'autant [497] plus certain qu'on épure bien son passé, sont à la base de cette construction. L'intellectuel a contribué le plus à assurer la symbiose (la confusion ?) de ces deux concepts ; car c'est lui, l'intellectuel, qui a interprété ce passé et a identifié les traces qui assurent la continuité historique.

Je voudrais maintenant aborder cinq questions directement reliées à la vision que je viens de présenter. Je vous rappelle que mon thème est les relations entre les intellectuels des sciences sociales et la nation.

Les douanes intellectuelles

La première de ces questions est l'existence des douanes intellectuelles et de son corollaire, la concertation. L'intellectuel québécois est devenu nombriliste. Il regarde sa société avec complaisance (n'a-t-elle pas été créée à son image ?) et se méfie de l'apport intellectuel étranger. Je fais partie de cette génération dont l'abreuvoir contient beaucoup d'eau anglo-saxonne. Quelle ne fut pas ma surprise de voir mes prétentions de jeune turc, un peu agressif, rejetées du revers de la main par la génération qui m'a précédé sous le seul prétexte de l'origine anglo-saxonne.

Il y a une différence entre les quotas et les douanes : les premiers limitent la quantité, les seconds imposent un prix plus élevé. Les douanes intellectuelles imposent le paiement d'un tarif à ceux dont l'objet d'analyse déborde la perspective québécoise. Ils connaissent le mépris ; ils doivent par ailleurs trouver des racines québécoises à leurs idées, sinon ils seront condamnés à prêcher dans le désert. Un collègue économiste ne cesse de me répéter qu'il ne faut pas innover, mais appliquer les notions découvertes ailleurs au contexte québécois : il a compris quel coût on impose à celui qui circule librement dans le monde des idées.

Pourtant, l'homme des sciences sociales au Québec est préoccupé par la spécificité québécoise. Démarche louable mais à la condition d'être dotée de l'exigence d'une connaissance universelle. Or, les abreuvoirs intellectuels sont tellement réduits et les douanes si vigilantes qu'on s'éloigne de cette connaissance universelle. D'ailleurs, elle nécessite un pluralisme intellectuel que ces douanes rendent impossible. En effet, comment peut-on isoler la spécificité si l'on désire ignorer le commun ? La parabole de la caverne fait frémir ; imaginez-vous ce qui peut arriver quand vous avez l'impression d'être un de ceux qui avaient osé mettre les pieds dehors !

Cette national policy intellectuelle a un corollaire : la concertation qui succède au dialogue et à l'échange. Dans cette confusion conceptuelle [498] entre nation, État, culture et collectivité, il n'y a plus de place pour la concurrence. Il faut homogénéiser ; il faut retourner aux sources et s'insérer dans les voies de l'avenir. L'intellectuel qui a trouvé la solution n'ira pas remettre en cause sa foi. La soif de la certitude a inspiré sa démarche : convaincu de la nécessité de son action, le paradigme nouveau risque de le plonger dans l'incohérence. En somme, les idées nouvelles sont une menace qu'il faut contraindre. Le débat intellectuel si vif et si envoûtant, d'ailleurs à l'origine même de l'attrait que représentaient les sciences sociales pour les gens de ma génération, est presque disparu. Les tribunes et les forums servent à la diffusion de la doctrine. Les tribuns n'ont pas changé de visage, mais, prêtres de la foi nouvelle, ils prêchent le canon.

La concurrence disparaît également de nos institutions. On uniformise les programmes d'éducation ; on établit des normes de conduite dans la gestion des soins médicaux. On définit des règles optimales en ce qui concerne le transport, l'énergie ou la vente des œufs. En uniformisant ainsi, on monopolise. Une unité bureaucratique ou politique décide : la foule suivra. La diversité est sans doute une cause de concurrence mais comme seule la concurrence peut la permettre, l'éliminer équivaut à assurer la réalisation de son dessein. L'éducation et le syndicalisme sont de beaux exemples de cette monopolisation de l'action. Le débat privé-public dans le cas de l'éducation est au cœur de cette discussion. La protection indue dont on entoure les structures syndicales actuelles relève presque du scandale.

Cette absence de concurrence a des conséquences néfastes qui commencent à apparaître. Doit-on changer de cap ou modifier certaines politiques, qu'on se heurte au mur de l'ordre établi et des droits acquis. Une nouvelle vision des choses ou la reconnaissance d'une réalité qu'on avait laissée de côté provoque le même immobilisme : il faut d'abord filtrer ces nouvelles visions afin de leur trouver une place conforme à la logique de la doctrine approuvée.

La bureaucratie

On a vu plus haut l'étroite et nécessaire confusion entre l'État, la nation et le gouvernement. La conséquence de cette confusion a été la construction d'une bureaucratie influente, démesurée et immobile. Pour un économiste, ou un anthropologue, qui analyserait l'activité de la ville de Québec, la conclusion serait bien simple : la ville de Québec vit du Québec et une clôture d'un rayon de 25 milles autour de cette [499] municipalité provoquerait son extinction. Le Québec vit pour Québec pendant que Québec vit du Québec.

La transparence devant animer le processus des décisions publiques est une vertu dont on a très souvent proposé l'adoption. On a réussi à le faire à moitié, ce qui est suffisant puisque les actions de l'ensemble des Québécois sont transparentes pour le pouvoir bureaucratique installé à Québec : ce qui prouve que la transparence peut se définir par rapport à un seul côté. Pourtant, l'idéal de la démocratie qu'on a invoqué pour fixer cette armature bureaucratique présupposait le débat public.

Mais combien de décisions sont prises sans qu'on en connaisse jamais la genèse, même ex-post. Combien d'erreurs ou d'incohérences sombrent dans l'oubli. Combien de secrets entourent la direction elle-même des affaires publiques. Comme économiste, intéressé par les faits et les organisations, j'ai voulu étudier les processus de décision mais aussi les processus de contrôle. Ces données ont de l'importance mais le jeu des acteurs qui génèrent ces données est fortement influencé par les règles qu'on leur impose ou qu'ils établissent eux-mêmes. À moins d'être né dans le village et donc d'avoir des antennes qui absorbent les potins, il est à peu près impossible d'avoir des informations sur la façon dont les fonds publics sont dépensés. Mais ce n'est pas grave, car le contrôle politique a joué son rôle et a sanctifié les décisions. On agit comme si la bureaucratie n'avait d'autres intérêts que le bien-être général et qu'elle était toute désignée pour l'interpréter. Alors, pourquoi permettrait-on à des universitaires de perdre leur temps à examiner ou à étudier l'appareil gouvernemental et le processus des choix publics puisqu'on sait d'avance qu'ils arriveraient à la conclusion que le processus est adéquat et les choix optimaux ? D'ailleurs, on a tellement besoin des universitaires pour articuler les desseins de la nation et trouver une façon de les vendre au peuple, sorte de marketing social, qu'on ne peut se permettre de laisser perdre des énergies.

Une fois de plus, on retrouve dans la bureaucratie certaines des valeurs essentielles qui permettent son éclosion. En effet, la bureaucratie s'accommoderait très mal de la concurrence et sa croissance en serait fortement limitée. Comme la concertation doit être orchestrée, elle trouve là une occasion de plus de s'affirmer.

Également, la bureaucratie puise son énergie extrême dans la mentalité rationaliste qui anime notre culture politique. Le savoir et l'information sont les avantages comparés de la fonction publique. La centralisation politique et la croissance des pouvoirs de l'État sur le citoyen ne peuvent être réalisées sans l'appui de la bureaucratie qui, elle, requiert le rationalisme pour justifier son existence et le camouflage dont elle s'entoure.

[500]

La bureaucratisation des décisions nationales a comme conséquence d'éloigner les preneurs de décision de ceux qui les subiront. La connaissance des problèmes et des mécanismes devient de plus en plus imparfaite. L'homogénéisation des politiques, nécessaire à la survie de la bureaucratisation et conséquence directe du rationalisme, se heurte aux diversités du territoire. Ces sources de tensions grandissantes, le pouvoir politique les aménage et les réduit en donnant sélectivement aux victimes ou aux mécontents des faveurs qui les font taire. Mais le pouvoir doit recourir sans cesse au mécanisme du don et des faveurs à des groupes d'intérêt restreints pour éviter de subir le contrecoup brutal que provoquerait normalement la centralisation abusive. Si bien que le prix à payer pour transférer les ressources d'un groupe à un autre augmente sans cesse. Pour aider les pauvres, les étudiants, les chômeurs, les malades et autres victimes, tels les agriculteurs, les travailleurs, le nombre de personnes requises à Québec pour opérer cette aide grossit en laissant de moins en moins à ceux qu'on veut aider.

La législation punitive

La tradition rationaliste a un autre volet très apparent au Québec. La loi, autrefois perçue comme une compilation des traditions sociales que l'homme inventait pour harmoniser ses rapports avec lui-même, devient un commandement. C'est avec un peu de réticences que je cite Hayek qui étudie cette question en détail. La loi ne peut être dissociée de la société puisque la coexistence paisible des individus, donc d'une société, présuppose une forme d'obéissance. Mais la loi traduisait les coutumes qui régissaient les rapports entre les individus. L'ère moderne a inventé la législation ; le pouvoir politique s'empare de l'arme de la loi pour diriger les comportements beaucoup plus qu'il ne reflète des coutumes. L'harmonie qui existait entre la loi et le comportement est rompue. La législation se heurte aux intérêts des individus qui réagissent. Le Québec est une terre fertile pour examiner cette question. En l'espace de 15 ans, de faible législateur qu'il était, le Québec devient préoccupé par toute sorte de problèmes recevant des solutions législatives. La loi devient normative et comme elle est toujours trop générale, elle s'accompagne de la réglementation où les exécutants bureaucrates interprètent les desseins politiques traduits en législation. Évidemment, la loi créative bouscule et dérange ; elle fait trembler. Alors s'instaure un mécanisme d'action-réaction qui multiplie le recours à la loi punitive. [501] Regardons notre législation ouvrière, les problèmes de grèves répétées et notre façon de les régler.

Il n'est pas surprenant que le conflit social soit attisé et que le recours à l'arbitrage politique soit plus fréquent. La législation isole un problème et un groupe d'individus à qui elle impose des contraintes ou à qui elle confère des avantages. D'autres groupes sont affectés et ils demandent une forme de redressement qui ne peut être que politique et par conséquent législative. Cercle vicieux par excellence, cette dynamique sociale nous ramène au corporatisme. La société est mobilisée dans une direction ; le vent aura beau changé que le coq indiquera qu'il vient toujours de l'est. La solution fait partie du problème.

La chose économique

Pour un étudiant ou un professeur des H.E.C., la perception sociale de la chose économique a toujours été un point d'interrogation. Des onomatopées désapprobatrices accompagnant la prise de rubans des étudiants de collèges classiques se dirigeant aux H.E.C., aux dénigrements mieux articulés dirigés à l'endroit des hommes d'affaires, la société québécoise a manifesté de la méfiance et du dédain à l'égard de la chose économique. Les intellectuels ont constamment délaissé les hommes de commerce, créateurs de la richesse qu'eux-mêmes s'efforcent pourtant de redistribuer. En fait, l'histoire des H.E.C. est au milieu de ce débat. Dans les années 30, l'élite du temps ne se gênait pas pour identifier les professeurs des H.E.C. à des francs-maçons. Notre langage quotidien de Québécois a même attribué une connotation péjorative au mot commercial.

Mais voilà que depuis quelques années, le Québec subit une cure de désensibilisation à son allergie économique. Les caisses populaires parlent d'argent, le gouvernement devient entrepreneur, de grosses affaires sont à la portée de la main grâce à la Caisse de dépôt et l'on adule la PME ; certains diront même qu'on l'embrasse si fort qu'on est en train de l'étouffer. Mais, les hommes d'affaires traditionnels sont tout aussi méprisés qu'avant et, chaque fois que surgit un débat sur la relation entre le secteur privé et le secteur public, on en arrive irrémédiablement aux mauvaises passions qui animent celui-là. Pour le Québécois moyen, tout profit est abusif et il se réalise au détriment du bien-être général. Il est impossible que la recherche du bien-être individuel puisse coïncider avec le mieux-être de la nation.

En fait, l'Occident et le Québec, par alliance, sont sortis du Moyen Âge à la croisée de deux chemins. Le premier chemin a été compris [502] par Adam Smith : la main invisible harmonise les passions (et les vices) par la poursuite de l'intérêt individuel. L'autre chemin a une longue tradition : saint Augustin en a bien articulé les préceptes. Les passions et les vices sont contrôlés et réprimés. C'est le coup de poing visible.

Certains de mes collègues ont souvent attribué, à tort, notre mépris et dédain de la chose économique à la Conquête, sorte de douche d'infériorité qui nous caractérisera dans nos relations commerciales. Eux aussi à la recherche de la spécificité québécoise, manquent le bateau. Mes collègues ont oublié l'influence prépondérante de l'Église qui a étouffé les instincts de commerce chez les Canadiens français, comme elle l'a fait ailleurs.

L'État, aujourd'hui, remplace la bonne vieille Église mais l'on enseigne toujours saint Augustin et dans cette sorte d'hypocrisie un peu traditionnelle on passe la quête auprès de Baptiste infortuné pour bâtir des cathédrales bien chauffées et bien décorées, afin d'entraîner des clercs de bureau bien dévoués et donner aux œuvres de l'épanouissement collectif sans rentabilité aucune, devant servir de drapeaux et symboles à la capacité et à l'initiative québécoises.

L'économique est encore bafouée ; seule l'emprise collective peut purifier ses activités. Aussi est-il inutile de parler de l'inefficacité du gouvernement, c'est d'abord une question de pureté.

Le destin qu'on peut prédire à de telles attitudes est celui avec lequel on est bien familier. L'initiative personnelle a peu de place et de toute façon, il faut la réprimer. À cela s'ajoute la menace du contrôle.

Imaginons que l'on favorise l'initiative privée ; on aurait des réussites mais elles pourraient tomber aux mains des étrangers. Le nationalisme exulte l'économique lorsque le gouvernement entreprend et il se méfie de l'initiative privée. Quand plusieurs coopératives, pourtant fondées sur l'initiative privée, auront connu un sort à la Robin Hood similaire aux Caisses d'entraide, la méfiance s'installera à leur égard également.

Également, l'économique est au cœur du débat nationaliste ou souverainiste. Les écarts de revenu et de richesse entre Canadiens français et Canadiens anglais sont vraiment à la source de notre désir d'affranchissement. Dans le fond, l'économie du Québec a peu à voir avec la poussée souverainiste.

Si les Québécois français avaient des revenus supérieurs aux anglais, il serait difficile de nourrir des sentiments libérateurs. Parallèlement à cela, il est bien difficile de voir le fédéral comme un ennemi dans le domaine économique. Comment a-t-il pu en même temps discriminer contre la province de Québec et en faveur des anglophones de la province de Québec ? Si les anglophones sont plus riches que nous, comment ont-il su contourner les embûches fédérales ? C'est là que devrait être [503] le débat [2]. Vous noterez qu'on l'a bien évité pendant le référendum. Ça aurait été embarrassant. D'ailleurs, si l'on suppose que les politiques fédérales ont nui au Québec, pourquoi voudrait-on d'une association économique qui maintiendrait les relations économiques existantes ?

L'illusion de la spécificité

Mes derniers propos sur la chose économique introduisent mon dernier sujet : l'illusion de la spécificité. On impute aux Québécois des éléments distinctifs qui ne le sont pas vraiment. J'ai fait allusion à cette question à deux reprises. Il y a là quelque chose de très fondamental. Les intellectuels recherchent l'élément spécifique en ignorant le commun ; le politicien exalte la nation et ses prouesses pour isoler son influence.

Lorsque je compare les comportements et les discussions que nous avons eus ici avec ceux que j'ai pu observer lors de mon séjour prolongé à l'étranger, force m'est tenue de constater ou de relater jusqu'à quel point nous sommes si peu différents. Certes, certaines couleurs seront plus voyantes que d'autres ; certains effets plus évidents mais les tableaux se ressemblent beaucoup. Le Québec n'a pas inventé les coopératives ; il n'a pas inventé les compagnies ouvrières non plus. Le Québec n'est pas le premier État à sanctionner le monopole syndical ou à forcer la syndicalisation. Le Québec n'a pas inventé l'intervention de l'État. Il n'a pas non plus l'apanage du sentiment antibusiness. Les thèses marxistes ont fait leur apparition dans les universités américaines bien avant les nôtres. Au Québec, on n'a pas inventé la santé et la sécurité au travail ; on n'a pas inventé la réglementation non plus. La Loi de protection du consommateur n'est pas de notre cru, pas plus que ne l'est celle du recours collectif. Le Québec n'est pas à l'origine des sociétés d'État, des régies de services publics ou du commerce public de l'alcool. Et la liste pourrait s'allonger aux chansonniers, à notre système d'université, à la nationalisation de l'électricité. Elle pourrait également inclure le rationalisme intellectuel, la bureaucratisation et l'impôt abusif ou le régime des rentes.

D'ailleurs, vous reconnaîtrez à cette liste partielle bien des sujets d'exaltation de la fierté et de l'initiative québécoises. De l'un on a dit que l'on faisait du droit nouveau, de l'autre qu'on innovait. Non seulement ces interventions et ces phénomènes sociaux ne sont-ils pas de notre cru, mais un historien habile décèlerait un retard à les insérer dans notre tissu social. On a beau vanter les mérites de la loi protégeant le consommateur, il reste qu'on a tardé à la concevoir. Alors, pourquoi [504] tant de fausses impressions et ce « pétage de bretelles » injustifié ? Pourquoi ce mépris à l'égard de la société américaine dont on tire non seulement les bénéfices économiques mais dont on adopte les innovations sociales en matière d'intervention gouvernementale et de redistribution du revenu ?

Conclusion

Ces questions et bien d'autres m'ont toujours laissé perplexe ; elles font partie du cœur de ma réflexion sur les sciences sociales au Québec et de leur mobilisation autour de la nation et de l'État. Ce constat de narcissisme que j'ai porté, un historien pourra le faire également, car depuis qu'on écrit au Québec, on se préoccupe exagérément de soi. André Raynauld me faisait remarquer un jour que déjà Édouard Montpetit parlait de cette tendance en termes de « milieusisme ».

Quelles sont les conséquences de cette attitude ? J'en dégagerai trois. D'abord, il est difficile d'identifier une tradition de sciences sociales au Québec, ou s'il y en a une, elle est très accidentée. Le dogmatisme caractérise chaque génération et l'enferme sur soi : si ce n'est pas le dogmatisme, c'est la camaraderie. Tant que la génération a de l'élan, les courants de pensée nouveaux, et par conséquent menaçants, sont mis de côté. On les traite avec indifférence ; puis l'élan diminue. C'est le ressac : grande période d'immobilisme et de stagnation suivie d'une courte mais intense période d'absorption. Puis l'on recommence. En 1980, nous sommes en plein creux de la vague, une sorte de retour au duplessisme. Le complot des artistes-journalistes-intellectuels et politiciens a fait se tarir les sources de débats et de confrontation d'idées. Les comploteurs ne sont pas issus des mêmes professions qu'autrefois, mais le complot a été tramé une fois de plus. La sainte alliance culturelle et nationaliste a réussi à placer le critique dans la position de l'hérétique [3].

Certains d'entre vous répondront qu'il fallait agir ou qu'il fallait entreprendre des choses. Ceci m'amène à la deuxième conséquence. Elle appartient d'ailleurs au monde des effets pervers que les sociologues connaissent depuis longtemps (Merton, 1937), mais que les économistes pratiquent avec intensité depuis une quinzaine d'années. En effet, on n'a pas besoin d'être un fin observateur pour s'apercevoir qu'en économique, les vérités tombent sans être remplacées. Même certains des grands bonzes nourrissent le doute à propos des solutions qu'ils ont longtemps défendues. Donc, fallait-il agir ? Personnellement, je ne le sais pas, mais je suis convaincu que personne ne le sait non plus. Rien, sauf ceux qui se réfèrent sans cesse aux coïncidences historiques, ne pourra me prouver que le militantisme qui a déraciné les intellectuels [505] de leur fonction d'analyse et de critique a engendré des résultats bénéfiques supérieurs à ceux qui auraient prévalu autrement. Les architectes sociaux que sont devenus les intellectuels ont pratiqué la chirurgie dans le corps de la société un peu à la manière des barbiers-médecins d'autrefois. On a pratiqué la saignée, ne sachant trop quoi faire d'autre mais surtout ne sachant trop les conséquences. Pourtant, à les écouter, ces architectes semblent tout savoir. Les verbes devoir et falloir apparaissent toutes les deux phrases. « Le Québec doit se définir... ; il nous faut une politique dynamique en matière de... », etc.

Ma lecture des courants économiques modernes me porte à conclure que les aspects normatifs de la science économique sont presque vides de contenu scientifique. L'économique, et j'ose penser qu'elle est une des sciences sociales les plus avancées sur le plan de la méthode, reçoit une douche d'eau froide et d'humilité. On peut analyser très bien ; on peut interpréter et critiquer ; mais il est presque impossible de suggérer ou d'établir des normes. Il faut maintenant se convaincre que s'il y a un problème, il n'y a pas nécessairement une solution.

Le troisième élément que j'aborde est l'État. La nation québécoise ou canadienne-française, à cause des économistes en grande partie, a mis tous ses œufs dans le même panier : l'État ou le gouvernement. S'il est une institution faible et traînante, c'est bien le gouvernement. Un de ceux qu'on identifie à un prophète écrivait : « Cette accoutumance de recourir à la subvention de l'État n'est-elle pas déprimante en soi, n'amène-t-elle pas une retenue redoutable dans l'effort, une quasi-somnolence des énergies par l'espèce de conviction qu'elle crée, que l'État — ce dieu des flasques, des mous, des sans-volonté et des êtres sans initiatives — doit tout faire, fournir les fonds nécessaires et les dépenser comme bien lui semble. »

Ce discours contemporain n'a pas été écrit hier puisqu'il est d'Alphonse Desjardins. L'Église catholique, aux yeux de plusieurs, avait réussi à avoir une emprise sur les citoyens dans leur vie de tous les jours qui a profondément isolé le Québec et détruit des initiatives. J'ai bien peur que l'État joue un rôle néfaste similaire. Un peu à la manière de l'apprenti-sorcier, on a inventé une machine qu'on risque de ne plus être capable d'arrêter. Les intellectuels, forts de leur connaissance et de leur maîtrise, ont quitté l'arène intellectuelle pour jouer au camion et à la poupée. En fait, ils sont devenus des Don Quichotte qui voient des moulins à vent partout.

[506]


[1] La définition du mot nationalisme a parfois un caractère péjoratif, on l'associe à xénophobie. Lorsque l'on veut parler du sentiment nationaliste en France, on réfère à patriotisme, alors qu'au Québec, dans le langage courant, le mot nationalisme a perdu son caractère péjoratif.

[2] Il y a ici une certaine part d'ironie car des explications relativement satisfaisantes ont été apportées par Raynauld et par Migué. Dans la mesure où ces explications sont fondées, elles ne devraient pas être esquivées, puisqu'elles contribuent à faire avancer le débat ; de plus, elles ont des implications d'une nature fort différente que celles du débat simpliste qui les exclut.

[3] On comprend ici l'essentiel de ma position. D'une part, la sainte alliance est un melting pot de courants idéologiques fort différents : c'est la nation et l'État qui les unissent. Politics makes strange bedfellows : notre litière est l'État et la nation. D'autre part, ce que j'ai appelé l'absence de tradition intellectuelle est plutôt une rupture : les intellectuels passent au pouvoir et arpentent ses coulisses. Ils sont mobilisés par la cause, cause qui revêt tant de reflet qu'elle attire des opposés. Socialistes et nationalistes de droite sont devenus étatistes.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 avril 2017 8:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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