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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marie-Andrée Couillard, “Féminisme, systèmes experts et groupes de femmes de Québec: appliquer l’anthropologie chez soi”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay, chapitre 19, pp. 267-283. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp.

Marie-Andrée Couillard [1]

Anthropologue, directrice du département d’anthropologie
de l’Université Laval

Féminisme, systèmes experts
et groupes de femmes de Québec:
appliquer l’anthropologie chez soi
”.

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay, chapitre 19, pp. 267-283. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp.

Introduction
L'individualisme ou le coût de la modernité
La raison instrumentale et ses relais
L'anthropologue féministe et l'expertise
Références bibliographiques

Ce texte est dédié à Marc-Adélard Tremblay qui a dû, tout au long de sa carrière, composer avec des « langages experts » d'horizons divers. L'idée qu'il ait eu à travailler dans un tel contexte alors qu'il appliquait les savoirs anthropologiques m'a inspiré les réflexions suivantes sur la pratique de l'anthropologie dans nos sociétés.


Introduction

Une recherche portant sur les stratégies de pouvoir dans des groupes de femmes de la région de Québec [2] m'a plongée de façon intensive dans un univers de discours techniques et spécialisés, rivalisant dans la définition des « besoins » et des « problèmes » des femmes. Alors que je voulais étudier la nature du pouvoir dans la « culture » de ces groupes, celle-ci ne m'était accessible qu'à travers ce qui me paraissait être une combinaison de propos objectivants. Habituée depuis plus de quinze ans à travailler avec des femmes de communautés dites traditionnelles (tant des essarteurs que des paysans de la Malaysia), je me retrouvais plongée en pleine modernité. Ce choc culturel m'inspire les réflexions suivantes portant sur ce que j'appelle ici les « discours experts » et sur la place de l'anthropologie dans la production de connaissances sur le mouvement des femmes du Québec, plus particulièrement sur les groupes de base qui en sont le fondement.

Après avoir été au coeur d'un mouvement de revendication politique, les groupes de femmes se professionnalisent en recrutant de plus en plus de diplômées universitaires ou en exigeant des formations spécialisées pour celles qui y oeuvrent. Cette professionnalisation aurait plusieurs effets. Elle provoquerait notamment un certain désengagement et elle minerait à leur base les valeurs centrales de la philosophie politique féministe. Alors que certaines se questionnent sur la vitalité du féminisme québécois (voir Lamoureux, 1992), les femmes qui interviennent dans les groupes s'identifient comme féministes et situent bien leur engagement en tenant compte des enjeux importants du moment (notamment ceux qu'identifie Lamoureux, 1992 : 696). Alors que certaines auteures concluent à l'érosion de ce mouvement social, une « expertise féministe » s'affirme à travers un nombre croissant de « spécialistes » et de groupes dont les objectifs sont de défendre les intérêts des femmes, d'offrir une lecture de l'actualité et surtout des techniques d'intervention pour améliorer la condition féminine.

Je vais suggérer ici que c'est plutôt le processus de structuration des compétences en systèmes experts qui est responsable de la dépolitisation des mouvements populaires, notamment du mouvement féministe québécois. Ce processus n'est ni le propre du mouvement des femmes, ni particulier au Québec, puisqu'il s'inscrit dans ce qu'il est convenu d'appeler la modernité qui, elle, s'appuie notamment sur une bureaucratisation de la vie sociale et une valorisation de l'individu.

Les analyses de Taylor et de Giddens mettent chacune en relief des aspects de la modernité qui me paraissent pertinents pour la compréhension de la mouvance actuelle des groupes de femmes et du féminisme québécois. Je retiens de Taylor (1992) sa discussion de l'individualisme non seulement comme manifestation d'égoïsme, mais comme quête d'authenticité. Je vais suggérer plus bas que certaines pratiques actuelles des groupes de femmes peuvent être comprises dans cette perspective, c'est-à-dire comme une étape nécessaire à l'épanouissement personnel dans un contexte de modernité.

De Giddens [¤(1990), ¤(1991)], je retiens la notion de réflexivité institutionnelle du savoir. L'auteur désigne par cette expression le processus selon lequel le savoir sociologique (mais aussi anthropologique) et les notions qui en constituent le métalangage non seulement se construisent à partir des concepts des « gens ordinaires », mais pénètrent à nouveau l'univers de l'action qu'elles avaient initialement pour but de décrire lorsque les mêmes acteurs se les réapproprient. C'est ainsi que le savoir sociologique est indissociable de l'univers de la vie sociale dans la relation qui a pour effet de reconstruire ce savoir tout autant que l'univers ainsi pénétré dans un incessant mouvement de spirale (Giddens, 1990 : 15).

C'est ce mouvement qui peut entraîner la mise en place de ce que Giddens (1990 : 27) appelle des systèmes experts qui organisent notre environnement social. Ces systèmes se caractérisent notamment par le fait qu'ils constituent des mécanismes de « désenchâssement » (disembedding mechanisms), dans la mesure où ils retranchent les rapports sociaux du contexte immédiat dans lequel ils se constituent (Giddens, 1990 : 28).

Rappelons que les sytèmes experts font partie de dispositifs de pouvoir, au sens de Foucault (1977 : 63). La notion de dispositif renvoie à des ensembles hétérogènes de discours, d'institutions, de règlements, de lois, de mesures administratives, d'énoncés scientifiques, de propositions philosophiques, morales, etc. organisés en un réseau (le dispositif lui-même) qui produit des effets de pouvoir.

La prévalence, dans les sociétés occidentales, d'une bureaucratie au service de l'appareil d'État, en mesure d'imposer sa raison instrumentale aux groupes qu'elle encadre, doit aussi être prise en compte dans l'analyse de l'émergence d'un système expert. Les professionnels, en particulier ceux oeuvrant dans les groupes communautaires, sont souvent vus comme les agents, conscients ou non, de cette bureaucratie.

Ainsi les chercheurs qui se sont penchés sur la professionnalisation des groupes communautaires, notamment au Québec, interprètent généralement ce phénomène comme le résultat d'une intervention de l'État et de ses appareils. C'est le cas, notamment, de Simard (1979), qui traite du rôle des technocrates dans le développement régional [3] et de Godbout (1987), qui cherche à comprendre la dynamique des groupes communautaires et de la pratique démocratique [4]. Leurs résultats montrent l'importance des professionnels dans les changements qui touchent ces groupes. Pour leur part, Racine et Renaud (1986 : 80) analysent les effets des interventions d'une catégorie particulière de professionnels et en concluent que :

Ce qui se présente comme conquête historique éprouve significativement de plus en plus de difficulté à masquer le travail de régulation et de contrôle, opéré par voie d'uniformisation et d'homogénéisation, qui avance à coups d'émancipation d'un « homme sans qualités » livré à la fantaisie mortifère d'un ensemble de pratiques qui le désapproprient constamment de sa destinée et en font un être excessivement vulnérable.

La lecture des ouvrages de Simard, Godbout, Racine et Renaud laisse croire que le mouvement des femmes connaît en ce moment des développements que les autres groupes communautaires ont vécu une décennie plus tôt.

Je vais suggérer ici que la professionnalisation des groupes de femmes n'est pas la cause du désengagement politique, mais le symptôme d'un processus plus large qui mène à la création d'un « système expert » féministe. Ce processus a notamment comme effet de reformuler les idéaux féministes en des termes recevables par le milieu sur lequel il veut agir et par celui qui l'encadre financièrement et administrativement. Il contribue aussi à la définition des compétences, des discours et des pratiques nécessaires à sa consolidation.

Le féminisme, en tant que philosophie politique, propose une lecture de la situation et de la condition des femmes. Cette lecture s'appuie sur des connaissances produites par diverses disciplines, notamment des sciences sociales, et se les approprie pour se constituer elle-même en un champ de compétence qui permet de produire des savoirs nouveaux [5]. Dans la mesure où il devient un lieu de production de connaissances, le féminisme est lui aussi soumis à ce que Giddens (1990 : 15) appelle la réflexivité institutionnelle du savoir. C'est pourquoi je suggère que le féminisme québécois est en voie de se constituer en « système expert », puisant dans des disciplines diverses autant que dans les pratiques et la philosophie politique qui lui sont propres afin de se créer un espace de pouvoir.

Affirmer que le féminisme québécois est en train de se constituer en un système expert n'est pas une condamnation, mais bien une constatation du fait qu'il est lui aussi soumis au principe de réflexivité et à la logique de la modernité dans laquelle il est ancré. En tant que champ de connaissances, il paraît normal qu'il se développe en un domaine d'expertise ; plutôt que d'en nier l'évidence, il semble plus fécond d'en étudier les mécanismes et surtout les effets possibles, ce qui ne peut qu'être amorcé dans cet article.

Parallèlement à l'ingérence étatique directe qui se produit à travers le financement des groupes communautaires, ce serait la constitution progressive de ce « système expert » qui entraînerait dans son sillon l'érosion du volet radical du mouvement sociopolitique dont il se réclame. Ce processus suppose une appropriation de certaines connaissances et de certaines méthodes des sciences sociales, y compris celles de l'anthropologie, qui sont utilisées pour lui donner la légitimité dont il a besoin pour s'affirmer dans le contexte actuel. C'est sans doute pourquoi la recherche et la consultation sont si importantes pour les permanentes de groupes qui contribuent, de manière peut-être non prévue, au développement de ce nouveau « système expert ». C'est aussi pourquoi l'anthropologue qui s'engage sur le terrain des groupes de femmes voit son « expertise » mise à profit.


L'individualisme
ou le coût de la modernité

Les penseurs et les analystes de la modernité soulignent tous la centralité de l'individualisme dans nos sociétés. Taylor fait partie de ceux qui fouille cette question complexe. Selon lui la quête d'authenticité dans laquelle s'engage le sujet moderne ne doit pas être comprise comme un simple prolongement de « l'idéologie de l'épanouissement de soi ». Celle-ci peut, dans certains cas, amener « un repliement sur soi et une exclusion, une inconscience même des grands problèmes ou préoccupations qui transcendent le moi... ». Ce repli entraînerait un « aplatissement » de la vie, voire une dépendance face à toutes sortes d'experts et de guides (Taylor, 1992 : 26).

Cependant, comme le souligne Taylor (1992 : 28), l'individualisme n'est pas nécessairement synonyme d'égoïsme. L'épanouissement de soi peut aussi supposer un idéal moral de véracité à soi-même, une quête d'authenticité [6] qui inspire les choix, un appel à la réussite mais aussi au respect des différences, de la diversité. À travers cette quête, l'individu se donne une identité, fruit d'interactions et de dialogues qui servent à démarquer ce qui est significatif de ce qui est trivial dans son existence. L'engagement politique envers la communauté, la solidarité, le respect de l'environnement sont autant d'horizons qui permettent d'affirmer cette spécificité, dont le sens se construit sans cesse à travers les interactions qu'il suscite. La reconnaissance de l'individu prend alors une importance considérable et le refus d'une telle reconnaissance constitue une forme d'oppression (Taylor, 1992 : 68). Cette oppression est bien connue des femmes, qui se sont organisées au fil des ans pour se faire reconnaître en tant qu'individus. Les réflexions qui sous-tendent cette organisation constituent la philosophie politique féministe (Jaggar, 1983).

La philosophie politique féministe fait appel à l'engagement des femmes et constitue pour celles qui y répondent un horizon de sens (selon les termes de Taylor). Cet horizon leur permet d'affirmer une spécificité, « être féministe », dont le contenu n'est pas donné une fois pour toutes, mais plutôt construit dans les interactions qu'il suscite. Ainsi, dans les années 60, l'engagement féministe s'inscrit notamment dans la tension entre le travail de petits groupes de conscientisation et une action collective de revendication. Dans ce contexte, la sororité, ou la solidarité qui la sous-tend, donne un sens aux pratiques et devient un moteur pour l'action. Dans cette perspective, les groupes de femmes constituent des lieux où celles qui y militent parviennent à contrer les effets négatifs de l'individualisme, à créer une solidarité perçue comme nécessaire au projet politique de revendication collective.

Ainsi la philosophie politique féministe en tant qu'horizon de sens propose des valeurs qui inspirent la réflexion et les pratiques dans la mesure où elles permettent de distinguer ce qui est important et ce qui est trivial. Cette philosophie politique peut ainsi donner lieu à la constitution d'une identité propre, inscrite socialement et, en tant que telle, influencée par le contexte dans lequel elle se déploie.

Les propos des bénévoles, des militantes et des permanentes des groupes de femmes avec lesquels nous avons travaillé renvoient encore à des valeurs qu'elles désignent comme féministes. Leurs pratiques actuelles, par contre, s'inspirent très souvent des techniques de la psychologie ou du travail social pour revaloriser les personnes et les aider à trouver des solutions à leurs problèmes dans une démarche ponctuelle et individuelle. Ces pratiques ne semblent pas, à première vue, conformes aux idéaux politiques qui privilégient l'entraide et favorisent l'action collective. Elles supposent très souvent l'intervention de professionnelles ou de femmes qui ont acquis une expertise suffisante pour contrôler le processus d'intervention (et ne pas mettre en danger la personne qui s'y soumet) ; d'où le constat d'une professionnalisation qui vide le mouvement de son contenu politique (notamment en favorisant l'individualisme aux dépens de l'action collective, le repli sur soi plutôt qu'une perspective sociale [7]).

Cependant, les pratiques des groupes où notre équipe s'est implantée nous amènent à penser que la situation est plus complexe qu'elle n'apparaît à première vue. Comme le fait valoir Taylor, la quête d'authenticité et d'autonomie peut être une forme d'engagement, elle peut constituer une valeur morale qui donne un sens à l'existence. Elle peut permettre aux femmes qui n'ont pu le faire ailleurs de s'inscrire dans la modernité en leur offrant un lieu sécurisant où elles peuvent faire l'expérience de l'individuation et amorcer leur épanouissement personnel, essentiel au fonctionnement dans une société moderne. Idéalement, ce qui est recherché à travers ces pratiques individualisantes, c'est un affranchissement des liens de dépendance qui entravent le cheminement personnel puis, éventuellement, un détachement des groupes de soutien eux-mêmes, pour accéder à la sphère publique où les femmes tentent de se faire une place dans le milieu du travail ou sur la scène politique. Pour certaines femmes, le milieu de travail devient les groupes eux-mêmes où elles choisissent de demeurer en tant qu'intervenantes, pour aider d'autres femmes à s'émanciper. Elles oeuvrent alors aux côtés de spécialistes formées pour l'intervention dans ce qu'elles appellent une perspective féministe et acquièrent à leur contact les compétences nécessaires à leur pratique. Les entrevues et les observations faites pendant deux ans montrent bien qu'elles voient dans cet engagement un sens « politique », dans la mesure où il vise à modifier un rapport de force.

Les groupes étudiés sont activement engagés chacun à leur façon dans des projets qui visent l'amélioration de la situation des femmes et ils justifient cet engagement à partir de valeurs qu'ils qualifient de féministes. Par contre, le contenu des pratiques et les méthodes de travail dans les petits groupes se sont ajustés au fil des ans à un contexte qu'il faut maintenant décrire.


La raison instrumentale
et ses relais

Par leur revendication d'une reconnaissance des femmes en tant qu'individu à part entière, les groupes de femmes se heurtent inévitablement à l'appareil bureaucratique porteur, lui aussi, de modernité. Cet appareil, dont les effets ont été largement décrits depuis Weber [8] (1968), impose la raison instrumentale avec son cortège de normes, techniquement efficaces, mais vides de substance et, pour plusieurs, génératrices d'une culture bureaucratique menant à la dépolitisation des citoyens (Dandeker, 1990).

Parmi les exigences du maintien de cet appareil tentaculaire, il faut retenir la nécessité d'une surveillance qui implique l'accumulation d'informations codées et la supervision directe des citoyens. Les sciences sociales jouent un rôle central dans ce processus puisqu'elles ont formulé des méthodes et des théories qui permettent de pénétrer chaque recoin de la vie sociale (Foucault, 1975). La surveillance bureaucratique se fait donc de pair avec la production de connaissances, car le pouvoir administratif, pour exercer sa domination, a besoin de savoir, d'où la nécessaire vigilance des chercheurs face à leur production (voir notamment Giddens, 1987, 1990).

Les professionnels [9], en général (et non seulement ceux oeuvrant dans des groupes communautaires), constituent un des points de contact entre le système de surveillance et la population ; ce sont eux qui, par exemple, produisent l'information. Cette production de connaissances peut avoir des effets non prévus, en particulier lorsque les interprétations contextualisées sont « épurées » au profit d'une relecture qui standardise et homogénéise l'information. C'est ce que font certains intermédiaires, ceux que Hannerz (1992) appelle les experts, qui ont pour tâche de réguler l'information et de la stocker, en la traduisant selon une grille technique et décontextualisante. Cette réappropriation de l'information et sa transcription selon un code qu'eux seuls maîtrisent leur donnent un avantage sur les gens ordinaires.

Comme le souligne Taylor, lorsque les gens ordinaires se replient sur eux-mêmes et se sentent isolés face à l'appareil bureaucratique, ils risquent de devenir dépendants de l'expertise. Ce processus crée ce que Hannerz appelle une fermeture dans la communication, fermeture qui permet la reproduction de l'expertise et, de là, une certaine impuissance des gens qui y sont soumis, volontairement ou non. Mais certaines personnes s'approprient, individuellement ou collectivement, les règles du jeu des experts et parviennent ainsi à marquer des points dans leur rapport à l'appareil bureaucratique.

Je vais suggérer que les professionnelles qui travaillent dans les groupes communautaires et dans les groupes de femmes se constituent en un « réseau expert » dont les membres offres des services exigeant un savoir spécialisé, qu'elles parviennent à contrôler. Lamoureux (1992 : 706) attribue le passage de l'entraide mutuelle vers la prise en charge par des professionnelles à ce que plusieurs appellent « le virage des groupes communautaires vers les services » :

De plus en plus, celles qui dispensent des services se perçoivent comme des professionnelles et se comportent en conséquence : d'une part, elles ont acquis, par une pratique soutenue, par des études ou par la combinaison de ces deux moyens, une compétence dont elles estiment qu'elle doit être considérée ; d'autre part, les rapports qui s'instaurent entre « dispensatrices » de services et « bénéficiaires » s'apparentent plus à la relation d'aide qu'à celle d'entraide.

Ainsi, le recrutement de professionnelles aux expertises variées (psychologues, travailleuses sociales, organisatrices communautaires, juristes, etc.) introduit dans les groupes des personnes qui possèdent à la fois le vocabulaire féministe et la compétence disciplinaire nécessaire au codage de l'information pour l'appareil bureaucratique [10]. Ce sont ces personnes qui sont engagées pour rédiger, par exemple, des demandes de fonds pour des projets recevables par l'État, mais suffisamment « féministes » pour justifier leur implantation en dehors du réseau des affaires sociales. Ce sont aussi elles qui savent produire des rapports d'activités qui satisfont aux normes bureaucratiques tout en faisant valoir la pertinence de maintenir des groupes communautaires en marge du réseau public. Ces mêmes personnes sont souvent recrutées pour mener à terme les projets qu'elles ont planifiés ; elles interviennent alors directement auprès des femmes selon des problématiques dont les termes de référence sont souvent donnés par l'État (violence conjugale, toxicomanie, dépendance affective, etc.), ce qui explique probablement leur financement. Ces personnes se situent dans l'interface entre l'appareil d'État et les groupes communautaires, c'est pourquoi nous les avons nommées les « relais » (Couillard et Côté, 1992a).

Il va sans dire que la plupart de ces professionnelles exigent une rémunération pour leurs services, qu'elles les offrent de façon continue, lorsqu'elles sont permanentes, par exemple, ou sporadiquement, lorsqu'elles agissent en tant que consultantes. Certaines offrent leurs services de façon bénévole, mais elles sont de plus en plus rares et les revendications actuelles exigent que le travail soit reconnu, c'est-à-dire rémunéré.

Les groupes doivent donc s'assurer d'un financement suffisant pour garantir ces salaires. Ce financement vient en grande partie de l'État, sous forme de subventions dont l'obtention suppose une compréhension du vocabulaire et de la logique de l'appareil bureaucratique (pour la formulation de projets recevables, de rapports d'activités, d'évaluations et d'états financiers). Les groupes engagent donc des permanentes qui peuvent leur assurer ce financement et glissent un peu plus dans la spécialisation professionnelle (Couillard et Côté, 1991). Certains groupes sont d'ailleurs désignés comme de « petites entreprises », menées avec brio par des « entrepreneures » dynamiques. Nous sommes donc effectivement très loin des groupes d'entraide bénévoles, véhicules de la philosophie politique féministe.

Ce développement d'« entreprises communautaires féministes » s'est vu d'ailleurs consolidé par la réforme de la santé et des services sociaux de l'ex-ministre Côté, qui en a fait une extension « naturelle » du réseau des services de l'État (Couillard et Côté, 1992b). Cela n'est pas surprenant, car les professionnelles sont très souvent en lien avec les « fémocrates », ces féministes en poste dans les différents ministères et qui luttent pour la cause des femmes à partir de leur position respective, et dont elles obtiennent un appui réel pour faire valoir leurs intérêts. Elles sont aussi en contact avec les féministes universitaires, qui sont sollicitées comme consultantes rémunérées ou non [11] pour affiner leurs analyses stratégiques. Le processus dépasse donc largement la simple professionnalisation des groupes de base.

Tout indique en fait que c'est le féminisme lui-même qui se constitue en un « système expert ». Dans ce système, les professionnelles des groupes communautaires de femmes interviennent auprès de ce qu'elles désignent comme une clientèle. Soulignons l'utilisation de ce terme qui, tout comme celui d'usagère, est utilisé pour désigner les femmes qui participent aux activités des groupes, trahissant ainsi l'influence du discours bureaucratique sur les pratiques féministes. S'y trouvent aussi des « fémocrates » qui font des pressions à l'intérieur de l'appareil d'État en faveur du projet féministe et des intellectuelles qui produisent une réflexion théorique et méthodologique pour donner à l'ensemble la cohérence et la légitimité scientifique essentielle à tout « système expert ».

Rien ne permet cependant d'affirmer que ce système englobe l'ensemble du mouvement des femmes. Certaines « dissidentes » s'affirment avec force, protestant contre ce qu'elles considèrent comme un virage autoritaire qui fait fi de la remise en question des rapports de pouvoir et des hiérarchies, pourtant centrale dans la philosophie politique féministe et perçue comme le moteur des luttes collectives. Pour reprendre la formulation de Taylor (1992), ces femmes ne perdent pas de vue « l'horizon de sens » dont est tissée leur identité de militantes et continuent de revendiquer la reconnaissance, le droit à la différence et l'abolition des rapports de pouvoir. Elles constituent à mon avis la résistance qui est, elle aussi, un indice de la mise en place d'un dispositif de pouvoir.

Ainsi certaines féministes réagissent, notamment, par la tenue de sessions de réflexion ou de formation sur le pouvoir que confère la reconnaissance de l'expertise [12], dans un effort pour contrôler les effets négatifs de la mise en place d'un courant qui s'affirme avec une force grandissante. Elles s'inquiètent en fait du développement d'une expertise associée à la tâche d'intervenante féministe. Cette expertise se consolide peu à peu grâce à la mise en oeuvre quotidienne de savoirs qui acquièrent ainsi un caractère objectivant, voir mystificateur, dans la mesure où ils peuvent être utilisés pour maintenir les « clientes » dans un rapport de dépendance relatif (Bledstein 1976). Les recherches portant sur les experts et les professionnels en général décrivent clairement les fondements et les mécanismes de ce type de pouvoir. Elles sont unanimes à désigner la distance qui s'installe entre l'expert et le client comme garant des privilèges et du pouvoir du premier. De plus, les experts auraient une propension à s'associer avec d'autres experts. Ceux-ci se reconnaîtraient entre eux, créant des grappes qui participent d'une même « culture », échangeant l'information utile selon leurs diverses perspectives disciplinaires et ayant en commun d'être soumis à la rationalité bureaucratique. Il se créerait ainsi des réseaux de support qui favorisent l'exercice du pouvoir.

Comme le montre Hannerz (1992 : 119), les connaissances des experts sont difficiles à évaluer pour quelqu'un qui n'appartient pas à leur communauté, ce qui leur garantit une très grande autonomie. Hannerz note de plus que le transfert de savoir des experts vers la population est toujours limité, voire inexistant. L'expert utilise ses connaissances pour modifier l'existence de ses clients (soit directement dans le cas d'un professionnel ou en modifiant les structures dans le cas d'un technocrate), et ceux-ci doivent ensuite composer avec les effets de ces interventions. Le langage des experts est par définition spécialisé et technique. Il constitue un discours fermé tant par la définition qui est offerte des problèmes que par les solutions identifiées, ce qui permet de rappeler au client les limites de sa propre compétence. L'expert doit prétendre savoir, c'est là la source de son pouvoir.

Certaines femmes, sans nécessairement avoir identifié clairement la mise en place de ce que je désigne par l'expression « système expert », semblent sentir cette mouvance et y résistent. Une littérature abondante, qui dépasse le cadre de ce texte, montre que les femmes des minorités ethniques, les femmes de couleur, surtout aux États-Unis, et les femmes des pays recevant l'aide internationale se soulèvent contre ce qu'elles considèrent comme un nouvel impérialisme porté par celles qu'elles nomment « les féministes blanches de la classe moyenne ». À l'échelle canadienne, le dernier colloque de l'Institut canadien de recherche sur les femmes (1992) a été saisi par la colère des femmes immigrantes qui ont occupé l'avant-scène, protestant contre la domination des « femmes blanches ». Au Québec, les célébrations entourant l'anniversaire de l'obtention du droit de vote organisées autour de l'événement « Femmes en tête », en 1990, ont aussi été l'occasion de telles manifestations de la part de femmes immigrantes.

Piron (1992) a clairement analysé les effets de pouvoir d'un certain discours féministe dénonciateur qui présente les femmes comme universellement opprimées, sans égard pour les enjeux locaux ou pour leurs compétences particulières. Le type de discours qu'elle dénonce s'appuie généralement sur de l'information provenant de l'anthropologie, de l'histoire, de la sociologie rurale, sélectionnée et réinterprétée à la lumière d'une certaine grille féministe standardisante et décontextualisante, celle-là même qui produit notamment le sujet « femmes du Tiers-Monde ». St-Hilaire (1993), dans une thèse de doctorat en science politique remarquablement courageuse pour une féministe engagée, montre comment ce qu'elle appelle le féminisme universel, lorsqu'il s'institutionnalise, se constitue en un dispositif de pouvoir qui permet une gestion efficace des femmes du Tiers-Monde et leur assujettissement à un ordre qu'elles n'ont pas choisi. Elle conclut que ce dispositif est repérable dans des institutions (les agences internationales d'aide comme l'ACDI), des discours (dans la littérature sur les thèmes « femmes et développement » ou « genre et développement ») et des pratiques (des projets dont les objectifs visent spécialement les femmes).

Ces percées du féminisme dans le domaine international sont, sans aucun doute, en rapport direct avec son évolution dans les pays industrialisés. Ce sont souvent les mêmes intellectuelles qui produisent des connaissances sur les femmes dans les pays riches occidentaux et sur les femmes du Tiers-Monde [13]. Plusieurs praticiennes du développement dans les pays du Sud sont des militantes féministes qui privilégient des partenaires partageant leurs analyses. Elles décident parfois de poursuivre des études supérieures lorsqu'elles rentrent au pays, notamment dans des programmes d'études féministes [14], pour améliorer leur statut d'expertes.

Du point de vue des féministes, cette réalité peut être vue comme un indice de succès : le féminisme marque des points, il pénètre des institutions et des espaces qui étaient jusqu'à tout récemment interdits ; il donne aux femmes un pouvoir qu'elles savourent pleinement. Selon moi, ce succès est imputable principalement à la capacité du féminisme de se structurer en « système expert ».

Diane Lemieux, avocate et présidente du Regroupement québécois des CALACS [15], affirme, par exemple, dans l'Agenda des femmes (1993 : non paginé) :

Je joue à la spécialiste ; je dissèque certains événements de l'actualité, je me prononce, j'analyse le tout selon les valeurs qui m'habitent, j'assemble les nuances que mes compagnes m'indiquent. J'essaie d'utiliser les occasions les plus à propos pour inscrire notre logique dans un contexte actuel.

Plus loin, elle souligne que : « Nous sommes des " spécialistes » ; notre propos est pertinent, notre expérience a beaucoup de valeur, nos points de vue méritent d'être exprimés et expliqués. "

L'auteure, très appréciée dans plusieurs milieux, offre ses services comme conférencière-formatrice, y compris dans des groupes et des regroupements de femmes. Elle déclare :

Les groupes de femmes sont affectés par des concepts défraîchis, un vocabulaire hermétique, le jargon s'est infiltré dans le développement de notre pensée, de notre langage. Des mots, des expressions qui brouillent notre vision fondamentale, qui nous entraînent dans une communication indirecte (Lemieux, 1993 : non paginé).

Une analyse préliminaire de nos données pointe dans la même direction : les femmes dans les groupes étudiés veulent prendre la parole pour se donner du pouvoir, mais les hésitations, la confusion et les silences qui marquent leurs propos semblent indiquer qu'il y a une rupture dans ce que Hannerz (1992 : 123) appelle le « courant de signification » (flow of meaning). Dans un premier temps, il m'a semblé que cette rupture était imputable à un vocabulaire technique mal compris, mal assimilé ou simplement non pertinent. Aujourd'hui, je pense que ce pourrait être là un indice de plus de la mise en place d'un « système expert » qui doit homogénéiser, standardiser le vocabulaire et les analyses, obligeant les femmes à parler d'elles-mêmes et de leur existence dans des termes objectivants spécialisés et décontextualisés.

De Koninck et Savard (1992 : 60) ont une position plus ambiguë lorsqu'elles soulignent la nécessité de développer une théorie de l'intervention féministe afin d'en assurer l'évolution en tant que pratique alternative constituée et non seulement en tant que technique. Cela pourrait laisser croire qu'elles favorisent la consolidation de ce que j'ai identifié comme un « système expert ». Cependant, elles insistent sur les liens à maintenir avec le mouvement social plus large, afin d'éviter la rigidité d'une orthodoxie qui clôt le discours. Le problème qui se pose est celui de savoir si le mouvement va survivre au développement d'un tel « système expert » ou s'il ne va pas tout simplement être miné par ces pratiques objectivantes.

D'autres auteurs sont plus radicaux et réfléchissent aux moyens à prendre pour limiter le développement de l'expertise. Corpet Hersent et Laville (1986 : 120), par exemple, affirment à propos des collectifs de réflexion :

[...] il importe en effet de ne pas clore un débat à peine ouvert en créant trop rapidement un nouveau mode d'expertise [...] La possibilité d'un savoir sans privilège n'est envisageable qu'au travers d'une stratégie paradoxale alliant une démarche résolument utopique, celle d'une société sans experts, ce qui ne signifie pas sans compétences ou sans professionnalité, à un pragmatisme ancré dans les contacts et les accords passés avec des acteurs volontaires dans des situations concrètes.

Tant et aussi longtemps que l'intervention féministe implique une professionnalisation de ses effectifs tout porte à croire qu'elle participera au développement d'un « système expert » féministe. Dans le contexte actuel, de tels systèmes sont nécessairement construits sur un mode hiérarchique dans la mesure où ils reconnaissent un pouvoir à celles qui sont détentrices d'un savoir technique et le dénient aux autres.


L'anthropologue féministe
et l'expertise

La tâche de l'anthropologue dans un contexte de modernité n'est certes pas simple. Les interventions continues d'experts aux horizons divers façonnent le social, modifiant ainsi activement son objet de recherche, alors même qu'il tente d'en saisir les contours. L'anthropologue se donne comme objectif de comprendre les liens complexes entre les idéaux et les pratiques, le sens que donnent les acteurs sociaux au monde dans lequel ils évoluent, mais les discours objectivants des spécialistes de tout ordre, restitués par des informateurs constituent parfois le principal matériel dont il dispose.

C'est en effet pour le moins étonnant d'entendre des femmes parler d'elles-mêmes et de leur expérience dans les termes des experts, comme si elles vivaient à l'extérieur d'elles-mêmes, s'observaient, s'analysaient, prêtes à rendre compte de leur « vécu » de manière décontextualisée, objective et neutre. Leurs propos sont codés, à première vue, tout comme les propos des experts. C'est un peu comme si elles se traitaient en objet d'expertise et, lors d'une première lecture, cela fait penser à ce que Taylor appelle un « aplatissement » de la vie. Mais reste à vérifier si tel est le cas. Peut-être ces femmes se sont-elles en réalité réapproprié ces codes, peut-être ceux-ci renvoient-ils maintenant à un contenu significatif pour elles. Ou peut-être voulaient-elles simplement se rendre repérables par l'anthropologue, qu'elles voient comme un expert de plus, quoique moins connu, afin de faciliter la communication.

Dans un contexte de modernité, le social avec lequel l'anthropologue entre en contact a déjà été travaillé par des professionnels et les gens qu'il côtoie attendent de lui qu'il en fasse autant. L'observation est nécessairement participante ici et l'anthropologue est invité à se joindre aux intervenants, à faire valoir la pertinence de sa lecture de la réalité et l'efficacité de certaines stratégies d'action. L'anthropologue est sommé de faire du service, d'intervenir, de s'engager activement et directement dans la réflexivité. Il devient par conséquent de plus en plus difficile de conserver une position critique face aux processus vécus et étudiés.

Dans ces circonstances, il est clair que le retour des données et le partage des analyses qui sont des pratiques courantes lorsque les informateurs et les informatrices le souhaitent, ont un effet sur leurs discours. Cette nouvelle lecture de leur réalité, intégrée conformément au principe de réflexivité du savoir propre à la modernité, peut modifier leur analyse de la situation et, de là, leurs pratiques.

C'est le cas dans les groupes de femmes de la région de Québec, dont les discours ont été pénétrés depuis plus d'une décennie par de nombreux spécialistes. Leurs propos et leurs pratiques pourraient être interprétés comme constituant, à l'heure actuelle, la base du développement d'un « système expert » féministe autonome. Conformément au principe de réflexivité, l'appropriation par les militantes de la lecture de leurs besoins et de leurs pratiques faite par des spécialistes divers intervenant dans les groupes de femmes aurait déjà eu un effet de retour sur les disciplines respectives de ces spécialistes. Celles-ci ont dû développer un vocabulaire et des techniques plus appropriés à la situation des femmes. Ainsi, le travail social, la psychologie, le counseling, et bien d'autres ont créé des modèles d'intervention féministe. Ces modèles sont maintenant réintroduits dans les groupes sous la forme d'interventions professionnelles de permanentes ou de consultantes qui s'affichent d'abord comme féministes. Se crée dans ce processus un nouvel espace d'expertise, celui de l'intervention féministe.

Ce nouvel espace d'expertise trouve sa légitimité dans le développement parallèle d'un point de vue féministe dans les disciplines des sciences sociales, auquel l'anthropologie contribue directement, notamment en produisant un matériel abondant sur la situation des femmes dans d'autres contextes socioculturels. Le relecture des analyses produites par des chercheurs et les nouvelles connaissances apportées par les chercheures féministes de toutes les disciplines contribuent directement à enrichir la réflexion des philosophes féministes et à adapter les valeurs qu'elle propose à la réalité du monde moderne. Paradoxalement, elles contribuent aussi, quoi qu'involontairement, à la constitution progressive d'une expertise féministe, d'un nouveau régime de vérité, qui produit lui aussi des effets de pouvoir. Alors que la philosophie politique féministe souhaite élargir le champ des possibles, l'expertise féministe contribue à le refermer.

L'anthropologie est clairement partie prenante dans ce processus, car on peut penser qu'elle cherche elle aussi à se constituer en un système expert rivalisant avec les autres, ou s'y combinant pour se frayer un espace de pouvoir et de légitimation, comme en témoigne notamment Tremblay (1990). En tant que discipline du social, elle peut nourrir la réflexion féministe et s'enrichir à son contact, dans la mesure où les deux parviennent à conserver une ouverture critique ; en tant que « système expert », l'anthropologie serait en concurrence directe avec le « système expert » féministe, chacun produisant sa « vérité » et luttant pour l'imposer.


Références bibliographiques

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[1] L'expression « système expert » vient des travaux d'Anthony Giddens portant sur la modernité, notamment son ouvrage de 1990 dans lequel, à la page 27, il précise : By expert systems I mean systems of technical accomplishment or professional expertise that organise large areas of the material and social environments in which we live today. Dans le texte qui suit, le terme renvoie à l'expertise professionnelle qui se constitue en un « système » avec des ramifications multiples.

[2] Ce projet portant sur le pouvoir dans les groupes de femmes fut mené principalement grâce à une subvention de trois ans du Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH), entre 1990 et 1993 (subvention no 410-90-0529). Ginette Côté y a joué un rôle central en tant que professionnelle de recherche engagée à chaque étape de la recherche. Quatre étudiantes de premier cycle, Annie Morin, Chantal Ouellet, Magalie Savard et Monica Tremblay ont aussi participé à la collecte des données. Je remercie sincèrement Claude Bariteau, Ginette Côté et Florence Piron pour leur lecture attentive de ce texte. Leurs commentaires m'ont amenée à préciser ma pensée, mais j'assume seule, comme il se doit, la responsabilité de l'analyse proposée.

[3] Notamment à travers le travail de « [...] ces inclassifiables " permanents » des groupes de pression, animateurs et fonctionnaires des associations essentiellement orientées vers la revendication des faveurs étatiques. La griffe technocratique a, en quelque sorte, partout laissé sa marque : les conditions d'exercice et le langage du pouvoir en portent désormais l'empreinte " (Simard, 1979 : 92).

[4] Ce qui l'amène à affirmer, par exemple : « [...] toute délégation de pouvoir à d'autres qu'aux élus, c'est-à-dire toute délégation de pouvoir échangé non pas contre des votes mais contre de l'argent (salaire), est une transposition du rapport marchand qui contribue à enlever du pouvoir au membre » (Godbout, 1987 : 82).

[5] Jaggar (1983 : 17) formule clairement cette idée : « It is not only to discover the means of social change that political philosophers require scientific knowledge. In order to engage in a critique of contemporary society, a political philosopher must know what is going on in that society. [...] An intimate relation exists, then, between political philosophy, on the one hand, and, on the other hand, such sciences as psychology, economics, political science, sociology, anthropology and even biology and the various technologies. [...] A knowledge of many sciences is necessary to give substance to the philosophical ideal of human well-being and fulfillment... » On peut lire dans cet extrait une distinction entre l'utilisation des sciences sociales dans le but de trouver des moyens (plus ou moins techniques) d'introduire des changements, et leur utilisation pour nourrir une nouvelle réflexion critique dont l'un des objectifs est d'offrir des idéaux qui inspirent l'action.

[6] Taylor (1992: 39) trace les origines de l'éthique de l'authenticité de la façon suivante : dès la fin du XVIIIe siècle, elle se développe à partir des formes anciennes de l'individualisme, comme le rationalisme libre de Descartes, qui impose à chaque personne la responsabilité de penser par elle-même, ou l'individualisme politique de Locke, qui attribue à la personne et à sa volonté la priorité par rapport aux obligations sociales. Mais l'authenticité moderne est entrée aussi, à certains égards, en conflit avec ces formes anciennes. Elle procède du romantisme, qui condamne le rationalisme libre et l'atomisation parce qu'ils rompent les liens de la communauté.

[7] En témoigne la tendance actuelle, qui favorise l'engagement dans les structures politiques existantes, le développement de l'entrepreneurship féminin et la participation aux conseils d'administration ouverts au public. Chacune de ces avenues fait l'objet de programmes, aide ou de formation spécifique aux femmes pour les soutenir dans leurs entreprises (qui demeurent, soulignons-le, des entreprises individuelles), par différents organismes dont le mandat est de travailler sur la condition féminine.

[8] Notamment en ce qui concerne le problème de la marge de liberté des individus face à ce que Tocqueville (1981: 385) a appelé cet « immense pouvoir tutélaire » de l'État bureaucratique.

[9] Dans sa discussion du pouvoir culturel de l'expertise, Hannerz (1992: 119) parle de deux groupes porteurs de « savoir occupationnel spécialisé » (specialized occupational knowledge) : les technocrates et les professionnels. Les deux possèdent une impressionnante masse de connaissances organisées ou du moins y ont accès par la technologie moderne ; ces connaissances ont été acquises dans un secteur spécialisé du système d'éducation puis élargies et maintenues par la pratique.

[10] À titre d'exemple, parmi les 30 femmes interviewées lors du projet portant sur le pouvoir dans les groupes de femmes, 17 avaient des formations universitaires. Les autres avaient pris des cours ou possédaient des formations diverses ne menant pas nécessairement à l'obtention d'un diplôme, mais les exposant aux concepts et aux vocabulaires spécialisés dans une discipline particulière. Soulignons que la sélection de ces répondantes a été faite en fonction de la problématique du pouvoir et non pas de celle du développement de l'expertise féministe.

[11] Pour plusieurs universitaires, le partage sans rémunération de leur savoir découle d'un engagement pour la cause des femmes. D'autres, par contre, pensent qu'il faut valoriser les compétences des femmes et que cette valorisation a un prix. Des informatrices ont rapporté qu'une professeure de Montréal fait payer plus de mille dollars par jour aux groupes de femmes pour son expertise en communication.

[12] Notamment lors du colloque sur la santé mentale organisé par le Centre femmes d'aujourd'hui de Québec, au printemps 1993.

[13] C'est d'ailleurs mon cas, ayant d'abord participé au développement avec les femmes (un projet de l'UNICEF avec les paysannes malaises), puis à la gestion de la recherche sur les femmes et le développement au Sahel (en tant que responsable d'un groupe de recherche du Centre Sahel) et à la formation notamment en tant que coresponsable de l'Atelier international sur les femmes et le développement offert à l'Université Laval. Ces expériences colorent sans aucun doute mes analyses des groupes de femmes de la région de Québec.

[14] L'Université Laval emboîte d'ailleurs le pas, puisqu'elle a donné le feu vert à l'implantation d'un diplôme de deuxième cycle en études féministes. Ce diplôme s'adresse notamment aux intervenantes qui sentent le besoin de poursuivre leur réflexion, mais aussi de se donner une légitimité scientifique.

[15] CALACS : Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 25 janvier 2011 18:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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