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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marie-Andrée Couillard et Ginette Côté, “L’engagement des Québécoises: trajectoire identitaire.” In ouvrage sous la direction de Jacques Hamel et Joseph Yvon Thériault, LES IDENTITÉS. Actes du colloque l’ACSALF du 12 au 14 mai 1992, pp. 177-206. Montréal: Les Éditions du Méridien, 1994, 585 pp. [La présidente de l’ACSALF, Mme Marguerite Soulière, nous a accordé le 20 août 2018 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[177]

Les identités.
Actes du colloque de l’ACSALF du 12 au 14 mai 1992.
TROISIÈME partie :
IDENTITÉS, COMMUNAUTÉS CULTURELLES
ET QUESTIONS NATIONALES

L’engagement des Québécoises :
trajectoire identitaire
.”

Par Marie-Andrée COUILLARD
et Ginette CÔTÉ


[178]
[179]

 L’identité nationale se construit et se reconstruit à travers des pratiques quotidiennes de tous ordres. Nous allons nous intéresser ici aux pratiques de femmes impliquées dans le mouvement des femmes de Québec afin de mettre en relief les éléments de leur engagement qui semblent les distinguer. Par cette démarche, nous voulons montrer comment le féminisme québécois doit composer avec les exigences de stratégies de pouvoir multiples. Les données pour cette communication ont été recueillies dans la région du Québec métropolitain, grâce à une subvention de trois ans du CRSH du Canada. Une approche qualitative dans l’analyse d’entrevues en profondeur, nous a permis de retracer les itinéraires de 25 informatrices engagées dans des groupes de femmes d’appartenances idéologico-politiques très diverses. Ces itinéraires servent de point de comparaison pour discuter brièvement de la position de la Fédération des femmes du Québec sur l’identité nationale.

Introduction

Cet article pose le problème de l’engagement des femmes de la base comme mécanisme de création identitaire [1]. Il s’appuie sur l’idée que l’identité se crée non seulement à travers une réflexion structurée, mais aussi à travers des pratiques et des discours quotidiens. C’est un travail avec les membres des groupes de femmes de la ville de Québec depuis près de deux ans qui alimente cette réflexion. Aucun de ces groupes ne s’est donné comme mandat de contribuer formellement à la définition de l’identité québécoise ; par contre, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) participe activement à la mise en place des éléments nécessaires à la prise en compte des femmes dans le Québec de demain.

Notre analyse s’est construite autour d’un questionnement qui cherche à savoir si les exigences d’un discours moderne et universalisant [180] comme celui de la FFQ, essentiel au débat politique actuel, doit sacrifier d’autres types de discours eux aussi importants dans le mouvement féministe. Un premier survol nous incitait à croire que la FFQ vise une sorte de fusion de différentes « tendances ». La question était alors de savoir quelles sont ces tendances et jusqu’à quel point elles sont effectivement représentées, ou représentables, dans la formulation du projet de la FFQ. Pour cette raison nous avons décidé de partir de ses propos tels qu’énoncés, par exemple, dans le mémoire déposé à la commission Bélanger-Campeau et dans un document de consultation nationale formulé à son initiative, mais avec la collaboration d’autres participantes du mouvement des femmes.

Nous avons adopté une approche qui analyse différents discours, plutôt que des pratiques propres à des groupes spécifiques. Nous voulons montrer que ces discours sont porteurs de stratégies de pouvoir fort différentes. Il faut souligner que ces discours peuvent parfois être portés par une même femme, selon les circonstances, ou encore que certaines femmes s’identifient plus fortement à l’un ou à l’autre et orientent ainsi leurs pratiques. Cette façon d’aborder l’organisation des femmes nous paraît prometteuse d’abord à cause de sa souplesse. En effet, toute typologie visant à étiqueter des groupes ou les pratiques des femmes se bute à la complexité de la réalité actuelle qui invite à des stratégies multiples et diversifiées. Nous allons revenir sur ce point plus loin.

Après avoir présenté la position de la FFQ sur la question des femmes dans le Québec de demain, nous allons proposer une typologie des différents discours portés par les femmes engagées dans des actions communautaires et analyser la logique qui les sous-tend. Notre objectif est de faire ressortir les valeurs qui sont associées à ces discours, de montrer comment elles peuvent ou non devenir des occasions de collaboration, et donner lieu à la création de trajectoires identitaires. Puisque la FFQ est la seule organisation politique au Québec qui se donne comme mandat de défendre les intérêts des femmes nous pensons important de souligner en conclusion quelques uns des défis qu’elle doit relever. Nous terminons en montrant que le manque d’enthousiasme des femmes de Québec avec qui nous travaillons face au projet de la Fédération ne peut probablement pas s’expliquer par son manque de représentativité (au sens de prise en compte de différences tendances idéologiques), et que tous ses efforts pour assurer cette représentativité et se créer une base vont probablement se buter à un problème d’un tout autre ordre. Notre analyse se termine sur l’identification de cette contrainte.

[181]

Préambule contextuel

Dans son mémoire présenté à la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec (commission Bélanger-Campeau) la Fédération des femmes du Québec prend position, de façon non partisane, en faveur de la souveraineté du Québec. Cette option se justifie, selon ses analystes, puisque le régime confédéral actuel est source « d’incohérence au niveau des politiques, et les Québécoises en font les frais [2] ». La nécessité de défendre le caractère distinct de la société québécoise sous-tend cette position.

À ce chapitre la FFQ souligne que les Québécoises font davantage confiance à leur gouvernement provincial, parce qu’elles sentent que c’est à ce niveau qu’elles peuvent intervenir plus efficacement (FFQ, 1990 : 9). Les cultures dominantes au Canada anglais et au Québec (au sens de mentalité) seraient suffisamment différentes pour que les législations pertinentes pour les uns ne le soient pas pour les autres. Il en est ainsi de l’avortement alors que les Québécois témoignent d’une plus grande ouverture d’esprit que les habitants des autres provinces (FFQ, 1990 : 9). Ainsi, au-delà de la langue, c’est la culture qui distingue le Québec, et le maintien de cette culture exige des pouvoirs politiques et législatifs distincts.

Les éventuels détenteurs de ces pouvoirs devront reconnaître la spécificité des besoins des femmes selon leur âge et leur milieu socioéconomique, la diversité régionale, l’origine ethnique, sans oublier les droits des autochtones. La FFQ affirme que le succès d’un tel projet de société suppose l’intervention de l’État, notamment afin d’éviter que le consensus social ne se polarise autour des seules considérations économiques imposées par les lois de la libre entreprise (FFQ, 1990 : 17). L’option non partisane de la FFQ situe son intervention au dessus des débats entre partis. Elle vise à provoquer chez les citoyennes un sentiment d’urgence, sentiment qui devrait les inciter à s’impliquer pour influencer non seulement les politiciens et politiciennes, mais aussi à occuper les appareils d’état.

Cette volonté de susciter l’engagement politique des Québécoises inspire aussi la vaste consultation nationale entreprise, en 1991, à « l’initiative de la FFQ, avec la participation des comités femmes des syndicats, des groupes de femmes, du Conseil du Statut de la femme et des femmes militantes ». L’objectif de cette consultation est de mobiliser les femmes du Québec, peu importe leurs origines, leur âge, et leur [182] situation socio-économique [3] afin qu’elles prennent la parole et exercent leur « pouvoir » dans la réalisation de ce qu’elles appellent « un projet féministe de société ». Cette consultation déboucha sur le Forum national des femmes tenu en mai 92, à Montréal, une rencontre spectaculaire où plus d’un millier de femmes de toutes appartenances sociales, ethniques et politiques se sont retrouvées pour discuter de l’avenir du Québec. Ce projet s’inscrivait dans la politique de la FFQ qui fait des femmes des citoyennes à part entière, luttant pour que soient reconnus leurs intérêts tant au plan politique que constitutionnel (FFQ, 1990 : 3), mais aussi responsables, au même titre que les hommes, de la définition d’un projet de société global et non seulement des « questions femmes ».

À propos des valeurs et de l’identité

La position de la FFQ, et celle des responsables de la consultation, s’appuient sur un postulat selon lequel la culture québécoise est distincte de la culture canadienne ou nord américaine. Cette culture marquerait l’engagement des Québécoises, et devrait être inscrite dans le projet de société qui sera défendu. Le mémoire de la FFQ souligne que le projet de constitution rattaché à la déclaration de souveraineté devrait être porteur des valeurs québécoises (FFQ, 1990 :12) et qu’il devrait être élaboré par une assemblée élue au suffrage universel et composée d’un nombre égal de femmes et d’hommes (FFQ, 1990 : 13).

Les valeurs telles qu’exposées dans le mémoire sont inscrites dans un langage juridique : respect des droits et libertés de la personne, droits des citoyens et citoyennes au travail, à la santé, au logement, à l’éducation, à un environnement sain, à la sécurité du revenu, à la sécurité physique ; reconnaissance juridique de l’égalité entre hommes et femmes et contrôle des femmes sur leur maternité ; reconnaissances des droits des enfants selon la Convention internationale de l’ONU ; reconnaissance des droits ancestraux des premières nations.

Nous sommes toutes conscientes que le contenu spécifique de ces droits reste à définir, mais il nous semble que la notion de valeurs distinctes peut difficilement se réduire à des dispositions légales. Selon le Collectif Clio ( 1992 :591) une des caractéristiques des luttes québécoises c’est précisément qu’elles privilégient le changement social par des modifications législatives. En reconnaissant la nécessité de balises juridiques claires, respectueuses de nos valeurs, nous sommes aussi conscientes qu’une société ne se définit pas uniquement par son appareil [183] législatif. Il faut aussi cerner les aspects qualitatifs des rapports interpersonnels tels qu’ils se définissent à travers des pratiques culturelles (la culture n’étant pas seulement l’expression artistique, mais bien une « façon d’interpréter le monde », de lui donner un sens).

La consultation nationale menée à l’initiative de la FFQ et le guide qui l’accompagne, peut être interprétés comme une démarche visant à identifier le contenu spécifique de la culture féministe québécoise. Pourtant les organisatrices ont choisi de privilégier, pour les débats, des axes relativement neutres. Ainsi, ce sont les valeurs associées à l’équité, l’égalité, la démocratie, le pacifisme et la non violence, le respect de la pluralité et de l’environnement qui sont proposées pour discussion. Cette consultation oriente donc le débat sur une trajectoire « moderne », « légaliste », et relativement « universalisante ». Les différences, les points de divergence et la richesse du contenu québécois se révélera dans le contenu des réponses. Soulignons de plus que ces axes devraient faciliter l’atteinte d’un consensus sur les objectifs à atteindre tout en permettant d’intégrer des femmes d’horizons très variés. Il semble normal qu’un organisme qui vise la représentativité politique cherche à repérer les points sur lesquels l’ensemble des femmes se montre solidaire.

Ainsi, à l’aube d’un référendum constitutionnel [4], la FFQ et ses partenaires reviennent à la charge pour dénoncer ce qui leur semble de l’inertie et encourager les femmes à s’impliquer dans la conception du Québec de demain. Le Conseil du statut delà femme, pour sa part, déplore le petit nombre de femmes dans les positions de pouvoir, surtout dans la politique active. Tous se tournent vers les groupes de femmes de la base pour stimuler l’engagement, ou pour y solliciter un mandat implicite qui lui permettrait de mettre de l’avant une proposition féministe de société à caractère québécois. Dans les groupes, et dans le regroupement où nous travaillons, les femmes manquent visiblement d’enthousiasme devant cette sollicitation. Il nous semble important d’expliquer pourquoi.

Au coeur d’une division

Certaines auteures se sont déjà penchées sur le mouvement féministe pour en comprendre la complexité, la diversité et le dynamisme, et plusieurs ont déjà proposé une typologie de ses différents courants. Jean (1977) les identifie à partir de leurs objectifs et les situe dans une perspective de changement social : l’un viserait des réformes législatives en vue d’atteindre l’égalité ; l’autre, plus révolutionnaire, s’attaquerait au [184] patriarcat comme système social. Un troisième courant, associé aux marxistes, lierait ses luttes à celles qui réclament des changements socioéconomiques. Gagnon (1976) parle plutôt de mouvement d’idée et de style d’intervention, et elle partage le mouvement entre les radicales et les modérées, toutes deux unies dans leurs luttes contre les injustices. Les modérées penseraient la situation des femmes en termes de rôles et de tâches et viseraient une modification dans la répartition des charges ; les radicales la penseraient en terme d’oppression et de domination. St-Jean (1983) adopte une perspective chronologique et présente les revendications des femmes comme si elles avaient fait l’unanimité à l’intérieur du mouvement.

Dumont (1986) propose elle aussi une typologie du mouvement féministe qui s’appuie sur les grands débats et leurs impact sur les objectifs que se donnent les groupes qui donnent vie au mouvement des femmes. L’auteure identifie quatre pôles : ceux portant sur le corps, le travail, la parole, et le pouvoir. Le premier vise à émanciper le corps du contrôle qu’exercent les hommes. Le second demande notamment l’égalité dans l'emploi et un meilleur partage des tâches. Le troisième rappelle que c’est par la parole que l’existence et la spécificité de l’expérience des femmes est affirmée. Le dernier souligne la double stratégie qui marque l’histoire du mouvement : d’une part l’infiltration des lieux de pouvoir, d’autre part une remise en questions des règles du jeu. L’auteure, historienne, veut marquer la complexité théorique, politique et idéologique du mouvement des femmes et elle s’insurge contre tout réductionnisme caricatural. Elle résume les grandes tendances qui le nourrissent de la façon suivante : la première affirme que les femmes sont les égales des hommes. La seconde situe les luttes des femmes contre ceux-ci. La troisième affirment qu’hommes et femmes sont égaux, mais différents (Dumont, 1986 : 37).

Lamoureux (1986), une politologue, organise sa réflexion selon deux axes : le premier l’amène à diviser le féminisme en trois courants : un qu’elle qualifie d’émancipateur, un qui serait institutionnel, et un troisième qu’ elle nomme radical. Le féminisme émancipateur mettrait l’accent sur l’égalité économique, et refuserait, selon elle, de s’interroger sur la structure patriarcale delà société. Il serait l’apanage des organisations de masse, structurées selon un mode hiérarchique et s’engageant dans des lobbies auprès des pouvoirs politique (Lamoureux, 1986 : 39). Le courant institutionnel poursuivrait les même objectifs, mais il tirerait sa [185] légitimité et ses moyens d’intervention de sa relation à l’État et il agirait comme médiateur entre l’appareil d’État et la colère des femmes (Lamoureux 1986 : 40). Le courant radical partirait du postulat qu’il ne s ’ agit pas tant de conquérir des droits que de bâtir une société nouvelle qui fonctionnera selon d’autres critères (ibid).

Le deuxième axe proposé par Lamoureux corrige les lacunes de cette typologie qui s’appuie tantôt sur les discours tantôt sur les pratiques. Il vise à décoder le sens des pratiques et le projet qui en découle en les ramenant à des enjeux sociétaux qui se divisent en trois groupes : le courant égalitaire, celui de la différence et celui de la problématisation politique (Lamoureux, 1986 : 40). Elle souligne que plusieurs pratiques des groupes de femmes participent simultanément à plusieurs de ces courants, même si l’origine des luttes semble s’inscrire assez clairement dans l’un ou l’autre.

Lamoureux analyse chacun de ces courants et souligne leurs limites. Elle formule cette analyse dans les termes du troisième courant, celui de la problématisation politique. En prenant partie pour une critique radicale des rapports entre hommes et femmes, elle décortique les paramètres conceptuels et les conséquences pratiques de chacune des options. Son ouvrage, qui relate le féminisme des années 1970 au Québec, conclut de ce fait sur une note très pessimiste : le féminisme, le vrai, se meurt, étranglé par l’État, l’institutionnalisation et l’académisme.

Notre projet de recherche part d’un autre point de vue, celui des discours des femmes engagées de manières diverses à changer le monde afin d’y faire une place pour leurs semblables. En partant du pouvoir, celui que les femmes se donnent, et non pas celui qu’elles veulent s’approprier, nous posons notre regard sur le mouvement féministe actuel, celui qui se dessine près de quinze ans après la première vague d’analyses.

Nous en venons nous aussi à proposer une typologie. Elle recoupe bien sûr celles déjà proposées, mais nous croyons qu’elle permet de jeter un regard nouveau sur les discours et les pratiques des femmes d’aujourd’hui, plutôt que de les juger à partir d’un idéal passé ou de catégories identifiées à partir d’écrits provenant surtout d’ailleurs [5]. Pour bien marquer cette distinction, nous avons choisi de parler des luttes des femmes et non pas des luttes féministes, même si presque toutes les femmes avec qui nous avons travaillé se disent féministes.

Selon nous, l’engagement des femmes québécoises suit trois courants dont les logiques, sans être mutuellement exclusives, ne sont pas [186] convergentes ; ces logiques se manifestent dans la façon dont les femmes prennent la parole et par extension dans la façon dont, ce faisant, elles se donnent du pouvoir. Cette typologie ne permet pas de classer les groupes dans des catégories étanches, mais bien de situer des stratégies de prise de parole les unes par rapport aux autres en fonction de leur dynamique interne (celle qui dominait au moment où nous y avons travaillé en 1991-92). Ces types de prise de parole ne sont pas toujours l’apanage d’un certain type de groupe, ou même le propre d’une personne. On trouve parfois des groupes, divisés à l’interne, puisque porteur de stratégies fort différentes. D’autre part certaines femmes utilisent plus d’une stratégie, selon les contextes et les moments, et il nous semble que certaines d’entre elles font fi des différences fondamentales qui animent ces prises de parole.

Avec l’avènement des Regroupements et des Tables de concertation les groupes de femmes peuvent difficilement mener leurs luttes de façon isolée. Ils sont donc confrontés à des prise de paroles fort diverses, et ce dans un contexte de concertation plutôt que de confrontation. Des zones grises se créent, quand ce ne serait que dans l’emprunt d’un vocabulaire qui ne correspond pas toujours à la dynamique privilégiée à l’origine. Chacun de ces courants a, selon nous, une incidence particulière sur la création d’une identité nationale et sur le projet de société pensé par les femmes. De plus, il se pourrait bien que l’identité des québécoises résulte plus de la combinaison particulière de ces différents rapports à la parole et de la vision du monde qu’ils véhiculent, plutôt que de valeurs abstraites. Seule une étude comparative pourrait nous permettre de vérifier cette hypothèse, et ce n’est pas là l’objet de cette communication. Dans un premier temps, nous voulons plutôt définir les balises pour repérer les différentes stratégies de pouvoir telles qu’elles s’inscrivent dans différents style de prises de parole.

Fiche ethnographique

La prise de parole des femmes suppose une affirmation de soi qui n’est pas sans créer des paradoxes...

Comme si j’étais pas d’accord effectivement avec un point de vue, ou j'voulais faire passer moi mon point de vue, j’y allais beaucoup en ramenant les principes. Comme.., c’est mon idée, pis par rapport aux principes là..., mon idée pis les principes ça marchait main dans la main. Fait que c’est comme... t’sé. Pis [187] bon.., quand..., quand j’trouvais qu’y’avait quèque chose qui marchait pas, ou que moé j’tais pas d’accord. Ben, j ’y allais, pis j'disais là..., ça pas bon sens par rapport à nos principes.., ou comment qu’on va être perçues, ou c’était beaucoup..., moi avec les principes que j’y allais. Pis bon..., avec de l’argumentation là, j’argumentais en masse.

Contre-argumente pis argumente, pis..., jusqu’à temps que ça passe, ou pas loin là ; ça... Mais j'y allais beaucoup avec les principes..., [le groupe] pis les principes de..., de féminisme en général là. Pis c ’est ça, en argumentant beaucoup. (Femme dans la vingtaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire).

Les bâtisseuses

Le premier de ces courants est celui des « bâtisseuses », celui qui s’appuie sur la stratégie des femmes déterminées à accéder à un certain pouvoir par la prise de parole publique. Pour se faire entendre, elles ont choisi d’adopter des formules recevables par le système dominant, très souvent légalistes, rationnelles et neutres. Elles ont fondé des organismes bien structurés dont certains sont devenus des institutions, vouées à la représentation des intérêts des femmes. Leurs luttes sont diverses, mais elles privilégient les réformes législatives. Leurs stratégies actuelles de prise de parole se sont surtout organisées autour des lobbies, des groupes de pression, de la rédaction de mémoires, des analyses politiques et de la visibilité médiatique. Ce courant se recoupe avec celui identifié par d’autres auteures comme étant « émancipateur », « libéral », « réformiste », mais le choix du terme n’est pas aléatoire, et si nous privilégions celui de « bâtisseuses », c’est pour montrer que ces femmes s’inscrivent dans des pratiques qui sont aujourd’hui valorisées, comme le sont l’entrepreneurship, l’excellence et la réussite. L’histoire des pratiques des femmes réécrite du point de vue des bâtisseuses, les « pionnières » de Monet-Chartran (1990) par exemple, c’est un peu celle de la « qualité totale », chère à nos décideurs publics et politiciens qui veulent mettre le Québec sur la carte internationale.

Lire le mouvement des femmes à travers cette stratégie nous amène à mettre l’accent sur les leaders : leur détermination, leur force, leur engagement politique et leur charisme. La parole « émancipatrice », c’est celle qui s’inscrit dans une organisation structurée, mais aussi dans les partis politiques, dans l’appareil bureaucratique et dans les syndicats. [188] L’objectif de ces pratiques, à court terme, c’est de s’allier au pouvoir afin d’y accéder par une représentation proportionnelle par exemple, pour éventuellement le transformer, à long terme, selon des valeurs dites féminines ou féministes, selon les informatrices. En général l’État n’est pas un ennemi, mais bien une ressource à utiliser, à influencer selon ses besoins et à investir.

D’un point de vue pragmatique, ceci entraîne une certaine institutionnalisation du mouvement féministe critiquée par les militantes les plus radicales. Ici, les paramètres du projet social se donnent en termes de concertation, de négociation, de représentation. Les bâtisseuses ont choisi de maîtriser les règles du jeu telles quelles se donnent dans la société et de les utiliser pour faire une place aux femmes. Il ne fait aucun doute que cette stratégie permet des avancées dans le domaine législatif et dans celui de la reconnaissance des femmes comme membres de la société, même si certaines s’interrogent sur la profondeur et la viabilité de ces acquis à long terme [6]. Les bâtisseuses constituent un segment important du mouvement des femmes au Québec et leur prise de parole affirmative les situe clairement du côté des « gagnantes ».

Avec ce type de prise de parole, les luttes des femmes s’inscrivent dans le modernisme, aux côtés des luttes syndicales, des luttes raciales et nationales qui toutes réclament l’égalité et le respect des droits individuels. À la limite, ces luttes sont vues comme constituant une étape nécessaire dans le progrès de l’humanité (Collin, 1986). Dans cette perspective, elles contribuent à la construction d’une identité nationale dans la mesure où elles génèrent des institutions ou des réformes originales qui peuvent ensuite être utilisées comme levier dans la définition de la spécificité identitaire. En s’articulant dans un vocabulaire juridique et autour de revendications économiques et sociales, elles permettent la réconciliation de traditions culturelles diverses autour d’enjeux relativement « neutres » qui constituent une plate-forme politique pour la construction d’ une société dans laquelle les femmes auraient une juste part.

Parler de valeurs renvoie nécessairement à ce qui fait du sens dans un contexte spécifique, à ce qui est nécessaire pour qu’un projet se réalise, afin que ce qui est marginal, transgressant, menaçant soit identifié et écarté, au profit de l’idéal à atteindre. Le langage dans lequel ces valeurs sont formulées est tout aussi significatif que leur contenu. Ici on privilégie la réalisation de l’équité, l’égalité, la démocratie, le pacifisme et la non [189] violence, le respect de la pluralité et de l’environnement. Ces valeurs universelles ne semblent pas poser problème pour les bâtisseuses ; dans leur vision des choses, si ces valeurs dominent l’organisation socio- politique, les femmes vont nécessairement disposer de l’espace et du pouvoir qu’elles réclament. Il nous semble pourtant que formulés dans des termes aussi généraux et abstraits, ces valeurs ne garantissent en rien un projet féministe de société. Elles forcent plutôt une identification des femmes à un projet asexué, aseptisé de toutes différences ethniques, de tout contenu historico-culturel. Le danger de porter un discours utopique, sans racine dans des pratiques quotidiennes, est bien présent. Mais c’est peut-être là le prix du consensus dans une perspective pragmatique qui accepte de façon réaliste que la « révolution » n’est plus à la mode et qu’il vaut mieux tendre vers des réformes significatives que de se blottir dans une indignation stérile.

Poussé à ses limites, quoique pas nécessairement, ce courant débouche sur des stratégies individualistes qui favorisent des leaders en mesure de s’appuyer sur un réseau et des ressources politiques. Paradoxalement, pour y parvenir, ces leaders ont besoin de pouvoir se dire les représentantes d’une « population » sur laquelle elles peuvent s’appuyer. D’où l’importance d’unir les femmes derrière une seule bannière. L’enjeu de cette logique, c’est donc le regroupement des femmes dans une organisation politique unique, ce qui exige de mettre en veilleuse les différences et les revendications radicales.

Au Québec, aujourd’hui, plusieurs bâtisseuses se retrouvent dans la FFQ, mais il faut ajouter que celle-ci s’appuie aussi sur le travail d’une multitude de femmes porteuses de discours fort différents. Les bâtisseuses sont de plus en très grand nombre dans des groupes comme les Cercles des fermières et les AFEAS. Notons, pour des fins de comparaison avec une autre typologie, que toutes les femmes membres de la FFQ ou des grandes organisations ne sont pas nécessairement des féministes libérales, pour certaines il s’agit d’une alliance stratégique nécessaire dans les circonstances actuelles. Par contre pour d’autres, les femmes œuvrant dans ces grandes organisations structurées parlent une langue étrangère, celle d’un « pouvoir » politique qui, par définition, serait opprimant pour les femmes.

[190]

Fiche ethnographique

Les bâtisseuses entretiennent parfois des contacts avec des personnes influentes politiquement, mais leurs propos personnalisent les liens ; elles en parlent alors comme s’ils étaient directs et accessibles.

Comme [nom du député fédéral], moi je le connais bien il sait qui je suis pis quand j’envoie des e.... des documents sur la violence y m 'envoie toujours une carte de remerciement, pis quand lui de Ottawa y a un document comme j’ai reçu dernièrement sur la violence y me l'envoie à moi, Ben moi ça méfait plaisir ça. Parce que je sais qu’il s’occupe [de] nous autres. Il nous porte comme organisme, bon pis du côté [d’un ministre provincial] je suis allée deux fois à son bureau, ça fait [que] je sais ce que c 'est d’aller y faire du ‘lobbying’, c’est comme ça qu’on appelle ça, va faire du ‘lobbying ’pour tâcher moi aussi d'avoir ma partie pis tout, c ’est le fun parce qu'on voit tout comment ça se passe à ce moment là.

Au niveau municipal pareil, quand je vois le maire de [ma ville], il sait qui je suis, je vois le maire [d’une ville voisine] il sait qui je suis. Mais aussi on y regagne nous autres comme petits organismes à s’en aller comme çà, dans la [politique], (Femme dans la soixantaine, travailleuse rémunérée)

Fiche ethnographique

L’extrait suivant reprend le discours d’une bâtisseuse qui est en position de pouvoir dans un groupe. On remarquera ici que le pouvoir, loin de faire peur, est réhabilité de façon positive dans le but de construire.

...moi ce que je veux en tout cas, le genre d'influence que je veux avoir sur les gens, c’est toujours pour construire, moi c’est ça ma... puis je pense toujours, je laisse toujours une petite porte en arrière pour ne pas... pour faire attention à l’influence que je peux avoir sur les gens, pour ne pas mal m'en servir. (Femme dans la trentaine, bénévole dans un conseil d’administration)

Fiche ethnographique

Dans la phrase suivante, on note l’affirmation claire du statut d’employeur par une bâtisseuse œuvrant dans un groupe de femmes.

[191]

En tant qu’employeur, on leur a donné [noms des personnes] un boni parce qu’on voulait augmenter leur salaire... (Femme dans la quarantaine, bénévole dans un conseil d’administration, formation universitaire)

Fiche ethnographique

Certaines stratégies impliquent du non-dit mais elles n’en sont pas moins efficaces. Dans cet extrait, l’informatrice évoque une action menée par une bâtisseuse qui suppose une parole affirmative.

On m'a tordu un bras pour être là. A s’est paqueté un CA. [Elle] est venue me chercher c’est parce que ça faisait son affaire. C 'est elle qui nous a mise là une après l’autre parce qu’à voulait pas qu'une autre fille rentre. (Femme dans la quarantaine, bénévole dans un conseil d’administration, formation universitaire).

Fiche ethnographique

Les exemples suivants relatent les propos de femmes critiques de certaines stratégies des bâtisseuses. La première nous explique les origines d’un conflit entre des travailleuses et leur conseil d’administration. Ces dernières reprochaient à leur C.A. de gérer le groupe comme une Petite et Moyenne Entreprise (P.M.E.) en empruntant les critères de rentabilité de productivité et de performance pour évaluer l’organisme.

C’est qui en a qui ont voulu mener ça comme une PME. Pis un organisme à but non lucratif, tu mène pas ça comme une PME. Parce que [nom du groupe] c’est pas un endroit où tu dois performer, t’es pas au CLSC où tu dois voir tant de personnes par jour si tu veux avoir une bonne cote pis surtout résoudre ben des problèmes si tu veux être bonne. Ici c 'est pas ça, tu viens pas ici pour performer, tu viens ici pour écouter, c'est déjà beaucoup pis c’est ce qu’elles [les femmes] te demande. (Femme dans la soixantaine, travailleuse bénévole)

La seconde citation constitue une affirmation critique de la vision gestionnaire de certaines bâtisseuses. On fait alors ressortir la différence fondamentale entre travailler en contact étroit avec des humains, en l’occurrence des femmes, et travailler dans une entreprise.

Le [nom du groupe] peut être efficace, avoir une qualité de gestion mais rentable financièrement, ça se peut pas. Y a une [192] différence entre une PME et travailler dans le communautaire, en bout de ligne c 'est pas des gilets que je fais. (Femme dans la quarantaine, travailleuse rémunérée)

Explorer des alternatives

On le sait, depuis le renouveau du féminisme des années 70, des femmes militent pour sortir de la solitude que leur impose le retrait dans la sphère domestique et la soumission à des rapports patriarcaux (rapports au père, aux frères et au mari). Ces luttes visent à acquérir une certaine autonomie, à reprendre du pouvoir sur elles-mêmes (empowerment) sur leur corps, sur leur vie. Briser l’isolement en participant collectivement à cette émancipation est, depuis les débuts du féminisme, une alternative aux luttes « viriles ». Ici, les moyens privilégiés sont divers, mais ils impliquent généralement la prise de parole pour dire ses souffrances, sa colère, ses besoins. Il s’agit d’une prise de parole protégée, encouragée, soutenue, dans un espace « privé », défini comme « politique », celui, entre autres, des collectifs militants. Cette prise de parole déborde parfois sur la scène publique, elle prend alors un ton contestataire, revendicateur et radical. C’est une prise de parole affirmative, qui vit mal avec le compromis.

Ce processus s’appuie sur une démarche introspective qui doit déboucher dans les meilleures circonstances sur une « individuation », c’est-à-dire la prise de conscience de soi en tant que sujet autonome et responsable de son existence. Ici, le privé est politique, et les rapports de force qui subjuguent les femmes doivent être modifiés même lorsqu’ils s’actualisent dans leur quotidien et leurs rapports intimes.

Il s’en suit une remise en question du pouvoir, une volonté d’abolir l’emprise qu’exercent certains individus sur les autres (qu’ils soient hommes ou femmes, adultes ou enfants). Le projet de société vise un renouvellement des rapports sociaux, la création de rapports nouveaux permettant à chacun de s’épanouir selon ce qu’il est, et non pas en fonction ce qu’il devrait être selon les normes aliénantes d’une société qualifiée de patriarcale. Poussée à ses limites, cette logique débouche sur la recherche d’un équilibre nouveau entre le privé et le public, sur une connaissance de soi, de ses besoins, de ses limites, et de là sur une multitude de trajectoires individuelles. Paradoxalement, comme d’autres pratiques introspectives, elle débouche semble-t-il sur une démobilisation sociale, sur un repli dans le cocon confortable des acquis individuels, [193] sur le retrait dans un imaginaire créateur. Lamoureux (1986 : 140) note d’ailleurs :

La parole libérée qui surgit de nulle part et de partout à la fois devient une force libératrice. Nommer permet de comprendre et d’interagir. A première vue, cela peut paraître comme une dépolitisation, dans le sens où les projets globaux disparaissent et où il y a une prégnance de l ’ici et du maintenant. Mais cela est également gestation, mode d’invention du nouveau, découverte des possibles...la parole commune permet d'entrevoir les rêves.

Ce type de prise de parole renvoie en quelque sorte à la réalité postmoderne, méfiante de toutes les formes de pouvoir, de toutes tentatives de représentation, de toute organisation contraignante. Ce post-modernisme interpelle les hiérarchies, les universaux, les savoirs « légitimes ». Les collectifs féministes militants, de même que plusieurs femmes qui privilégient l’introspection et la prise de parole comme moyens de libération, s’inscrivent dans cette logique. Leurs objectifs immédiats visent, entre autres, à amener les femmes à s’émanciper de la violence conjugale, mais aussi de l’emprise des systèmes bio-médical et judiciaire, à travers une remise en question du pouvoir à la fois tel qu’il se manifeste en elles et dans la société en général.

Qualifier ce courant de radical n’ aide pas nécessairement à comprendre la multiplicité des points de vue qui s’y inscrivent. D’ailleurs cette prise de parole ne correspond pas nécessairement à l’image que l’on se fait des féministes radicales, revendicatrices et bruyantes ou lesbiennes politiques. La remise en question profonde du pouvoir, l’engagement pour la parole libérée, la volonté de construire une culture féminine authentique (Zavalloni, 1987) sont autant de points de repère pour identifier ce courant. Tout comme l’exploration d’alternatives « souples » plutôt que l’occupation des structures existantes et la construction de projets de société englobants.

Pour toutes ces raisons, les femmes qui s’inscrivent dans ce courant sont hésitantes à répondre à l’appel de la FFQ. Les valeurs qu’elles défendent sont d’un tout autre ordre. Pour ses adeptes, le consensus politique sur un projet de société, une représentation des femmes sur une base institutionnelle, les revendications à la pièce pour des réformes légales, constituent des stratégies dangereuses. Ici c’est plutôt le respect des différences, le développement de mécanismes pour contrer les hiérarchies (ce qui n’est pas équivalent à la lutte pour l’égalité juridique), [194] l'intégrité, l’affirmation de soi qui constituent les valeurs privilégiées. La défense de ces valeurs ne vise donc pas à créer un contexte social plus large dans lequel elles seront protégées et nourries. Cette prise de parole ne semble que rarement préoccupée par la création d’un projet concret de société (avec des institutions réelles et des mécanismes légaux). C’est un peu comme si la notion de « projet de société » elle-même était trop « contraignante » pour celles qui s’engagent sur la voie de la réalisation individuelle. La position critique, extérieure à tout projet concret paraît plus confortable pour bon nombre d’entre elles ; d’autres sombrent sous le poids des changements à apporter et se réfugient dans ce que nous appelons le « mythe » d’un monde féminin exempt de contradiction. Par contre, plusieurs adeptes de la parole « libérée » choisissent de faire des alliances avec des bâtisseuses, dans l’espoir que la société de demain soit respectueuse des différences. C’est pourquoi certaines d’entre elles appuient le projet de la FFQ par exemple. Ainsi, quoique fondamentalement différent, ce courant n’est pas sans représentation dans la FFQ.

Notons qu’en 1992 ce courant est minoritaire dans les groupes de femmes de Québec. Quelques collectifs et un petit nombre de militantes continuent leur quête, mais les pressions de plus en plus grandes de l’État, notamment via le financement des activités, force la plupart à adopter une stratégie d’efficacité et de productivité qui mine à moyen terme leurs idéaux (Couillard et Côté, 1991). Paradoxalement c’est probablement dans les milieux protégés de cette interférence, dans les syndicats et dans les universités, que cette prise de parole peut continuer de s’affirmer.

Fiche ethnographique

Chez celles qui sont en quête d’alternatives, on privilégie le partage et le consensus comme forme de prise de parole. Dans cet extrait, on insiste pour que la parole émerge de l’équipe et non d’une personne.

Ben, je suis une personne très démocratique, donc c’est pas facile pour moi d’arriver puis dire : ben écoute, j’y crois au projet, puis... souvent je vais aller faire mon sondage avant, souvent je va avoir rencontré les gens, je va en avoir parlé, je va avoir échangé puis je va plutôt présenter quelque chose qui vient d’une équipe ou quelque chose qui vient d’un autre groupement de personnes, quand on parle d’un projet, c'est rare que je va arriver puis moi, j’ai travaillé sur ce projet-là, puis c'est ce que j’en pense, puis j’y crois, c’est très très rare, je suis une fille [195] d’équipe. (Femme dans la quarantaine, stagiaire, formation universitaire)

Fiche ethnographique

La prise de parole dans les stratégies alternatives laisse place à l’émotivité, au doute et à la réflexion qui peuvent enrichir les débats mais aussi exclure ses protagonistes des décisions que l’on veut immédiates et efficaces.

...j’chu pas une personne rationnelle au contraire moi je suis une personne très émotive, hen, mais sauf que ce que j ’ai appris avec le temps, c'est d’être capable de dire, moi j’suis pas d’accord, demandez moi pas pourquoi, j’va vous le dire plus tard, mais là pour le moment j’suis pas d’accord, parce que j’ai besoin d’un temps de réflexion, pour prendre une, une, une, pour défendre ma position, dans certains cas,... (Femme dans la trentaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire)

Fiche ethnographique

La quête d’alternatives se traduit aussi par la recherche de nouveaux rapports entre les femmes. Ainsi, lorsque l’on aborde le sujet des rapports de pouvoir des femmes entre elles, plusieurs énoncent leur inconfort devant cette notion qu’elles assimilent au non respect de l’autre.

Non j’ai assez peur, j’ai assez peur de t'ça...Oui c’est ça, j’ai peur de t'ça moé, je veux pas, je veux pas exercer un pouvoir. Moi je suis pour le respect, pis le respect de l'autre. (Femme dans la cinquantaine, travailleuse rémunérée)

Fiche ethnographique

Celles qui explorent les alternatives la réciprocité entre « aidante/ aidée ». La prise de parole passe alors par la reconnaissance de sa propre croissance dans le dialogue avec l’autre, au sein même du groupe.

En tout cas, moi j’ai rencontré plein de femmes [nom du groupe], c’est des femmes qui m’ont apporté.., j'dirais presqu’autant que..., j’pense que j'ieur ai..., apporté quèque chose aussi là. Mais le contact avec les femmes, moé j'trouve que ça..., ça fait grandir beaucoup. (Femme dans la vingtaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire)

[196]

Fiche ethnographique

Il s’agit ici des propos d’une informatrice critique de la prise de parole de certaines femmes qui versent dans les alternatives. Elle fait une mise en garde contre l’introspection abusive en soulignant que l’on peut aisément s’y perdre.

...parce que nous autres les femmes, on discute toujours avec nos émotions, on parle toujours avec nos tripes et je pense qu'on a un petit peu à aller chercher du rationnel pour balancer ça, parce que des fois, on est pas toujours très objectives, lorsqu'on parle avec ses émotions, c 'est bien par exemple de le faire, parce que c 'est quand même un élément important mais on a comme à doser ça un peu, parce qu'on se perd peut-être là quand on est un peu trop émotives. (Femme dans la trentaine, bénévole dans un conseil d’administration)

Les femmes relais

Un troisième courant mérite notre attention puisqu’il prend une ampleur particulière depuis une dizaine d’années. C 'est celui qui s’affirme à travers celles que nous appelons les « femmes-relais », d’après l’expression de Laurin-Frenette et Fahmy-Eid (1991 : 38) qui, parlant des femmes dans l’Église catholique, affirment :

Ce sont des hommes, dans la famille et dans la collectivité, qui jouent le rôle de relais de la loi, du capital, de la science. Par contre, les sujets féminins sont le relais privilégié de l'appareil religieux.

Cette notion de « femmes-relais » nous permet d’évoquer un type de parole qui s’appuie sur une légitimité externe, celle de l’Église pour les religieuses ou les croyantes militantes, mais aussi celle de l’État pour certaines fonctionnaires [7], celle de la science pour certaines universitaires, celle du capital pour certaines entrepreneures, celle du droit pour les juristes. C’est la « parole experte », celle des femmes qui ont acquis une compétence pour manœuvrer dans les rapports de pouvoir actuels et pour « conseiller » celles qui ont des « difficultés ». Cette parole fait le relais entre les femmes et des institutions qui, au Québec en 1992, sont encore dominées par les hommes. Généralement, les attestations officielles (comme les diplômes) sont plus déterminants pour légitimer cette parole que l’introspection douloureuse et le militantisme radical, quoique [197] certaines expertes aient suivi la voie intérieure pour ensuite opter pour l’engagement politique afin de faire bouger les choses. Du début de la colonie jusqu’à nos jours, des religieuses de congrégations diverses ont joué ce rôle (Caron, 1991). Depuis la fin des années 80, une génération de nouvelles diplômées prend la relève.

Avec la saturation de l’appareil bureaucratique, des femmes instruites se retrouvent en effet sans possibilité d’emploi. Plusieurs d’entre elles, surtout provenant des sciences sociales et du droit, se tournent vers les groupes populaires pour obtenir une rémunération moyennant un encadrement professionnel. Ce développement marque, selon nous, un moment important de l’organisation féministe au Québec, car les groupes de la base, en plus de se spécialiser, se « professionnalisent [8] ». Dans plusieurs cas, ce n’est plus le collectif qui assume l’accompagnement, mais bien un ensemble de spécialistes de l’âme, ou du social, qui gagnent leur pain ce faisant.

D’après nos observations, les femmes de la base sont de plus en plus encadrées dans leurs efforts de prise en charge. Certains groupes de femmes naissent parfois sous l’impulsion d’une « animatrice » externe. Cet encadrement est parfois une extension de services offerts par l’État, comme dans le cas de travailleuses sociales œuvrant dans les CLSC et offrant leur appui à des groupes communautaires.

Plusieurs groupes sont devenus des lieux de stage pour des étudiantes ayant besoin d’expérience terrain pour compléter leurs études (service social, counseling, psychologie, par exemple, et plus rarement science politique, droit, anthropologie et sociologie). Lors de ces stages, les femmes de la base sont supposées contribuer à la formation de ces jeunes « apprenties », mais bien souvent le processus s’inverse et ce sont les apprenties qui, s’appuyant sur leurs « compétences », encadrent les femmes en testant les théories apprises dans les salles de cours.

Il s’en suit une distanciation entre les principes et l’expérience individuelle, un processus en raccourci qui court-circuite les méandres douloureux de l’introspection. Certaines pratiques s’apparentent pourtant aux démarches féministes en incitant à une prise de parole, mais celle-ci prend souvent l’allure d’une confession, plutôt que d’une affirmation de soi. À travers cette confession se révèle un secret et avec lui les fondements d’une nouvelle dépendance : celle qui lie l’intervenante et la cliente.

Toutes les « femmes-relais » ne sont pas nécessairement conscientes des rapports de pouvoir dans lesquels elles s’inscrivent et la plupart [198] s’impliquent en toute bonne foi, pour aider les autres. Certaines d’entre elles ont des ambitions qui les rapprochent des bâtisseuses. Elles voudraient créer des organisations pérennes qui marqueraient l’histoire. D’autres cherchent à s’inscrire dans les marges du pouvoir pour y tailler une place pour les femmes. Leurs aspirations et leurs idéaux peuvent les amener à introduire des changements là où elles s’installent et c’est pour cette raison qu’elles font particulièrement bon ménage avec les bâtisseuses. Les femmes-relais s’investissent aussi dans la FFQ, et elles y jouent sans aucun doute un rôle très important en contribuant une expertise qui donne aux démarches entreprises une légitimité autrement difficile à démontrer à notre époque qui privilégie les diplômes.

Par contre, lorsqu’on les retrouve dans des positions importantes dans des petits groupes de femmes, on note que celles qui les entourent vivent souvent dans leur ombre. Ce pourrait être le résultat d’un décalage entre la parole « experte » et la parole encore « soumise », décalage qui ne relève pas des volontés individuelles, mais bien du rapport structurel qui s’installe dans ces circonstances. Les femmes-relais sont, de plus, habiles à identifier le potentiel de leadership des femmes avec qui elles viennent en contact. Ceci leur permet généralement de saisir rapidement les dynamiques de groupe, de repérer une relève éventuelle et de l’appuyer. Par contre, on note que des conflits importants, menant parfois à des scissions, ont leur origine dans des rivalités de leadership et dans la tendance de certaines femmes-relais à ne pas accepter de prise de parole « concurrente ». Tout se passe comme si les femmes-relais cherchent à se créer un espace privilégié dans lequel elles peuvent, grâce à leur expertise, exercer leur leadership. À une époque lointaine, alors que l’instruction était le fait d’un petit nombre, celles-ci parvenaient à se rallier une « population » sans trop de difficultés. Aujourd’hui avec la multiplication des champs d’expertise et l’accès facilité à la connaissance, les femmes-relais sont de plus en plus nombreuses. La logique de cette prise de parole étant toujours la même, on voit comment la concurrence qui naît de leur engagement respectif peut être contraignante pour toute forme d’organisation politique.

Les « femmes-relais » sont particulièrement présentes dans les groupes de service. Le fait que l’efficacité et la productivité soient garantes de ressources financières, font que la croissance personnelle est de plus en plus gérée par des femmes qui se réclament d’une compétence académique plutôt qu’existentielle. Encore une fois il ne s’agit pas [199] nécessairement d’un choix délibéré, mais bien plutôt de l’effet conjugué de l’intervention de l’État et des contraintes de financement, qui incite au pragmatisme et à la productivité. Le résultat est là cependant, et plusieurs groupes de services deviennent des lieux d’expression privilégiée de certaines femmes-relais qui se confondent alors aux bâtisseuses.

L’implantation de « femmes-relais » dans des collectifs militants, surtout comme personne ressource rémunérée, supplante très souvent la parole libératrice et introspective. Les deux courants étant peu compatibles dans leurs objectifs et les valeurs qui les sous-tendent, l’un en vient éventuellement à dominer l’autre. Le contexte social plus large et les pressions extérieures favorisent le développement de la parole relais, confinant la parole libératrice à des sphères de plus en plus limitées.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de décrier les compétences livresques. Seulement il faut bien voir que le savoir est lui-même porteur de pouvoir et que certaines femmes étaient visiblement conscientes de cette réalité bien avant que Foucault ne nous en fasse l’analyse. Les rapports entre femmes n’échappent pas à ce genre de pouvoir, et il n’en est pas moins dépossédant parce qu’incarné dans un corps féminin. En tant que Québécoises, nous sommes particulièrement vulnérables à ce genre de rapport, probablement parce notre histoire de résistance à l’envahisseur nous a mises en contact étroit avec un clergé qui s’est depuis toujours appuyé sur une compétence légitimée par la parole de Dieu, source ultime d’autorité. Pour plusieurs femmes « fortes », la vie religieuse constituait la seule alternative à la maternité contraignante. Encore aujourd’hui, lorsque ces femmes se retrouvent dans des groupes populaires pour servir, elles sont porteuses de notre histoire.

Dans une perspective identitaire, cette parole est lourde de conséquence. Elle véhicule généralement des valeurs et un projet de société dont l’origine ne vient pas nécessairement du mouvement féministe, ou d’une prise de conscience personnelle à travers l’introspection individualisante. Celles qui sont dans des groupes de femmes, n’en militent pas moins pour que celles-ci soient respectées, pour qu’elles aient leur juste part dans la société actuelle, pour qu’elles soient reconnues comme des actrices sociales au même titre que les hommes avec des compétences et des habilités légitimes. En faisant le relais, ces femmes visent l’ajustement des stratégies à la réalité sociale du moment, un peu comme les bâtisseuses qui construisent à partir des fondements déjà existants. À la différence des bâtisseuses, par contre, les femmes-relais ne [200] sont pas nécessairement engagées dans la création d’un projet de société proprement féminin, même si plusieurs d’entre elles y contribuent en travaillant dans leurs organisations.

Il ne faut pas voir dans cette stratégie une prise de position statique et conservatrice. Certaines « femmes-relais » travaillent très fort à modifier les fondements orthodoxes de l’Église, par exemple, comme en témoigne l’ouvrage de Caron ( 1991 ). Dans ce cas on peut parler d’un effet de retour, de la parole libératrice vers le dogme, médiatisée par la parole relais, dans le but de tailler une meilleure place pour les femmes. Certaines universitaires s’activent à systématiser la parole libératrice, à lui garantir une légitimité vis-à-vis la parole « scientifique ». C’est là aussi une tâche difficile car les glissements vers l’académisme sont toujours possibles [9]. Par contre, ici encore, la parole libérée a un effet de retour sur certaines pratiques universitaires, notamment avec une remise en cause des rapports hiérarchiques avec les étudiant-e-s, la prise en compte des exigences de la reproduction, l’humanisation des plans de carrière, etc. Les répondantes à la condition féminine dans les différents ministères ont contribué à sensibiliser les décideurs à la réalité des femmes et ce faisant ils constituent des brèches dans l’appareil d’État. Les comités de condition féminine dans les syndicats, que l’on peut bien sûr voir comme des relais de l’analyse syndicale, ont aussi des acquis. Le Collectif Clio confirme ces succès et souligne qu’en dépit de tous les obstacles auxquels les femmes ont dû faire face, un nouveau syndicalisme émerge et avec lui un nouveau leadership au féminin (Collectif Clio, 1992 : 601).

Une comparaison sommaire nous porte à croire que cette parole relais joue un rôle extrêmement important au Québec, non seulement dans nos pratiques féministes, mais dans notre engagement social et dans la définition d’un projet de société. Il se pourrait même qu’elle informe notre trajectoire identitaire plus que les autres stratégies, puisqu’elle est porteuse de notre histoire la plus ancienne. Paradoxalement, alors que l’on associe généralement l’avènement du féminisme radical (celui de la parole libératrice), à la montée du nationalisme québécois, dans les années 1970, il se pourrait bien que ce soit là le courant le plus étranger à notre identité culturelle.

Il ne fait aucun doute que ces deux courants (le féminisme radical et le nationalisme) se sont développés concurremment, comme l’explique le Collectif Clio (1992 : 479). Mais cette parole libératrice s’affirme d’abord aux États-Unis, dans l’ombre des protestations contre la guerre [201] du Viet Nam, au Canada anglais (à Toronto et à Vancouver), et en France dans la foulée des événements de mai 68. Cette convergence politique ne doit pas nous leurrer quant au contenu identitaire de ces pratiques et de ces discours. En fait, avec ce renouveau radical les Québécoises s’ouvrent à un mouvement « international » qui s’articule autour d’une analyse universalisante ayant comme axe intégrateur la notion de patriarcat. Elles empruntent un discours féministe, tout comme on emprunte à l’époque un discours marxiste, pour lire la réalité d’ici et inspirer les luttes de l’époque.

Si l’on veut saisir ce qui distingue les Québécoises, ce qui constitue un noyau identitaire, ce ne sont pas nécessairement les idéaux les plus nobles qui sont les plus parlant. L’identification des stratégies de prise de parole des femmes d’ici nous montre que depuis le début de la colonie jusqu’à nos jours, ce sont les bâtisseuses et les femmes-relais qui ont laissé leurs empreintes sur les générations montantes, bien plus que les adeptes de la parole libératrice.

Fiche ethnographique

La prise de parole des femmes-relais est elle aussi publique et politique. Ce sont généralement les porteuses de ce type de parole qui font l’interface entre « leur groupe » et les autres organismes.

Ah ben je pense ben, ça nous ouvre les horizons, parce que là ça prend tout le truchement de la politique, parce que des fois on dit ben c’est de l’influence, pis quand on va frapper, on s’aperçoit que c’est pas de l'influence mais c’est de la compétence qui demande et après ça, ben tu vois aussi que y a un rouage là, qui fait que en c ’est ben important d'être ‘chum’ avec le député ça, ça ne nuit pas. (Femme dans la soixantaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire)

Fiche ethnographique

Cette citation met en relief le discours salvateur et expert d’une femme-relais. Parlant d’une femme vivant des problèmes, elle évoque ceci :

...Elle était déjà avec des valeurs, mais elle les a perdues là momentanément parce qu’a vit trop difficilement des choses, est proche de la dépression pis à l ’a de la misère à passer à travers.

Ça c’est des femmes là, on pense ou on croit qu’on peut les [202] sauver. Mais celles qui ont pas de valeur, c’est très difficile, très très très difficile. (Femme dans la cinquantaine, travailleuse rémunérée)

Fiche ethnographique

Ici, une femme-relais énonce son engagement auprès de différents groupes de femmes et d’autres groupes communautaires. L’accent est alors mis sur ses aptitudes à donner le coup d’envoi aux organismes.

...au début y avaient comme besoin c’est comme si nous on était là au début pour les partir, d’ailleurs c’est ce qu’on fait on les part [les groupes] pis après ça, quand y sont assez..., solidaire pis assez ferme, assez solide, on les laisse aller pis on prend un autre secteur. (Femme dans la soixantaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire)

Fiche ethnographique

La prise de parole des femmes-relais rejoint souvent celle des bâtisseuses dans son ton affirmatif et direct.

J’ai faite peur beaucoup aux autres parce que bon...,j 'tais assez articulée aussi. Moi j'comprenais les choses assez vite, pis j'tais capable de défendre mon point de vue. Alors qu’y 'en a d'autres, pour elles c’était plus difficile de défendre leur point de vue, ou qui argumentaient moins vite. Tu sais quand quelqu'un dégaine vite, c’est dur toi quand t’es plus lent, de.., de discuter. (Femme dans la vingtaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire)

Fiche ethnographique

Ici, on relève l’expertise dans les propos d’une femme-relais. Celle-ci, renvoie à l’expertise thérapeutique pour régler les problèmes.

...je me rappelle dans la cuisine là, les femmes des fois étaient une dizaine qui étaient assises le soir en réunion, c'était enfumé dans la cuisine t’aurais coupé çà comme un couteau, pis là y défoulaient ce qui avaient vécu là hen, là je me suis aperçu comment ce qu’après ça c’est une thérapie qui ont besoin ces femmes là, pour dire leurs malaises pis ensuite de là, voir comment faire pour ré-orienter leur vie. (Femme dans la soixantaine, travailleuse rémunérée, formation universitaire)

[203]

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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[204]

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[205]

NOTES

Les notes en fin de texte ont toute été converties, dans cette édition numérique des Classiques des sciences sociales, en notes de bas de page afin d’en faciliter la consultation. JMT.

[206]



[1] Nous tenons à remercier mesdames Claire Minguy et Sandra Shee du Conseil du statut de la Femme, Michèle Clément et Chantal Ouellet pour leurs commentaires constructifs sur une première version de ce texte. Il va sans dire que les auteures assument l’entière responsabilité de l’analyse présentée ici.

[2] À ce sujet on invoque par exemple le transfert du fédéral vers les provinces de la juridiction sur mariage et le divorce, nécessaire pour que l’application de la réforme du droit de la famille du Québec de 1980, plus progressive que son pendant fédéral, puisse être implantée sans problème. Un autre exemple est celui de la réforme des régimes de rentes qui aurait entraîné une diminution des versements fédéraux au Québec. La bonification de la situation économique des femmes âgées n’a donc jamais pu s’actualiser. Il en est de même dans le dossier de la formation professionnelle qui ne répondent pas aux besoins spécifiques des femmes mais qui ne peuvent être amélioré puisqu’ils relèvent du fédéral (Mémoire de la FFQ, 1990).

[3] Un outil d’animation, 19 fiches bien articulées et claires sur autant de questions centrales à la définition d’un projet de société, sert à baliser les discussions, les résultats devant être acheminés vers la FFQ Montréal. L’analyse de ces débats sera divulguée lors du Forum national 1992, tenu à Montréal.

[4] Au moment où cette consultation a eu lieu, un référendum devait avoir lieu au Québec pour décider de notre avenir constitutionnel et de nos rapports avec le Canada. Depuis, le premier ministre s’est rallié aux discussions fédérales et a accepté le référendum canadien du 26 octobre portant sur une résolution acceptée par l’ensemble des premiers ministres proposant un fédéralisme renouvelé comme substitut au projet initial. La plupart des groupes de femmes, du Québec et du Canada, ont pris position contre cette entente et recommandé aux femmes de voter non. Le Non l’emporta d’ailleurs dans sept des dix provinces canadiennes.

[5] C’est le cas notamment de la typologie proposée par Descarries- Bélanger et Roy (1988) fort intéressante et utile d’autre part, mais ne reflétant pas les particularités du mouvement des femmes du Québec.

[6] Notamment Maria De Koninck, détentrice de la chaire d’étude sur la condition des femmes de l’Université Laval, qui nous faisait part de ses inquiétudes lors d’une communication présentée le cadre d’une réunion du Regroupement des groupes de femmes de la rive nord de Québec, le 10 avril 1992, et intitulée « Que veulent donc les féministes ? ».

[7] Notamment avec la mise sur pied de Centres locaux de services communautaires (CLSC) au début des années 70 visant à rapprocher les services gouvernementaux des populations, dans le domaine de la santé et des services sociaux. Leur ouverture à des femmes déjà sensibilisées aux enjeux féministes a permis de grossir le nombre de celles qui, de l’intérieur de l’appareil, pouvaient espérer faire une différence. Différents ministères ont aussi mis sur pied des bureaux à la condition féminine.

[8] Devrait-on faire un lien entre cette professionnalisation du féminisme et ce que certaines appellent le désengagement des jeunes femmes ? Se pourrait-il que les jeunes femmes bénéficiant d’une expertise et voulant se faire reconnaître comme telle voient moins la pertinence de se dire rattachées à un mouvement social revendicateur ? Celles qui n’ont pas à s’associer aux groupes de femmes pour y acquérir de l’expérience ou pour y trouver un emploi peuvent se permettre de s’affirmer à partir de leur champ de compétence plutôt qu’à travers un position politique.

[9] Lamoureux (1986 : 149) affirme d’ailleurs que le processus d’académisation du féminisme a beaucoup contribué à le vider de sa substance. Selon elle, ce féminisme ne tente pas de définir de nouveaux champs d’application de la réflexion féministe, mais plutôt de se constituer comme une théorie sur la théorie, c’est-à-dire de disséquer les réflexions théoriques militantes afin de les adapter aux critères du monde académique. Par contre, retourner nos analyses aux femmes engagées a toujours été pour nous un élément central de notre pratique féministe et leurs réactions nous incitent à croire qu’elles y gagnent, puisqu’elles poursuivent les réflexions ainsi amorcées. Nous croyons donc qu’il peut exister des liens féconds entre les féministes universitaires et les militantes de la base, et nous avons choisi de travailler à mieux les définir plutôt que de les condamner à priori.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 1 février 2020 16:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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