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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article Robert Comeau et Josiane Lavallée, “INTRODUCTION.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Robert Comeau et Josiane Lavallée, L'historien Maurice Séguin. Théoricien de l'indépendance et penseur de la modernité québécoise, pp. 11-15. Montréal: Les Éditions Septentrion, 2006, 187 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 novembre 2010 de publier tous ses écrits publiés il y a plus de trois ans dans Les Classiques des sciences sociales.]

[11]

L’historien Maurice Séguin.
Théoricien de l’indépendance et penseur
de la modernité québécoise.

INTRODUCTION


Par Robert Comeau et Josiane Lavallée


LE 13 ET 14 OCTOBRE 2005 se tenait à l'Université du Québec à Montréal un colloque sur l'historien Maurice Séguin (1918-1984) et la société québécoise. Ce colloque organisé par la Chaire Hector-Fabre d'histoire du Québec de l'UQAM en collaboration avec la Fondation Lionel-Groulx avait pour but d'amorcer la réflexion sur l'héritage de la pensée du théoricien du néonationalisme que fut Maurice Séguin. Un peu plus de vingt ans après son départ survenu le 28 août 1984, nous avons pensé que le moment était venu de nous réunir, la communauté historienne avec nos collègues des sciences politiques et de sociologie, pour analyser la place de Maurice Séguin dans l'historiographie québécoise et son apport à cette dernière.

Depuis quelques années déjà, nous trouvions que la pensée de Séguin et le courant néo-nationaliste étaient de plus en plus délaissés, voire complètement occultés, par une majorité d'historiens québécois. Notamment, Gérard Bouchard dans son livre sur Les deux chanoines associait étonnamment le terme néonationalisme à la pensée de Lionel Groulx. (Voir chapitre deux intitulé : Le néonationalisme de Lionel Groulx). Nous étions décontenancés de constater que Bouchard occultait complètement de son analyse le fait que le courant néo-nationaliste était associé dans l'historiographie québécoise aux historiens de l'École de Montréal. De plus, en associant le néonationalisme à la pensée de Groulx, Bouchard niait en quelque sorte la rupture interprétative entre l'histoire nationale traditionnelle de la survivance canadienne-française endossée par Groulx et l'histoire de deux nationalismes au Canada développée par Maurice Séguin dans ses cours à l'Université de Montréal et à l'origine du courant néo-nationaliste dans l'historiographie québécoise des années 1950 et 1960.

Comme nous le savons, avant 1960, Lionel Groulx et les nationalistes traditionnels définissaient la nation canadienne-française comme une entité ethno-culturelle englobant des territoires qui allaient au-delà des frontières du Québec, ce qu'on appelait alors le Canada français. [12] Avec la Révolution tranquille, on assiste à une redéfinition de la nation. Dorénavant, la nation canadienne-française devient québécoise en se recentrant sur le territoire du Québec. Au même moment, les Canadiens français issus du Québec refondent leur identité nationale. Cette dernière devient québécoise au tournant des années 1960. Période durant laquelle, les Québécois commencent à s'affranchir en défendant un nationalisme politique où l'État national du Québec revêt toute son importance pour le devenir de leur nation. Parallèlement, un mouvement indépendantiste se développe.

Une décennie auparavant, Maurice Séguin avait déjà commencé le travail de redéfinition de la conception de la nation au Québec. Rompant avec la conception ethno-culturelle de la nation de Groulx, Séguin développa dans ses Normes une conception politique de la nation centrée sur le territoire québécois, car pour lui la maîtrise complète d'un État-nation, c'est-à-dire l'indépendance politique, demeurait nécessaire et même indispensable pour toute nation qui aspire à son plein épanouissement politique, économique et culturel. Pour Séguin, la maîtrise du pouvoir au niveau culturel ne saurait être suffisante pour détenir son autonomie interne et externe. L’indépendance politique complète demeure une nécessité absolue, mais en même temps impossible à réaliser dans le cas du Québec minoritaire dans la fédération canadienne. Donc, déjà dans les années 1950, une nouvelle conception de la nation québécoise émergeait avec Maurice Séguin.

Nous pouvons dire que cette conception politique de la nation québécoise formulée par Séguin et reliée au projet d'indépendance nationale né au cours des années 1960, s'est imposée dans les milieux intellectuels québécois jusqu’en 1980.

Au lendemain de l'échec référendaire de 1980, plusieurs Québécois et même certains souverainistes décident de donner une deuxième chance au fédéralisme canadien en appuyant le projet du « Beau risque » des conservateurs de Brian Mulroney. Pendant que, dans le monde universitaire, les historiens remplaçaient à la fin des années 1970 l'enseignement de Séguin au profit d'une histoire « révisionniste » qui occultait grandement l'oppression nationale et le parcours distinct du peuple québécois. Quelques années plus tard, on assiste à une tentative de renouvellement du fédéralisme avec l'accord du Lac Meech et au retour de la thèse des fédéralistes-nationalistes qui continuent de croire qu'une égalité politique est possible entre la majorité canadienne-anglaise et la minorité québécoise au sein du Canada.

Juin 1990, c'est l'échec de l'accord du Lac Meech, le projet politique d'indépendance du Québec reprend de la vigueur dans la société [13] québécoise. Toutefois, le Parti québécois demeure dans l'opposition pendant quatre ans. Une fois reporté au pouvoir, en septembre 1994, Jacques Parizeau passe à l'offensive en réactualisant le projet d'indépendance et la conception politique de la nation québécoise des années 1960 et 1970. Dans les milieux intellectuels, la thèse indépendantiste redevient à la mode. Durant cette période, les travaux de Maurice Séguin sont réédités [1]. Tandis que sur la scène politique, le Parti québécois rend publique une déclaration de souveraineté fondée sur les leçons du passé. Présentée au Grand théâtre de Québec, le 6 septembre 1995, par le poète Gilles Vigneault et la dramaturge Marie Laberge, cette déclaration reprend l'interprétation néonationaliste sur les conséquences de la Conquête et ses suites, on souligne notamment l'Acte d’Union de 1840 et les tentatives d'assimilation de la nation canadienne-française de l'époque. On rappelle que « notre croyance séculière dans l'égalité des partenaires était une illusion ». À la suite de cette déclaration « Nous, peuple d'ici », le chef du camp du NON, Daniel Johnson accuse le camp du OUI à chercher par ce texte à « récrire l'histoire à sa convenance et d'en faire une analyse biaisée ». Ce jour-là, des journalistes soulignent l'absence de Lucien Bouchard et de Mario Dumont parmi les 900 membres réunis de la grande famille souverainiste.

Le soir du 30 octobre 1995, au moment de la déclaration percutante de Jacques Parizeau sur « l'argent et les votes ethniques », on constate indéniablement un malaise chez les souverainistes qui ne partagent pas la vision de Parizeau au sujet du vote des groupes ethno-culturels. À la suite de cette déclaration, les intellectuels québécois multiplièrent leurs travaux et leurs déclarations pour se démarquer de cette conception de la nation jugée ethniciste. L’historien Gérard Bouchard plongea dans le débat et devint rapidement le chef de file d'un courant qui voulait redéfinir la nation québécoise. Pendant plus de dix ans, on assiste à un débat entre intellectuels sur la conception de la nation québécoise et sa redéfinition autour du concept de nation civique. Notamment, les historiens, politologues et sociologues autour du Bulletin d'histoire politique participent largement à ce débat sur la redéfinition de la nation et de nombreux ouvrages paraissent sur la question [2].

[14]

Depuis le début des années 2000, certains universitaires comme le sociologue Jacques Beauchemin qui souhaitent renouveler l'histoire du Québec sans renier la mémoire nationale des Québécois, ont formulé des critiques à la thèse de la nation civique, ainsi qu’au modèle de la nation québécoise comme francophonie nord-américaine développé par Gérard Bouchard en 1999 dans son livre La nation québécoise au futur et au passé. On se souvient que Gérard Bouchard invitait les historiens québécois à la réécriture de l'histoire nationale au Québec pour la rendre davantage conforme à la mosaïque de la société québécoise.

Plus de vingt ans après son départ, nous sommes conscients que les travaux de Séguin conçus à une autre époque ne peuvent répondre à toutes les questions et enjeux de la société québécoise d'aujourd'hui. Mais en ce qui a trait à la question nationale, qui disons-le n'à toujours pas trouvé de solution, l'enseignement de Séguin sur les conséquences de la Conquête et sur l'oppression nationale vécue par les Québécois depuis 1760 n'est pas obsolète.

Dans le récent débat, qui a débuté au printemps 2006, au sujet du projet de programme d'histoire et d'éducation à la citoyenneté qui occulte la trame événementielle des « moments fondateurs et uniques » qui ont marqué « à jamais le destin » de notre collectivité, on a pu constater à quel point les Québécois tenaient à conserver un enseignement de l'histoire fondé sur les événements qui ont imprimé un souvenir indélébile dans leur mémoire nationale et dans leur imaginaire collectif Les auteurs du projet de programme, en noyant des événements majeurs comme la Conquête, les Rébellions, l'Union de 1840 et la Révolution tranquille dans une « une insipide ligne du temps sans marqueurs temporels spécifiques à la communauté » québécoise, souhaitent en quelque sorte modifier la mémoire nationale des jeunes Québécois et leur imaginaire collectif en occultant des pans entiers de notre histoire nationale ou encore en les secondarisant comme des événements parmi d'autres. « Comme si la Conquête ou les Rébellions n'étaient que des "faits" ou des "dates" parmi d'autres, abusivement privilégiés par des historiens "nationalistes » qu'il est aujourd'hui de bon ton, dans certains cercles, de qualifier de « misérabilistes [3] » comme l'exprime le courant postmoderne mis de l'avant par l'historien Jocelyn Létourneau.

Pourtant, Maurice Séguin n'avait-il pas écrit en 1968 que « l'histoire politique du Canada français ne se comprend bien qu’en tenant compte [15] de ce désastre inévitable en deux temps, annoncé dès 1760 par la colonisation anglaise et consolidé en 1840 par l'union des forces anglaises » qui concrétisait la mise en minorité des Canadiens français de l'époque. Comme on le sait, les auteurs du projet de programme d'histoire et éducation à la citoyenneté, destiné aux élèves de secondaire III et IV, ont préféré retenir comme coupure historique 1848 (l'obtention du gouvernement responsable) plutôt que 1840 (l'Acte d'Union). Ce qui nous porte à penser que « l'illusion progressiste » d'une égalité politique entre la nation « canadian » et la nation québécoise demeure encore bien présente dans la pensée de certains historiens québécois qui n'ont malheureusement pas compris ou reçu les enseignements de Séguin au sujet de l'annexion de la nation canadienne-française et de sa mise en minorité politique dans le Parlement du Canada-Uni.

*   *   *

Dans cet ouvrage, nous tenterons d'analyser l'œuvre de l'historien Maurice Séguin, son influence et son apport à l'historiographie québécoise. Dans un premier chapitre, nous tenterons de dégager les continuités et les ruptures entre la pensée de Lionel Groulx et la conception de l'histoire de Maurice Séguin avec des textes de Michel Bock, Frédéric Boily, Pierre Trépanier et Robert Comeau. Au chapitre deux, nous aborderons la conception de la nation et de l'histoire chez Maurice Séguin avec les textes de Gilles Bourque, Éric Méchoulan, Denis Monière et Pierre Tousignant. Au chapitre trois, on se penchera sur l'influence de Maurice Séguin chez les historiens et dans la société québécoise. Son influence sera étudiée tour à tour par Michel Allard, Josiane Lavallée, Julien Goyette, Andrée Ferretti et Réal LaRochelle. Finalement, au chapitre quatre, nous nous demanderons si l'œuvre de Maurice Séguin est toujours actuelle ou si elle appartient au passé avec des textes de Mathieu Bock-Côté et Sébastien Parent.



[1] Maurice Séguin, Une histoire du Québec, Vision d'un prophète, présentation de Denis Vaugeois, Montréal, Guérin, 1995, 216 p. et Maurice Séguin, Histoire de deux nationalismes au Canada, texte établi, présenté et annoté par Bruno Deshaies, Montréal, Guérin, 1997, 454 p. En 1999, Pierre Tousignant et Madeleine Dionne-Tousignant en collaboration avec l'Éditeur Guérin rééditait les Normes de Séguin.

[2] Voir à ce sujet les livres de Gérard Bouchard, Claude Bariteau, Jacques Beauchemin, Jocelyn Létourneau, Geneviève Mathieu, Michel Seymour, Charles Taylor, Michel Venne.

[3] Extraits du texte critique de la Chaire Hector-Fabre d'histoire du Québec de l'UQAM intitulé : « Quelle histoire du Québec enseigner ? », Bulletin d'histoire politique, vol. 15, n° 1 (automne 2006).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 14 mai 2013 18:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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