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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Yolande Cohen, “Sarah Palin: la femme alibi ?” (2008). Un article publié dans le journal LE DEVOIR, édition du samedi 6 septembre 2008, page C5 — idées. [Autorisation accordée par l'auteure le 26 mars 2007 de diffuser tous ses livres et autorisation confirmée le 6 septembre 2008 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Yolande Cohen 

Sarah Palin: la femme alibi ? 

Un article publié dans le journal LE DEVOIR, Montréal,
édition du samedi, 6 septembre 2008, page C5 — idées.

  

Évolution des mentalités
Ralliement des femmes
La fin du « gender gap » ?
Un choix essentiel
Féminin contre féminisme
La bonne cible

Mots clés : sexisme, Sarah Palin, Gouvernement, Femme, États-Unis (pays).  

Certains esprits chagrins (Nathalie Collard dans un éditorial de La Presse et Janet Bagnal dans un texte d'opinion publié dans The Gazette) ont qualifié de sexiste le choix de Sarah Palin, une femme et une inconnue, comme candidate à la vice-présidente, par John McCain, le candidat républicain à la présidence des États-Unis !  

[Reuters] Selon certains commentateurs, Sarah Palin n’aurait été choisie que pour ses qualités féminines et non pour son expérience en politique.

Les républicains auraient ainsi fait preuve de viles considérations électorales, cherchant à courtiser le vote des femmes ; Sarah Palin serait donc une femme alibi parce qu'elle n'aurait été choisie que pour ses qualités féminines et non pour son expérience en politique (ce qui est d'ailleurs inexact puisqu'elle est gouverneure de l'Alaska). 

Pourtant, la même question se posait pour Barack Obama, mais on ne l'a pas considéré comme le Noir de service, bien au contraire! Si l'on peut regretter que les questions identitaires, comme la race ou le sexe, envahissent le champ de la politique américaine à l'occasion des élections présidentielles, il faut se demander pourquoi l'identité de l'un (l'origine racialisée) pose moins de problèmes à nombre de bien-pensants progressistes que le fait d'être une femme pour briguer les plus hautes fonctions politiques. Au-delà du sexisme ordinaire, qui conduit certains à se demander qui gardera les enfants quand une femme se présente en politique, il y a dans cet épisode plusieurs questions qui méritent d'être clarifiées.

 

Évolution des mentalités

 

Cette personnalisation de la politique américaine en particulier (qui n'est pas nouvelle et est aussi présente ailleurs), permet de mesurer l'évolution des mentalités au regard de deux questions qui ont été à l'avant-scène de la vie politique durant ces 40 dernières années dans tous les grands pays occidentaux. 

Propulsées par les mouvements féministes et antiségrégationnistes en particulier, les mesures d'action positive en faveur des Noirs et des femmes ont certainement permis l'avènement de candidatures d'une femme et d'un homme d'origine africaine-américaine à la vice-présidence et à la présidence des États-Unis. Ces deux candidatures incarnent ainsi une volonté affirmée par les deux grands partis de réduire le « gender gap » entre les hommes et les femmes, en donnant une voix proéminente à une femme du côté des Républicains, et de dépasser le race divide pour ce qui concerne Obama du côté des démocrates. À ce titre, cette présidentielle s'annonce déjà comme un moment historique, en rupture nette avec le « old boys politics » !

 

Ralliement des femmes

 

Mais pourquoi les analystes considèrent-ils la nomination d'Obama comme un changement salutaire, et celle de Palin comme rétrograde ? En dehors des considérations partisanes, qui ont leur importance, bien sûr, il faut bien voir qu'il y a aussi dans cette appréciation des considérations identitaires, qui ne disent pas leur nom, une sourde opposition aux femmes en politique, un sexisme pas si ordinaire que ça. 

Qualifiée d'historique à juste titre, la nomination de Barack Obama comme candidat du parti démocrate à la présidentielle a été préférée par les délégués à celle, non moins historique, de Hillary Clinton. Cette investiture n'aurait pu avoir lieu sans le ralliement des femmes, et des groupes féministes (comme Emily's list, un organisme spécifiquement axé sur le financement et l'appui de candidatures féminines) qui ont préféré Obama à Hillary, pour toutes sortes de raisons. 

J'ai eu à ce sujet nombre de discussions avec mes collègues féministes américaines, qui m'expliquaient combien la candidate Hillary leur était antipathique : trop avide de pouvoir, pas assez à gauche, pas assez à droite, etc., et incarnant la politique politicienne des Clinton, dont elles ne semblaient plus vouloir.
 

[Reuters] La nomination de Barack Obama comme candidat a été préférée à celle, non moins historique, de Hillary Clinton.

 

La fin du « gender gap » ?

On pourrait penser que nombre d'entre elles ont ainsi voulu marquer leur volonté de dépasser la politique identitaire, qui voudrait que des femmes votent en faveur de femmes. Mais auraient-elles troqué une identité de genre pour l'identité de race ? Obama incarnerait alors pour ces féministes désenchantées un changement de paradigme assez radical ; à moins que le sexisme soit plus difficile à combattre que le racisme aux États-Unis, comme le suggérait la féministe Gloria Steinem en commentant les difficultés auxquelles Hillary a fait face durant sa campagne. Le choix des délégués démocrates a dans tous les cas conduit à ce changement historique, où Obama a été investi et préféré à une femme dont l'engagement féministe n'était plus à démontrer. 

Cet épisode confirme-t-il une tendance lourde, déjà entrevue en France à l'occasion de la candidature de Ségolène Royal à la présidence de la République, en 2007? Les groupes féministes n'appuient plus nécessairement une femme, même féministe. 

Sans compter que les caciques du parti socialiste, comme certains groupes du parti démocrate, y étaient férocement hostiles, par antiféminisme aussi. On se souvient de la question lancée par Laurent Fabius à l'annonce de la candidature de Ségolène : « Mais qui va garder les enfants ? » Ces hommes et ces femmes, démocrates et socialistes, ont fait le pari que la probabilité d'un vote des femmes en faveur d'une femme n'était plus d'actualité et que les femmes voteraient pour un programme qui leur garantirait l'égalité. Est-ce si vrai que ça ? En a-t-on vraiment fini avec le « gender gap » ?

 

Un choix essentiel

L'investiture la semaine dernière de Sarah Palin dans le ticket républicain montre au contraire que le vote des femmes est au centre de l'échiquier politique comme il ne l'a jamais été auparavant. Loin de n'être qu'une manoeuvre politicienne de plus, ce qu'elle est évidemment aussi, le choix de Palin s'avère essentiel pour rallier ces milliers de femmes qui constituent le gros des bataillons de mouvements féminins, essentiellement confessionnels, évangélistes inclus. 

Là aussi, des commentateurs font preuve d'une incompréhension manifeste des enjeux que cette investiture représente: ils découvrent ces « supermom » qui forment le gros des troupes qui font vibrer d'improbables localités du Midwest, rectitude politique et moralisme inclus, qui constituent ces familles avant tout, même dans le bureau de la gouverneure, qui ne croient pas à l'avortement, bref la petite vie telle que la vivent des millions d'Américaines. 

Sarah Palin incarne ce qui fut durant un siècle et est encore la colonne vertébrale du militantisme féminin aux États-Unis (phénomène d'ailleurs semblable au Canada, où ces mouvements sont bien plus puissants qu'on veut bien le croire). Loin d'être apolitiques, mais travaillant souvent en dessous des radars médiatiques, ces mouvements ont fourni les meilleures oratrices, les militantes les plus aguerries et les premières femmes en politique active depuis des décennies. Parler de femmes alibi dans ce contexte relève donc tout simplement de l'ignorance!

 

Féminin contre féminisme

Que l'on ne s'y trompe pas, donner une voix, un visage et une consistance à ces millions de femmes que l'on n'a jamais entendues, pour la plupart des mères de famille, pauvres et en bas de l'échelle, qui travaillent dur pour leurs enfants, comme Palin, et qui jonglent tout le temps avec tout ça, constitue à n'en pas douter une intrusion très attendue de la politique du genre dans ces élections, qui deviennent ainsi doublement historiques. La vieille lutte entre féminin et féminisme trouve ici son expression la plus aboutie. 

Et bien que l'Amérique soit profondément divisée sur les questions de l'avortement, du mariage de même sexe et de la guerre en Irak, la reconnaissance implicite du pouvoir des femmes comme femmes qu'implique l'investiture de Palin va-t-elle conduire les femmes à voter pour une femme, d'abord et avant tout ? 

Assisterons-nous à l'avènement de cette politique identitaire (identity politics) où les processus de reconnaissance et de redressement de discriminations systémiques (race et sexe, ici) s'avèrent plus puissants que les idéologies ou la partisanerie qui les portent? C'est en tout cas le pari, pas si risqué, qu'a fait le candidat McCain pour reprendre à son profit l'agenda politique.

 

La bonne cible

Pour l'instant, le débat s'est en effet recentré sur les questions des femmes, ce dont je me félicite comme féministe. J'aurais préféré quant à moi que ce soit Hillary Clinton qui les incarne, mais il faudra compter sur Obama pour le faire. Quant aux positions politiques ultraconservatrices et rétrogrades de Palin, je les combattrais de toutes mes forces, mais en reconnaissant à la personne qui les incarne toute la légitimité et l'adresse d'une redoutable politicienne. 

Mieux vaut ne pas se tromper de cible! Ainsi va la politique du genre, divisée depuis plus d'un siècle entre différentes idéologies et façons de faire, mais avec laquelle il faut désormais compter, et plus que jamais. À la veille d'élections fédérales canadiennes, où l'on en est encore à compter le pourcentage des femmes qui se présentent (qui ne dépasse toujours pas les 30 % de candidates dans les grands partis), il est affligeant de voir combien la distance est grande !


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 6 septembre 2008 14:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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