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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Yolande Cohen, “Le rôle des mouvements de femmes dans l'élargissement de la citoyenne-té au Québec.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome I, chapitre 8, pp. 181-202. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 509 pp. Collection: Société: dossiers documents. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par l'auteure le 26 mars 2007 de diffuser tous ses livres dans Les Classiques des sciences sociales.]

[181]

Yolande COHEN

Historienne, département d'Histoire, UQÀM

Le rôle des mouvements de femmes
dans l'élargissement de la citoyenneté
au Québec
.” [1]


Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome I, Deuxième partie: “L’État, la société et la politique.” chapitre 8, pp. 181-202. Montréal : Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 509 pp. Collection : Société : dossiers documents.


La problématique des mouvements sociaux a renouvelé la réflexion sur le politique en y introduisant différentes conceptions du changement social. Comment les mouvements féministes ont-ils transformé le débat politique ? Leur rapport au pouvoir réside-t-il dans sa contestation ou dans les formes de contre-pouvoir qu'ils mettent en place ? Ou bien sont-ils des avant-gardes de groupes minorisés cherchant une intégration différenciée dans l'espace démocratique ? Alors que les théories du changement paraissent caduques, en particulier celles qui sont inspirées de la théorie marxiste, on s'interroge sur le rôle des mouvements sociaux anciens et nouveaux dans le développement des démocraties (Touraine, 1994).


Le renouvellement de l'historiographie sur les révolutions, par exemple, alimente un scepticisme sur leur capacité à engendrer des changements bénéfiques à tous et viendrait corroborer des observations faites au lendemain de la révolution russe par un Marcel Mauss (1969) : il n'y a de changement durable et profond d'une société que si celle-ci y parvient à la suite d'un engagement de la grande majorité de sa population. Hostile aux révolutionnaires professionnels, Mauss se prononce pour un élargissement de la démocratie et de ses mécanismes de fonctionnement (Fournier, 1994).

Réfractaires à toute manipulation par une minorité agissante et férocement critiques à l'égard de la société post-industrielle et des formes d'aliénation qu'elle produit, les nouveaux mouvements sociaux des années 1970, dont le féminisme est issu, auront précisément pour effet, sinon toujours pour but, d'élargir les assises de la démocratie. Ainsi, le féminisme, me semble-t-il, a d'emblée offert à la démocratie ses plus grands espoirs contemporains de rédemption : le système sortira-t-il grandi de sa confrontation fructueuse avec la revendication d'inclusion des femmes ? Encore faudrait-il que la proposition égalitaire contienne toute la revendication féministe et que, condition encore plus aléatoire, la démocratie soit encore considérée par tous comme le système politique le plus adéquat. Cette réflexion complexe relève plus de la philosophie politique que de l'étude circonstanciée d'un mouvement à une époque donnée (Kymlicka, 1990) [2]. Pourtant, nous le verrons, nous ne pouvons poser la question des femmes dans son historicité sans faire référence plus largement à ce débat, tel qu'il transparaît dans des écrits et des pratiques féministes.

Or, comme de nombreux mouvements à volonté révolutionnaire, le féminisme des années 1970 s'est auto-proclamé référence suprême et modèle universel de la libération des femmes. Du passé, il a prétendu faire table rase, comme le mouvement contestataire dont il est issu ; ce qui n'a pas manqué d'avoir des répercussions [182] durables sur la façon dont les historiennes féministes ont reconstitué l'histoire. Il a aussi généré un immense espoir de changement : en dénonçant les règles politiques patriarcales ou sexistes, il démontrait l'inadéquation de la pseudo-démocratie occidentale à prendre en considération la place des femmes. Contestant le caractère universel du suffrage masculin jusqu'en 1940 au Québec, et excluant Amérindiens et Inuit, la critique féministe récusait la structure politique même qui devait être radicalement transformée pour faire place aux femmes et aux plus démunis. L'exclusion de la grande majorité des femmes du pouvoir politique et des sphères de pouvoir fut alors le point de départ d'une réflexion concertée de la part des chercheuses et militantes féministes en vue de reconceptualiser le politique en tenant compte de cette variable.

L'ambition initiale du mouvement dépassait de loin la seule revendication de l'inclusion des femmes dans les sphères du public ; il s'agissait plutôt de transformer les concepts du politique pour les rendre plus aptes à rendre compte de la place occupée par les femmes dans les sociétés démocratiques (Vickers, 1989) [3]. En quoi le mouvement féministe s'est-il fait l'écho d'un sentiment largement partagé ? Comment s'est réalisée la jonction entre le mouvement et les femmes ? Se peut-il qu'une critique si radicale du pouvoir patriarcal ait éloigné ses militantes de la vie politique de façon durable ? Ou, au contraire, a-t-il ouvert la voie à d'autres femmes en politique ?

Nous chercherons ici à déceler ce qui, dans les propositions véhiculées par les mouvements féministes québécois, a pu faire basculer les représentations des femmes, dans l'ordre politique et dans l'ordre symbolique. Il n'est pas question, cela va de soi, d'être ni exhaustif ni objectif : un tel essai participe du questionnement critique sur la citoyenneté en cours tant dans les instances politiques que dans les instances académiques qui produisent et statuent sur les discours.

Tâchons aussi de mieux comprendre les critiques féministes du pouvoir. Que peut-on dire aujourd'hui de l'influence des femmes et de leurs regroupements dans la vie politique ? S'agit-il de revendications d'intégration ou s'agit-il de mouvements contestaires réfractaires à toute inclusion ? Nous aborderons ces questions sous l'angle particulier de l'exercice par les femmes de leur citoyenneté au XXe siècle, en nous appuyant sur l'exemple québécois.

J'essaierai de montrer les tendances qui me semblent les plus significatives, au Québec et au Canada, en commentant ce qui est considéré comme le modèle normal de l'intégration en politique, le vote, les élections et la participation des femmes à la vie partisane, et en analysant les stratégies alternatives mises en place par certains groupes de femmes.


FÉMINISME, NATIONALISME
ET ÉTAT-PROVIDENCE OU
COMMENT LA BATAILLE POUR LE SUFFRAGE
FUT PARTIE INTÉGRANTE
DU MOUVEMENT FÉMININ
DE RÉFORMES SOCIALES


À la recherche de documents attestant l'exclusion des femmes de la vie politique, des militantes et historiennes féministes découvrent l'existence de groupements de femmes en faveur de réformes sociales et pour l'obtention du droit de vote dans les [183] années du tournant du siècle. Elles découvrent des héroïnes aux revendications osées, que l'on a par la suite statufiées pour leur courage à mener une lutte dont on comprenait qu'elle était inégale. Bien qu'aboutissant sur le coup à un échec, le combat des Québécoises pour obtenir le droit de vote du gouvernement Taschereau apparaît avant-gardiste. Certes, les femmes québécoises participent aux élections fédérales où elles ont le droit de vote depuis le 24 mai 1918, mais elles ne peuvent exercer ce droit dans leur propre province. Les conséquences de cet échec ont conduit à en chercher l'explication dans l'aliénation des femmes et dans le refus catégorique du clergé catholique de voir les femmes entrer dans la vie politique.

Alors que la première vague féministe se serait donné comme objectif essentiel l'acquisition du droit de vote pour les femmes, elle aurait échoué devant l'intransigeance des tenants de l'idéologie cléricale et nationaliste. Les Marie Gérin-Lajoie, Caroline Beique et Justine Lacoste-Beaubien, fondatrices de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB) en 1907, femmes de la bourgeoisie ayant épousé les thèses du libéralisme bourgeois, tentent bien d'ajouter des revendications politiques aux mesures sociales qu'elles préconisaient déjà. Mais on a attribué au clergé la responsabilité d'avoir dissuadé Marie Gérin-Lajoie de continuer sa campagne en faveur du droit de vote, parce que son obtention détruirait cette valeur sacrée à leurs yeux qu'est la famille (Lavigne, Pinard et Stoddart, 1983 ; Trofimenkoff, 1986). Désormais soumise à la volonté de son évêque, la Fédération consolide son œuvre de réforme sociale et tente d'obtenir des avantages accrus pour les femmes dans les sphères de la philanthropie sociale.

Sa dissidence fut de courte durée, et somme toute assez vaine dans l'immédiat ; bien moins vaine était l'action sociale engagée par les 22 groupes qui lui étaient affiliés. Si cet aspect des activités de la Fédération, qui touchait les domaines de la charité, de l'éducation et de l'action économique, était tangible pour les milliers de femmes qui en ont bénéficié, il n'est pas apparu aussi notoire pour de nombreuses féministes des années 1970 qui l'attribuaient au rôle traditionnel des femmes. Ce rôle, rappelant trop l'asservissement des femmes au clergé, fut d'emblée rejeté comme porteur d'obscurantisme et de conservatisme peu propice à éclairer le présent. Cherchant avant tout à souligner la conscience féministe des pionnières, on a salué l'action de ces premières héroïnes, qui ont su déployer leur lutte sur le terrain de l'égalité des droits.

Pour des raisons qui relèvent d'une collusion opérée dans les années 1960 et 1970 entre féminisme et nationalisme progressiste, les recherches sur le suffrage féminin ont peu considéré le rôle de ces associations féminines dans le processus d'élargissement de la sphère publique des femmes. Du fait de l'influence considérable de l'Église sur elles, il ne paraissait pas possible que les femmes aient pu s'émanciper de sa tutelle. C'est pourquoi l'analyse qui prévalut pendant un temps au sein du féminisme fut celle de l'aliénation de ces femmes et de leur subordination à l'idéologie cléricale : la philanthropie ne serait pour les femmes qu'une autre manière d'appliquer les préceptes de la charité chrétienne. Et, même si ces organismes revendiquaient des droits égaux, cette demande venait loin derrière leur volonté de cohésion sociale.

Se démarquant de cette perspective, Laurin, Juteau et Duchesne (1991) ainsi que Eid et Laurin-Frenette (1980) et Danylewicz (1988) préfèrent parler d'appropriation [184] des femmes par l'Église, ce qui leur permet de mettre en valeur le travail considérable effectué par les communautés religieuses dans des secteurs comme l'éducation et les services sociaux, et d'expliquer la prégnance des idéaux chrétiens dans la structuration du marché de l'emploi féminin. Le débat se jouerait fondamentalement entre l'Église et l'État, ne laissant qu'une place marginale aux activités volontaires, surtout féminines.

Ainsi, à trop vouloir tirer ces associations vers le féminisme contemporain, ou à en ignorer l'influence, on a tendance à sous-estimer la portée des revendications sociales que celles-ci avançaient. On a aussi fait porter au clergé la responsabilité principale de l'échec d'une campagne pour le suffrage, alors qu'elle était tout aussi mal vue par la majorité des groupes de femmes, Cercles de fermières en tête. Les arguments de ces associations contre le droit de vote sont connus : assimilés sans autre distinction à l'idéologie cléricale et nationaliste, ils s'appuient sur la division artificiellement établie entre le privé et le public, confortant les femmes dans un rôle privé, même si leur action sociale dépasse largement la sphère dite privée. Soulignant que la revendication du droit de vote est avant tout portée par des organismes de femmes anglo-protestants de Montréal, l'Église n'a pas manqué de ranimer des vieilles querelles. Les dissensions entre l'organisation mère anglophone et non confessionnelle, le Montreal Local Council of Women, et sa réplique francophone et catholique, la FNSJB, ne furent pas de nature à aider la cause des droits des femmes.

La condamnation sans appel de ces groupes a fini par masquer une dimension plus profonde et apparemment paradoxale de leur action. C'est au sein de ce mouvement de réformes, caractérisé par un féminisme social, appuyé sur les devoirs sociaux des femmes qu'émerge et se développe un féminisme des droits. À partir de quand et comment s'ouvre la brèche qui conduit les Canadiennes anglaises d'abord et les Québécoises ensuite sur le chemin de l'égalité des droits ?

Le mouvement féminin de réformes sociales

La période du tournant du siècle est celle qui voit l'éclosion d'une nuée d'organisations de femmes qui s'inscrivent dans ce que les Canadiennes anglaises et les Américaines ont caractérisé comme un mouvement de réformes. Des milliers de femmes se sont mobilisées dans des campagnes en faveur de la tempérance, d'une meilleure hygiène, de logements plus salubres, de l'amélioration des conditions de vie et de santé des enfants en particulier, etc. Largement documenté pour le Canada, ce mouvement se fit sentir partout en Amérique du Nord, alimentant des controverses fort intéressantes sur le sens à lui donner [4]. D'abord entrevu comme le fait des femmes des classes moyennes et bourgeoises, il fut largement critiqué pour son incapacité à sortir les femmes des rôles stéréotypés qui leur étaient assignés (Errington, l988) [5]. Réformiste, ce mouvement fut aussi critiqué pour son conservatisme et sa manipulation par des femmes des classes aisées (Kealey, 1979).

Toutefois, ce sont ces mères de famille, celles que Veronica Strong-Boag (1986) appelle les club women, qui transforment leur rapport à la vie publique. Elles considèrent de leur devoir moral d'intervenir dans la sphère publique pour la réformer et lui donner des qualités féminines. Si de telles revendications paraissent à première vue consolider la subordination de ces femmes aux hommes politiques, elles ont en fait la [185] vertu de sortir la grande majorité des femmes des rôles privés qui leur sont assignés. C'est pourquoi l'on redécouvre aujourd'hui ces mouvements de réformes sociales. L'importance de ces activités de réformes dans l'émergence d'une revendication de droits égaux (dont celle pour le droit de suffrage) et dans la mise sur pied de l'État providence est au centre de l'investigation (Black, 1989 ; Strong-Boag et Fellman, 1986 ; Bock et Thane, 1991 ; Skocpol, 1993a, 1993b).

La revendication du droit de suffrage ne peut se comprendre que dans ce contexte. Cette ère de féminisme dit social ou maternel est revisitée pour montrer l'étendue des réformes obtenues, attestant les stratégies particulières qui furent employées par ces groupes pour arriver à leurs fins. Face à l'irréductible opposition des parlements à leurs revendications, de nombreuses féministes adoptent alors une stratégie qu'elles considéreront comme plus fructueuse, à savoir la revendication de donner aux mères le plein accès à la citoyenneté. Toute une série de mesures sont alors mises de l'avant pour récompenser la maternité sociale : élevée au rang de devoir national, la maternité doit légitimer l'obtention de bénéfices (allocations de maternité) et de droits, en particulier le suffrage. On assiste à l'émergence d'un État maternel, dont Skocpol (1993) prétend qu'il provient en grande partie du transfert des pouvoirs des associations de femmes.

Pour le Québec, ce processus est également amorcé par de nombreuses associations. Le courant dit de la maternité sociale a été un des terreaux les plus fertiles de l'élargissement des rôles sociaux des femmes.

L'État maternel

En fait, les figures marquantes du mouvement suffragiste partageaient avec la majorité des autres groupes de femmes une conception maternelle de la citoyenneté : c'est pourquoi elles se rangent sans mal à la décision de se retirer du Comité provincial pour le suffrage féminin, fondé pourtant en 1922 par Marie Gérin-Lajoie. Leur ambiguïté n'est pas celle que l'on y voit : elle est celle de femmes tentant d'obtenir un maximum d'avantages pour toutes les femmes sans remettre en cause le rôle qu'elles considèrent comme essentiel dans la famille. L'action de minorités agissantes fermement décidées à obtenir des droits pour les femmes n'a pas prévalu au Québec, et c'est sous la houlette de grandes organisations aux allures conservatrices que la plupart des femmes se rassemblaient. Car, il ne faut pas l'oublier, le caractère sacré de l'appartenance nationale prédominait sur toutes les autres considérations, ce qu'on a appelé par ailleurs la nationalisation des femmes (Thébaud, 1992). L'Église fut partie prenante de ce processus et raviva la flamme nationale en menaçant d'excommunication toutes celles qui ne s'y conformeraient pas.

Ces paramètres encadrent l'action politique des femmes et c'est pourquoi l'élargissement de la sphère publique à laquelle certaines d'entre elles aspirent passe par le mouvement de réformes sociales. Le travail considérable déployé et le succès qu'elles obtiennent sont clairement attestés par les progrès de l'hygiène et de la santé publique dans une ville comme Montréal. Le développement d'unités sanitaires directement issues du mouvement hygiéniste animé par des femmes, des médecins éclairés, des réformistes visionnaires montre l'étendue du changement opéré (Desrosiers, Gaumer et [186] Keel, 1991 ; Cohen et Gélinas, 1989). Le rôle essentiel des associations bénévoles de femmes dans la mise sur pied et l'administration des hôpitaux, comme celui de Sainte-Justine (Charles, 1990), indique également l'existence de secteurs entiers de la santé qui échappent au contrôle absolu de l'Église. Que ce soit dans les zones rurales ou dans les zones urbaines, le regroupement des femmes dans des clubs, associations, amicales et autres se manifeste. Les zones rurales et semi-rurales, que l'on dit retardataires, ne sont pas en reste. L'association des Cercles de fermières n'aura de cesse, depuis sa fondation en 1915, qu'elle n'établisse toutes les formes d'entraide entre femmes de la campagne et, surtout, ménagères dans les petites villes et villages (Cohen, 1990). L'acquisition d'une certaine autonomie des Cercles par rapport à l'Église est fulgurante, et les Cercles seront parmi les agents qui feront évoluer le discours clérical en faveur du catholicisme social, alors minoritaire au sein du clergé québécois (Cohen et Van Den Dungen, 1994) [6], avant de procéder à une rupture douloureuse avec l'Église en 1944. Sans entrer dans la démonstration faite ailleurs, nous pouvons affirmer que la demande d'assistance adressée par les Cercles à l'État (symbolique dans leur cas) eut pour résultat de les sortir de la tutelle de l'Église et de leur permettre de former une association plus autonome. Elle est emblématique des attentes qu'elles avaient face à l'État québécois. Les Cercles y voyaient le guide éclairé qui soutiendrait leur action de réformes sociales tout en reconnaissant sa valeur et en leur conférant le pouvoir qui y correspondait.

Tous ces groupes ne sont évidemment pas semblables : des intérêts divergents les opposent. Ils se rejoignent sur une conception commune du rôle des femmes, établi sur la notion de service et de devoir plutôt que sur celle plus contemporaine de droits. Pourtant, on voit déjà à l'œuvre une autre conception de l'engagement politique qui se disait alors plus simplement public. Leur pratique de la citoyenneté ne passait pas par le parti politique mixte mais par le regroupement de femmes pour l'obtention de mesures qui devaient satisfaire des besoins précis et particuliers.

C'est aussi ce qui leur fut reproché. Réclamant une stricte neutralité dans l'appréciation de ces activités, ou à tout le moins une perspective égalitaire pour l'étude des rapports hommes-femmes, on reproche à cette perspective d'être basée sur un double standard (Lamoureux, 1991) [7]. Pourquoi devrait-on qualifier l'action sociale des femmes de philanthropique et dire de celle des hommes qu'elle conduisit à l'émergence du socialisme et du communisme ? Outre que cette interprétation reprend à son compte la vision étroitement politicienne qu'elle critique, elle fait fi de la réalité historique étudiée. Les groupes qui se réclament du féminisme social n'ont pas eu pour objectif de se constituer en parti.

Sous-jacente à ce type d'analyse se profile une conception du changement politique qui pour les femmes aussi aurait dû passer par la constitution d'un parti pour qu'elle soit valide. Que le mouvement de réformes ait donné naissance notamment au service social ne suffit pas à conférer un crédit politique à l'action de ces femmes. Même si l'on reconnaît le bien-fondé de ces politiques pour soutenir le rôle essentiel des femmes dans la famille et dans la mise en place d'un État-providence, on n'en tire pas de conclusion sur la possibilité qu'ont eue ces femmes d'exercer leur devoir de citoyennes d'une manière différente. Une telle critique récuse l'articulation de la différence sexuelle à des fins politiques. On n'imagine pas que ces organisations ont dû [187] développer des stratégies alternatives pour passer outre à l'exclusion politique. Il aurait fallu en somme qu'elles se comportent comme nous aurions aimé qu'elles le fassent aujourd'hui, comme des féministes radicales, ou comme quelques-unes d'entre elles l'ont fait [8].

L'État-providence

On doit plutôt s'interroger sur les raisons qui ont conduit ces associations à faire confiance à l'État pour gérer et conduire leurs revendications. À ce titre, l'histoire des associations féminines happées par l'État-providence et sa bureaucratie est porteuse d'enseignements utiles. Elle atteste des changements majeurs dans la conception que l'on se faisait de la citoyenneté : à la base, ces associations bénévoles, charitables et même professionnelles croient en la capacité de l'État d'être l'arbitre des conflits qui les opposaient à l'Église ou entre elles. Elles remettent alors une grande partie de leurs prérogatives et de leurs compétences entre les mains de l'État sous le prétexte qu'il représente la démocratie et peut gérer les intérêts des plus démunis en bonne mère de famille. Cela n'est possible que parce que, de son côté aussi, l'État a tout intérêt à élargir ses sphères d'influence. Au sommet, l'État procède au début du siècle à une

redéfinition de la citoyenneté. Loin de se résumer à l'énumération de droits égaux, la citoyenneté est entrevue par les pères du Welfare State, Beveridge, Tittmuss et T. H. Marshall, comme une responsabilité politique et sociale (Harris, 1975). Susan Pedersen (1990) le résume en ces termes [9] : « Est citoyen, celui qui non seulement participe à la vie politique de la cité et a des droits politiques, mais aussi celui qui contribue au bien-être économique et social du groupe et en tire des bénéfices sociaux et économiques (entitlements). » Cette définition est par essence inclusive des femmes qui se trouvent aux premières places de ce mouvement, l'inspirent et l'animent.

Telles sont quelques-unes des raisons qui ont conduit la majorité des femmes dans les années 1920 à s'engager dans l'action sociale : pour elles, cela signifiait non pas leur retrait de la vie publique mais son investissement à partir de leurs propres préoccupations ; elles la considéraient comme une action civique. Le droit de vote n'en était qu'un aspect, mineur pour beaucoup d'entre elles. C'est également à partir de leur conception de la vie familiale et de la défense de la langue, très inspirée du catholicisme, que les femmes se font les chantres du nationalisme canadien-français, forme particulièrement aiguë de leur engagement dans la vie politique nationale.

Leur action a eu en outre des conséquences politiques considérables qu'il ne s'agit pas d'escamoter. Cet élargissement des sphères d'intervention de l'État dans les années 1920 et 1930 a conduit, on le sait, à un envahissement toujours plus grand de ce que l'on appelle le privé, et à un État minotaure. En conférant leurs prérogatives à un État dont elles apprirent vite qu'il n'était ni neutre ni bienveillant, les associations de femmes ont été flouées. Elles ne devinrent jamais des partenaires reconnues de l'État, avec le pouvoir qui aurait dû leur revenir ; elles devaient même lui quémander le droit d'exercer leurs prérogatives, pour les professions sanitaires par exemple, tandis que l'action certes autonome des associations dépassait rarement le cadre du groupe de pression relégué à l'antichambre des ministres. Leur acceptation de la complémentarité ]188] des rôles sexuels, qui s'apparente à une acceptation d'un statut de citoyen de seconde zone, devint très vite identifiée à leur subordination à l'État.

Certaines critiques vont jusqu'à dire que cette subordination fonde la société patriarcale. C'est la théorie du contrat sexuel de Carole Pateman. Récusant l'asservissement structurel des femmes par les hommes, Pateman (1988), dans un essai remarqué, argumente que la domination qui s'exprime dans le contrat sexuel est ce qui fonde et légitime l'existence du contrat social. Sans l'effacement de la famille, ou du travail féminin dans la famille – cette dernière décrétée comme relevant de l'ordre privé –, la vie politique contemporaine n'existerait pas comme telle. La discrimination sexuelle est-elle alors la règle de la vie politique en démocratie ?

Si cette analyse se justifie en théorie, en pratique elle est caduque. Loin d'ignorer les familles et le contrat sexuel qui subordonne les femmes aux hommes, l'État-providence s'immisce dans la vie des familles et la réglemente [10]. Pedersen insiste sur l'aspect contingent de ces décisions, qui s'accompagnent d'une prééminence nouvelle de l'État dans un domaine qui était du ressort presque exclusif des associations charitables (surtout féminines), et j'ai pu également en faire la preuve en ce qui concerne les Cercles de fermières et certaines associations professionnelles. L'analyse historique de ce processus nuance considérablement l'analyse politique : l'exclusion des femmes de la citoyenneté politique dans les années 1920 est récusée dans les années 1940. Un tel renversement atteste une profondeur de l'action de ces associations de femmes qui, bien au-delà des résultats politiques immédiats, a orienté leurs membres vers une affirmation de soi. En ce sens, et quoi qu'on en dise, ces groupes ont pavé la voie du féminisme contemporain, au Québec aussi.

Loin de s'être désintéressé de la vie privée, l'État a intégré à ses fonctions les principales prérogatives des femmes, Reléguées au rôle de femmes-mères, certaines militantes féministes réalisent l'importance de l'obtention de droits égaux. Le principal revirement qui s'est opéré dans les années 1950, à la faveur des revendications féministes aussi, fut de ne plus lier les allocations et autres avantages sociaux distribués par l'État aux qualités des récipiendaires. C'est pourquoi il est tellement délicat aujourd'hui d'accorder les avantages sociaux en tenant compte des différences religieuse, ethnique ou sexuelle.

Le retour au strict principe égalitaire apparaît comme le moyen de court-circuiter le processus d'exclusion. L'égalité est au contraire le signe de l'abandon de toute discrimination en fonction du sexe, de la religion, de l'âge, etc. Avec le refus des politiques de protection liées au sexe, se profile la révolution moderne des droits. C'est aussi à ce moment que la jonction entre le féminisme de la différence ou des droits naturels et le nationalisme conservateur s'inverse ; le féminisme moderne sera du côté de l'égalité. L'itinéraire de Thérèse Casgrain en est le meilleur témoignage. Symbolisant le combat des Québécoises en faveur du suffrage, elle incarne aussi toute leur ambivalence.

Nous avons esquissé certaines des conditions historiques dans lesquelles s'est effectué le revirement des femmes en faveur des droits et entrevu les raisons pour lesquelles la revendication des droits égaux semblait résumer désormais toute la revendication féministe. Non pas que les associations plus conservatrices aient soudain disparu : elles-mêmes effectuent un revirement de 180 degrés, comme c'est le cas pour [189] l'Association des femmes pour l'éducation et l'action sociale (AFÉAS) et bien d'autres [11]. On le voit, l'histoire du suffrage féminin atteste l'existence de variables plus complexes, dont ne tiennent pas toujours compte les études politiques. Voyons ce qu'une lecture plus étroitement politicienne révèle de ce même débat.


DES FEMMES EN POLITIQUE :
OÙ ET QUAND ?

On distingue habituellement trois générations de femmes et de représentation politique au Canada (Robinson et Saint-Jean, 1991). De fait, les études politiques sur la participation des femmes commencent vraiment dans les années 1970. La période avant 1970 est considérée comme traditionnelle : les femmes comme Pauline Jewett, Judy Lamarsh et Flora Macdonald sont les premières femmes en politique, femmes alibis d'une représentation fortement dichotomisée selon la ligne de clivage privé-public. Leur différence biologique alimente le débat qui porte presque exclusivement sur leur capacité à concilier leurs rôles comme femmes et comme politiciennes. Deux stratégies furent utilisées pour parvenir à normaliser leur présence en politique : l'une vise à les désigner comme des femmes asexuées : elles sont les femmes de, les filles de, etc. L'autre souligne les aspects négatifs de leur féminité : elles sont des vieilles filles, des femmes faciles ou des club women. Il leur fallait en quelque sorte passer dans le monde politique de façon à neutraliser leur sexe (gender).

La seconde période, transitoire, de 1970 à 1990, est celle qui voit un plus grand nombre de femmes mettre l'accent sur le pouvoir. Parmi les raisons qui expliquent le changement d'attitudes à l'égard des femmes et de la politique, l'action du mouvement des femmes arrive en premier. La mise sur pied de la Commission royale d'enquête sur le statut de la femme traduit la prise de conscience institutionnelle de ce changement. Avec ses 160 recommandations qui visent à assurer l'égalité des droits des femmes dans la vie publique, l'augmentation du nombre de femmes mariées (68 %) et de mères de famille (54 %) ayant un travail salarié, la revendication plus générale de l'équité en emploi, elle a eu un effet non négligeable sur les représentations politiques et symboliques des femmes. Le nombre de femmes occupant un poste électif a atteint 20 % dans au moins trois provinces, et oscille entre 20 et 30 % au palier municipal dans les grandes villes canadiennes.

En outre, il faut aussi souligner l'effet, dans les années 1980, d'une nouvelle variable dans la vie politique nord-américaine, ce que l'on nomme le gender gap : aux États-Unis, alors que les hommes votaient dans une proportion de 10 % supérieure à celle des femmes en 1954, ce pourcentage s'inverse au profit des femmes qui, en 1984, votent plus que les hommes dans une proportion de 7 % (Mueller, 1987). Au Canada, bien que l'on ne possède pas de chiffres, l'électorat féminin est courtisé (le débat des chefs en 1984 est organisé par le National Action Council) et tous les candidats doivent se prononcer sur les questions qui concernent particulièrement les femmes (programmes sociaux, la paix dans le monde, etc.).

Le vocabulaire féministe est alors devenu la règle : de nombreuses politiciennes sont présentées comme appartenant à des groupes ou à des réseaux, d'où elles tirent [190] leur force et leur légitimité. Le stéréotype qui circule couramment dans les médias durant cette période est celui de la super-femme, jeune, active, ambitieuse et qui réussit à tout faire, vie de famille incluse. Liza Frulla, Sharon Carstairs, Iona Compagnolo paraissent incarner ces images idylliques dont la presse s'empare, sans préciser ce qu'il leur en coûte vraiment de se fondre dans ce moule. Les variations sur un même thème se retrouvent dans la version féministe du modèle, incarnée par Lucie Pépin, tandis que la version masculine, one of the boys, se trouve représentée par Barbara McDougall, Kim Campbell et Sheila Copps. Se refusant à toute concession au féminisme, ces dernières n'hésitent pourtant pas à rappeler qu'elles sont aussi des femmes dans un monde d'hommes.

Mais c'est la différence des attentes des électeurs et des politiciennes face aux femmes en politique qui retient l'attention. La très grande majorité des politiciennes dit entrer dans le milieu politique pour améliorer la condition humaine (elles se prononcent contre la violence, le racisme, etc.), et non pas, comme leurs collègues hommes, pour y faire carrière. On note donc un très fort degré d'idéalisme, doublé pour les anciennes d'une éthique de service communautaire (Vickers, 1989) et d'un sens du devoir de citoyen fort imprégnés du devoir chrétien de servir. Le pouvoir ne représente pas un objectif en soi, elles ne cherchent pas à avoir le pouvoir, mais à l'utiliser pour arriver à d'autres fins. En ce sens, elles ne diffèrent pas fondamentalement de leurs prédécesseurs dans les associations : à cela près que ces dernières utilisent le vote, le parti et la politique pour y parvenir.

En somme, la présence des femmes au gouvernement a produit des changements significatifs en faveur des femmes et des plus démunis. Les exemples les plus connus sont ceux de ces pionnières de la politique : Claire Kirkland-Casgrain a établi des lois pour les femmes mariées au Québec et Monique Bégin a fait approuver l'assurance-maladie universelle. Par leur façon différente de faire de la politique, de concevoir leur rôle et de l'exercer, les élues canadiennes ont ouvert la voie à une représentation du politique et de ses institutions qui serait plus ouverte, à visage humain, dirions-nous aussi. Toutefois, ces conclusions en appellent d'autres qui sont plus ou moins implicites.

L'impossible politique au féminin

Le premier bilan est que les institutions politiques traditionnelles tendent, par une réification des individus, à ignorer les différences et à être neutres, c'est-à-dire inhumaines. Les femmes qui chercheraient précisément à humaniser la politique en la familiarisant, par exemple, se heurteraient alors à des obstacles infranchissables. Celles qui émergent ont réussi à passer à travers le rouleau compresseur de l'organisation partisane et c'est pourquoi elles apparaissent comme des figures stéréotypées de la femme et de la militante. Il est intéressant de constater également que leur accession à des postes de direction se réalise désormais sur une base semblable à celle des hommes, à savoir comme une course solitaire pour l'obtention du pouvoir. Le cas de Kim Campbell, bien qu'encore trop proche de nous pour être analysé globalement, atteste qu'il n'y a pas de véritable opposition à ce qu'une femme prenne la direction d'un parti même conservateur et qu'elle peut le faire sans avoir de véritable réseau dans le parti pour l'appuyer et tout en étant une parfaite inconnue dans le sérail [12].

[191]

Aucune des analyses et prévisions politiques n'avait imaginé un tel scénario. Une des raisons de la mise sur orbite de Kim Campbell est certainement liée à la crise profonde dans laquelle le gouvernement Mulroney laissait le parti. Toutefois, la stratégie du Parti progressiste conservateur qui consistait à penser qu'une femme jeune et militante comme Kim Campbell pouvait sauver le parti mérite une réflexion approfondie et tend à vérifier l'hypothèse, souvent avancée par certaines analystes, qu'en période de crise l'establishment des partis n'hésite pas à faire appel à une femme qu'il investit du pouvoir suprême, pour voler à son secours et sauver les meubles.

Ce processus de cooptation de femmes relativement jeunes et inconnues sert plusieurs objectifs : il est censé donner un nouveau souffle aux vieux partis et revigorer la vie démocratique. Les femmes sont-elles pour autant entendues ? Cela reste à démontrer, surtout en ce qui concerne leurs revendications. Que ce soit l'aventure amère d'Edith Cresson en France, parachutée première ministre par Mitterrand et sacrifiée par lui aux bonzes du Parti socialiste seulement neuf mois après sa nomination, ou celle aussi redoutable de Kim Campbell, qui a porté l'odieux et concrétisé l'effondrement sans précédent de son parti, l'expérience de ces femmes leaders ne s'avère pas vraiment porteuse de grands espoirs de changement ni pour elles, qui se trouvent aussi sacrifiées que certains de leurs collègues hommes sur l'autel de la politique, ni pour le parti, comme le Parti progressiste conservateur qui se voit en quelques mois rayé de la scène politique, ni pour la démocratie, qui n'en ressort pas plus diversifiée ou rajeunie.

C'est pourquoi il convient de s'interroger sur la nature de revendications qui visent à changer la politique de la même façon que l'on s'interroge sur l'existence d'un vote des femmes. On se contente souvent d'affirmer, sans toujours pouvoir le démontrer, que le mouvement féministe fut à la base de cette nouvelle sensibilité des institutions politiques aux préoccupations des femmes. Si l'agenda féministe est relativement bien défini (la sensibilité aux questions des femmes, aux garderies, à l'équité en emploi ou à la parité politique s'est accrue), ce serait une illusion de croire qu'il fait désormais partie de la culture politique commune. Aujourd'hui encore, les candidates mettent l'accent sur ce qui les attache à leur parti plutôt que sur les questions dites spécifiques aux femmes. La question des garderies est considérée comme subsidiaire et subordonnée aux grandes questions de l'heure, les emplois, le déficit ou la lutte contre le chômage.

Alors certes, les groupes du National Action Council (NAC) proposent un agenda féministe en politique et les différents Conseils du statut de la femme, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et de nombreux autres groupes de femmes élaborent leurs conceptions d'une société plus juste. Comment pouvons-nous, du point de vue des femmes, apprécier l'effet de ces actions ? Sont-elles dues à la capacité d'adaptation de nos institutions, qui changent sous la pression du lobby féministe ? Et, dans ce cas, comment cela s'exerce-t-il ? Ou la démocratie est-elle à ce point omnivore qu'elle intègre tout ce qui pourrait la déstabiliser ? En ce sens, l'affirmation souverainiste, qui émane au Québec peut-elle trouver sa place dans le concert des revendications féministes ?

La place politique du féminisme au Québec doit être clairement posée. Les données du problème québécois, en particulier les rapports des femmes à la question nationale et aux partis souverainistes, demandent qu'on les aborde dans une perspective particulière.

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FEMMES ET POLITIQUE AU QUÉBEC

On a vu plus haut ce que l'on entendait par l'exclusion historique des femmes du pouvoir politique. L'ampleur et la durée de cette discrimination sont matières à débats, et les raisons de cette exclusion suscitent des interprétations nuancées de la part des politologues (Stasiulis et Abu-Laban, 1990 ; Gingras, Maillé et Tardy, 1989 ; Cohen, 1981 et 1987). Depuis l'extension du droit de vote aux femmes, trois critères attestent leur plus ou moins grande représentation en politique : le fait de présenter une femme à un poste électif, la participation des femmes au scrutin et enfin l'articulation d'un programme qui réponde aux aspirations féministes. L'étude à partir de ces trois critères, loin de rendre compte de l'ensemble des problèmes, présente l'avantage de résumer l'état de la participation des femmes à la vie électorale. Elle permet de dresser le tableau de l'acquisition de la citoyenneté des femmes depuis l'obtention du droit de vote. Il faut souligner encore que ces critères furent retenus à la suite de la critique féministe des années 1970 et qu'ils visent à montrer l'injustice d'un système qui se présente comme universel et neutre.

C'est sur la place des femmes à des postes électifs que nous nous arrêterons (Maillé, 1990) [13]. À partir de l'étude exhaustive et structurelle des candidatures féminines québécoises depuis la Confédération jusqu'en 1987, on obtient un portrait statistique global des candidatures féminines (élues et non élues), de l'engagement des femmes dans les partis et du profil du personnel politique féminin (Drouilly et Dorion, 1988 ; Drouilly, 1990). Inspirées par le modèle d'intégration normale des femmes en politique, les données indiquent que celles-ci avancent sur le chemin du pouvoir [14].

Et bien que les résultats masquent le fait que les femmes en politique doivent s'adapter à un monde d'hommes, on fait comme si cela ne faisait pas de différence. Seule la progression lente, conjoncturelle et pas nécessairement inexorable du nombre de candidates et d'élues indique la percée des femmes dans les instances politiques. Vues de plus près, les différences de participation entre hommes et femmes sont majeures et justifient une étude appropriée.

Moins de candidates et moins d'élues,
globalement

Tout d'abord, le portrait statistique global des candidatures féminines révèle que les hommes persévèrent plus que les femmes à poser leur candidature et qu'ils réussissent mieux dans l'ensemble à se faire élire ; ce qui explique, par exemple, le nombre 20 fois plus élevé de candidats par rapport aux candidates[15]. Cet écart se traduit par un écart encore plus grand entre les candidates et celles qui sont élues : en tout 47 femmes ont été élues, 27 à l'Assemblée nationale du Québec et 20 à la Chambre des communes ; et entre les élues et les élus : elles constituent le cinquantième du nombre de députés (1315 élus à Québec et 931 à Ottawa). Ces chiffres bruts traduisent la disparité importante qui marque la représentation des femmes dans les deux chambres : elle reste largement minoritaire.

On doit en outre inscrire cette participation des femmes aux élections dans son contexte. Jusqu'aux élections fédérales de 1968, leur participation est symbolique : le [193] nombre de candidates ne dépasse jamais la douzaine, ce qui représente des pourcentages inférieurs à 3 %, et seule Claire Kirkland-Casgrain est élue à l'Assemblée nationale en 1961. Elle y sera la seule femme de l'Assemblée jusqu'à ce que Lise Bacon vienne siéger, à son tour seule députée jusqu'en 1976 (Caron et Archambault, 1993). De fait, la croissance continue jusqu'en 1987 du nombre de candidatures féminines et celle encore plus exceptionnelle de députées sont directement liées au mouvement féministe. Us pourcentages de candidates atteignent 19,8 % aux élections provinciales de 1985 et 14,8 % aux élections fédérales de 1984, élections au cours desquelles le pourcentage de femmes élues (20,6 %) est supérieur au pourcentage d'hommes élus (15,6 %). Les années 1970 ont été un point tournant dans l'engagement de centaines de femmes dans le processus électif. Le féminisme a eu des effets immédiats sur la participation des femmes à la vie politique partisane. En fait, il nous est permis de croire que dans la foulée du bouillonnement et des transformations en cours dans les années 1970 et 1980, l'engagement des femmes dans les partis devenait le gage pour ces partis de leur propre renouvellement. Ce sont donc les grands partis qui chercheront à recruter davantage de femmes dans leurs rangs.

Le gender gap québécois des années 1980

Cette inversion des priorités et la place nouvelle qui est faite aux femmes dans l'arène politique sont clairement identifiables. Ce phénomène, associé au gender gap aux États-Unis, se traduit de façon particulière au Québec. Jusque-là confinées aux tiers partis, qu'ils soient de droite ou de gauche, la plupart des candidatures féminines étaient des candidatures-sacrifices. Moins de 33 % des candidates avaient des chances d'être élues à Québec et 23 % à Ottawa en raison du peu d'espoir qu'avaient ces partis d'être représentés, alors que les probabilités pour les hommes étaient deux fois plus élevées. Or, c'est l'inverse qui se produit aux élections de 1984 et de 1985.

Les deux partis libéraux qui dominent politiquement cette période ont largement ouvert leurs portes aux candidates dans des circonscriptions où elles ont toutes les chances de gagner. Et même si le taux de candidatures féminines est moins élevé, les chances d'être élues sont infiniment plus grandes : 14 députées sont élues à la Chambre des communes en 1984 et 18 à l'Assemblée nationale en 1985. Cette première cohorte de députées aura-t-elle été « une caution à un système politique mâle qui a besoin de légitimité et de légitimation sur la question féminine » (Drouilly et Dorion, 1989, p. 27) ou témoigne-t-elle de l'urgence d'une révision des structures partisanes ?

Les résultats sont probants : nous assistons au Québec à une nouvelle prise en considération des candidatures de femmes par les grands partis. Il s'est ensuivi que la féminisation des parlements s'est amorcée plus rapidement au Québec que dans les autres provinces canadiennes, et plus rapidement dans la députation québécoise au parlement fédéral que dans celle qui provenait des autres provinces. Le féminisme était-il plus revendicateur au Québec que dans les autres provinces canadiennes ? Comment expliquer que le féminisme ait produit l'intégration des femmes dans les grands partis au Québec plus qu'au Canada ? Pourquoi, contrairement aux féministes du Canada anglais qui se mobilisent sur des revendications propres, dont non la [194] moindre est la Charte canadienne des droits et libertés, les féministes québécoises misent-elles sur les partis pour faire passer leurs revendications ? Le mouvement féministe québécois ferait-il plus confiance aux institutions politiques que celui du Canada anglais ?

Un féminisme incarné par le PQ ?

On ne peut aborder ces questions en ignorant le contexte dans lequel le mouvement féministe québécois évolue. Sans entrer dans l'histoire du mouvement féministe québécois et de ses différentes tendances (Lanctôt, 1980 ; Lamoureux, 1982), retenons ce qui en est résulté sur le plan politique. C'est avec le gouvernement du Parti québécois et Lise Payette que le féminisme intègre la vie politique québécoise. Un programme et un ministère de la condition féminine accompagnaient des députées nombreuses et influentes dans le parti. Il y avait certes des antécédents à l'alliance d'un mouvement social et d'un parti : les suffragettes avec le Parti libéral du Québec, Thérèse Casgrain avec le CCF (Trofimenkoff, 1989).

La double alliance entre les militantes suffragistes et le Parti libéral et celle entre le mouvement féministe et le Parti québécois conditionnèrent la culture politique des Québécoises (Bashevkin, 1983). Contrairement aux Canadiennes anglaises (Bashevkin, 1985), dont l'ambivalence à l'égard de la politique est marquée par leur oscillation entre l'indépendance et la partisanerie, c'est-à-dire entre le mouvement social autonome et leur entrée dans les rouages du parti, l'attachement des féministes québécoises à la politique partisane se manifeste encore. En raison de la cohésion de la communauté nationale autour de valeurs spécifiques, les partis politiques ne sont pas bannis de la perspective féministe québécoise ; car, d'une certaine façon, ils seraient porteurs des aspirations des femmes aussi.

C'est pourquoi l'épisode des Yvettes, plus que tout autre, concrétisa cet attachement des féministes aux partis. Pour les féministes qui appuyaient le Parti québécois, le projet de l'égalité allait de pair avec l'indépendance préconisée par le référendum sur la souveraineté-association. Ce que l'on a convenu d'appeler la gaffe de Lise Payette consistait à renvoyer dans le giron libéral et pré-féministe des femmes qui n'adoptaient ni cette vision du Québec ni ce projet social. Avec l'épisode des Yvettes, le féminisme des droits a voulu être incarné par le Parti québécois, tandis que le Parti libéral a su exploiter l'événement à son profit, renouant en même temps son alliance passée avec des groupes de femmes. Symboliquement, ce dernier en sortait vainqueur.

Ainsi, la différence de comportement politique des Québécoises et des Canadiennes anglaises est d'ordre culturel, bien qu'elles s'abreuvent aux mêmes sources du féminisme nord-américain. Ce qui explique, en partie, l'opposition ou l'indifférence des féministes québécoises à l'égard de ce que les Canadiennes anglaises considéraient comme un acquis considérable, à savoir l'inscription de l'égalité juridique dans la Charte canadienne des droits et libertés (Cahiers de la femme, 1992) [16]. Il est clair que les féministes québécoises ne pouvaient les rejoindre sans désavouer un autre de leurs credo, celui de leur appartenance à la nation ou à la communauté québécoise. Elles appuieront avec force la Charte québécoise des droits de la [195] personne et réaliseront ainsi la double aspiration à l'égalité et à l'indépendance dont Lise Payette s'était faite le chantre.

Au moment même où nos voisins américains expérimentent pour la première fois une mobilisation des groupes féministes en faveur d'un vote unifié des femmes sur leurs revendications (gender gap) dont les politologues reconnaissent l'effet et la volatilité (Deitch, 1987), et quelles que soient les différences de contexte, on peut dire qu'il y a eu, dans les années 1980, une véritable percée des femmes dans l'arène politique et qu'elle fut produite par le mouvement féministe. Il est donc indéniable qu'un mouvement social exerce une pression efficace sur les partis même traditionnels et réfractaires, et qu'il favorise l'intégration de ceux au nom desquels il parle. Peut-on alors parler de transformation majeure ou profonde ?

À la suite de Jill Vickers (1989), qui incite les féministes canadiennes à prendre en considération le rôle essentiel de l'État et de la spécificité féminine, ne doit-on pas reconsidérer les analyses féministes de femmes au pouvoir ? Peut-on pour autant caractériser, avec Chantal Maillé (1991), cette conquête du pouvoir politique comme un renversement tangible du phénomène d'exclusion des femmes des lieux de pouvoir ? Il nous est permis d'en douter à la lumière des récents débats et résultats électoraux. S'il n'y avait qu'une seule façon d'apprécier les élections fédérales de 1993, ce serait dans les termes de l'effacement complet de problèmes ou de questions reliées aux femmes. Les partis semblent revenus à la case départ en ce qui concerne les préoccupations des femmes, qui furent carrément ignorées de tous les candidats et en particulier des candidates. Tout se passe comme si on avait voulu effacer les antécédents féministes des candidatures de femmes pour mettre l'accent sur leur engagement partisan, leur compétence ; bref, Kim Campbell et les autres candidates voulaient être traitées comme tout le monde et surtout pas comme des femmes. Il faut noter aussi que les revendications féministes quant aux garderies, à la couverture sociale des plus démunis, au partage du travail, etc., figuraient comme des revendications de pays riches qui n'ont plus de raison d'être en temps de crise. Seuls les néo-démocrates affichaient encore des préoccupations qui paraissaient d'autant plus illusoires que leur électorat rétrécissait. Aussi n'est-ce pas sans surprise que l'on vit des femmes politiques ignorer ces problèmes pour insister sur les questions de l'heure, le chômage et le déficit. Doit-on pour autant parler de recul, de fin du gender gap, de démobilisation dans une période de dépérissement de l'État-providence ?

S'il est trop tôt pour analyser correctement ces élections, on ne peut s'empêcher de constater la coïncidence qui existe entre le nationalisme des Québécoises et celui qui s'est traduit par la victoire massive du Bloc québécois. Ardue à démontrer pour cette élection, cette rencontre n'est pas neuve et conditionne les engagements politiques d'une grande partie de l'électorat féminin au Québec. Cette difficile jonction du nationalisme, du féminisme et de la politique alimentera encore, n'en doutons pas, la vie politique de cette fin de siècle.

[196]

CONCLUSION

Ainsi, nous l'avons vu, il nous faut sortir des notions étroites de la citoyenneté, des visions uniquement partisanes de la vie politique et des conceptions dualistes de l'exercice du pouvoir dans les sociétés démocratiques. Outre le marquage historique et culturel de ces concepts, ils reflètent des ambivalences profondes dont il faut pouvoir rendre compte autrement. Comment intégrer les dynamiques à l'œuvre qu'une analyse en termes de droits, d'exclusion ou de comptabilité électorale ne peut faire apparaître ?

De l'esquisse historique présentée, il apparaît clairement que le mouvement de réformes sociales et le mouvement féministe sont à l'origine de la revendication contemporaine d'extension des droits égaux aux femmes et de leur inclusion partielle et graduelle dans le système politique canadien et québécois. À ce sujet, aucun doute n'est permis : l'action sociale et politique des regroupements de femmes fut un catalyseur puissant dans la prise en considération de leurs revendications par l'État et par les partis. Nul doute non plus que les mouvements de femmes expérimentent alors une prise de conscience douloureuse : leurs militantes doivent-elles jouer le jeu politique et accepter d'être intégrées à l'appareil d'État ou à celui des partis ? Doivent-elles au contraire continuer d'exercer une pression extérieure qu'elles pensent plus efficace ? Chacun des groupes choisit sa voie, établissant une diversité de moyens d'action possibles pour les femmes. Toutefois, et quelles que soient les dissensions au sein des mouvements féministes québécois, il apparaît clairement que la plupart d'entre eux ont partie liée avec la vie politique telle qu'elle est pratiquée au Québec ; on assiste alors à une nationalisation des féminismes québécois dès les années 1920. Il ne faut donc pas s'étonner que des femmes québécoises soient cooptées en plus grand nombre qu'ailleurs au Canada par les partis du Québec, même si leur féminisme est toujours source de discussion. Reste à savoir si cela vaut aussi pour l'électorat féminin : les récentes élections fédérales d'octobre 1993 montrent une participation importante des électrices, dont il faudrait étudier la répartition partisane.

Plus généralement, et sans entrer dans un relativisme historique de bon aloi, il convient de voir que les mouvements sociaux dans lesquels les femmes se sont engagées ne manquent pas de diversité. Ces dernières ont su adapter leurs stratégies aux besoins du moment, en tenant compte aussi de leurs propres forces. Le mouvement de réformes sociales préfigure, par sa pratique de la laïcité, la modernité qui s'annonce et, loin d'accuser un retard sur les Canadiennes anglaises, articule ses revendications sur les partis susceptibles de les porter. Cette pratique de l'entrisme dans les institutions fait du Québec un des régimes où la pression sociale externe se combine avec la cooptation partisane pour donner un système politique intégrateur. Et même si on est loin d'une représentation équitable assurant une véritable parité aux femmes de toutes les catégories et appartenances, l'existence de cette possibilité en garantit l'avancement. Car le débat sur ces questions relève désormais de la vie politique, at large. La preuve en est donnée par l'adoption des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.

Garantissant à toutes les femmes et à toutes les catégories discriminées une citoyenneté à part entière, la Charte inscrit l'égalité des droits dans la constitution. [197] Cette perspective, largement suscitée par l'action du mouvement féministe canadien réitérant l'existence de droits fondamentaux, vise à éliminer toute discrimination. Toute personne qui se sent objet de discrimination peut en tout temps faire appel à la Charte et faire reconnaître ses droits par les tribunaux.

Toutefois, dans son application, la Charte canadienne a subi l'opposition d'une grande partie de la classe politique souverainiste et des principaux groupes féministes du Québec. En somme, on pourrait croire que l'intégration des femmes à la vie politique passe d'abord par l'intégration nationale avant celle qui concerne leurs droits universels. Ne voulant pas aliéner les droits reconnus au Québec comme collectivité nationale au profit de ceux des individus, l'opposition québécoise à la Charte reflète en réalité un conflit plus global entre deux conceptions de la citoyenneté : pour le Québec, l'appartenance à une communauté nationale distincte dicte des droits et des devoirs particuliers. Ne voulant pas être en reste en ce qui concerne la garantie de ses droits, le Québec s'est également doté d'une Charte québécoise des droits de la personne. Pour le Canada, le consensus fédéral ne peut avoir de sens que si se renouvelle le credo volontaire d'appartenance de chaque individu à son pays, lequel garantit en retour la protection de tous les citoyens contre toute discrimination. Façon habile de renouveler le fédéralisme canadien et de court-circuiter les aspirations nationalistes du Québec, l'adoption de la Charte canadienne a certes brouillé un peu plus les cartes et instauré une nouvelle division au sein des groupes féministes de toute allégeance. Elle signale pourtant l'avènement d'une ère de la parité, dont les femmes devraient largement bénéficier.

Reste à savoir si la participation politique n'est pas une illusion soigneusement entretenue visant à assurer une représentation factice à ceux qui sont exclus du pouvoir, alors que le pouvoir est ailleurs. Les études sur la participation politique tiennent pour acquis que plus on participe, plus on a des chances de se faire entendre et plus la démocratie en sort grandie. Dans le cas des femmes, comme pour de nombreuses catégories minorisées, la participation fut constamment assortie de doutes sur son efficacité et sur sa capacité à émanciper les femmes. Les discours sur la libération sexuelle, sur la transformation des mentalités pour abolir la violence faite aux femmes, etc., s'appuient sur des représentations plus larges de l'émancipation des femmes, remettant en cause la promesse non tenue de la démocratie. C'est pourquoi le féminisme est divisé sur l'analyse et les stratégies à adopter à l'égard des institutions. Et même si l'on présuppose que les femmes puissent participer de façon égale au processus démocratique, les féministes revendiquent toujours une place à elles dans la société. Telles seraient l'ambiguïté majeure et la force du mouvement féministe : réfractaire à toute caractérisation partisane, il est porteur d'aspirations plus larges de changements auxquels le système démocratique doit aussi s'adapter.

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PEDERSEN, Susan, 1990, « Gender, welfare and citizenship in Britain during the Great War » dans The American Historical Review, vol. 95, no 4 (octobre), p. 983-1006.

ROBINSON, Gertrude J., Armande SAINT-JEAN avec le concours de Christine RIOUX, 1991, « L'image des femmes politiques dans les médias : analyse des différentes générations » dans Kathy MEGYERY (dir.), Les Femmes et la politique canadienne. Pour une représentation équitable, Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Toronto, Dundurn Press, p. 139-188.

SKOCPOL, Theda, 1993, « Formation de l'État et politiques sociales aux États-Unis » dans Actes de la recherche en sciences sociales, no 96-97 (mars), p. 21-37.

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STASIULIS, Daiva et Yasmeen ABU-LABAN, 1990, « Ethnic Activism and the Politics of Limited Inclusion in Canada » dans Alain-G. GAGNON et James P. BICKERTON (dir.), Canadian Politics an introduction to the discipline, Peterborough, Broadview Press, p. 580-608.

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TOUPIN, Louise et Véronique O'LEARY, 1982, Québécoises deboutte !, Montréal, Remue-Ménage.

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[14]

NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Yolande Cohen

Yolande Cohen est professeure titulaire au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal. Elle a publié plusieurs études portant sur le rôle des femmes, des jeunes et des minorités en politique. Elle est la co-auteure de Juifs marocains à Montréal : témoignages d'une immigration moderne (1987) et est l'auteure de Femmes de parole : l'histoire des cercles de fermières du Québec, 1915-1990 (1990). Elle a aussi dirigé Femmes et contre pouvoirs (1987). Elle est membre fondatrice de l'Institut de politique alternative de Montréal.



[1] Je tiens à remercier mon assistante Louise Bienvenue pour sa collaboration dans la mise en forme de ce texte ainsi que pour ses commentaires de lecture

[2] Pour une étude philosophique contemporaine de la question des femmes, je remercie Véronique Munoz Dardé de m'avoir fait part de sa réflexion intitulée « Exercice de raisonnement pratique sur la question de la sororité. Pour un féminisme à racine kantienne ».

[3] Pour une analyse détaillée et critique des visions féministes, voir l'excellent article de Jill McCalla Vickers, « Feminist approaches to women in politics ».

[4] Cette question, essentielle pour l'appréciation du rôle qu'ont joué les suffragettes dans l'élargissement de la citoyenneté, reste l'objet de nombreuses controverses. Peu d'études en font l'historique, mais nous possédons, surtout pour le Canada anglais, d'excellentes mises au point, par exemple celles de Veronica Strong-Boag, (1986) « Pulling in double harness, or hauling a double load : women, work and feminism on the Canadian prairie », et de V. Strong-Boag et A.C. Fellmann (dir.) (1986) Rethinking Canada : The promise of Women's history.

[5] Ce sont les branches de la Women's Christian Temperance Union (WCTU, fondée en Ontario en 1874) qui regroupent près de 10 000 membres à travers le Canada dix ans plus tard, la Girls' Friendly Society, The Dominion Order of the King's Daughters, la YWCA, etc. Jane Errington, qui fait un résumé succinct de cette histoire, souligne l'effort de coordination entrepris par ces associations à partir de 1893, ainsi que leur caractère conservateur. Selon elle, ces organisations sont divisées sur la question du suffrage féminin. Une minorité d'entre elles le considèrent comme une lutte importante, tandis que la majorité des autres réformatrices considèrent la différence sexuelle comme normale, naturelle et bienfaisante : « Most women in reform recognized and welcomed the innate differences between the sexes. And most of the nation's mothers began to agitate for the vote only after it became clear that the reforms so necessary to their society's regeneration would not be enacted without it », J. Effington (1988), « Pioneers and suffragists », p. 68.

[6] Une comparaison avec la Belgique nous permet de voir comment les Cercles furent parmi les premiers groupes au Québec à développer la doctrine d'action sociale de l'Église : Y. Cohen et P. Van Den Dungen, « Les Cercles de fermières en Belgique et au Québec » (à paraître).

[7] L'auteur parle de double standard pour analyser ces mouvements : « Alors que l'activité des femmes dans le mouvement de réforme est fondamentalement analysée en termes de philanthropie, l'activité des hommes y est vue comme le prélude aux mouvements politiques radicaux tels le socialisme ou le communisme », D. Lamoureux (1991), « Idola Saint Jean et le radicalisme féministe de l'entre-deux-guerres », p. 51. Voir aussi son ouvrage Citoyennes ? Femmes, droit de vote et démocratie (1999).

[8] Après avoir déclaré Idola Saint-Jean féministe radicale, Lamoureux (ibid.) la représente comme la preuve vivante de l'existence dans les années 1930 de la seule solution souhaitable à ses yeux.

[9] S. Pedersen (1990), « Gender, welfare and citizenship in Britain during the Great War ». Je remercie Ellen Jacobs d'avoir attiré mon attention sur ce texte et de m'avoir permis, grâce à ses propres travaux, de revenir sur le cas anglais du welfare, voir E. Jacobs (1990), Recherches féministes. Voir aussi l'étude pionnière de J. Harris (1975), « Social Planning in wartime : some aspects of the Beveridge Report ».

[10] Certes, les femmes sont encore soumises et dépendantes du statut du chef de famille, par qui transitent les bénéfices qui lui sont accordés. Toutefois, Pedersen (1990, p. 986 et suiv.) note que pour la Grande-Bretagne, où des programmes d'assistance ont été mis sur pied dès la Première Guerre mondiale, l'État ne cherche pas à légiférer pour définir une structure familiale particulière ou des rôles sexuels déterminés, niant en cela une détermination quelconque de l'État à l'endroit du rôle que devaient jouer les femmes. En fait, souligne-t-elle, ce sont les associations charitables et donc privées qui légifèrent sur ces questions, entraînant des débats importants sur la nécessité de lier ou non la citoyenneté au statut des hommes comme chefs de famille. Certaines féministes ne sont pas en reste et demandent aussi d'être rétribuées par l'État pour le travail que les femmes accomplissent comme mères.

[11] Le cas de l'AFÉAS est particulièrement intéressant car celle-ci fut l'une des premières à amorcer le tournant en faveur d'un féminisme des droits au début des années 1970. Sa position ambiguë sur l'avortement ne manquera pas de créer des dissensions internes et sa rupture éventuelle et tardive avec l'Église. Si l'on considère que les Cercles de fermières ont rompu avec l'Église en 1944, le rapport de l'AFÉAS avec le clergé, qui l'a créée de toutes pièces (l'ancêtre de l'AFÉAS, les Cercles d'économie domestique, est créé par l'Église pour faire concurrence aux Cercles de fermières, rebelles), paraît plus problématique que ses discours le laissent croire. Le discours féministe pourrait bien être en l'occurrence un prétexte au règlement d'autres contentieux.

[12] L'étude de Robinson et Saint-Jean, réalisée moins de deux ans avant la nomination de Kim Campbell au leadership du parti et du gouvernement, ne mentionne absolument pas la possibilité d'une telle chose. Et pour cause, elle y était pratiquement inconnue.

[13] L'étude citée de A.M. Gingras, C. Maillé et E. Tardy (1989) analyse plus précisément les obstacles structurels au militantisme des femmes, tandis que l'article de Maillé (1990), « Le vote des Québécoises aux élections fédérales et provinciales depuis 1921 : une assiduité insoupçonnée », confirme le fait d'une utilisation massive de leur droit de vote par les Québécoises et de l'importance d'une étude spécifique de ce champ.

[14] « Toute notre analyse tend à nous prouver qu'au-delà des différences quantitatives qui font que les femmes sont encore largement sous-représentées dans le processus électif, les formes par lesquelles les femmes accèdent depuis une vingtaine d'années à ce processus sont empruntées à celles qu'ont développées les hommes. Pour ce qui est du processus électoral, il ne semble pas y avoir de politique au féminin », P. Drouilly et J. Dorion (1988), Candidates députées et ministres. Les femmes et les élections, p. 40.

[15] « La population des candidates ne représente que 5 % de l'ensemble des candidats aux deux niveaux de gouvernement, soit le vingtième des candidatures masculines », ibid., p. 8.

[16] « Gender equity and institutional change », Les Cahiers de la femme, printemps 1992, vol. 12, p. 3. Ensemble d'articles suggérant une interprétation féministe de l'obtention de la Charte des droits et des questions qui entourent l'équité juridique et l'emploi.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 31 décembre 2012 13:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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