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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'ENSEIGNEMENT DU LATIN EN FRANCE, UNE SOCIO-HISTOIRE. (2011)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Philippe Cibois, L'ENSEIGNEMENT DU LATIN EN FRANCE, UNE SOCIO-HISTOIRE. Texte inédit, décembre 2011, 203 pp. Les Classiques des sciences sociales. [Autorisation formelle accordée par l'auteur 16 décembre 2010, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]


Introduction


Les enseignants rénovateurs
Les thèses de ce livre
Méthodes


La question du latin ne se pose plus guère dira-t-on puisque son enseignement ne joue plus le rôle principal qu'il a longtemps joué. Françoise Waquet a fort bien décrit cette longue baisse qui a conduit à la suppression du latin en 6e par Edgar Faure en 1968 et, pour elle, l'enseignement du latin étant réduit à une "teinture", la question du latin ne se pose plus en tant que telle (Waquet 1998 : 322).

Elle se pose cependant : un enseignement de latin est toujours donné et on n'a jamais autant initié d'enfants au latin qu'aujourd'hui puisque près d'un quart de la classe d'âge fait du latin la première année où cette option est proposée.

Sur ce graphique est portée la proportion de ceux qui débutent l'enseignement du latin, en 4e jusqu'en 1995, en 5e depuis la réforme Bayrou de 1996. On voit bien une croissance régulière jusqu'en 1990, puis une diminution depuis cette date malgré le sursaut qu'a été l'introduction du latin en 5e en 1996 et la stabilisation actuelle (Source Ministère de l'Education nationale : ensemble public et privé).


C'est une évolution récente et considérable que l'on peut repérer en comparant trois situations : les effectifs de latinistes en 4e en 1920, au beaux jours du lycée classique ; en 1965, où le Collège d'enseignement secondaire de type lycée vit ses dernières années avant l'unification de 1975 (Réforme Haby) et en 2004. On a les effectifs suivants :


1920 10.000
1965 100.000
2004 160.000


Cette croissance est aisément explicable : en 1920 l'enseignent secondaire ne concerne qu'une faible partie de la population. Si en 1965, la proportion de ceux qui font du latin en 4e est proche de la proportion pour la même population en 2004, l'évolution des effectifs vient simplement du fait qu'aujourd'hui l'enseignement secondaire touche l'ensemble de la classe d'âge.

Cependant, si l'enseignement du latin au collège n'est pas un phénomène marginal, dès la seconde année, le pourcentage baisse, malgré le contrat annoncé pour l'option latin qui est prise en principe jusqu'en 3e :


5e 22,6%
4e 19,5%
3e 16,3%
Rentrée 2006 : public + privé


Au lycée la baisse est beaucoup plus forte : en 2006, les latinistes ne sont plus que 5,5% en seconde, 4,2% en première et 3,6% en terminale. On notera que les sections S (6,7%) et L (7,9%) s'opposent à la section ES où ils ne sont que 2,4%.

Pourcentage d'élèves prenant l'option latin.
Source Ministère de l'Éducation nationale : ensemble public et privé



Les enseignants rénovateurs

Face à cette situation, de petits groupes d'enseignants de langues anciennes se sont regroupés dans une association nationale, la Cnarela et se sont constitués en groupe de pression pour faire évoluer les objectifs de l'enseignement.

Cnarela : Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes. Les associations régionales regroupent près de la moitié des enseignants de langues anciennes, ce qui rend leur coordination très représentative et reconnue comme telle par le Ministère qui en fait un interlocuteur privilégié. Ces associations produisent des bulletins qui associent des réflexions et des conseils sur les problèmes réglementaires (actualité des circulaires, des normes administratives) et sur l'action à mener pour défendre les classes de langues anciennes ; des citations de textes parus ailleurs (prises de positions et témoignages) et une partie pédagogique : étude de textes, dossiers, etc., qui sont disponibles pour tous les enseignants.

L'objectif nouveau de l'enseignement du latin n'est plus la seule version mais la compréhension en profondeur du monde antique, grâce à l'étude de textes authentiques et longs, avec l'aide d'une documentation rigoureuse et en vue, à long terme, d'une prise de position critique face au monde tel qu'il est. On comprend qu'un tel objectif puisse motiver puissamment des enseignants.

Le principe est que l'on travaille sur un texte authentique que l'on veut, non d'abord traduire, mais comprendre : pourquoi ce rejet du texte fabriqué pour faciliter l'apprentissage à la manière du célèbre De viris ? La réponse est d'abord une réaction contre l'apprentissage antérieur ou l'exercice de traduction n'avait que son efficacité propre de gymnastique de l'esprit. Un texte artificiel est un texte vide de sens humain et culturel : la nouvelle finalité de l'étude d'un texte en latin "doit être la découverte la plus précoce possible, par la lecture et la compréhension directes du plus grand nombre possible de textes, de l'histoire, de la culture, de la civilisation latines posées comme objets de référence et de comparaison pour une réflexion sur le monde contemporain" (Cauquil 1984 : 4). Il ne s'agit pas de donner aux élèves une motivation utilitariste, et l'étude des comparaisons de vocabulaire est utilisée plus comme aide pédagogique que comme but, ni de donner les connaissances nécessaires pour la compréhension du patrimoine artistique et littéraire, bien que cela ne soit pas refusé. Il s'agit, par l'étude des textes d'une civilisation qui est fondatrice de la nôtre, de se la réapproprier d'une manière citoyenne en faisant à travers elle l'expérience forte de la distance culturelle. C'est la distance et non plus la proximité aux Anciens qui devient formatrice.

L'action de ce groupe a été efficace : ces nouveaux objectifs ont été largement diffusés et se sont traduits par une nouvelle forme d'examen au bac comme en témoignent les nouvelles directives de 1995. La version existe toujours mais ne représente plus que la moitié de l'évaluation : le texte à traduire est donc bref. Un texte long est donné avec sa traduction : l'élève doit répondre à des questions à propos de ce texte  concernant la grammaire, la traduction, l'histoire ou la civilisation romaine.

Cependant le programme officiel des langues anciennes au collège reste traditionnel : si le but annoncé est culturel, le moyen en est la lecture et la connaissance de la langue :

Fondé sur la lecture des textes d'auteurs latins ou grecs, cet enseignement vise avant tout l'acquisition des références culturelles qui continuent de nourrir notre imaginaire (notamment les grands mythes de l'Antiquité) et notre réflexion politique et philosophique.

Savoirs et compétences devant être acquis à la fin du collège :

-     maîtriser un lexique de 800 à 1 000 mots en latin ; d'environ 300 mots en grec ;

-     lire un texte en latin ou en grec à partir de ce lexique et le traduire oralement ou par écrit ;

-     élaborer et analyser une traduction ;

-     connaître quelques grandes références culturelles, notamment sur la vie quotidienne, politique et artistique à Rome, sur les mythes et l'histoire, sur la cité athénienne au Ve siècle.

Source : Ministère de l'éducation nationale, les programmes au collège. URL.


On a donc une population scolaire non négligeable et un programme d'apprentissage soutenu par un groupe professionnel ayant su renouveler les finalités de l'apprentissage d'une langue ancienne : on pourrait penser que tout se déroule bien et qu'il n'y a pas de question du latin. Pourtant le débat existe : l'association professionnelle des enseignants de langues anciennes lutte activement pour que leur enseignement soit maintenu car leur survie ne va pas de soi. Par exemple beaucoup pensent que cet enseignement est inutile et que de plus il ne sert qu'à donner une marque de distinction sociale. Les arguments s'échangent vite : grec thérapeutique contre élitisme, niveau nul des élèves opposé à la gymnastique de l'esprit ; on met aussi en avant l'inappétence des élèves rendant impossible l'initiation à la culture classique.


Les thèses de ce livre

Le présent livre est un livre de sociologie et, comme tel, utilise la posture qui est celle aujourd'hui de nombreux sociologues qui ont abandonné la posture critique et qui tentent cependant de proposer des solutions aux problèmes rencontrés en les enracinant dans la situation sociale dont ils sont issus.

C'est la posture de l'École de Chicago et de son désir d'une théorie "grounded", enracinée dans les pratiques : derrière cette sociologie on retrouve le courant philosophique du pragmatisme. Pour son créateur John Dewey (1859-1952), qui par ses rapports avec George H. Mead et par son enseignement auprès de Robert E. Park, est directement en lien avec l'Ecole de Chicago, l'expérience est à la racine des connaissances, qu'elles soient individuelles ou collectives : une sociologie qui s'inspire de ce courant, comme dans le présent ouvrage, doit trouver sa norme dans cette expérience sociale, non en-dehors d'elle.


En effet on a pu reprocher à juste titre au courant de la sociologie critique de se servir de la rigueur des méthodes de la sociologie que sont la description précise d'un terrain, les méthodes d'enquêtes, les statistiques raffinées, pour faire passer des thèses qui sont finalement politiques, au nom d'une norme tout à fait extérieure à la sociologie, qui "surplombe" la réalité sociale qu'elle traite. Dans le cas du latin, on en verra plus loin l'exemple type avec la critique de la "distinction" de Bourdieu.

Dans ce livre on refuse de prendre partie dans la polémique actuelle mais on tente de remonter à la situation sociale dont cette polémique est issue. Le problème est que le chemin est long : tant l'argument en faveur du latin de la gymnastique de l'esprit, que l'argument contre l'enseignement du latin qui ne serait que recherche de distinction sociale, ne sont pas des thèses intemporelles mais des péripéties liées à l'histoire. En effet la situation actuelle est née au 19e siècle et est une suite de la Révolution : auparavant, une justification importante de l'enseignement du latin était qu'il formait la moralité des enfants à l'imitation de la vertu antique qui elle-même jouait un rôle fondamental au 18e siècle. La Révolution s'est faite dans le costume de l'antiquité mais, comme sa tentative d'extirper la corruption au nom de la vertu antique a conduit à la Terreur, la motivation de l'imitation a perdu toute crédibilité dans la suite.

En ce qui concerne le fait que l'enseignement du latin vise à l'appartenance à l'élite sociale, c'était une évidence au 18e siècle et si ce thème retenait l'attention, c'était pour critiquer ceux qui faisaient faire du latin à leurs enfants par pur souci d'ascension sociale, au risque d'en faire des intellectuels frustrés et de tirer l'enseignement vers le bas.

Après la Révolution, on voit deux phénomènes : d'une part, la nécessité de continuer un enseignement en vue de la formation des élites a entrainé le besoin de nouvelles motivations et c'est la gymnastique de l'esprit qui a joué ce rôle de substitution ; d'autre part le retour au latin s'est fait aussi contre l'avènement des sciences qui avaient été promu par la Révolution. Un programme d'inspiration traditionaliste s'est appliqué à l'enseignement et le latin est devenu de ce fait un élément de controverse entre les partisans de la tradition, légitimistes, et les partisans de la Révolution qui luttèrent contre la suprématie du latin en développant les sciences (et l'enseignement du grec). Le débat idéologique sur le latin s'est noué à cette époque et, comme tout le débat politique de l'école sous la 3e République, il n'a pas mis directement en avant son aspect politique : c'est son aspect de distinction sociale qui a été mis depuis sur le devant de la scène par de nombreux auteurs puis, plus récemment par Goblot puis par Bourdieu.

La lutte contre la suprématie du latin a été menée avec succès (avec des tentatives avortées de retour en arrière en 1923 et sous le gouvernement de Vichy). On sait comment 1968 a indirectement conduit à la suppression du latin en 6e et comment aujourd'hui l'enseignement des mathématiques joue le rôle sélectif dévolu autrefois au latin.

Une telle analyse socio-historique, dont nous allons suivre le détail dans la suite, nous permet de ne pas prendre parti dans la polémique actuelle qu'elle neutralise en montrant qu'elle est liée à la situation historique, aux évènements, mais cette analyse ne permet pas de répondre à la question sur la manière de répondre aux questions actuelles, sur ce qu'il faut faire aujourd'hui de l'enseignement du latin.

Pour pouvoir répondre à cette question, il faut, comme nous le disions plus haut, analyser la situation sociale dont le problème est issu. Ceci n'est possible que si l'on remonte à l'époque ou l'enseignement du latin a été proposé aux adolescents, c'est-à-dire dans la lignée des humanistes. Il est rare que pour un problème social présent il faille remonter si loin mais c'est bien le cas ici et il faudra se poser la question de savoir quelles ont été les raisons des humanistes et quelle peut être l'actualité de leur programme.

Le retour aux sources qui a été fait à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance l'a été pour des raisons qui restent toujours valables aujourd'hui. Il s'agit de l'attitude cicéronienne qui propose à la fois une méthode, la rhétorique, et une posture, la concorde, pour régir les problèmes de la cité et les relations entre citoyens. En effet, dans les écoles humanistes, l'apprentissage du latin se faisait dans l'exaltation de découvrir à la fois l'instrument de la science et l'instrument du dialogue dans la cité. La science antique était redécouverte ; l'apprentissage de la rhétorique de Cicéron donnait un instrument pour l'action.

Nous n'évoquerons ici que la prise de conscience  qui a été faite d'un nouvel idéal de vie : comment cet idéal a modifié l'enseignement, comment le mode d'enseignement a été conservé ensuite dans les collèges qui se sont mis en place à la Renaissance, et pourquoi cet idéal a du être abandonné.

En effet le rêve de l'humanisme, rêve d'une société où la discussion sur les problèmes de la cité pourrait s'opérer entre personnes voulant l'intérêt général, a été brisé par les guerres de religion qui ont entrainé la naissance de l'absolutisme. La libre discussion est devenue impossible et c'est à cette époque qu'à l'idéal humaniste d'une posture de concorde et de discussion, s'est substitué un enseignement où la motivation n'a plus été que l'admiration des auteurs antiques, de leur style littéraire et des vertus qu'ils prônaient. A la rhétorique cicéronienne qui était une méthode pour gérer la cité se sont substituées les fleurs de rhétorique que des générations d'élèves ont du admirer sans savoir qu'il ne s'agissait que d'un produit de substitution imposé par les évènements.

Cependant, la vertu romaine restait source d'admiration et se mettre à l'école des héros romains motivait encore les hommes du 18e siècle et servait de référence à l'éducation morale qu'ils donnaient à leurs enfants : la Révolution s'est faite en cultivant cette référence mais la Terreur en a signé l'échec.

Nous regarderons donc comment cet idéal humaniste est toujours d'actualité dans notre système éducatif et en particulier dans les programmes actuels de français. C'est en fonction de cet idéal, et après avoir examiné la manière dont le problème se posait aujourd'hui que nous tenterons de proposer une solution : celle-ci s'appuie sur le fait  qu'il n'y a pas eu de rupture franche dans l'enseignement et la culture entre l'antiquité et les temps modernes. L'intelligence de tous les textes et des éléments culturels que nous utilisons ne peut se faire sans la connaissance de leur origine. La connaissance de l'antiquité et de la structure du latin est indispensable à toute formation sérieuse pour qui veut comprendre le présent. Que cette exigence soit liée à un désir de permettre d'atteindre à un niveau élevé de culture intellectuelle est assumé comme tel.

On notera enfin qu'on n'argumentera pas dans la suite sur la perception plus ou moins bonne que les élèves peuvent avoir de l'enseignement du latin car le latin étant maintenant une option facultative, les causes d'abandon peuvent être multiples : désintérêt de l'élève certes, mais aussi difficultés scolaires autres, importance d'autres options pour les parents. Si l'on compare l'enseignement du latin avec d'autres enseignements facultatifs comme celui par exemple de la musique, on peut bien affirmer que l'enseignement musical est mal fait dans tel ou tel conservatoire, que le solfège y est bien ou mal appris, que les élèves sont démotivés, qu'il s'agit d'un enseignement élitiste, mais personne ne remettra en cause pour autant le fait que la musique fasse partie de la culture. Il en est de même pour le latin : il faut réfléchir sur la mauvaise perception que les élèves peuvent en avoir, sur leur absence éventuelle de motivations : si ceci doit modifier l'enseignement, le remettre en cause, cela ne change rien à sa nécessité sous une forme ou sur une autre pour qui veut acquérir une intelligence approfondie du présent.


Méthodes

Pour arriver à ces conclusions nous nous sommes appuyés principalement sur les résultats mis à jour par les historiens jusqu'au 18e siècle, mais aussi les textes des divers acteurs du débat du 18e siècle à aujourd'hui. Nous avons choisi de citer longuement beaucoup d'entre eux parce que, pour les plus anciens, s'ils sont dans un style qui nous dépayse, il faut faire cet effort de décentrement de nos manières de voir actuelles si l'on veut comprendre en profondeur les raisons des évolutions observées.

Pour la situation actuelle nous avons utilisé les sources statistiques disponibles et une enquête spécifique faite auprès des parents pour tester leurs motivations : en effet, ce travail a pour origine une suggestion de François de Singly de faire travailler en 1994 les étudiants du Deug de sociologie de Paris 5 sur la question du latin car tous les étudiants de 2e année participent à la construction d'un questionnaire, à sa passation et à son exploitation. Cette enquête sera utilisée dans la suite.

La suggestion de François de Singly faisait suite à des conversations que nous avions eues sur le latin et les raisons de son enseignement. Sans cet évènement et les exigences théoriques que François de Singly a manifesté à propos de précédentes versions de ce texte, ce travail ne serait pas ce qu'il est : qu'il en soit particulièrement remercié ainsi que les étudiants de Paris 5.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 5 janvier 2012 20:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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