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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Paul Charest, “La composition des groupes de chasse chez les Mamit Innuat”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay. Chapitre 25, pp. 367-396. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp.

Paul CHAREST

Anthropologue, professeur émérite,
département d’anthropologie, Université Laval.
 

Recherches anthropologiques et contexte politique
en milieu attikamek et montagnais
.

Un article publié dans la revue CULTURE, Numéro spécial, vol. II, no 3, 1982, Numéro intitulé: “Nations amérindiennes au Canada”, pp. 11-23. Société canadienne d'ethnologie.
 

Résumé
 
Contexte actuel de la recherche en milieu amérindien
Les recherches au Conseil Attikamek-Montagnais (CAM)
La recherche sur l'occupation du territoire
Projet sur l'exploitation des ressources fauniques
Autres recherches
Bilan et perspectives
 
Références

 

Résumé

 

Depuis une dizaine d'années, le contexte politique de la recherche anthropologique en milieu amérindien a beaucoup changé. La nouvelle poussée capitaliste vers les ressources du Nord canadien a provoqué une réaction de défense de leurs droits territoriaux chez les autochtones habitant ces régions. La démonstration du bien-fondé et de la nature de ces droits dans le cadre des négociations avec les autorités fédérales et provinciales a suscité de nombreuses recherches portant en particulier sur l'occupation territoriale et l'exploitation des ressources fauniques. À la lumière d'une expérience d'anthropologie « impliquée », c'est-à-dire venant appuyer une démarche politique amérindienne, l'auteur conclut que l'anthropologue doit être plus conscient que par le passé des buts de sa recherche et de l'utilisation des résultats.

Abstract 

In the last ten years the political context of anthropological research in Amerindian communities has changed greatly. Increased capitalist expansion toward the natural resources of the Canadian North has lead Native people living in these regions to defend their territorial rights. The legitimate rights of Native people and the nature of these rights in the framework of negociations with federal and provincial authorities have inspired numerous studies, particularly of territorial occupation and exploitation of animal resources. In the light of an experiment in "involved" anthropology which supports native policies, the author concludes that anthropologists should be more aware than they were in the past of the goals of their research and of the uses made of the results.

 

Contexte actuel de la recherche
en milieu amérindien

 

Le contexte social et politique de la recherche en milieu amérindien du Canada a beaucoup changé depuis une dizaine d'années. Comme l'a démontré le professeur Marc-Adélard Tremblay dans le cas des Amérindiens du Québec (voir Culture, 1982), les sujets de recherche et de publication sont maintenant en grande partie déterminés par la situation socio-économique et par les luttes politiques des différents groupes et associations autochtones. Le nombre de recherches, relevant de préoccupations essentiellement académiques, a diminué considérablement pour faire place à des recherches orientées vers la résolution de problèmes concrets en fonction de besoins et de priorités formulés par les groupes autochtones eux-mêmes. Se démarquant de ses prédécesseurs, une nouvelle génération d'anthropologues, oeuvrant le plus souvent en marge des milieux académiques, s'est ainsi engagée dans la voie de ce que j'appelle l'anthropologie impliquée, c'est-à-dire de l'anthropologie engagée vis-à-vis des groupes minoritaires, et non pas neutre, position qui sert surtout les intérêts des groupes dominants [1]. 

Le contexte économique et politique de ce type de recherche est celui de la nouvelle poussée des développements capitalistes vers les dernières régions-ressources du nord du Canada. Il entraîne des mouvements de défense de leurs droits territoriaux par les nations autochtones qui habitent ces régions depuis des temps immémoriaux, dans le cadre de processus mal nommés « revendications » ou « réclamations » territoriales (en anglais land claims). Les négociations et les procès entourant les aménagements hydro-électriques de la baie James et leur règlement par La Convention de la Baie James et du Nord québécois (1976) représentent le point de départ de cette nouvelle vague de luttes politiques au sujet des droits territoriaux des autochtones, qui ne sont pas touchés par les traités signés entre 1850 et 1923. Depuis, le cadre juridico-politique des « revendications » territoriales des autochtones a été fixé par le gouvernement canadien (Chrétien 1973 ; Canada, MAIN, 1981) qui essaie d'y enfermer les groupes amérindiens et inuit dans l'application d'un modèle issu de l'entente de la baie James et comportant quatre éléments fondamentaux : a) abandon obligatoire de leurs droits territoriaux par les autochtones ; b) allocation de superficies de terre limitées classées en catégories selon leur type d'utilisation ; c) versements de compensations monétaires et amélioration des programmes sociaux et économiques au bénéfice des signataires ; d) protection et contrôle des activités traditionnelles. Tout le processus de négociations est aussi soumis à une série d'étapes formelles commençant avec le dépôt par des associations autochtones dûment reconnues d'un texte de revendications analysé par le Bureau des revendications autochtones et le ministère de la Justice du Canada avant d'être officiellement reconnu ou rejeté. Dans le cas où la « revendication » territoriale est jugée fondée, le ministère des Affaires indiennes alloue des fonds sous forme de prêts remboursables à même les compensations monétaires pouvant résulter de compensations pour la perte de terres et/ou de droits territoriaux. Le montant de ces prêts est calculé grosso modo sur une base per capita, c'est-à-dire sur le nombre d'autochtones dont les intérêts fonciers sont représentés par l'association, et en fonction de l'importance du territoire « revendiqué ». Comme certaines organisations autochtones ont pu le constater, la régularité d'octroi des prêts dépend beaucoup du rythme des négociations et de l'acceptation ou non par les groupes autochtones de se conformer aux conditions du gouvernement fédéral. 

Les étapes suivantes du processus de négociation comportent la nomination et l'acceptation de négociateurs par les différentes parties impliquées (au Québec : gouvernement provincial, gouvernement fédéral, association autochtone), la formation de comités de négociation, l'établissement du contenu et du calendrier des négociations, la tenue des séances de négociations proprement dites, la rédaction d'un texte d'entente, la signature de ce texte par les différentes parties. Malgré les pressions du gouvernement fédéral pour que les « revendications » territoriales se règlent le plus rapidement possible, le processus s'avère assez lent comme on peut le constater dans les cas des Dene des Territoires du Nord-Ouest, des Indiens du Yukon et des Inuit du delta du Mackenzie. En fait, il n'y a eu aucune nouvelle entente de ratifiée depuis la Convention du Nord-Est québécois signée en janvier 1978 et impliquant les Naskapis de Schefferville dans ce qui constitue en quelque sorte une annexe à l'entente de la baie James. Outre les groupes qui viennent d'être mentionnés, les groupes suivants ont déposé des « revendications » territoriales reconnues officiellement par le gouvernement fédéral : Inuit Tapirisat du Canada, Association des Métis des Territoires du Nord-Ouest, Association des Inuit du Labrador, Association Naskapi-Montagnais Innu (Labrador), Conseil Attikamek- Montagnais (Québec), Conseil tribal Nishga (Colombie-britannique), la bande Kitwancool (C-B), l'Association des Tahltans Unis (C-B), le Conseil tribal Gitksan-Carrier (C-B), le Conseil du village Kitamaat (C-B) (Canada, MAIN, 1981b, carte). 

Pour les fonctionnaires des Affaires indiennes et du Bureau des revendications autochtones, le processus qui vient d'être décrit fait partie des « revendications globales » ou comprehensive claims associées à la notion de droits territoriaux aboriginaux. Parallèlement, il existe un processus de « revendications particulières » (specific claims) concernant les terres allouées en vertu du système des réserves ou par traité, l'application des termes et conditions des traités et l'administration des fonds de bande. Selon leur situation géographique et historique particulière, certains groupes autochtones sont impliqués dans l'un ou l'autre de ces processus de « revendications » ou dans les deux à la fois. Cette distinction plus ou moins fondée entre deux types de « revendications » ne facilite pas toujours la poursuite d'un règlement. De même, le fait que le gouvernement fédéral (par l'entremise du Bureau des revendications autochtones) soit à la fois juge et partie dans les cas des revendications particulières, explique la raison pour laquelle très peu de « revendications » classées dans cette catégorie aient trouvé une solution jusqu'à présent. 

C'est dans ce contexte politique de revendications territoriales et de l'application des ententes de la baie James et du Nord-Est québécois que se sont réalisées la plupart des recherches importantes en milieu amérindien depuis une dizaine d'années. Certains champs de recherche ont été ainsi nettement privilégiés : occupation et utilisation des territoires (land use and occupancy), utilisation des ressources, économie traditionnelle de chasse, pêche et trappe, impacts des grands développements (pétroliers, miniers, gaziers, forestiers, hydroélectriques) sur les autochtones et sur leurs modes d'occupation et d'utilisation des territoires et de leurs ressources, rapports historiques entre les groupes autochtones et les membres de la société blanche, etc. Ces recherches ne sont pas le produit des seuls anthropologues, mais de chercheurs en provenance d'horizons disciplinaires variés. sociologie, géographie, biologie, écologie, droit, etc. Certains types de recherches ou certaines publications sont rapidement devenus des « classiques » et ont servi de modèles à d'autres. Mentionnons parmi les plus connus : Report. Inuit Land Use and Occupancy (1976) réalisé sous la direction de Milton Freeman ; Our Footprints are Everywhere. Inuit Land Use and Occupancy in Labrador (1977) sous la responsabilité de Carol Brice-Bennett ; What the Land Provides (1976) de Martin Weinstein ; les travaux du Comité de recherche sur la récolte autochtone pour les Cris et les Inuit de la baie James (1976-1980) ; le célèbre rapport du juge Thomas Berger intitulé Le Nord terre lointaine, terre ancestrale (1977, 2 vol) finalement, le récent volume de Hugh Brody, Maps and Dreams. Indians and the British Columbia Frontier (1981). Ce contexte socio-politique et scientifique général fournit donc le cadre général dans lequel sera analysé dans les pages qui suivent la démarche de recherche d'une association autochtone du Québec, le Conseil Attikamek-Montagnais.
 

 

Une expédition de pêche [2].

 

Les recherches
au Conseil Attikamek-Montagnais (CAM)

 

Le Conseil Attikamek-Montagnais est une association politique amérindienne fondée à l'automne 1975 à la suite de la disparition de l'ancienne Association des Indiens du Québec. Il représente actuellement les trois bandes attikameks (Manouane, Weymontachie, Obedjiwan) du haut Saint-Maurice et huit des neuf bandes montagnaises du lac Saint-Jean (Pointe-Bleue) et de la Côte-Nord du Saint-Laurent (Escoumins, Bethsiamit, Schefferville, Mingan, Natashquan, La Romaine, SaintAugustin), soit au total près de 10,000 Indiens avec statut. Comme organisme d'abord politique, le CAM représente les intérêts des bandes qui le composent auprès des gouvernements fédéral et provincial, en particulier en ce qui concerne leurs droits territoriaux. C'est ainsi que dans le cadre juridico-politique des « revendications » territoriales décrit précédemment, le Conseil a déposé officiellement auprès du gouvernement du Canada, en avril 1979, un document sur ses « revendications » territoriales intitulé Nishastanan Nitasinan (Notre terre, nous l'aimons et nous y tenons) (RAQ 1979). La validité des « réclamations » des Attikameks et des Montagnais ayant été reconnue en septembre de la même année par le gouvernement fédéral, le CAM est entré par la suite plus concrètement dans le processus préparatoire aux négociations, pour lequel des prêts en argent lui sont accordés sur une base annuelle. En septembre de l'année suivante, le gouvernement du Québec reconnaissait les « droits historiques » des Attikameks et des Montagnais, mais s'objectait à la plupart des principes fondamentaux mis de l'avant par ceux-ci comme bases pour les négociations, en particulier en ce qui concerne le contrôle du développement des ressources naturelles des territoires amérindiens. Le texte de « revendications » était accompagné d'un programme de recherche, visant à étayer le bien-fondé de la position du CAM et à évaluer les besoins des communautés dans les domaines du développement économique, social et politique, et d'un budget de recherche. Ce programme a été préparé par le conseiller scientifique, et accepté par la direction du CAM. Ainsi une partie substantielle des sommes d'argent prêtées par le ministère des Affaires indiennes pour la préparation des négociations, est utilisée depuis deux ans pour la réalisation du programme de recherche. 

Les grandes lignes de ce programme de recherche comprennent des études sur l'occupation du territoire, sur l'utilisation des ressources renouvelables et non-renouvelables, sur les impacts des développements (forestiers, miniers, hydro-électriques, cynégétiques et halieutiques) passés et prévus dans un futur immédiat, sur l'évolution démographique des communautés et ses conséquences, sur l'histoire des Attikameks et des Montagnais, sur les besoins de développement économique, social et politique. En raison des fonds disponibles annuellement qui ne sont quand même pas illimités, un ordre de priorités de recherche a été établi avec en tête de liste des recherches sur l'occupation des territoires et l'utilisation des ressources fauniques. Il faut mentionner ici que le Conseil recevait déjà depuis 1976 des fonds de quelque dizaines de milliers de dollars par année pour réaliser des recherches dans le cadre du programme sur les « revendications particulières » ; ces fonds furent utilisés au début pour des études générales d'impacts de grands développements industriels (forestiers, miniers, hydro-électriques) sur les territoires et les populations attikameks et montagnaises. Après 1978, ce genre de recherche, associé aux « revendications globales » par les fonctionnaires des Affaires indiennes, fut formellement interdit par ceux-ci ; cela eut pour effet d'accélérer la présentation par le CAM de son document sur ses « revendications » territoriales.

 

Carte 1. Communautés montagnaises et attikameks du Québec.

Source : Bibliographie thématique sur les Montagnais - Andrée G. Charest ; Naskapi par R. Dominique et J.-G. Deschênes, 1980.

 

Dans les paragraphes qui suivent, je présenterai donc les principales recherches actuellement en cours au sein du Conseil Attikamek-Montagnais, à savoir les recherches sur l'occupation des territoires, l'utilisation des ressources fauniques, les « revendications particulières », et quelques autres projets de moindre envergure réalisés ces dernières années. Cette source fédérale de financement a permis au CAM de bénéficier depuis 1976 d'une unité de recherche dont la structure et le fonctionnement se sont modifiés à plusieurs reprises au fil des années et des différents projets de recherche. Actuellement la responsabilité de la recherche est partagée entre un administrateur amérindien, pour tout ce qui concerne les aspects financiers et matériels, et un conseiller scientifique, pour les aspects méthodologiques. Une partie importante des recherches a été réalisée par des consultants non-autochtones travaillant à contrat pour des périodes de temps limitées. Les contrats stipulent très clairement que toutes les données et les rapports de recherche sont la propriété du CAM et qu'ils ne peuvent être utilisés pour d'autres fins sans autorisation. Cette clause interdit donc - pour le moment tout au moins - l'usage académique des résultats de recherche. Toutefois, certains des rapports déposés au Centre de documentation du CAM sont accessibles aux personnes extérieures intéressées. Les consultants non-amérindiens n'ont donc aucun pouvoir de décision concernant l'utilisation des fonds et des données de recherche ainsi que la définition des priorités, ce pouvoir appartenant exclusivement aux instances politiques (conseil des chefs, assemblée générale, président du CAM) et administratives (directeur exécutif, responsable de la recherche). Par ailleurs, des chercheurs amérindiens ont été intégrés à l'unité de recherche dès ses débuts, en particulier pour ce qui concerne le programme sur les revendications particulières : un Attikamek pendant trois ans et deux Montagnais pendant une année chacun. Actuellement, il n'y a pas de chercheur amérindien travaillant à plein temps pour le CAM, mais comme on le verra dans les sections qui suivent, plusieurs d'entre eux ont pu participer à d'importants projets de recherche.

 

La recherche sur l'occupation du territoire

 

Le principe d'un projet de recherche sur le territoire ainsi que sa démarche méthodologique générale furent acceptés par le Conseil des chefs du CAM au mois de juin 1980. À la fin du même été débutait la phase préparatoire à la recherche. Dans un premier temps, la méthode de recherche a dû être précisée, compte tenu des spécificités des communautés attikameks et montagnaises, ainsi que des contraintes de temps et d'argent. Après consultation auprès de chercheurs ayant une expérience personnelle dans le domaine des recherches sur le territoire, on adoptait une méthode qui s'inspirait, d'une part, des travaux de Michel Audet chez les Inuit de Povungnituk (1970, 1974) et de Claude Giroux chez les Cris et les Inuit de Poste-de-la-Baleine (1979), et, d'autre part, des recherches de l'équipe dirigée par Milton Freeman sur l'occupation territoriale des Inuit des Territoires du Nord-Ouest (1976) et de l'équipe de Carol Brice-Bennett sur l'occupation territoriale des Inuit du Labrador (1977). En raison de cette double filiation méthodologique, la démarche adoptée mettait d'abord l'accent sur les itinéraires des groupes de chasse lors des déplacements saisonniers, sur les lieux et les types de campements, sur les aires de chasse et le type de ressources exploitées de même que sur les changements survenus dans les modes d'occupation et d'utilisation contemporaines du territoire, c'est-à-dire du vivant des informateurs les plus âgés. Comme dans le cas de l'occupation territoriale chez les Inuit, la périodisation ou découpage de la période contemporaine en tranches de temps correspondant à différents modèles d'occupation et d'utilisation du territoire a apporté une dimension temporelle fondamentale à ce type de recherche. Pour chacune des communautés ou réserves attikameks et montagnaises, il fallait donc identifier le nombre et la durée de ces périodes de temps au cours desquelles un modèle relativement homogène d'occupation territoriale avait prévalu. Comme le nombre potentiel d'informateurs et informatrices pouvant témoigner de leurs pratiques territoriales personnelles s'élevait à plus de 4,000, on décida d'orienter la recherche en fonction de la collecte d'années-témoins des activités sur le territoire pour chacune des périodes jugées significatives, plutôt qu'en fonction de l'approche biographique visant à identifier toutes les parties du territoire utilisées par un informateur au cours de sa vie active. Ainsi les personnes les plus âgées devaient être appelées à fournir des témoignages sur chacune des périodes de l'ère contemporaine d'occupation territoriale, alors que les plus jeunes ne devaient témoigner que pour la période la plus récente. Ainsi, l'addition des témoignages des informateurs pour une même période devait fournir une vision complète du mode d'occupation et d'utilisation territoriale pour cette période. En contrepartie, ce choix méthodologique permet de rejoindre le maximum d'informateurs et de mettre de côté l'idée d'un échantillonnage au prorata de la population de chaque communauté.

 

 

Chasse au caribou.

 

La méthode une fois adoptée, la tâche de constituer et de diriger une équipe de recherche pour la mettre en application fut confiée à un chargé de projet engagé par le CAM. Un des principaux objectifs visé dans la composition de l'équipe de recherche était la participation maximale de collaborateurs amérindiens. Ainsi, tout le travail de collecte de données de base (entrevues, tracés des itinéraires) fut fait par des enquêteurs amérindiens oeuvrant dans leur communauté d'origine sous la supervision d'un chercheur non-autochtone. Pour s'initier à la méthode de recherche, les enquêteurs locaux suivirent dans leurs communautés respectives un cours de formation d'une durée de trois semaines, comportant une partie théorique d'une semaine et une partie pratique de deux semaines. Au préalable, les buts et la méthodologie du projet de recherche avaient été expliqués en détail aux membres du conseil de bande, puis aux membres de la communauté lors d'une assemblée générale. Le choix des enquêteurs autochtones fut effectué par un comité ad hoc de la bande, à partir d'une liste de candidats ayant répondu à un affichage public de postes. Au total, plus d'une cinquantaine d'enquêteurs amérindiens participèrent à la collecte de données pour des périodes variant de quelques semaines à plusieurs mois, selon la dimension démographique de leur communauté et le nombre d'informateurs à rencontrer. 

Le travail de l'enquêteur amérindien consistait à rencontrer les chasseurs - occasionnellement les veuves de chasseurs -pour reconstituer avec eux les cycles annuels de leurs activités pour chacune des périodes identifiées par leur communauté, àles aider à tracer sur des cartes au 1 : 250,000ème les itinéraires suivis et à y indiquer les lieux de campements, les aires d'exploitation, les portages, les caches de nourriture et les lieux de sépulture. Il devait aussi enregistrer les propos et commentaires de chasseurs sur bandes magnétiques, dont le contenu était par la suite résumé sur des fiches standards comportant les éléments suivants : site de campement, coordonnées topographiques, saison d'occupation, durée de séjour, nombre d'habitations et nombre de personnes, activités pratiquées, espèces d'animaux observés, animaux capturés, autres informations pertinentes. Ces résumés rédigés en français avaient pour but de permettre aux rédacteurs des rapports d'analyse pour chacune des communautés de connaître l'essentiel des témoignages livrés le plus souvent en langue indienne, tout en conservant la possibilité de retourner en tout temps au contenu intégral des informations enregistrées sur cassettes. Par ailleurs, quelques-unes des meilleures entrevues pour chacune des périodes et chacune des communautés furent traduites intégralement afin d'enrichir l'analyse des données de base et de servir d'exemples concrets insérés dans les rapports. Finalement, des entrevues collectives avec de vieux chasseurs furent réalisées par des enquêteurs amérindiens expérimentés et par les superviseurs de la collecte de données dans le but d'obtenir des informations plus générales sur la distribution des groupes familiaux sur les territoires communautaires, la rotation des territoires de chasse, les effets des développements industriels sur le milieu naturel et les activités traditionnelles, les relations avec les non-autochtones utilisant aussi certaines ressources des territoires amérindiens, etc. Il avait été prévu à l'origine que ces mêmes chercheurs amérindiens d'expérience puissent rédiger leur propre analyse des données recueillies dans leur communauté. Devant la grande difficulté que représentait pour eux la rédaction de longs textes, cette démarche a été remplacée par des échanges oraux avec les responsables de la rédaction et par une critique des rapports avant la version finale. 

Sous la responsabilité du directeur de projet et de deux superviseurs au niveau des communautés, la période de formation des enquêteurs amérindiens et de collecte des données de base s'est étalée sur 14 mois, entre le mois de janvier 1981 et le mois de mars 1982. Les trois communautés attikameks et sept des huit communautés montagnaises furent ainsi étudiées pendant cette période, alors que le travail de collecte de données fut retardé pour Schefferville, ne débutant qu'en août 1982. En raison de leurs différences de tailles démographiques et dans le but de permettre une meilleure répartition du temps des superviseurs, les périodes des cours de formation pour les enquêteurs locaux et, en conséquence, les débuts de la collecte de données dans les différentes communautés, furent échelonnés sur plusieurs mois. 

L'ensemble des données recueillies dans chacune des réserves attikameks et montagnaises représente une somme énorme d'informations : des centaines d'heures d'enregistrement, des milliers de cartes topographiques comportant des itinéraires, des lieux de campement, des tracés de portages, etc, des milliers de fiches-résumés d'entrevues, des centaines de pages de transcription intégrale d'entrevues. Le matériel cartographique a fait l'objet de cartes-synthèses illustrant pour chaque période les trajets, lieux de campements, aires de chasse, portages, caches et sépultures. Les fiches de sites de campement ont été traitées mécanographiquement pour en tirer des listes ordonnées selon l'année, la saison d'utilisation, la durée de séjour, le nombre d'habitations et le nombre de personnes. L'analyse de ces données formelles ainsi que des résumés d'entrevues, des entrevues intégrales, des entrevues collectives et autres documents disponibles, fut par la suite confiée à des anthropologues non-amérindiens pour la rédaction des rapports sur les modes d'occupation et d'utilisation du territoire pour chacune des dix communautés étudiées. Actuellement - en date du mois de novembre 1982 -, un premier rapport-synthèse, celui de Pointe-Bleue, a été terminé, et sera soumis à la communauté pour fins de discussion et d'approbation. La finalisation des autres rapports doit s'étaler entre décembre 1982 et mars 1983, à l'exception de celui de Schefferville, en raison du début tardif de la collecte de données de base dans cette communauté. 

Par la suite, l'utilisation qui sera faite des informations sur l'occupation et l'utilisation contemporaine de leurs territoires par les Attikameks et les Montagnais, échappera largement aux chercheurs et dépendra beaucoup du contexte des négociations entre le CAM et les deux niveaux de gouvernements. Bien des informations de base pourront en être tirées : étendue des territoires revendiqués, nature de l'utilisation de leurs ressources par les Amérindiens, routes de circulation sur le territoire et endroits privilégiés de résidence, nature des impacts passés des grands développements industriels, sites et zones pouvant être affectés par de futurs développements, etc. Par ailleurs, l'ensemble des témoignages recueillis sur cartes et sur cassettes et les rapports sur l'occupation des territoires pour chacune des communautés pourront fournir un matériel didactique très précieux pour l'enseignement de la culture et des traditions auprès des jeunes générations attikameks et montagnaises, héritières des territoires ancestraux. Ainsi toutes les données ethnographiques sont demeurées la propriété des communautés où elles ont été recueillies ; il leur appartient donc d'en définir l'usage futur pour des fins scolaires, communautaires ou autres, aucune démarche centralisée n'ayant été prévue en ce sens par les concepteurs du projet de recherche.

 

Projet sur l'exploitation
des ressources fauniques

 

Deuxième dans l'ordre des priorités du CAM, le projet sur l'exploitation des ressources fauniques a été mis en marche en septembre 1982, suite à l'obtention d'une subvention de la Fondation canadienne Donner pour trois ans. Contrairement au projet sur le territoire dont le Conseil est l'unique maître-d'oeuvre, celui-ci représente une entreprise conjointe du Centre d'Études nordiques de l'Université Laval et du CAM. Cette forme de collaboration permet d'une part au Conseil de diminuer la quantité de fonds investis dans la recherche, d'autre part d'avoir accès gratuitement aux services des professeurs­chercheurs impliqués dans la recherche et à certaines infrastructures du Centre. Sur le plan académique, trois professeurs, deux du département d'anthropologie et un du département de biologie, sont responsables de la bonne marche du projet qui comporte d'ailleurs trois volets : biologique, socio-économique et culturel. Sur le plan administratif, la supervision du projet est assurée par un bureau de direction de cinq membres dont trois Montagnais nommés par le CAM après consultation des conseils de bande concernés. Ceci permet au CAM et aux communautés de s'assurer que le projet respectera leurs besoins et leurs intérêts fondamentaux. L'utilisation des fonds de recherche ainsi que des données se trouve donc soumis à l'approbation majoritaire des représentants montagnais.

 

 Le domaine montagnais.

 

Dans un contexte socio-politique où les territoires et les activités traditionnelles des Montagnais sont menacés par de nombreuses initiatives privées et gouvernementales (multiplication du nombre de chasseurs et pêcheurs sportifs, exploitations forestières, développements hydro-électriques), le projet vise à la fois les objectifs scientifiques et pratiques suivants : 

- établir le bilan des connaissances sur les principales ressources fauniques des territoires montagnais ;

- évaluer la situation actuelle des principales espèces de la faune terrestre et aquatique et de leurs cycles ;

- analyser le niveau actuel d'exploitation de la faune, les différents modèles d'exploitation et leur place dans l'économie générale des communautés ;

- définir les potentiels d'exploitation des principales ressources fauniques par les Montagnais associés à une exploitation soutenue et à un régime de protection des activités traditionnelles ;

- fournir une expertise dans le contexte de négociations au sujet de l'exploitation des ressources fauniques ;

- contribuer à la formation d'autochtones dans le domaine de la recherche sur la faune, son exploitation et son aménagement. (Charest, Huot, McNulty, 1982 : 10-11). 

La démarche méthodologique du projet prévoit de faire le bilan des connaissances et des inventaires, mais surtout la collecte de données nouvelles sur la dynamique des populations et les cycles des principales espèces fauniques exploitées par les Montagnais, sur le niveau actuel d'exploitation de la faune par ceux-ci, sur leurs connaissances ethno-scientifiques et leurs croyances et rituels concernant la faune. À ce stade-ci de la recherche, c'est le volet socio-économique qui a reçu le plus d'attention avec la construction et l'expérimentation de trois instruments de recherche pour la collecte de données de terrain : a) le carnet de chasseur, adapté de celui utilisé par les Cris depuis 1975 (Native Harvesting Research, 1975-1976,1978-1979 ; CEN/CAM, 1982) ; b) la fiche d'activités servant à recueillir des données sur la répartition des groupes de chasse sur le territoire, leurs activités saisonnières, leur composition, leurs équipements de production ; c) le protocole cartographique permettant de rapporter sur des cartes au 1 : 250,000ème la distribution des groupes sur le territoire, leurs déplacements, la distribution des principales ressources exploitées. 

Ces outils de recherche ont été expérimentés, pendant une période de trois mois, par quatre chercheurs amérindiens travaillant chacun au sein de leur communauté d'origine (Mingan, Natashquan, La Romaine, Saint-Augustin). Cette expérimentation fait partie d'une période de formation de quatre mois - du 15 septembre 1982 au 15 janvier 1983 - divisée en une partie théorique d'une durée d'un mois et une partie pratique d'une durée de trois mois, comprenant deux sessions d'évaluation à la fin de novembre et à la mi-janvier. Comme pour le projet sur le territoire, la recherche sur l'exploitation des ressources fauniques veut ainsi favoriser la participation des membres des communautés touchées par les travaux de recherche non seulement à la collecte de données, mais aussi à leur traitement et à la supervision de projets. Il n'est évidemment pas possible ni même souhaitable que tous les Amérindiens, ayant participé à un projet de recherche, deviennent des chercheurs permanents. Les fonds et les postes disponibles - en particulier dans les universités -, ne le permettent d'abord pas. Certains des meilleurs et des plus intéressés pourront continuer à participer à d'autres projets qui seront réalisés dans le cadre du programme prioritaire de recherche du CAM. Ils contribueront de ce fait à augmenter le niveau de connaissance et d'expertise disponibles dans les communautés amérindiennes, ce qui les rendra de moins en moins dépendants de l'extérieur.

 

Autres recherches

 

Ces deux projets sur l'occupation du territoire et l'exploitation des ressources fauniques mobilisent des ressources monétaires et humaines importantes, ce qui les démarque assez nettement des autres projets de recherche réalisés depuis six ans par le Conseil Attikamek-Montagnais. De nature plus ponctuelle, différentes recherches ont été cependant réalisées dans les domaines des études d'impact, des revendications particulières, de l'histoire montagnaise et de l'archéologie. 

Dans le domaine des études d'impacts de certains développements industriels sur les territoires, les activités traditionnelles et les communautés attikameks du haut Saint-Maurice, [des études préliminaires ont été menées à terme dans les années 1976 à 1978 (Bouchard, 1977 ; Fortin, 1979b) : création du réservoir Gouin en 1917 et répercussions sur les territoires et communautés attikameks du Haut Saint-Maurice ; mise en place de barrages et de réservoirs par la compagnie Alcan sur la rivière Péribonka et par l'Hydro-Québec sur les rivières Bersimis, aux Outardes et Manicouagan dans les décennies 1950, 1960 et 1970 et leurs effets sur les communautés montagnaises de Pointe-Bleue et de Bersimis (Charest, 1980a) ; impacts des opérations forestières de Rexfor et de Québec - Rayonier sur les territoires et les activités économiques des Montagnais de la moyenne et de la basse Côte-Nord (Charest, 1977) ; impacts des développements miniers de l'Iron Ore sur la communauté montagnaise de Schefferville (Grégoire, 1976) ; répercussions des exploitations et des routes forestières en Haute-Mauricie (Dominique, 1982) ; historique et conséquences de la multiplication des clubs privés, de chasse et pêche, des pourvoiries et des zones d'exploitation contrôlée (ZEC) dans cette dernière région traditionnellement occupée et exploitée par les Attikameks (Fortin, 1978, 1979a). L'ensemble des données recueillies à l'occasion de ces différentes recherches a été résumé dans une série de cinq cartes-synthèse au 1 : 1,250,000ème illustrant la répartition des différentes activités industrielles en territoires attikameks et montagnais (CAM, 1978). 

Pour les groupes amérindiens non régis par des traités, les recherches sur les « revendications » particulières touchent essentiellement les transactions foncières affectant la superficie des réserves et l'administration des fonds de bande. En ce qui concerne les communautés membres du CAM, celle de Pointe-Bleue a été particulièrement touchée par ce type d'intervention. D'une superficie totale de 23,000 acres au moment de sa création en 1856, le territoire de la réserve ne comprend plus maintenant que 3,779 acres suite à d'importantes cessions de terrains survenues en 1869 et 1895 respectivement. Ces cessions de terre se sont faites dans des conditions douteuses - comme ce fut souvent le cas pour les terres indiennes - sous l'influence de pressions extérieures visant à favoriser l'octroi de bons lots boisés et de bonnes terres agricoles à des entrepreneurs forestiers et à des agriculteurs non-autochtones. À travers les relevés d'archives, toute une série de transactions plus ou moins honnêtes affectant la même réserve ont pu être relevées, allant de la coupe de bois illégale à l'utilisation non autorisée de fonds de bande par des agents des Affaires indiennes travaillant plutôt dans les intérêts de non-Indiens. Les recherches de ce genre s'avèrent particulièrement longues et minutieuses et supposent un travail en archives sur de longues périodes et toutes sortes de recoupements entre différentes données : transactions foncières, évolution des fonds de bande, évolution des intérêts sur l'argent, rôle des différents intervenants, contexte économique et politique au moment des opérations, etc. Les recherches de ce type sont maintenant terminées pour Pointe-Bleue de même que la préparation d'un texte de « revendications particulières ». Des recherches semblables se poursuivent actuellement pour la réserve de Bersimis. 

Ayant commencé en 1978 grâce à une subvention du ministère des Affaires culturelles du Québec à deux chercheurs autonomes et ayant été prises en charge par le CAM en 1979, les recherches sur l'histoire montagnaise ont été interrompues en 1980 en raison de la priorité accordée aux recherches sur le territoire. Toutefois, la collecte de toutes les archives religieuses a pu être terminée et une première synthèse touchant la création des réserves de Pointe-Bleue et de Bersimis a été rédigée (Mailhot et Vincent, 1979). Il reste maintenant à faire le dépouillement des archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson et des archives administratives du ministère des Affaires indiennes, avant de réaliser la synthèse historique globale pour les Montagnais. Des recherches semblables devront aussi être faites pour les Attikameks. 

Finalement, grâce à une subvention du ministère des Affaires culturelles, le CAM a entrepris durant l'été 1982 un inventaire des sites préhistoriques et historiques de l'archipel de Mingan sur la moyenne Côte-Nord du golfe Saint-Laurent, pour lequel les gouvernements fédéral et provincial entrevoient une vocation de parc écologique. Le Conseil a engagé un archéologue pour réaliser ses premiers travaux archéologiques, amorces de recherches plus intensives dans des territoires amérindiens riches de milliers de sites dont la très grande majorité n'ont jamais fait l'objet ni d'inventaires ni de fouilles. Dans un avenir immédiat, les travaux archéologiques sous la responsabilité du Conseil doivent se poursuivre dans les îles de l'archipel et sur le territoire continental de la bande de Mingan, territoire dont l'intégrité se trouve menacée par des projets d'aménagement hydroélectrique de la rivière Romaine, comprenant le détournement des eaux du cours supérieur de la rivière Saint-Jean, une des meilleures rivières à saumon de la Côte-Nord. 

Ces quatre domaines de recherches, qualifiées de plus ponctuelles par rapport aux deux projets majeurs touchant l'ensemble des communautés attikameks et montagnaises, n'épuisent pas toutes les recherches effectuées jusqu'à présent au sein du Conseil Attikamek-Montagnais, mais permettent quand même au lecteur de se faire une idée plus précise de l'importance et de la nature des travaux de recherche au sein de cette association amérindienne.

 

 Femme montagnaise.

 

Bilan et perspectives

 

Le bilan sommaire qui vient d'être fait démontre la nature orientée des recherches par une association amérindienne du Québec, ou en collaboration avec elle. Comme pour d'autres associations ou groupes autochtones à vocation identique, le contexte politique des « revendications » et des négociations territoriales impose assez directement le type de recherche à réaliser : recherches sur l'occupation et l'utilisation du territoire, sur l'exploitation des ressources fauniques, sur la situation socio-économique des groupes et communautés autochtones, sur les impacts passés et futurs des grands développements énergétiques et des autres ressources renouvelables ou non des territoires amérindiens, etc. Ces domaines de recherche dominants depuis les débuts des années 1970 se démarquent des approches plus académiques passées centrées principalement sur les domaines de la parenté, de l'organisation sociale et de la mythologie. Si les thèmes de recherche ont changé, le rattachement des chercheurs oeuvrant en milieu autochtone a lui aussi beaucoup changé. On en retrouve de plus en plus à leur propre compte ou travaillant à contrat pour différents organismes, pour des firmes de consultants ou pour des associations autochtones. 

Le contexte politique des négociations territoriales permet de dégager des sommes importantes pour des fins de recherche. Cependant, ce financement s'avère assez précaire dans la mesure où les sources de fonds peuvent se tarir rapidement lorsque l'orientation des recherches ou l'allure des négociations ne sont pas à la satisfaction du principal bailleur de fonds, à savoir le gouvernement fédéral. Les travaux de recherche doivent donc produire des résultats utiles rapidement, ce qui met beaucoup de pression sur les chercheurs, à la différence des recherches de type académique qui s'échelonnent souvent sur un grand nombre d'années, voire sur toute une vie de chercheur. Ils monopolisent en conséquence toutes les énergies des chercheurs pendant des périodes de quelques mois ou d'une ou deux années, ce qui exclut en bonne partie les universitaires de ce type de recherche. 

Beaucoup de recherches orientées se font aussi en équipes pluridisciplinaires comprenant non seulement des anthropologues, mais aussi des géographes, cartographes, biologistes, écologistes, comme c'est le cas, par exemple, pour les recherches sur l'occupation du territoire et l'exploitation des ressources fauniques du Conseil Attikamek-Montagnais. La participation d'autochtones non seulement à titre d'informateurs ou fournisseurs de données brutes, mais aussi à titre de collaborateurs actifs aux différentes étapes de la recherche, devient aussi de plus en plus importante dans ce nouveau type de recherche. Cette participation des autochtones s'avère davantage possible avec la prévision de cours de formation permettant d'initier plusieurs d'entre eux aux méthodes scientifiques de recherche dans les sciences humaines et autres disciplines. Cela ne signifie pas nécessairement qu'ils feront tous une carrière de chercheurs, mais ce qu'ils auront acquis deviendra très utile par la suite pour leur communauté. 

Les recherches orientées en fonction d'objectifs politiques ne sont pas les seules à se faire en milieu autochtone. Les groupes, associations ou communautés ne sont pas tous engagés dans un processus de « revendications » territoriales. Dans plusieurs groupes amérindiens du Québec et du Canada, il continue de se faire un bon nombre de recherches de type académique ou autre, avec la liberté d'orientation et de choix de sujets que cela implique. Mais, de plus en plus fréquemment, les groupes et communautés autochtones demandent aux chercheurs et autres intervenants de tenir compte de leurs besoins et priorités avant l'élaboration des projets de recherche et tout au long de leur réalisation. C'est à nous chercheurs de leur apporter non seulement une expertise scientifique utilisable ou applicable, mais aussi impliquée dans le cheminement politique qui est le leur. La recherche engagée ou impliquée pose évidemment certains problèmes d'éthique professionnelle à l'anthropologue et à l'anthropologie, celui, entre autres, de l'acceptation au moins implicite des buts poursuivis par l'organisme pour lequel le travail de recherche est effectué. Elle pose aussi celui de la non-intervention volontaire dans ce processus politique, pouvant mener à la limite à l'auto-censure. Il faut aussi accepter que les données et résultats de recherche ne soient pas toujours utilisés de la façon qu'on le souhaiterait. L'objectivité et l'indépendance du chercheur académique sont évidemment remises en cause dans ce contexte, mais l'anthropologie n'a-t-elle pas toujours été liée consciemment ou inconsciemment à une cause, que ce soit celle de la pénétration des sociétés occidentales dans les périphéries ou celle de la défense des cultures menacées d'ethnocide ? Quoi qu'il en soit, il vaut mieux être conscient de l'utilisation des démarches et des données de sa science qu'en être inconscient et vouloir le demeurer. 

 

RÉFÉRENCES

 

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[1]    En tant que conseiller scientifique pour le Conseil Attikamek-Montagnais, une association amérindienne du Québec actuellement engagée dans un processus de revendications territoriales vis-à-vis des gouvernements québécois et canadien, l'auteur a lui-même réalisé des études d'impacts de projets hydro-électriques et forestiers sur des communautés amérindiennes, en plus d'élaborer et de superviser un programme de recherche visant à appuyer les positions politiques de cette association.

[2]    Photos de Serge Jauvin.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 4 août 2008 8:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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