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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Paul Charest, La prise en charge donne-t-elle du pouvoir ? L’exemple des Atikamekw et des Montagnais.” Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 16, no 3. 1992, pp. 55-76. Québec : département d'anthropologie, Université Laval. [Jeudi, le 6 décembre 2007, l'auteur accordait aux Classiques des sciences sociales sa permission de diffuser tous ses travaux et publications.]

Paul CHAREST

Anthropologue, professeur émérite, département d’anthropologie,
Université Laval.

La prise en charge donne-t-elle du pouvoir ?
L’exemple des Atikamekw et des Montagnais
.”

Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 16, no 3. 1992, pp. 55-76. Québec : département d'anthropologie, Université Laval.


Introduction
Prise en charge, pouvoir, autonomie
Les grandes étapes de la prise en charge
La prise en charge par les Atikamekw et les Montagnais du Québec
La prise en charge de l'éducation
La prise en charge du développement économique
Quel pouvoir ?
Références
RÉSUMÉ/ABSTRACT

[55]

Introduction

Dans sa livraison du 4 décembre 1991, le journal La Presse soulignait la publication du rapport annuel du vérificateur général du Canada avec le gros titre suivant : « Le vérificateur général blâme le laxisme au ministère des Affaires indiennes ». La journaliste Marie-Claude Lortie rapportait :

[...] le ministère n'a aucun moyen de vérifier précisément comment est dépensé l'argent qu'il verse directement aux 603 bandes indiennes [...] Des problèmes soulignés par le vérificateur général, l'absence de mécanismes de vérification pour les sommes allouées aux bandes est le plus frappant, puisque des sommes de près de deux milliards de dollars sont mises en cause. Et puisque les autochtones demandent précisément une plus grande marge de manœuvre, en revendiquant plus que jamais l'autonomie gouvernementale.
Lortie 1991 : B-1

Elle ajoutait enfin que le vérificateur donnait « plusieurs exemples de bandes qui ont obtenu une plus grande autonomie durant les 15 dernières années et où la performance des gestionnaires vérifiée crédiblement par des autochtones, a atteint des "niveaux impressionnants" » (ibid.).

En réalité, le vérificateur général ne fait que répéter des constatations contenues dans chacun de ses rapports annuels traitant de l'utilisation des fonds gouvernementaux par les différents programmes du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (Vérificateur général 1980, 1986, 1988, 1990). Déjà en 1980, il écrivait avoir « trouvé peu d'indices des efforts faits par le ministère pour préciser son imputabilité envers le Parlement en formulant des hypothèses quant à son mandat, en établissant des objectifs connexes et en les faisant approuver » (id. 1980 : 190). Il était par ailleurs d'avis que le contrôle du Parlement « dépasse l'expérience administrative des bandes indiennes [alors que] les autochtones semblent considérer les mécanismes de planification et de contrôle comme une tentative de la part du ministère et du gouvernement de limiter l'aptitude des intéressés à prendre des décisions au sujet de leur propre avenir » (ibid. : 184).

Ces quelques citations mettent en évidence des éléments fondamentaux de la problématique du processus communément appelé de « prise en charge » de leurs propres affaires par les communautés autochtones, en cours depuis environ 25 ans. Elles soulignent, en particulier, la contradiction apparente entre, d'une part, une pratique de plus en plus poussée du ministère des Affaires indiennes, soutenue par [56] différentes politiques, de transférer aux bandes et organismes indiens des responsabilités administratives et financières et, d'autre part, son imputabilité à l'égard du Parlement en tant que fiduciaire des Indiens, selon les termes de la Constitution du Canada. Cette responsabilité ministérielle se traduit par ailleurs dans une loi, considérée comme contraignante et anachronique, la Loi sur les Indiens.

Dans ce contexte constitutionnel, législatif et administratif, quels pouvoirs réels la prise en charge accorde-t-elle aux Amérindiens ? Pour répondre à cette question, nous avons adopté une démarche qui, après avoir défini les concepts clés utilisés et dressé un historique des principales étapes de la prise en charge, comporte principalement une étude de cas, celui des bandes et organismes atikamekw et montagnais, en rapport avec deux secteurs vitaux de la prise en charge : l'éducation et le développement économique. Les informations utilisées pour mener cette analyse proviennent de 14 années de travail à temps partiel comme directeur de recherche et conseiller scientifique auprès du Conseil des Atikamekw et des Montagnais, de la consultation de nombreuses sources écrites et d'entrevues et discussions avec des leaders et administrateurs autochtones et non autochtones.


Prise en charge, pouvoir, autonomie

Le terme « prise en charge » semble apparaître pour la première fois dans un rapport annuel en français du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (MAINC) en 1979-1980 (p. 13), mais la mise en marche du processus maintenant défini par ce concept est antérieure, comme on le verra plus loin. Appliquée aux Amérindiens du Canada et vue d'en bas, cette notion peut être définie empiriquement de la façon suivante : l'administration, par les bandes indiennes ou par des organismes représentatifs, des divers programmes et services destinés aux populations qu'ils représentent, accompagnée de la gestion des budgets qui y sont associés. À travers différents documents, en particulier les rapports annuels de ce ministère, on peut relever plusieurs termes considérés comme équivalents tels « prise en main », « contrôle », « responsabilité », « prise de décision », ou certaines expressions descriptives telles que « gérer ses propres affaires », « gestion des affaires locales » ou « autonomie administrative ».

Vue du haut de la pyramide administrative, c'est-à-dire du point de vue du gouvernement fédéral et du ministère des Affaires indiennes, la prise en charge représente un « transfert », une « délégation » ou une « dévolution » de responsabilités ou de pouvoirs d'administrer des programmes et des services et de gérer des fonds au profit des bandes et autres organismes indiens. Ainsi, dans son dernier rapport annuel, le « Profil du ministère » des Affaires indiennes identifie, parmi ses responsabilités principales, celle de « négocier des ententes communautaires permettant aux collectivités indiennes de participer davantage à la prise de décision et d'exercer des pouvoirs accrus » (MAINC 1990-1991 : 5). On peut considérer qu'il s'agit là de la définition que le ministère donne à la prise en charge. À remarquer aussi que la notion de pouvoir fait partie de cette définition.

Le concept de pouvoir a fait l'objet de nombreuses définitions, en particulier de la part des politicologues (Adams 1977 ; Dahl 1969 ; Parenti 1978 ; Wagner 1969) qui en font souvent une composante essentielle du politique. La définition [57] opératoire la plus simple que nous ayons rencontrée est toutefois celle d'un économiste bien connu, Kenneth Boulding, qui le définit, sur le plan personnel, comme « la capacité d'obtenir ce que l'on veut » et pour les groupes, « comme la capacité de réaliser des buts communs » (1989 : 15). Une définition complémentaire adoptée par plusieurs politicologues, que Boulding qualifie de concept restreint du pouvoir (smaller concept of power) (ibid. : 11), met davantage l'accent sur la capacité de certaines personnes ou groupes à en forcer d'autres à agir en leur faveur (Adams 1977 : 388 ; Colson 1977 : 376 ; Parenti 1978 : 12).

Boulding identifie trois catégories de pouvoir : le pouvoir de menace ou de destruction, le pouvoir économique ou de production et d'échange ; le pouvoir intégrateur ou de création (1989 : 11). Pour sa part, Adams (1977 : 388) distingue le pouvoir indépendant ou de contrôle direct et le pouvoir délégué, soumis au contrôle du précédent et qui peut en conséquence être retiré en tout temps.

Boulding (1989 : 20) s'est aussi penché sur la question de la mesure ou de la quantification du pouvoir et, en bon économiste, il conclut que le meilleur instrument est une unité monétaire. Avec la force et les armes, la fortune et la possession de biens matériels sont certes une source et une manifestation du pouvoir. Toutefois, certains auteurs ayant exploré cette notion chez les Amérindiens soulignent que le pouvoir spirituel y est davantage valorisé que le pouvoir matériel (Stanley 1977 ; Rubinstein et Tax 1985), mais que pour un observateur extérieur la pauvreté matérielle des Amérindiens est considérée comme une marque d'absence de pouvoir (powerlessness).

Finalement, Brosted (1985 : 7) associe la notion de pouvoir autochtone à « l'autodétermination indigène » (indigenous self-determination) alors que Weaver (1990 : 13) écrit que l'obtention d'un réel pouvoir (real empowerment) par les autochtones passe par l'autonomie gouvernementale des Premières Nations. Pour nous, il s'agit bien là de la véritable façon d'évaluer le degré de pouvoir atteint par les groupes amérindiens du Canada, c'est-à-dire en mesurant leur degré d'autonomie ou, inversement, de dépendance par rapport à un pouvoir dont ils veulent se libérer, celui des gouvernements fédéral et provincial, représentés principalement par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. La mise en place de ces concepts et outils d'analyse nous permettra donc de répondre à la question posée : est-ce que la prise en charge donne du pouvoir.


Les grandes étapes
de la prise en charge

Le processus de prise en charge s'est amorcé au milieu des années soixante et il serait issu du programme d'animation ou d'aménagement communautaire « qui visait à aider la population indienne à acquérir les compétences nécessaires à la gestion des affaires locales » (MAINC 1973-1974 : 36-38). Les débuts sont décrits de la façon suivante dans un des rapports annuels du MAINC : « En 1965, lorsque les bandes ont commencé à avoir droit à de petites subventions administratives pour gérer un nombre restreint de programmes, seulement 20 bandes en ont profité et ont obtenu des fonds totalisant moins de 1 million de dollars » (MAINC 1979-1980 : 18). Déjà en 1974, le MAINC signalait que l'« autonomie dans l'administration des collectivités indiennes et inuit est un objectif de longue date partagé tant par [58] les populations autochtones que par le gouvernement »(MAINC 1973-1974 : 36). Les années soixante et soixante-dix voient aussi la création de nombreuses associations autochtones nationales, provinciales, régionales ou tribales subventionnées par le ministère des Affaires indiennes ou le Secrétariat d'État. Ces associations et plusieurs autres groupes d'intérêt autochtones résistèrent avec succès à la politique draconienne du Livre blanc du gouvernement Trudeau déposé en 1969 et visant à mettre fin aux responsabilités du gouvernement fédéral envers les Amérindiens et à les intégrer à la société canadienne en tant que citoyens à part entière. Ce mouvement de résistance peut être considéré comme la première manifestation du Red Power au Canada.

Le secteur de l'éducation fut choisi parles leaders amérindiens comme premier cheval de bataille dans leur quête d'autonomie. En 1972, la Fraternité des Indiens du Canada rend public un mémoire intitulé en français Maîtrise indienne de l'éducation indienne, identifié depuis comme le point de départ de la prise de contrôle de leurs écoles et programmes scolaires par les communautés amérindiennes. Dans la même décennie, la question territoriale monta à l'avant-scène des actualités autochtones pour y demeurer. En 1973, les jugements Calder et Malouf forcèrent le gouvernement Trudeau à modifier radicalement sa position de négation des droits territoriaux en faveur d'une politique de négociation et de conclusion d'ententes ou de traités modernes, dont la Convention de la Baie James et du Nord québécois constitue le premier exemple.

À la fin de cette première décennie de contestations et de revendications, le président du Comité national du développement socio-économique des Indiens, M. Jack Beaver, publia un rapport dissident dont le seul titre, Maîtres de notre destinée, en dit long sur les objectifs d'autonomie amérindienne. On peut y lire sous l'intitulé « Autonomie administrative des bandes » que celles-ci « devraient exercer tous les pouvoirs réels dont elles ont besoin pour créer une atmosphère dans laquelle pourraient s'épanouir et grandir de nouvelles stratégies efficaces de développement socio-économique » (CNDSI 1979 : 80).

Le dépôt en 1983 du rapport du Comité spécial sur l'autonomie politique des Indiens, ou rapport Penner, constitue un autre événement marquant dans le long processus de recherche de pouvoirs par les groupes amérindiens du Canada. En effet, on y reconnaît formellement le droit à l'autonomie politique des Premières Nations et on recommande qu'« il soit explicitement prescrit et confirmé par la constitution canadienne » (Comité spécial 1983 : 47). D'ailleurs, en raison de la reconnaissance par l'article 35 de cette nouvelle constitution des droits ancestraux et issus de traités, le Comité prévoit que « les pouvoirs feront l'objet d'une réorganisation substantielle et [que] les gouvernement indiens réclameront des pouvoirs législatifs dont ils sont implicitement investis mais pratiquement privés » (ibid. : 46). Toutefois, les quatre conférences constitutionnelles qui avaient pour but de clarifier le contenu de ces droits, dont le droit inhérent à l'autonomie politique, ont abouti à une impasse. Une des conséquences de cette impasse a été la radicalisation des positions politiques de plusieurs leaders amérindiens menant à l'échec de l'entente du lac Meech. Récemment, l'entente de Charlottetown a finalement reconnu le droit inhérent des Premières Nations du Canada à l'autonomie gouvernementale.

[59] Parallèlement, le ministère des Affaires indiennes a apporté dans les années quatre-vingt des modifications importantes à ses politiques et à ses programmes dans le but de favoriser une prise en charge de plus en plus globale par les communautés indiennes. Ainsi, au début de cette dernière décennie, le MAINC annonçait qu'il « avait entrepris de mettre l'accent sur la prise en charge par les collectivités de la planification et de la direction des projets de développement socio-économique »et que « cette approche était destinée à réduire la dépendance des collectivités à l'endroit du gouvernement » (1979-1980 : 13). Cette prise de position s'appuyait sur les conclusions du rapport Beaver en soulignant « la nécessité d'accroître l'autonomie politique des Indiens [...] pour que les bandes locales assument davantage de responsabilités et exercent une plus grande autorité au niveau local, administrant leurs propres affaires et atteignant leurs buts sociaux, culturels et économiques » (ibid.). Par la suite, chaque rapport annuel du MAINC fait état de l'avancement de la prise en charge ou du contrôle par les bandes indiennes des plus importants programmes tels l'éducation et les services sociaux, ainsi que des transferts de fonds les accompagnant. Par exemple, pour l'année 1983-1984, on peut lire que la « presque totalité des 573 bandes dispense directement certains services » et que « la moitié du budget total des Affaires indiennes et inuit a été administrée par les bandes, ce qui est un changement marqué depuis 1971 » alors que seulement 16% du budget total étaient gérés par elles (MAlNC 1983-1984 : 15).

Ces transferts de fonds du MAINC vers les bandes indiennes sont faits sous forme d'ententes annuelles de contribution pour chacun des programmes et services et pour chacune des années. Avec le temps, la multiplication des ententes pour une même bande, les délais encourus et la rigidité des règles administratives sont apparus comme des obstacles majeurs au développement de l'autonomie administrative des bandes. Pour corriger cette situation, le MAINC a instauré en 1986 un nouveau programme appelé Modes optionnels de financement (MOF), en vertu duquel les bandes et autres organismes représentatifs pouvaient négocier des ententes globales de cinq ans leur permettant de procéder eux-mêmes à la répartition des fonds entre les différents programmes et services sous leur responsabilité. L'objectif visé était de « transférer aux conseils de bande la responsabilité de la conception des programmes et de l'établissement des priorités, tout en faisant en sorte que les dirigeants indiens soient davantage tenus responsables envers les membres de leurs bandes, relativement à la gestion des ressources et du développement des communautés » (MAINC 1986 : 4). La « souplesse » est identifiée comme une des principales caractéristiques de ce nouveau programme devant apporter « aux conseils indiens plus de pouvoirs pour assumer eux-mêmes la gestion de leurs propres affaires » (ibid. : 2). La « responsabilité » et l'« imputabilité » sont aussi deux autres mots clés, les bandes ayant obligation de rendre des comptes à leurs membres et au ministère des Affaires indiennes, entre autres par des réunions publiques, la préparation et la diffusion publique d'états financiers approuvés par des vérificateurs indépendants (ibid. : 49). En cas de non-respect des conditions de l'entente, le ministre se réserve le droit d'intervenir pour imposer des « mesures correctrices » et de mettre fin à l'entente si celles-ci n'apportent pas de résultats positifs (ibid. : 53).

[60] Une évaluation du programme des Modes optionnels de financement fut déposée en juin 1989. Ce document indique qu'à cette date, 23 ententes avaient été signées à travers le Canada et que leur effet avait été « positif sur le niveau et la qualité des services fournis aux membres des bandes », mais qu'il n'avait toutefois pas été possible de « confirmer le respect par les bandes des modalités des ententes » (MAINC 1989 : 2). De plus, selon des représentants de bande interrogés, les ententes sont avant tout perçues comme des « ententes administratives », alors que les « collectivités ont été informées et consultées, mais qu'elles n'ont pas toujours été officiellement engagées dans le processus de décision » (ibid., Annexe II : 9). Ils sont aussi d'avis que « l'obligation du ministre de rendre compte au Parlement n'est pas en danger » et que les répercussions sur leur obligation de rendre compte aux membres de leur bande « ont été neutres, puisque cette obligation existait déjà » (ibid. : 5).

Les informations les plus récentes sur le programme des MOF révèlent qu'au début de 1991, 58 ententes avaient été conclues et que 54 autres étaient sous examen de la part du MAINC (MAINC 1990-1991 : 3). Au Québec, six ententes étaient en vigueur pour un total de 50 millions de dollars, représentant environ 25% du budget du bureau régional du MAINC (ibid. : 55). Quatre de ces ententes impliquent des communautés montagnaises : Mashteuiatsh, Les Escoumins, Betsiamites et Uashat-Malioténam.

Le total des sommes allouées par le gouvernement fédéral pour des programmes et services aux autochtones s'élevait à un peu plus de 4 milliards de dollars en 1991, dont 2,9 milliards provenant du ministère des Affaires indiennes et environ un milliard du ministère de la Santé nationale et du Bien-Être social (Vérificateur général 1991 : 361-362). De 1984 à 1989, la partie des dépenses totales des différents programmes du MAINC administrés par les Indiens est passée de 61% à 72% pour une somme globale de 1,9 milliard (ibid. : 363). Selon le vérificateur général, « cette tendance reflète la volonté du gouvernement et des groupes autochtones d'encourager l'autonomie indienne » (ibid.). D'ailleurs, selon les nouvelles politiques du ministère des Affaires indiennes, le programme des Modes optionnels de financement constitue une première étape de la transition vers l'autonomie, la seconde étant l'« élaboration d'une loi relative à l'autonomie gouvernementale des Indiens » (MAINC 1986 : 3).


La prise en charge par les Atikamekw
et les Montagnais du Québec

Les Atikamekw habitent le Haut-Saint-Maurice et les Montagnais (ou Innu) du Québec le Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord du Saint-Laurent. Ils sont regroupés en 12 bandes, 3 atikamekw et 9 montagnaises, totalisant une population d'environ 15,000 personnes. Depuis 1975, ces bandes se sont dotées d'une série d'organismes ou d'outils institutionnels leur permettant d'être à l'avant-garde du processus de prise en charge qui vient d'être décrit. Ces organismes sont les suivants : 1) le Conseil des Atikamekw et des Montagnais (CAM) ; 2) le Conseil de la nation atikamekw (CNA) ; 3) Atikamekw Sipi ; 4) Mamit Innuat ; 5) l'Institut éducatif et culturel atikamekw-montagnais (IECAM) devenu récemment l’Institut culturel et éducatif montagnais (ICEM) ; 6) la Société de communication atikamekw-montagnaise [61] (SOCAM) ; 7) le Régime des bénéfices autochtones (RBA) ; 8) la Corporation de développement économique montagnaise (CDEM) ; 9) le Conseil du Bloc Centre. Il faut encore y ajouter la Police amérindienne, qui concerne aussi d'autres groupes amérindiens. Nous discuterons d'abord, dans cette partie plus générale, des organismes à vocation politico-administrative et de la SOCAM, alors que les trois autres (ICEM, RBA, CDEM), qui ont des fonctions plus spécialisées dans les domaines de l'éducation et du développement économique, seront abordés dans les deux parties qui suivent.

À l'automne 1975, les deux nations atikamekw et montagnaise, voisines géographiquement et culturellement, décidaient de former leur propre association ou « conseil tribal », le Conseil des Atikamekw et des Montagnais (CAM). Son mandat initial se limitait surtout à la représentation politique auprès des instances gouvernementales fédérale et provinciale, en particulier dans la perspective de négociations territoriales globales dont le processus sera d'ailleurs amorcé à partir de 1979. Mais rapidement, en tant qu'organisme central doté de certaines ressources financières, humaines et matérielles non disponibles pour la plupart des bandes, le Conseil fut investi de fonctions administratives dans le contexte de la prise en charge des programmes et services alors en plein essor. C'est ainsi qu'il adopta à l'automne 1979 une résolution « de prise en charge globale de tous les programmes et services actuellement assurés par les Affaires indiennes et/ou les autres organismes fédéraux et provinciaux » (Bacon 1979 : document annexé) et créa le poste de directeur de la prise en charge.

Celui-ci soumit un premier projet aux délégués du CAM en décembre 1979. Dès le départ, le document déposé affirme que la prise en charge recherchée se situe dans un « processus global à long terme visant à atteindre un objectif final de gouvernement régional indien » et qu'elle « recoupe la plupart des objectifs d'autonomie et de développement des Indiens sur tous les aspects (éducatifs, économiques, sociaux et/ou culturels) » (ibid. : 1). Ces objectifs devaient être atteints en deux étapes : 1) d'abord par le transfert au CAM du « contrôle et de l'administration de tous les programmes et services »(ibid. : 3) ; 2) ensuite par la mise en place, par la négociation territoriale globale, d'un gouvernement autonome indien doté d'une base territoriale et de ressources propres (ibid.). Dans sa première phase, la démarche était conçue « comme un transfert latéral simple » d'un organisme à un autre de programmes et de services.

À la suite d'interventions soulignant le caractère centralisateur d'un tel projet, un nouveau document fut soumis à l'assemblée des délégués en mars 1980. Cette fois le texte mettait l'accent sur « l'établissement d'un contrôle amérindien par les 12 bandes elles-mêmes sur la planification, la distribution et l'évaluation des services et des programmes qui les concernent » (Bacon 1980 : 1). Ainsi chaque bande devait d'abord identifier les domaines d'intervention qu'elle voulait prendre elle-même en charge et ceux qu'elle était prête à confier à un organisme régional (ibid. : 3). Les domaines d'intervention identifiés étaient les suivants : 1) services communautaires (santé et services sociaux), 2) éducation ; 3) services municipaux ; 4) développement économique.

Pour le secteur des services municipaux, la question fut vite réglée : une prise en charge locale par chacune des bandes était favorisée (ibid. : 16). Le secteur de [62] l'éducation a fait, pour sa part, l'objet de prises de positions divergentes, sujet sur lequel nous reviendrons plus loin. En ce qui regarde les services communautaires, une étape préalable à la prise en charge était prévue : celle de la consultation des populations des réserves afin d'« identifier le plus clairement possible les situations sociales qui exigent qu'elles prennent en main les secteurs social et sanitaire » (ibid. : 4). Cette démarche fut effectuée sous la forme d'une vaste enquête socio-sanitaire auprès de toutes les communautés atikamekw et montagnaises, et les résultats furent rendus publics en 1982 (CAM 1982). Par la suite, les secteurs d'intervention furent identifiés et des ententes de prise en charge régionalisées furent négociées avec le ministère de la Santé nationale et du Bien-Être social du Canada et avec le ministère des Affaires sociales du Québec, mais celles-ci n'ont pas de cadre légal. Finalement, le projet de prise en charge du développement économique n'était encore qu'à l'état embryonnaire en mars 1980 (ibid. : 19). Ce n'est qu'un peu plus tard que le CAM s'engagea dans ce domaine par les démarches préparatoires à la mise sur pied de la CDEM.

Récemment, le CAM s'est départi de ses dernières fonctions d'administration de services, dans le domaine de la santé et des services sociaux, pour redevenir un organisme exclusivement politique. Cette démarche s'inscrit dans un mouvement de décentralisation des programmes et des services vers des organismes régionaux, tels Atikamekw Sipi ou Mamit Innuat, et vers les bandes. La décentralisation a donc pour effet de multiplier les entités administratives responsables de la prise en charge au niveau local. Les plus grosses bandes montagnaises, comme Mashteuiatsh, Betsiamites et Uashat-Malioténam sont ainsi devenues des complexes bureaucratiques impressionnants employant des dizaines de personnes et gérant des millions de dollars. À titre d'exemple, la bande de Mashteuiatsh (Pointe-Bleue) du Lac-Saint-Jean emploie environ 150 personnes réparties en 12 directions de services ou « missions » : 1) chasse et trappe ; 2) communications ; 3) culture ; 4) développement économique ; 5) éducation ; 6) habitation ; 7) justice, 8) loisirs ; 9) santé ; 10) services sociaux ; 11) services publics ; 12) territoire. (Conseil des Montagnais [n.d.] : 2). La « mission » générale que s'est donnée le conseil de bande est définie dans les termes suivants :

Défendre les droits et les intérêts des Montagnais du Lac-Saint-Jean afin d'atteindre et de maintenir une complète autonomie gouvernementale sur réserve et hors territoire. Offrir, sur réserve et en territoire, des services répondant aux besoins des Montagnais du Lac Saint-Jean, afin d'améliorer et de maintenir le bien-être et le développement de la population à tous les niveaux.
Conseil des Montagnais [n.d.] : 1

Le Conseil Atikamekw Sipi, créé en 1983, regroupe dans ses bureaux de La Tuque une série de services communs aux trois bandes Atikamekw qui le composent : Manouan, Weymontachie et Obedjiewan. Les programmes et services assumés totalement ou en partie sont, par ordre d'importance budgétaire, les services sociaux, le développement économique, principalement en foresterie, et l'éducation. En 1987-1988, le programme des services sociaux représentait près de 60% du budget total de l'organisme, qui était alors de 3,657,000$. Le premier budget de 1982-1983 n'était que de 250,000$, ce qui témoigne de la rapidité de l'expansion des programmes et des services, laquelle se traduit par le nombre [63] d'employés permanents, qui dépasse la trentaine. Quant à l'éducation primaire et secondaire, la prise en charge est assurée en grande partie par les bandes locales.

Fondé en 1984, le Conseil de la nation atikamekw est un organisme a vocation politique mandaté pour représenter les bandes Atikamekw auprès des organismes gouvernementaux et autres. Il est composé des trois chefs de bande, d'un président élu et du directeur général d'Atikamekw Sipi. Il a essentiellement pour fonction de mettre en oeuvre les décisions touchant les grands dossiers communs aux trois bandes, prises lors des assemblées générales des représentants de la nation.

Pour sa part, le « conseil tribal » Mamit Innuat représente les quatre communautés montagnaises de la Moyenne et Basse Côte-Nord, soit Mingan, où sont situés ses bureaux, Natashquan, La Romaine et Saint-Augustin. Sa création a fait l'objet de longues discussions entre les communautés concernées, en particulier au sujet de la localisation du centre administratif, et d'une consultation dont les résultats ont été publiés (CRMI 1986). La question de la prise en charge des programmes et services, particulièrement dans les domaines de l'éducation et des services sociaux, revient régulièrement à travers les deux tomes du rapport. En conséquence, les principales conclusions et recommandations se rapportent d'une part à « la prise de contrôle de l'éducation par les conseils de bande [...] afin de procéder à une réforme en profondeur [et de l'] adapter à la réalité indienne » (ibid., t. 1 : 223), d'autre part àla poursuite « de la prise en charge par les bandes du secteur des services sociaux » (ibid. : 239). Parmi les nombreux témoignages recueillis auprès de leaders politiques et d'employés des conseil de bande déjà engagés dans la prestation de divers services, le manque de ressources et la nécessité de les concentrer, l'importance d'établir des contacts directs avec la population, la nécessité d'acquérir de l'expérience afin de devenir autonomes, la difficulté de partager les budgets équitablement entre les communautés, apparaissent comme les préoccupations principales des intervenants. Les espoirs placés par les Montagnais de la Basse Côte-Nord dans la prise en charge se reflètent dans ces paroles d'un habitant de Mingan : « Pour moi, l'avenir passe par une implication croissante de la population dans son propre développement ; je rêve du jour où les thématiques et les choix sociaux seront faits par eux-mêmes et non par le MAIN ou des consultants blancs » (ibid., t. II : 248).

La Société de communication Atikamekw montagnaise (SOCAM) existe depuis 1980 et a comme principal mandat de produire et de diffuser des émissions de radio pour l'ensemble des 12 communautés Atikamekw et montagnaises. Pour son ancien directeur, elle constitue un « outil de transmission de nos pensées et de notre culture pour les générations qui nous succéderont » (Picard 1982 : 286). Fondé avec de faibles moyens sur la Basse Côte-Nord à la fin des années soixante-dix, le réseau s'est étendu et renforcé avec la mise sur pied d'un Centre de production en 1982, dans la perspective de servir de moyen d'information sur les négociations territoriales globales. Par ses émissions d'information et ses lignes ouvertes, la radio Atikamekw-montagnaise est depuis maintenant 10 ans un instrument de prise de conscience et d'ouverture vers l'extérieur, en particulier pour les auditeurs unilingues indianophones qui sont encore nombreux, principalement dans les régions éloignées de la Haute-Mauricie et de la Basse Côte-Nord.

 [64] Le Conseil du Bloc Centre est le dernier-né des organismes régionaux que se sont donnés les Atikamekw et les Montagnais, ayant été créé à l'automne 1991 seulement. Il regroupe les cinq communautés montagnaises du centre, soit Mashteuiatsh (Pointe-Bleue), Betsiamites, Les Escoumins, Uashat-Malioténam et Schefferville. Ses fonctions sont essentiellement administratives, soit la prestation de certains services techniques spécialisés dans le domaine des aménagements communautaires. Ses bureaux sont situés sur la réserve de Betsiamites.

Fondée en 1978, la Police amérindienne a son siège administratif à Mashteuiatsh. Elle coordonne les services policiers de 23 collectivités amérindiennes du Québec, dont les réserves Atikamekw et montagnaises à l'exception de celle de Betsiamites, qui relève de la Police autochtone du Québec. Ses activités sont sous la responsabilité immédiate d'un directeur général, mais l'organisme décisionnel est le Conseil de la Police amérindienne composé d'un représentant de chacune des bandes participant au programme (MAINC 1990 : 33-34). Son rôle est évidemment le maintien de la sécurité et de l'ordre dans les communautés qu'elle dessert. Les agents ont un statut d'agents de la paix en vertu de la loi pertinente du Québec, mais leurs pouvoirs sont limités aux réserves indiennes. « Ils sont habilités à appliquer le Code criminel, les lois fédérales et provinciales et les statuts administratifs des bandes », mais dans la réalité, « ils n'appliquent à peu près pas le Code criminel », car c'est la Sûreté du Québec qui intervient dans le cas de crimes graves (ibid. : 34). Par contre, la Police amérindienne possède un centre de formation autonome à Mashteuiatsh, dont le personnel est en grande majorité amérindien (ibid. : 34). En 1988, ses effectifs comportaient 73 policiers et son budget d'opération, entièrement financé par le MAINC, était de 3,684 400$ (ibid. : 35). Ainsi, dans la création de leur propre corps policier, les Atikamekw et les Montagnais, en collaboration avec d'autres groupes amérindiens du Québec, ont appliqué longtemps à l'avance deux grands principes reconnus récemment par le Rapport du maintien de l'ordre dans les réserves indiennes : « En premier lieu, la nécessité d'établir des structures de direction qui s'harmonisent avec les objectifs de l'autonomie gouvernementale des Indiens et en second lieu, le principe que la composition d'une force policière devrait refléter celle de la collectivité servie » (ibid. : 16-17).


La prise en charge de l'éducation

Pour la plupart des observateurs de la scène amérindienne, le mémoire de 1972 de la Fraternité des Indiens du Canada, Maîtrise indienne de l'éducation indienne, (en anglais Indian Control of Indian Education) apparaît comme l'élément déclencheur du mouvement de la prise en charge, non seulement dans le secteur de l'éducation, mais dans plusieurs autres secteurs des programmes et services offerts aux Indiens. En fait, comme nous l'avons vu, le mouvement était déjà amorcé depuis quelques années et les réactions suscitées par le mémoire à travers le Canada ont contribué à l'accélérer.

Partant de la philosophie indienne de l'éducation, fondée sur les valeurs culturelles traditionnelles et l'implication directe des parents, le mémoire réclamait « le droit de diriger l'éducation de nos enfants », ainsi que la « responsabilité [...] et [65] l'administration locale de l'éducation » (FIC 1972 : 3), ce qui devait se traduire par un transfert du gouvernement fédéral aux bandes locales des « pouvoirs et [...] subventions destinés à l'enseignement des Indiens » (ibid. : 5). Dès le printemps 1973, le ministre des Affaires indiennes déclara qu'il acceptait les principes du mémoire de la FIC et qu'il en faisait les éléments clés de la nouvelle politique fédérale en matière d'éducation des Indiens, qui est « d'appuyer ces derniers en assurant une continuation et le développement de leur culture en donnant aux jeunes indiens les connaissances, les attitudes et les aptitudes nécessaires pour devenir des membres autonomes et responsables de la société » (MAINC 1982 : 3).

Toutefois, les belles intentions du MAINC ne se traduisirent pas par des mesures administratives et des transferts de fonds jugés satisfaisants par les associations et bandes indiennes, ce qui dégénéra en disputes au sujet des mécanismes de contrôle que le ministère voulait conserver à l'encontre des attentes des groupes autochtones. Un projet de modification de la Loi sur les Indiens avorta, parce que le MAINC ne voulait pas l'amender à la pièce, et le désenchantement s'installa, comme le note Harold Cardinal dans son volume, The Rebirth of Canada's Indians :

[...] les deux problèmes clés fondamentaux [sont] le manque de fonds et l'absence d'une base législative qui aurait pu donner des dents au principe de contrôle que le ministère avait agréé. Tant que ces lacunes n'auront pas été corrigées, on peut faire notre deuil de la maîtrise indienne de l'éducation indienne.
Cardinal 1977 : 87 ; notre traduction

Ces désaccords politiques fondamentaux n'empêchèrent pas le processus de prise en charge, déjà amorcé sous le terme d'amérindianisation de l'éducation, de se poursuivre à un rythme plus accéléré. Ainsi, à chaque année, les rapports du MAINC font état du nombre de bandes ayant pris en charge leurs écoles ou leurs programmes éducatifs. À titre d'exemple, en 1982, « 450 des 573 bandes administrent la totalité ou une partie de leurs programmes » (MAINC 1982 : 13). Les données les plus récentes indiquent que les bandes administraient, en 1990-1991, 321 de leurs 366 écoles et 70% des fonds en éducation (MAINC 1990-1991 : 13 ; 1989-90 : 22). Cette situation provient en fait de la diminution constante du nombre d'écoles fédérales situées sur les réserves dont le contrôle a été transféré aux bandes. Dans plusieurs cas, les élèves amérindiens du primaire et du secondaire continuent à fréquenter des institutions provinciales.

Pour la région administrative fédérale de Québec, en 1988, 71% des bandes administraient leurs programmes d'éducation, ce qui représentait 89% des fonds de ce secteur (MAINC 1987-1988 : 65). Plus récemment, soit en 1989 et en 1990, les dernières bandes Atikamekw et montagnaises qui ne l'avaient pas encore fait, soit celles de Manouane, Obedjiwan, Mingan, Natashquan, La Romaine et Saint-Augustin, ont réalisé d'un seul coup ou complété la prise en charge de leurs services éducatifs (ibid. 1989-1990 : 51). La première bande à enclencher le processus de prise en charge en matière d'éducation avait été celle de Uashat-Malioténam en 1979, devançant ainsi le projet centralisé du CAM. Son exemple fut rapidement suivi par les bandes de Mashteuiatsh et de Betsiamites, cette dernière devenant la première à offrir le cours secondaire complet. Ces démarches locales de prise en charge ont été Interprétées par un leader montagnais de Betsiamites comme [66] un mouvement de résistance aux volontés centralisatrises et bureaucratiques du CAM, considéré comme un prolongement du MAINC : « Il semble évident que le rapatriement de la prise en charge dans les communautés montagnaises constitue un vote de non-confiance envers le MAINC [...] et envers toutes les autres organisations superstructurelles, aussi autochtones soient-elles » (Paul 1983 : 8). Ce « revirement salutaire »s'appuyait, semble-t-il, sur les « aspirations des communautés », mais comment les populations des trois communautés gèrent-elles leurs systèmes éducatifs ? À Sept-Îles, le comité éducatif Kanametat assure une gestion scolaire autonome (ibid. : 8). À Mashteuiatsh et à Uashat-Malioténam, l'éducation est sous la responsabilité des conseils de bande et est intégrée dans leur structure administrative. Il en est de même pour les autres communautés montagnaises qui possèdent toutefois des comités scolaires qui agissent comme organes consultatifs auprès des conseils de bande. Chez les Atikamekw, le récent Comité régional en éducation (CRE) est maintenant doté de pleins pouvoirs décisionnels.

La prise en charge de l'éducation au niveau primaire et secondaire a-t-elle favorisé l'amérindianisation des écoles et une amélioration de la qualité de l'enseignement ? Nous ne disposons pas d'informations suffisantes pour répondre à cette question, qui mériterait une étude approfondie en soi. Dans l'ensemble des écoles, les programmes adoptés sont ceux du ministère de l'Éducation du Québec, avec quelques modifications concernant des cours de langue et de culture amérindiennes, comme c'est le cas pour la plupart des écoles amérindiennes ailleurs au Canada. Les cas de programmes complètement différents, comme celui de la Survival School de Kahnawake, sont exceptionnels, bien que l'école secondaire de Betsiamites ait fait des efforts remarquables d'amérindianisation, plus particulièrement en ce qui concerne l'enseignement de la langue montagnaise. La proportion d'enseignants amérindiens s'est accrue considérablement, mais surtout dans les réserves les plus populeuses, alors que les réserves éloignées doivent encore recruter de nombreux enseignants non-autochtones. D'autre part, si on voulait évaluer la qualité de l'enseignement des écoles Atikamekw et montagnaises par le taux de succès des étudiants au niveau du secondaire ou lors de la première année de cours collégial, on constaterait que la prise en charge n'a pas réglé tous les problèmes relevés dans l'ancien système, notamment le désintérêt des parents et l'absentéisme et l'abandon scolaire des enfants (Pednault 1987 : 19).

Les difficultés du passage des écoles indiennes aux institutions d'enseignement postsecondaire n'existent pas d'aujourd'hui et c'est pourquoi certaines solutions à ce problème on été testées dans le passé. Une première expérience fut celle du collège Manitou qui dura de 1973 à 1978 et à laquelle le MAINC mit brutalement fin en refusant de lui accorder des fonds appropriés (Beaudoin J. 1977 : 97 ; Larose 1981). Au niveau universitaire, l'Institut éducatif et culturel atikamekw-montagnais, avec la collaboration de l'Université du Québec à Chicoutimi, créa en 1985 un programme de Formation intégrée destiné à améliorer le niveau de qualification des employés des deux nations oeuvrant déjà dans différents services et programmes des bandes, pour leur permettre de « faire face avec professionnalisme aux exigences des transferts de responsabilités du "MAIN" aux bandes » (Beaudoin P. 1991a : 44). Cette démarche s'inscrivait explicitement dans le « projet d'amérindianisation » développé par l'ECAM avec des « objectifs d'autonomie et de prise en charge » de leurs institutions par les communautés et les organismes autochtones [67] (ibid. : 34). Durant ses six années d'existence, le service de Formation intégrée a mis sur pied onze programmes de cours suivis par 250 étudiants amérindiens, dont 161 ont obtenu un diplôme universitaire, le plus souvent un certificat. (ibid. : 39 et 44). L'UQAC interrompit l'expérience à la fin de 1990 en invoquant ses règlements lui interdisant de déléguer à un organisme extérieur l'administration de programmes d'enseignement et rapatria les programmes et les étudiants amérindiens à l'intérieur d'un nouveau module d'Études amérindiennes. L'IECAM envisagea pour sa part de redéployer ses activités du côté des études collégiales avec un projet de collège privé, mais une étude de faisabilité montra que ni la clientèle ni la volonté politique n'étaient suffisantes pour justifier un tel projet (Beaudoin P. 1991b : 24, 26). Ainsi, après deux tentatives qui sont restées sans suite, les Amérindiens du Québec se retrouvent aujourd'hui sans contrôle d'institutions d'enseignement postsecondaire, puisqu'il n'existe pas non plus d'institution amérindienne anglophone assurant une telle fonction.


La prise en charge
du développement économique

Comme l'éducation, le développement économique représente un secteur vital de la reprise en main de leur destinée par les Amérindiens. Cependant, il fut longtemps négligé par le ministère des Affaires indiennes qui utilisait surtout ses fonds pour les missions sociales et éducatives et pour le logement. Ainsi, encore en 1986-1987, le programme des Affaires indiennes et inuit consacrait seulement 4% de son budget au développement économique, contre 25% pour l'enseignement primaire et secondaire, 16,3% pour l'assistance sociale et 27,9% pour les services communautaires et les immobilisations (Frideres 1988 : 46). Un programme de promotion économique existait pourtant au MAINC dès 1970 et avait pour objectif la création d'emplois et de revenus pour les Indiens (MAINC 1977-1978 : 26). Probablement à la suite du rapport Beaver, la rubrique « Développement économique » commence à apparaître dans les rapports annuels du MAINC en 1981 et on pouvait y lire que « le sous-développement économique des Indiens est l'un des facteurs qui font que ceux-ci dépendent largement de l'aide du gouvernement, et il est à l'origine de problèmes sociaux fort répandus » (MAINC 1980-1981 : 21).

Deux ans plus tard, cette fois dans la foulée du rapport Penner, le thème de l'« Expansion économique » donnait lieu à la réflexion suivante : « Tous les chefs indiens sont d'accord pour reconnaître que l'expansion économique va de pair avec l'autonomie politique » (MAINC 1983-1984 : 15). Malgré ces bonnes pensées, le MAINC n'investissait guère plus dans le développement économique, par manque de fonds, semble-t-il. Finalement, le grand déblocage est survenu en 1989 avec l'annonce par le gouvernement fédéral de la Stratégie canadienne de développement économique des autochtones (SCDEA), regroupant trois ministères : Affaires indiennes ; Industrie, Sciences et Technologie ; Emploi et Immigration. Les deux premiers se sont engagés à verser 873,7 millions de dollars répartis sur cinq ans, soit 474,7 millions pour le premier et 399 millions pour le second. L'objectif du nouveau programme est d'« aider les Autochtones à atteindre l'autosuffisance sur le plan économique » (MAINC 1989-1991 : 10). Les moyens d'atteindre cet objectif consistent en une série de programmes « souples, cohérents et décentralisés »répondant au désir des autochtones « d'assurer la responsabilité du processus [68] de décision et de mise en oeuvre... » (CANADA 1991 : 2). Au total, huit programmes ou « éléments » composent la SCDEA : 1) développement des entreprises autochtones (PDEA) : ISTC ; 2) entreprises en participation : ISTC ; 3) sociétés de financement autochtones : ISTC ; 4) développement des collectivités : MAINC ; 5) mise en valeur des ressources : MAINC ; 6) acquisition des compétences : EIC ; 7) emplois en milieu urbain : EIC ; 8) recherche et défense des intérêts des autochtones : les 3 ministères (MIST 1991 : 12).

En fait, le PDEA existait depuis 1984, mais il a été redéfini en fonction de la nouvelle Stratégie de développement. Une de ses composantes est le programme des Sociétés de financement autochtones (SFA) qui a favorisé la création, en 1988, de la Corporation de développement économique montagnaise (CDEM). Les buts de celle-ci sont d'« activer le développement économique montagnais, ainsi que de faciliter et promouvoir le développement d'entreprises commerciales et industrielles montagnaises » (CDEM 1991 : 11). La CDEM fournit des services d'analyse financière et de conseils en matière de développement économique, mais son activité principale consiste à prêter de l'argent à des entreprises montagnaises. En 1989-1990, elle a reçu 57 demandes de prêts et en a approuvé 39 pour un montant d'un peu plus de deux millions de dollars (ibid. : 10). Soixante et onze pour cent des prêts ont été accordés à des habitants des trois plus importantes communautés montagnaises : Mashteuiatsh : 41% ; Betsiamites : 15% ; Uashat-Malioténam : 13% (ibid. : 12). Ils étaient répartis entre les secteurs d'activité suivants : transport et communications 31% ; foresterie : 27% ; services : 23% ; commerce de détail : 10% ; construction 5% ; tourisme : 4% (ibid. : 13). La CDEM administre aussi un programme pilote d'artisanat qui a pour objectif « la prise en charge par les artisans de l'artisanat montagnais par la création de comités locaux et par l'établissement d'une structure locale permanente, efficace et représentative » (ibid. : 8).

Le Régime des bénéfices autochtones (RBA), créé en 1980, est un autre outil économique que se sont donnés les Atikamekw et les Montagnais, mais qui est aussi accessible à des organismes d'autres nations autochtones. Selon le président actuel de la corporation, c'est « l'avènement des prises en charge dans nos communautés » qui est à l'origine de la mise sur pied d'« un régime pour administrer l'ensemble des fonds des employés autochtones et allochtones des organisations »(RBA 1990 : 2). Le président fondateur opine dans le même sens et décrit le régime comme « un élément majeur de la prise en charge » (ibid. : 9). Le rapport annuel du RBA pour l'année financière 1990 fournit une liste de 15 employeurs participants, dont 11 conseils de bande, et établit à 585 le nombre d'employés participants, soit 44,6% de Montagnais, 18,3% d'Atikamekw, 19,7% de non-autochtones et 17,4% d'Algonquins, de Hurons et de Micmacs (ibid. : 15). Au 31 décembre 1990, le fonds en capital s'élevait à plus de 2,6 millions de dollars et les intérêts des placements accumulés à1,8 million (ibid. : 13).

Les conseils de bande sont aussi engagés dans le développement économique local. Chaque administration de bande emploie au moins un agent de développement qui agit surtout comme intermédiaire entre les membres de la bande et les différents programmes et agences de financement du développement, dont le CDEM et le MAINC, de même qu'avec des firmes de consultants non autochtones dans le cadre des Comités d'adaptation de la main-d'œuvre (CAMO). Dans la [69] plupart des réserves Atikamekw et montagnaises, les conseils de bande ne sont pas seulement les principaux employeurs, mais ils sont aussi devenus de véritables PME responsables de plusieurs projets de développement. Les bandes sont maintenant propriétaires de centres commerciaux, d'épiceries, de terrains de camping, de pourvoiries, de centres sportifs et de loisirs, de musées, etc. Toutefois, le secteur économique qu'elles ont le plus développé depuis quelques années est celui de la foresterie dans lequel 6 des 12 bandes sont activement engagées : les 3 bandes Atikamekw par l'entremise d'Atikamekw Sipi et les bandes montagnaises de Mashteuiatsh, Betsiamites et de Uashat-Malioténam.

Elles ont d'abord bénéficié de contributions du Programme d'aménagement forestier des terres indiennes (PAFTI) mis sur pied par le ministère fédéral des Forêts, pour des travaux de sylviculture d'abord sur réserve, puis hors réserve. Elles ont aussi obtenu d'Hydro-Québec des contrats de déboisement de l'emprise de la 1 le ligne de transport à 735 KV. En 1988-1989, le budget affecté à la foresterie s'élevait à 441,000$, ce qui permettait de fournir du travail saisonnier à 50 ou 60 Atikamekw des trois réserves et à quelques ingénieurs et techniciens non autochtones. Désirant aller encore plus loin dans cette voie, le Service forestier d'Atikamekw Sipi présentait à l'assemblée générale annuelle de février 1990 un plan stratégique de « prise en charge par la nation Atikamekw du développement forestier dans le Haut et le Bas-Saint-Maurice (terres autochtones) » dont l'objectif est « le développement d'économies locales et régionales stables et durables, axées sur le secteur forestier, tout en tenant compte des activités traditionnelles et de la pérennité des ressources forestières et fauniques » (Atikamekw Sipi, fév. 1990, Annexe 1 : 1).

Grâce au programme de foresterie autochtone PAFTI, la bande de Betsiamites est aussi engagée dans des projets de sylviculture sur les terres de la réserve, la plus grande du Québec. Elle a aussi réalisé des contrats de coupe de bois pour la papetière Québec et Ontario, ainsi que de déboisement et d'entretien d'emprises de lignes électriques pour le compte d'Hydro-Québec. Quant à la bande de Uashat, son projet de développement forestier, qui comprenait de la sylviculture et du déboisement, s'est terminé en 1991.

Depuis quelques années, le langage du développement économique est entendu partout chez les Atikamekw et les Montagnais, à tous les niveaux et dans toutes les bandes. Il semble être devenu le mot magique devant ouvrir aux Amérindiens les portes d'un avenir plus prometteur pour les individus, leurs familles et leurs communautés. Les Indiens sont « sur le sentier des affaires » proclamait il n'y a pas longtemps un magazine québécois (Robert 1988). Il est indéniable que beaucoup de progrès ont été enregistrés sur le plan économique depuis une dizaine d'années, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, car les revenus personnels des Atikamekw et des Montagnais, si on ne regarde que cet indicateur, sont encore bien inférieurs à la moyenne québécoise, sans compter qu'une partie importante provient de paiements de transfert (CAM 1982 ; Brassard 1986, 1987). D'autre part, les ressources humaines nécessaires au développement ne sont pas suffisamment formées, alors que les ressources naturelles des réserves sont limitées à la forêt et au saumon dans les meilleurs des cas. Finalement, les capitaux locaux sont quasi inexistants et seuls des programmes extérieurs permettent la [70] réalisation de projets communautaires ou individuels, généralement d'assez faible envergure sauf en ce qui concerne la foresterie.

En fait, les bandes et le CAM comptent beaucoup sur la conclusion d'une entente territoriale satisfaisante pour fournir une base en ressources et en capitaux provenant des compensations pour assurer un développement accéléré. Pour le moment, les trois bandes Atikamekw et la bande de Mashteuiatsh ont bénéficié de compensations monétaires d'Hydro-Québec totalisant environ 9 millions pour le passage de la 11e ligne. En raison de négociations d'un règlement global qui n'en finissent pas, la tentation est grande pour d'autres bandes de négocier à la pièce des compensations pour plusieurs projets envisagés par Hydro-Québec un peu partout sur le territoire atikamekw-montagnais : Sainte-Marguerite, Ashuapmushuan, Rapide-des-Coeurs, lac Robertson, rivière Romaine, etc. Les besoins des communautés sont grands et l'argent du gouvernement fédéral ne suffit pas à les combler, malgré quelques efforts récents mais nettement insuffisants pour assurer le démarrage et la croissance économique de communautés privées depuis trop longtemps d'infrastructures et de formation adéquates.


Quel pouvoir ?

Le mouvement de prise en charge qui vient d'être décrit, en s'appuyant sur le cas particulier des Atikamekw et des Montagnais, a donné aux bandes et autres organisations amérindiennes une plus grande autonomie dans l'administration de leurs affaires, programmes et services de toutes sortes, mais il ne leur a pas donné un véritable pouvoir. Leur pouvoir d'administrer et de gérer est un pouvoir délégué, subordonné ou dépendant de celui du ministère des Affaires indiennes et, ultimement, du gouvernement fédéral, qui demeure légalement et constitutionnellement responsable des autochtones. Les grandes décisions concernant les politiques, les programmes et les budgets sont encore prises en haut de la pyramide et acheminées vers le bas, les régions administratives du MAINC, les organisations amérindiennes, les conseils de bande. Le ministre des Affaires indiennes demeure toujours en dernière instance responsable de ses « pupilles » et responsable devant le Parlement de la qualité des services fournis et de l'utilisation des fonds. Même si elles jouissent d'une marge de manœuvre beaucoup plus grande qu'auparavant, les administrations locales doivent toujours respecter des cadres qui leur sont imposés, subir des contrôles externes, justifier leurs actions devant le ministre ou ses représentants. En fait, les deux éléments fondamentaux qui leur manquent sont un cadre législatif approprié et des ressources financières propres.

Bien qu'ils apprécient cette plus grande autonomie administrative, les leaders politiques et administratifs atikamekw et montagnais n'en continuent pas moins de mettre le doigt sur un certain nombre de questions que la prise en charge n'a pas réglées : les contraintes administratives du MAINC et le droit de regard de ses fonctionnaires dans les affaires des bandes et des organisations ; le manque de fonds adéquats pour assurer tous les programmes et services avec une qualité comparable à ceux fournis aux citoyens non autochtones, en particulier pour les bandes devant faire face à un accroissement important de leurs membres en raison de la loi C-31 ; une base territoriale et de ressources inadéquate ; l'absence d'un véritable pouvoir [71] décisionnel. Pour certains, l'un des effets de la prise en charge a été de détourner vers les administrations locales indiennes les frustrations et les contestations autrefois dirigées vers les bureaucrates du MAINC.

La prise en charge a favorisé aussi une décentralisation administrative, un temps en faveur d'organismes provinciaux et d'organisations amérindiennes centralisées, mais réorientée de plus en plus vers des entités administratives plus petites. En dehors du désir bien légitime d'avoir des services mieux adaptés et plus accessibles encore, l'attrait des budgets, des millions à administrer et des emplois à distribuer localement n'est pas non plus étranger à cette tendance décentralisatrice s'appuyant sur le même discours des « besoins et des volontés des populations »que celui des leaders plus centralisateurs. Les establishments et les bureaucrates locaux ont-ils plus de vertu que les autres ? Pas toujours, mais ils ont au moins le mérite d'être plus visibles, et plus accessibles, et aussi plus facilement révocables. Il y a par ailleurs des limites à la décentralisation : celle des coûts et celle de la qualité des programmes et des services. Les analyses du vérificateur général ont montré que les coûts des mêmes programmes et services avaient considérablement augmenté à la suite de la prise en charge (« une augmentation totale réelle de 44 pour cent ») et que le MAINC n'avait pas prévu cette situation et n'en avait pas tenu compte dans ses prévisions budgétaires (Vérificateur général 1980 : 201). La multiplication des postes administratifs dans les bandes et autres organismes amérindiens représente par contre l'autre côté de la médaille, ce qui s'est traduit par une amélioration des conditions économiques de certaines catégories de personnes, généralement plus instruites que la moyenne, et contribué au renforcement de clivages sociaux. En ce qui concerne la qualité des services, il n'est pas vraiment possible d'en juger, faute de mécanismes d'évaluation, tant du point de vue du bailleur de fonds que de celui des clientèles concernées. C'est le cas en particulier dans le domaine de l'éducation.

D'après ce que nous en savons, la participation des membres des bandes aux affaires communautaires varie beaucoup d'une bande à l'autre. Elle est généralement beaucoup plus forte dans les plus petites que dans les plus grosses. Dans certains cas, comme à La Romaine, toutes les affaires de quelque importance sont débattues en assemblée publique rassemblant une grande partie des membres adultes, hommes et femmes, de la communauté. Dans d'autres cas, comme à Betsiamites, de telles assemblées sont très rares et attirent peu de monde, sauf exception.

Les transferts de fonds du gouvernement fédéral aux organismes amérindiens demeurent inadéquats, certes, mais jusqu'à quel point pourra-t-on les augmenter alors que la plupart des Canadiens sont convaincus que ce sont leurs impôts qui font vivre les autochtones qui, eux, n'en paient pas ? Le développement économique est certes une bonne solution pour générer davantage de revenus autonomes dans les communautés. Le contrôle de territoires et de ressources en est une autre en continuité avec la précédente. C'est ce que recherchent d'ailleurs les nations Atikamekw et montagnaise au moyen de leur négociation territoriale globale. Le pouvoir économique est une des principales formes de pouvoir comme l'indique Boulding, et l'argent, le principal étalon du pouvoir matériel. Les groupes amérindiens ont aussi besoin de cette base matérielle pour asseoir leur pouvoir. Un [72] système éducatif approprié articulant à la fois les connaissances traditionnelles et modernes doit aussi contribuer à leur pouvoir créatif ou intégrateur, selon la terminologie de Boulding.

Les Indiens ont de plus besoin d'une base légale qui aurait pu leur venir d'une modification de la Loi sur les Indiens dans certaines de ses parties concernant soit l'éducation, soit les pouvoirs et responsabilités des conseils de bande ou des « conseils de tribus » ou conseils régionaux. Il semble maintenant trop tard pour procéder à ces changements. C'est donc sur le plan constitutionnel que les leaders autochtones du Canada portent maintenant toute leur attention et leurs efforts semblent avoir porté fruit avec l'inclusion du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale pour les Premières Nations dans l'entente de Charlottetown. Le flou et la diversité des conceptions de l'autonomie politique chez les leaders autochtones font peur à plusieurs leaders politiques et citoyens du reste du Canada, mais il s'agit d'un outil essentiel dont les Amérindiens doivent disposer, avec le développement économique et la formation professionnelle, pour acquérir les pouvoirs nécessaires à une véritable prise en charge de leurs propres affaires.


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RÉSUMÉ/ABSTRACT

La prise en charge donne-t-elle du pouvoir ?
L'exemple des Atikamekw et des Montagnais

Après avoir défini la notion de pouvoir, cet article traite d'abord du processus de délégation de pouvoirs administratifs aux communautés amérindiennes par le ministère des Affaires indiennes du Canada. Dans une deuxième partie, la prise en charge est illustrée par le cas des nations Atikamekw et montagnaise (ou innu) qui s'y sont engagées dans le milieu des années soixante-dix par la création de différentes associations et corporations. Les domaines de l'éducation et du développement économique servent d'exemples pour clarifier les acquis et les difficultés rencontrées. En fait, il existe une contradiction fondamentale dans la politique du gouvernement canadien à l'égard des Amérindiens : le ministère des Affaires indiennes demeure responsable devant le Parlement de la gestion des programmes et de l'utilisation des fonds destinés aux Indiens, alors que la délégation de pouvoirs administratifs est considérée par ces derniers comme une forme d'autonomie visant à réduire, sinon à abolir, la tutelle fédérale. Dans le contexte d'échec du projet d'accord constitutionnel qui aurait reconnu le droit inhérent des autochtones à l'autonomie gouvernementale, l'étape de la prise en charge ne laisse aux organisations amérindiennes qu'un simple pouvoir de gestion.

Does the Take Over Give Power ?
The Case Study of the Atikamekw and the Montagnais


Following a definition of the concept of power, this paper first discusses the process of the devolution of administrative powers to Indian communities by the Department of Indian Affairs. In a second part, this process is exemplified by the case of the Atikamekw and Montagnais (or Innu) Nations which followed this path in the middle of the 70's creating various associations and corporations. The sectors of education and economic development are also used to demonstrate the success and the difficulties of their enterprise. In fact, there exists a basic contradiction in the Canadian policy regarding Indian peoples : the Department of Indian Affairs is responsible before the Canadian Parliament for the programs and the funds regarding the Indians, whereas the devolution of administrative powers is considered by them as a recognition of their autonomy leading to the reduction, if not the abolition, of the federal tutelage. In the context of an inconsistent policy and the recent [76] failure of the Constitutional Agreement Project confirming the inherent right of the Aboriginal people to self-government, the take over stage does not give a real decisional power but only a managerial one to the Indian organisations.

Paul Charest

Département d'anthropologie

Université Laval

Québec Canada

G1K 7P4



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 15 octobre 2010 19:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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