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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Paul Charest, “Russel Bouchard: Le dernier des Montagnais de la préhistoire au début du XVIIIe siècle. Vie et mort de la nation Ilnu.” Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 19, no 3, 1995, pp. 245-247, comptes rendus. Québec: département d’anthropologie, Université Laval.

[245]

Paul CHAREST

Anthropologue, professeur émérite,
département d’anthropologie, Université Laval

Russel Bouchard :
Le dernier des Montagnais
de la préhistoire au début du XVIIIe siècle.
Vie et mort de la nation Ilnu
.”

Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 19, no 3, 1995, pp. 245-247, comptes rendus. Québec : département d’anthropologie, Université Laval.


Même s'il donne l'impression de déjà vu. le titre de cet ouvrage a probablement été choisi dans le but d'attirer l'attention et de provoquer le lecteur. L'auteur y parvient fort bien en développant une thèse raciste : comme les Montagnais formaient une race, ils ont disparu à la suite de leur effondrement démographique et de leur métissage avec d'autres nations autochtones et avec des Blancs. À lire le dernier paragraphe de sa conclusion on se croirait de retour à la thèse du destin manifeste, à savoir qu'« un continent nouveau, jusque-là maintenu dans l'état le plus primitif qu'il soit, quittait la nuit des temps pour faire son entrée dans la grande Histoire [...] en empruntant le sillon tout tracé de la marche de l'Humanité » (p. 201).

[246]

Il faut d'abord se demander de quels Montagnais il s'agit. Le lecteur doit attendre jusqu'aux pages 93-94 pour apprendre que le terme a d'abord été appliqué par Champlain aux Autochtones rencontrés à Tadoussac et qu'ils font partie de la « grande famille algique et évoluent sur un vaste territoire situé entre la Côte-Nord du Saint-Laurent et l'embouchure de la rivière Saint-Maurice ». Le terme aurait englobé treize « nations » différentes, « petites » et « grandes » : Oumamioueks, Papinachois, Betsiamites, Tadoussaciens, Attikamègues (un peuple cousin !), Kakouchaks, Chikoutimiens, Piékouagamiens, Outakouamioueks ou Takouamis, Oukouingouechioueks, Mistasinoueks, Naskapis. En fait, selon les sources écrites disponibles, l'auteur a surtout basé ses analyses et sa conclusion sur les Montagnais du Royaume du Saguenay faisant partie de la « chasse gardée », puis des postes du roi. Les Montagnais de la Côte-Nord sont très peu mentionnés et, à elle seule, cette lacune remet en cause la thèse de la disparition de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui la nation montagnaise. D'autre part, l'auteur se contredit dans sa démonstration en répétant à plusieurs reprises que la diminution de population dans l'ancien territoire montagnais est aussi attribuable à des déplacements vers l'intérieur des terres et même vers la baie James. Par ailleurs, le fait du métissage ethnique des Montagnais du Lac-Saint-Jean est un phénomène connu depuis longtemps, mais cela ne saurait nullement remettre en question la continuité historique de l'ensemble montagnais comme pour la plupart des nations non autochtones actuelles qui ont subi toutes sortes de mélanges de populations à travers leur histoire. Finalement, la confusion des termes utilisés pour désigner les Montagnais (race, ethnie, tribu, nation) fait qu'il est bien difficile de suivre l'auteur dans sa démonstration, ne sachant pas toujours à qui elle s'applique.

Cette confusion conceptuelle et parfois littéraire se retrouve d'ailleurs tout au long de l'ouvrage. À titre d'exemple, à la page 26 la formulation laisse croire à un lecteur non averti que les Delaware, les Pieds-Noirs et les Ojibwas font partie de l'ensemble des « populations primitives du Québec ». L'auteur affectionne particulièrement le terme « groupuscule » pour désigner une unité de base montagnaise qui pourrait être la bande (p. 121), mais qui devrait être en fait le groupe multifamilial. La notion de famille est tout aussi ambiguë, oscillant entre la famille élargie, le groupe multifamilial et la famille nucléaire et un nombre de personnes variant entre 3 et 45 (p. 198-200). Il en est de même pour le terme « transhumance » (p. 95) qui ne correspond pas à la réalité migratoire des nomades des régions subarctiques. Soulignons encore des passages incompréhensibles sur l'économie naturelle, la loi naturelle, les « paramètres universels qui lient psychologiquement et anthropologiquement toutes les sociétés entre elles » (p. 30), la nécessité psychologique ou communicationnelle de l'échange pour des groupes qui auraient été isolés les uns des autres, l'application de la périodisation préhistorique du Sylvicole aux peuples chasseurs du subarctique, l'abus du terme sorcier au lieu de celui de chamane, la référence aux primitifs, l'inversion dans la localisation de la Haute-Côte-Nord et de la Basse-Côte-Nord (p. 20-21), etc.

En résumé, l'auteur fait preuve d'une vision assez peu cohérente de l'organisation sociale, de l'économie et de la religion des peuples chasseurs aux époques préhistoriques et historiques. On peut lui reprocher de plus l'absence d'esprit critique à l'égard des sources utilisées : missionnaires, commerçants et administrateurs dont les informations n'étaient pas toutes également dignes de foi en raison de leurs intérêts respectifs et qui étaient très peu présents sur l'ensemble du territoire pendant la période historique traitée.

En fait, les parties du volume les plus substantielles sont celles ayant trait au commerce à différentes périodes et aux actions évangélisatrices et salvatrices des missionnaires récollets et jésuites. Sur ces sujets l'auteur possède des bases solides avec plusieurs textes déjà publiés. Ainsi, les parties sur les réseaux d'échanges entre nations autochtones avant la période de contact et sur leurs grands axes de déplacement, sur le début de la traite des fourrures, sur la chasse gardée de Tadoussac et son abolition, sur le réseau des postes du roi [247] et la nature des échanges à la fin du XVIIe siècle sont d'un bien plus grand intérêt que l'information approximative et incomplète dans le temps et dans l'espace sur la supposée disparition des Montagnais.

À la fin de la lecture du volume de Russel Bouchard, on peut donc se demander quel est l'intérêt de l'auteur à insister sur cette question problématique et à en faire un titre provocateur. Est-ce pour mettre fin à un certain discours nationaliste montagnais qui serait fondé sur la notion de race pure, comme il le laisse entendre à la toute fin du texte ? Est-ce pour saboter les revendications territoriales des Montagnais actuellement en cours ? Ou est-ce que l'auteur tient obstinément à être connu pour ses positions controversées, à défaut d'être reconnu par ses pairs ?

Paul Charest
Département d'anthropologie
Université Laval



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 2 octobre 2014 13:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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