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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Paul Charest, “La composition des groupes de chasse chez les Mamit Innuat”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay. Chapitre 25, pp. 367-396. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp.

Paul CHAREST et Denis Brassard

Respectivement anthropologue, professeur émérite,
département d’anthropologie, Université Laval, d’une part
et Conseil attikamek-montagnais, d’autre part

La militarisation
des territoires montagnais

 
(suite).”

Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol., 10, no 3, 1986, pp. 218-228, comptes rendus. Québec : département d’anthropologie, Université Laval.

Dans un dossier précédent (Anthropologie et Sociétés, 10, 1, 1986 : 255-260), Paul Charest a décrit les projets de militarisation des territoires montagnais déjà en cours (vols à basse altitude) ou envisagés pour le futur (base d'entraînement tactique de l'OTAN à Goose Bay, au Labrador). Dans ce second dossier, nous voulons informer le lecteur des nouveaux développements survenus dans cette affaire depuis quelques mois, tels que la formation d'une Commission d'évaluation environnementale fédérale et la tenue d'audiences publiques dans différentes communautés autochtones et non autochtones du Québec et du Labrador. Nous soulèverons par la suite quelques questions de nature anthropologique en rapport avec ces projets.

La procédure d'évaluation environnementale
du gouvernement fédéral


L'analyse des impacts environnementaux et sociaux des projets de développement des différents ministères fédéraux est soumise à la Loi de 1979 sur l'organisation du gouvernement. Dans le cadre de cette loi, le processus d'évaluation environnementale est régi par le « Décret sur les lignes directrices visant la mise en œuvre du processus fédéral d'évaluation en matière d'environnement » promulgué le 11 janvier 1984. À l'article 3 (« Portée »), le décret définit le processus de la façon suivante :

Le processus est une méthode d'auto-évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision (p. 2 ; le passage souligné l'a été par nous).

Un peu plus loin dans le même décret on peut lire que :

10(1) Le ministère responsable s'assure que chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce un pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement.

10(2) Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à l'évaluation initiale visée au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme (p. 3 ; le passage souligné l'a été par nous).

À l'article 33.(1) on peut encore lire ceci :

Lors d'un examen public, il incombe au ministère responsable : a) de s'assurer que le promoteur s'acquitte de ses responsabilités (p. 7 ; le passage souligné l'a été par nous).

Lorsque le ministère responsable décide d'entreprendre le processus d'évaluation environnementale, c'est le Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales (BFEEE) qui est chargé de veiller à ce que les démarches se fassent selon les règles. Les principales responsabilités de ce Bureau concernent la préparation des directives pour l'évaluation, ainsi que l'information et la consultation du public (article 18 du décret, p. 5).

Cette procédure d'auto-évaluation, d'auto-décision et d'auto-contrôle est assez différente de celle en vigueur au Québec où la Loi sur la qualité de l'environnement, par son règlement général relatif à l'évaluation et à l'examen des impacts environnementaux (Québec 1980), définit de façon très [219] claire les types de projets qui doivent être nécessairement soumis à l'évaluation environnementale et qui confie au ministère de l'Environnement et au Bureau des audiences publiques sur l'environnement (BAPE) des rôles importants dans l'examen des projets du point de vue de leurs incidences environnementales et sociales.

Comme dans le cas qui nous intéresse ici le promoteur et le ministère responsable ne sont qu'une seule et même entité, soit le ministère de la Défense nationale, il ne faut pas se surprendre que ce soit seulement après de nombreuses pressions de la part des groupes autochtones en particulier que ce Ministère a décidé de mettre en marche le processus d'évaluation environnementale. Tel que mentionné dans le précédent article, la Défense nationale a réalisé en 1981 une étude d'évaluation environnementale initiale (EEI) à partir de ses bureaux chefs qui concluait que les vols à basse altitude pratiqués depuis 1979 n'avaient pas d'effet sur l'environnement, sauf possiblement sur le caribou (Landry 1981).

Dans les deux cas, celui de l'évaluation initiale et de l'énoncé des incidences environnementales, le ministère de la Défense nationale n'a pas respecté la procédure fédérale qui veut, comme l'indique l'article 3, que les évaluations soient faites « le plus tôt possible au cours de l'étape de planification avant de prendre des décisions irrévocables ». Or, depuis au moins 1979 au Labrador et depuis au moins 1983 sur la Basse-Côte-Nord du golfe Saint-Laurent, le nombre des vols est allé sans cesse en s'accroissant. De nouvelles ententes bilatérales ont même été signées avec la Hollande et l'Allemagne fédérale, pour une période de 10 ans dans le cas de ce dernier pays.

Quoi qu'il en soit, comme le prévoit la procédure fédérale, au mois de mai dernier le ministre de l'environnement du Canada mettait sur pied une commission d'évaluation environnementale sous la responsabilité du BFEEE. Cette Commission est composée de six personnes, toutes anglophones à l'exception d'un Montagnais de Sept-Îles, M. William Jourdain. Le mandat confié à la Commission exclut toutefois la possibilité d'envisager l'arrêt des vols à basse altitude pratiqués depuis 1979, ne lui laissant que la possibilité de préparer des recommandations pour en diminuer les impacts négatifs.

La première tâche de cette Commission consistait à élaborer des directives pour que le ministère de la Défense puisse procéder à la préparation de l'énoncé des incidences environnementales. À cette fin, elle a entrepris une vaste tournée de consultation auprès des communautés situées dans les régions du Québec et du Labrador actuellement ou potentiellement affectées par les projets de la Défense. Ainsi, du 3 septembre au 31 octobre 1986, les 15 communautés suivantes ont été visitées : au Québec : La Romaine, Schefferville, Kuujjuak, Kangiqsualujjuaq ; au Labrador : Wabush, Happy Valley-Goose Bay, Cartwright, Mary's Harbour, Sheshashit, Northwest River, Nain, Davis Inlet, Makkovik, Rigolet, Forteau. De plus, les villes de Montréal et de St. John's (T.N.) ont été ajoutées à l'itinéraire suite à des demandes de mouvements écologistes et pacifistes.

Nous avons participé à quatre de ces séances d'audience publique dans le cadre de notre travail de chercheurs avec le Conseil attikamek montagnais. C'est du déroulement de ces audiences qu'il sera question dans la partie suivante.

Les audiences publiques de La Romaine,
Wabush, Schefferville et Montréal


Ces quatre séances se sont tenues respectivement les 3 et 4 septembre à La Romaine, le 29 septembre à Wabush, le 30 septembre à Schefferville, et le 20 octobre à Montréal. Lors des séances de La Romaine et de Schefferville les Montagnais ont été les principaux intervenants. À Wabush et à Montréal, les interventions sont venues de différents organismes (écologistes, pacifistes, syndicaux, religieux, civiques) et de différentes personnes, y compris le maire de Happy Valley.

L'audience de La Romaine a été avancée au début du mois de septembre pour permettre au plus grand nombre de chasseurs d'y participer, car à partir des deuxième et troisième semaines de ce mois, bon nombre de familles partent vers l'intérieur des terres pour la chasse d'automne, qui dure environ trois mois. Les membres de la Commission ont bénéficié de l'hospitalité montagnaise la veille de la [220] réunion publique à l'occasion d'un mukusham - repas communautaire avec mets à base de caribou, de castor et de saumon, suivi d'une danse. Le lendemain, dans la salle du gymnase de l'école pleine à craquer, plusieurs témoins montagnais ont défilé devant la Commission selon un scénario bien préparé : présentation de la communauté, de son histoire, de son mode de vie ; visionnement de diapositives ; témoignages de chasseurs sur les effets négatifs des vols tels que vécus par les membres des familles : bruit excessif, peur chez les enfants, retour hâtif dans la communauté, rendement de la chasse diminué, etc. Un pourvoyeur montagnais de Natashquan a aussi témoigné des torts causés à son entreprise par les exercices militaires. Pour sa part, le curé résident, le Père Alexis Joveneau, a souligné l'état de psychose collective régnant dans la communauté en raison des vols. Un représentant des Innu-Montagnais de Sheshashit a aussi apporté un long témoignage sur la position des résidents de cette communauté, qui s'opposent depuis de nombreuses années aux manœuvres des militaires à partir de la base de Goose Bay située à une vingtaine de milles seulement de leur village.

Le Conseil attikamek-montagnais (CAM) a aussi profité de cette séance pour déposer le volumineux rapport d'une évaluation environnementale initiale préparée par un biologiste consultant (Marcoux 1986). Dans des interventions de nature plus politique, M. Edmond Malec, vice-président du CAM pour la Basse-Côte-Nord, et le directeur des négociations, M. Bernard Cleary, ont demandé à la Commission d'organiser une démonstration des vols à basse altitude en présence des média et d'observateurs extérieurs et d'entreprendre des démarches pour obtenir du gouvernement fédéral et du ministère de la Défense un moratoire sur la poursuite des exercices tant et aussi longtemps que leurs effets ne seront pas connus par des études appropriées. Les autres thèmes abordés lors de l'intervention du négociateur en chef furent les droits territoriaux non cédés et les négociations en cours avec les gouvernements fédéral et provincial, les effets socio-économiques négatifs, le respect de l'intégrité sociale et culturelle des communautés autochtones, les conséquences sur la vie familiale et sur la santé. Le secrétaire exécutif du CAM a aussi fait état des graves problèmes de santé subis par certains résidents de l'Allemagne fédérale soumis régulièrement au bruit des avions militaires des forces de l'OTAN.

Finalement, des représentants des centrales syndicales C.E.Q., F.T.Q., et C.S.N., de la Ligue des droits et libertés et de la Conférence des évêques du Québec ont soutenu par leurs propos les Montagnais dans leur opposition à la militarisation de leurs territoires.

Les Montagnais n'ont pas fait d'intervention publique lors de l'audience de Wabush au Labrador. Cependant, l'Association des Inuit du Labrador y est intervenue par la voie d'un conseiller juridique pour soulever un possible conflit d'intérêt de la part d'un des commissaires agissant depuis de nombreuses années comme consultant auprès de la bande naskapie de Kawawachikamach (près de Schefferville). Les représentants d'un seul autre organisme, le Groupe des citoyens concernés (Group of Concerned Citizens) ont pris la parole pour manifester leur opposition à l'établissement d'une base de l'OTAN à Goose Bay. Les projets de militarisation des territoires du Québec-Labrador ne semblent pas toutefois préoccuper beaucoup les résidents des villes minières jumelles de Wabush-Labrador City, car au total seulement une vingtaine de personnes ont assisté à la réunion publique qui n'a duré que deux heures et demie.

La réunion du lendemain à Schefferville a été plus populaire, attirant environ 75 personnes, des autochtones pour la plus grande majorité, et pendant plus de sept heures. La majeure partie de ce temps a été occupée par des interventions des Montagnais de Matimekush et du Conseil attikamek-montagnais. Lors de la présentation de sa communauté et des préoccupations des chasseurs face aux vols à basse altitude, le chef de la bande de Matimekush, M. Alexandre McKenzie, s'est inquiété du fait que l'aéroport de Schefferville pourrait devenir un aéroport satellite de celui de Goose Bay si le projet de base de l'OTAN était accepté. Par la suite, quatre aines de la communauté ont parlé de la dégradation du milieu et des ressources ainsi que de la peur causées par les vols en rase-mottes.

Pour sa part, le vice-président du CAM pour la région Centre, M. Camil Voilant, a présenté une intervention portant sur les impacts négatifs des vols sur le développement économique actuel et futur des communautés montagnaises. De son côté, un biologiste à l'emploi du CAM a fait un exposé sur les effets appréhendés sur le troupeau de caribou du fleuve George. Comme dernière intervention du [221] Conseil, le négociateur en chef a réitéré les demandes faites à La Romaine concernant le moratoire et la démonstration des manœuvres devant les membres de la Commission et des observateurs externes.

Dans leur exposé, les représentants de la bande naskapie de Kawawachikamach ont soulevé plusieurs questions : exercice de leurs droits traditionnels, manque d'information et de consultation de la part des militaires, difficultés d'analyser convenablement les impacts, effets possibles sur les troupeaux de caribous qui sont actuellement en mauvaise santé, etc. Leur présentation s'est terminée par la demande d'un référendum sur les vols à basse altitude auprès des résidents des régions touchées au Québec et au Labrador.

Les intervenants non autochtones à cette séance de Schefferville ont été les pilotes de brousse, dont un représentant est venu entretenir les membres de la Commission des dangers des vols à basse altitude pour la sécurité aérienne, et la Municipalité de Schefferville dont le porte-parole s'est demandé si les projets du ministère de la Défense auraient des retombées économiques positives en dehors du Labrador en soulignant que les pourvoyeurs du Nouveau-Québec subissent déjà des préjudices économiques.

L'Assemblée des premières nations du Canada, représentée par son vice-président au Québec, M. Konrad Sioui, et par M. Danny Gaspé, a présenté une intervention basée principalement sur les droits territoriaux aborigènes et sur les effets des exercices actuels de vols à basse altitude sur les négociations territoriales actuellement en cours entre le gouvernement fédéral et les gouvernements du Québec et de Terre-Neuve et certains groupes autochtones.

La séance du 20 octobre à Montréal a duré plus de sept heures mais a vu défiler des intervenants aux intérêts plus variés que les trois autres séances qui viennent d'être résumées. La majorité de la dizaine d'interventions est venue de groupes pacifistes, en particulier le Groupe de recherche pour la paix de l'Université Laval, ou écologistes, dont les Amis de la terre de Québec. Cependant, un représentant de certains mouvements écologistes, martre Yergeau, a échoué dans sa tentative de reporter une partie de la séance à la fin du mois de novembre en alléguant le manque d'information et de préparation adéquate des groupes dont il était le mandataire. Le président de la Commission a rejeté cette demande en raison de l'urgence de préparer la version définitive des directives de l'étude d'impact précisément pour la fin du mois de novembre. Parmi les premiers intervenants de cette séance, le professeur Louis O'Neill, du Groupe de recherche pour la paix, a présenté un vibrant plaidoyer pour la paix dans le monde et en faveur de l'utilisation des faramineux budgets militaires à des fins de développement social.

Quant au Conseil attikamek-montagnais, il est intervenu à nouveau en présentant d'autres témoignages sur les problèmes actuellement vécus par les familles de La Romaine vivant dans des camps de chasse situés à l'intérieur de la zone sud des vols à basse altitude : plusieurs personnes souffrent de diarrhée attribuable à la pollution de l'eau potable par les émanations de gaz brûlés des appareils militaires ; une jeune femme enceinte a fait une fausse-couche après avoir eu une réaction de panique lorsque son campement a été survolé par un avion militaire. Le Conseil a aussi déposé une traduction d'un recours collectif intenté contre le ministre de la Défense de l'Allemagne fédérale par des citoyens ayant subi des atteintes à leur santé attribuai)les aux vols militaires à basse altitude. Finalement, le Conseil, par l'entremise de son conseiller scientifique et premier signataire de cet article, a déposé devant la Commission un texte résumant ses commentaires et recommandations au sujet des directives pour les études d'impact. Un texte plus élaboré d'une cinquantaine de pages a par la suite été envoyé à la Commission.

L'intervention la plus curieuse de cette séance de Montréal fut celle du maire de Happy Valley, M. Hank Shouse, qui a d'abord plaidé le besoin de développement économique » pour sa petite ville d'environ 7 000 habitants qui était si prospère lorsque Goose Bay était une base militaire américaine bourdonnante d'activité. Mais ses propos ont rapidement dévié en un discours assez incohérent sur les Innu-Montagnais de Sheshashit, décrits comme des personnes très privilégiées en raison des programmes d'aide qui leurs sont fournis, mais qui refusent d'en profiter pour devenir de bons citoyens canadiens. Manifestement, le maire est complètement imperméable à la compréhension de la différence [222] culturelle et à l'acceptation de formes différentes sur le plan social et culturel. Une telle incompréhension se trouve justement au fondement même de l'ethnocide subi depuis des siècles par les peuples autochtones des Amériques. Ce que M. Shouse n'a pas dit publiquement, c'est que sa municipalité, par le biais du projet Mokami, dont il se réclamait d'ailleurs, a reçu une subvention de $150 000 de la part du gouvernement fédéral pour faire la promotion du projet du ministère de la Défense. Le journal mensuel local a aussi reçu $10 000 pour la préparation d'un numéro spécial sur la base militaire de Goose Bay. De son côté, malgré des demandes répétées adressées à divers ministères et organismes fédéraux, le Conseil attikamek-montagnais n'a pas encore reçu un seul sou pour préparer ses dossiers sur les vols à basse altitude et le projet de base de l'OTAN.

Notre participation aux audiences de Happy Valley-Goose Bay les 1er et 2 octobre a été empêchée par la mauvaise température. Cela aurait sans doute été l'occasion de constater les divergences fondamentales entre les positions des résidents des environs de la base militaire, alléchés par les emplois et les retombées économiques indirectes pour les commerces et entreprises locales, et celles des groupes autochtones qui subiront presque entièrement les effets économiques et sociaux négatifs des projets de la Défense nationale. L'examen des comptes rendus de toutes les réunions publiques tenues par la Commission qui seront bientôt disponibles permettra sans doute d'en faire une analyse détaillée dans un article ultérieur.

L'évaluation des incidences environnementales :
questions anthropologiques


Dans le jargon bureaucratique, l'étude des impacts d'un projet s'appelle « énoncé des incidences environnementales ». Dans ce contexte, le terme « environnement » devrait être compris dans son sens le plus large, englobant à la fois les impacts sur le milieu naturel et les impacts sur le milieu social ou socio-culturel. Cependant, dans la pratique, comme les évaluations environnementales sont le plus souvent définies et contrôlées par des personnes formées en sciences naturelles, la dimension sociale des études d'impact se trouve le plus souvent qu'autrement réduite à sa plus simple expression. C'est là une situation que nos collègues Serge Bouchard et Sylvie Vincent ont déjà dénoncée en écrivant que « la perspective socio-culturelle a jusqu'ici été évacuée de ces études et des projets de développement » (1985 : 2).

Il en est ainsi pour le projet de directives préparé par la Commission d'évaluation environnementale pour la préparation de l'énoncé des incidences environnementales des projets du ministère de la Défense nationale concernant les projets de vols à basse altitude et l'implantation d'une base de l'OTAN à Goose Bay. Le modèle d'analyse écologique ou écosystémique proposé par la Commission fait du milieu socio-culturel une seule des cinq composantes au même titre que la géologie et la géomorphologie, le climat et la qualité de l'air, la qualité des eaux, la flore et la faune. D'ailleurs cette composante socio-culturelle est réduite à des « données sur les conditions socio-économiques et l'utilisation des ressources » (Canada 1986 : 32).

Le seul ouvrage de référence cité dans le texte de la Commission sur les directives, soit le volume de Beanlands et Duinker intitulé Un cadre écologique pour l'évaluation environnementale au Canada ne comporte aucune référence bibliographique sur les aspects sociaux des études d'impact, bien que certains courts passages mentionnent qu'on doit aussi se préoccuper de ces impacts lors des études d'évaluation environnementale.

Afin de donner à la dimension socio-culturelle la place centrale qui doit lui revenir dans ce genre d'étude, nous avons proposé à la Commission de modifier radicalement son approche en adoptant un nouveau modèle d'analyse selon lequel le système naturel se trouve en interaction avec un autre système d'importance aussi grande, le système social ou socio-culturel. De cette façon, les recherches et analyses devront porter tout autant sur les personnes humaines, les communautés, les populations, leurs institutions sociales et leurs pratiques culturelles, que sur les diverses parties des écosystèmes, végétation, faune, milieux terrestres, milieux aquatiques, etc. et sur leurs caractéristiques quantifiables.

[223]

Bouchard et Vincent ont aussi souligné le caractère réductionniste de la plupart des études d'impact qui limitent le socio-culturel au calcul des emplois et des retombées économiques directes et indirectes. De cette façon, les auteurs de ces études se retrouvent à la fin dans la position inconfortable de « devoir prévoir des impacts sur le milieu humain en ne sachant que bien peu de chose sur lui » (Bouchard et Vincent 1985 : 10). Ainsi, dans le cas qui nous concerne ici, l'étude des impacts sociaux des vols à basse altitude et de la base d'entraînement de l'OTAN devrait comprendre des parties importantes sur la vie familiale en forêt comme cadre d'apprentissage des techniques traditionnelles pour les jeunes tant de sexe féminin que masculin, sur le rôle de la vie en forêt comme atténuateur des tensions sociales à l'intérieur des communautés, sur l'idéologie de la chasse, sur la valorisation sociale et culturelle de la vie et des activités en forêt.

En ce qui concerne les modes d'exploitation et d'utilisation des territoires et les conditions socio-économiques, un corpus de données fort important existe déjà, tout au moins pour les communautés montagnaises du Québec. En effet, de 1981 à 1985, le CAM a mené une vaste recherche sur l'occupation et l'utilisation des territoires attikameks et montagnais (projet Camrout) qui a résulté en onze monographies de communautés très détaillées et en deux rapports-synthèse portant respectivement sur le territoire des Attikameks et sur le territoire des Montagnais (Charest 1982). À l'aide de certaines de ces données, il est très facile, par exemple, de démontrer que les allégations du ministère de la Défense à savoir que les territoires utilisés pour les vols à basse altitude sont « inhabités » sont fausses et irrecevables. Depuis le début des années 1950, les Montagnais ont établi des centaines de campements différents à l'intérieur de la zone sud d'exercice de vols (voir la carte).

De plus, un projet d'exploitation des ressources fauniques par les Montagnais du Québec, réalisé conjointement par le Centre d'études nordiques de l'université Laval et le Conseil attikamek-montagnais, a permis d'établir le niveau de récolte faunique en 1982-83 pour les quatre communautés montagnaises de la Moyenne et de la Basse-Côte-Nord : Mingan, Natashquan, La Romaine et Saint-Augustin (Walsh 1985). Ainsi nous savons que les principales espèces fauniques exploitées par les chasseurs de ces communautés sont par ordre d'importance : l'original, les différentes espèces de canards, les salmonidés, le caribou, le castor et le lièvre. L'analyse des impacts sur les ressources de subsistance des groupes autochtones ne saurait donc être réduite seulement à une étude sur le comportement du caribou face aux vols à basse altitude, comme semble vouloir le faire la Commission. Plus d'une trentaine d'espèces fauniques sont récoltées et on doit en tenir compte dans l'étude des impacts environnementaux.

Dans le cadre du même projet, une étude détaillée de la situation socio-économique de chacune de ces quatre communautés a été réalisée par Denis Brassard. Toutes ces données et tous ces rapports de recherche permettraient sans aucun doute aux responsables des études d'impact pour le compte du ministère de la Défense nationale de très bien connaître la situation actuelle des communautés montagnaises du Québec affectées par les vols militaires et de prévoir adéquatement les effets négatifs de ceux-ci dans l'avenir. Cependant, il n'est pas du tout assuré que ces données leur seront remises et le Conseil a averti la Commission que cette question devra faire l'objet de discussions futures. Il en va de même d'ailleurs pour tout ce qui peut concerner la participation ou la collaboration des Montagnais aux études d'impact. Depuis plusieurs années les communautés montagnaises, comme bien d'autres communautés autochtones, ont pris l'habitude de réaliser ou de contrôler bon nombre des recherches se faisant dans leur milieu. Il est révolu le temps où des chercheurs extérieurs débarquaient sans crier gare, poursuivaient leurs travaux de recherche sans informer ou consulter les dirigeants politiques et la population locale et disparaissaient sans faire profiter la communauté des résultats et des retombées de leurs recherches.

Dans le cas des vols à basse altitude, la question de la participation ou de la collaboration des autochtones aux recherches s'avère d'autant plus délicate qu'ils ont déjà des attitudes très négatives envers les projets actuels et futurs du ministère de la Défense. Cependant, s'il devait y avoir un refus généralisé de la part des autochtones, cette situation pourrait se retourner contre eux, car il n'y a pas de doute que la qualité des études environnementales en souffrirait, ce qui n'empêcherait fort probablement pas la Défense nationale d'aller de l'avant avec ses projets.

[224]


[225]

Une autre question préoccupante pour nous anthropologues en ce qui concerne la composante socio-culturelle des études d'impact est celle de la compétence des personnes qui réaliseront les études de base et les analyses-synthèse pour le ministère de la Défense. Nous savons que ce sont trop souvent des firmes d'ingénieurs ou de spécialistes de l'environnement qui ont les contrats d'ensemble, quitte à refiler en sous-contrats l'analyse des aspects sociaux et culturels à de petites firmes ou à des individus, voire à des étudiants en sociologie. Il s'ensuit que la qualité des résultats laisse fortement à désirer, quand il ne s'agit tout simplement pas d'un ramassis de citations d'ouvrages périmés. Il en va de même pour l'intégration des données de base tant écologiques qu'économiques ou sociales et culturelles qui se trouve très souvent confiée à des personnes sans aucune compétence dans le domaine socio-culturel. Qui plus est, cette opération cruciale est réalisée à partir d'une grille d'analyse imposée par les promoteurs du projet qui privilégie fondamentalement les contraintes techniques et économiques des projets. Ces analyses font aussi souvent abstraction de la dimension diachronique des facteurs sociaux et culturels, se contentant d'une vision synchronique à courte vue empêchant de comprendre les véritables causalités impliquées dans les processus de changements. Toujours au nom du CAM, nous avons fait part aux membres de la Commission de ces préoccupations de nature méthodologique, tout en y ajoutant une dernière recommandation concernant la compétence linguistique des chercheurs dans le domaine socio-culturel. En effet, en raison de la très grande hétérogénéité culturelle et linguistique des groupes affectés par les projets de la Défense nationale (Inuit du Labrador et du Québec, Naskapis, Innu-Montagnais du Labrador et Montagnais du Québec, Settlers et allochtones du Labrador, résidents des communautés blanches du Québec) des personnes de compétences variées devront être embauchées. Il reste à savoir si des anthropologues qui possèdent des expériences certaines auprès de l'ensemble de ces groupes culturels accepteront de travailler pour le compte du ministère de la Défense nationale. Il s'agit là d'un problème d'éthique qui se posera peut-être à certains d'entre nous...

Finalement, d'après des renseignements fournis lors des audiences de Montréal par le président de la Commission, il semblerait que le ministère de la Défense insiste pour que l'énoncé des incidences environnementales de ses projets soit déposé dès l'automne 87. Un délai aussi court nous apparaît absolument irréaliste, car il faudra réaliser de nombreuses études de terrain tant sur la faune que sur la flore, tant sur les milieux terrestres qu'aquatiques, tant dans les communautés autochtones qu'allochtones. Nous savons par expérience que les données sur l'utilisation des territoires et sur la récolte faunique ainsi que sur la situation socio-économique sont difficiles, longues et coûteuses à obtenir. À moins qu'on veuille se contenter uniquement de revues de la littérature, qui ne s'applique d'ailleurs que partiellement à la région et aux populations concernées, et de rassembler à la hâte les seules données officielles incomplètes actuellement disponibles, nous ne croyons pas que de telles recherches menant à une analyse sérieuse des impacts pourraient s'échelonner sur moins de deux ans. D'ailleurs, un problème de taille se pose aux écologistes dès le point de départ : depuis plusieurs années la faune et la flore subissent les impacts des vols à basse altitude principalement le long de certains corridors naturels tels que les cours supérieurs des rivières Natashquan et Petit-Mécatina et le bassin du lac Minipi. Comment mesurer les effets a posteriori des vols, alors que la procédure scientifique normale est celle de l'examen ex ante du milieu « récepteur » avant l'introduction des éléments « perturbateurs » et de nouvelles études permettant de déceler les changements survenus en cours de route ?

Toutes ces questions et plusieurs autres encore ont été soulevées dans le mémoire présenté par le CAM à la Commission d'évaluation environnementale au sujet des directives émises pour la préparation de l'énoncé des incidences environnementales des projets du ministère de la Défense. Nous pourrons fournir une copie de ce texte cité en bibliographie à toute personne qui en fera la demande.

Conclusion :
la Commission est-elle crédible ?


Suite à l'énumération des lacunes de la procédure environnementale fédérale et du mandat et du fonctionnement de la Commission d'évaluation environnementale (procédure d'auto-évaluation, projet de vol entrepris avant l'évaluation initiale et avant une évaluation approfondie, confusion entre le promoteur et le responsable des projets, mandat limité en ce qui concerne la poursuite des manœuvres actuelles, durée des études limitée probablement à moins d'une année), la Commission conserve-t-elle un certain degré de crédibilité aux yeux des groupes autochtones et de ceux qui se sont penchés [226] sur le dossier avec attention depuis plusieurs mois ? Nous pouvons déjà en douter fortement. Mais il y a plus encore. Dans son édition du 12 septembre dernier, le Journal de Québec rapportait les propos suivants du ministre de la Défense nationale, M. Perrin Beatty :

Il est évident que les opposants au projet ne le feront pas avorter si les 16 pays membres de l'OTAN choisissent Goose Bay à leur réunion du début de décembre, à Bruxelles. Mais ils auront au moins eu l'occasion de faire connaître leurs préoccupations et il n'est pas dit qu'on n'en tiendra pas compte.

Nous savons par ailleurs que le gouvernement du Canada via le ministère de la Défense procède depuis plusieurs mois à une campagne de publicité et de relations publiques très active pour promouvoir Goose Bay auprès des pays de l'OTAN. Nous avons vu précédemment comment le gouvernement fédéral sait aider les organismes favorables à ses projets. Les média aussi font l'objet d'une opération charme et certains y succombent. C'est le cas en particulier de la revue l'Actualité et de son journaliste Guy Deshaies qui viennent de publier un article reflétant uniquement les vues des personnes favorables à la militarisation du Nord et dénigrant tous les opposants autochtones comme des personnes manipulées par des groupes ou individus d'obédience marxiste. Il est clair dans cet article que le journaliste, ne connaissant rien au dossier, n'a été que le porte-voix du ministère de la Défense qui a pu exprimer tout haut ce qu'il pense tout bas des autochtones : ce sont des alcooliques, manipulés de l'extérieur, des assistés chroniques qui coûtent très cher au reste des Canadiens, des gens désœuvrés qui ne chassent plus et qui ne veulent rien savoir de personne. Tous les stéréotypes anti-Indiens se retrouvent dans cet article à sens unique. Évidemment, les Innu de Sheshashit n'ont pu exprimer leur point de vue car tous ceux que le journaliste a rencontrés étaient saouls ou cuvaient leur vin ... L'article ignore par ailleurs toutes les démarches et recherches réalisées par les Montagnais du Québec sur le dossier des vols à basse altitude, démarches qui ont fait l'objet de plusieurs articles de journaux et de mentions sur des réseaux nationaux de radio et de télévision. Une telle attitude, discriminatoire et raciste, mérite dénonciation et c'est dans ce sens que le Conseil attikamek-montagnais est intervenu auprès de la Commission des droits de la personne du Québec. Nous demandons aussi à tous les anthropologues désireux de manifester leur opposition à de telles pratiques journalistiques de bien vouloir écrire soit à la Commission des droits de la personne, soit à la revue l'Actualité, soit au journal Le Devoir, où M. Deshaies vient d'être nommé directeur-adjoint à l'information.

Sentant l'enjeu se corser, le ministère de la Défense a décidé de sortir ses gros canons et de recourir à toutes sortes de tactiques y compris le racisme via les média. Dans ce contexte la Commission d'évaluation environnementale mise sur pied par Environnement-Canada via son Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales apparaît plutôt comme « un gilet pare-balles pour les militaires », selon l'image colorée du négociateur en chef du Conseil attikamek-montagnais, M. Bernard Cleary.

RÉFÉRENCES

BEANLANDS G. et N. Duinker

1983 Un cadre écologique pour l'évaluation environnementale au Canada. Halifax : Institute for Resource and Environmental Studies, University of Dalhousie, et Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales.

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1985 Estimation des niveaux de récolte des Montagnais de la Moyenne et de la Basse-Côte-Nord du golfe Saint-Laurent. Québec : Centre d'études nordiques, Université Laval.

Denis Brassard
Conseil attikamek-montagnais
Québec

Paul Charest
Département d'anthropologie
Université Laval



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 10 mars 2019 19:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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