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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Polyandrie et dialectique communautaire chez les Abisi du Nigéria.” (1979)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Jacques Chalifoux, “Polyandrie et dialectique communautaire chez les Abisi du Nigéria.” (1979). Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 3, no 1, 1979, pp. 75-127. Numéro intitulé: Parenté, pouvoir et richesse. Québec: Département d'anthropologie, Université Laval. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 17 septembre 2007 de diffuser cette oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Les Abisi sont une collectivité nigériane d'environ 3 300 personnes qui habitent un massif du versant nord-ouest du Plateau de Jos et une portion adjacente de la plaine de Zaria. Ils forment une communauté socio-linguistique fermée dont la langue n'est pas comprise des groupes voisins, sauf par des individus qui l'ont apprise comme langue étrangère. Cependant, les affinités linguistiques sont nombreuses, particulièrement avec les voisins immédiats, les Ribam dont on apprend facilement la langue. 

Leur économie est principalement basée sur l'agriculture (sorgho, millet, fonio), dont les caractéristiques d'autosubsistance [1] dominent. Tous les outils sont d'usage individuel (houes, racloirs) et l'énergie humaine est la source énergétique exclusive. Les échanges directs avec les populations voisines sont une composante traditionnelle de l'organisation économique et de l'idéologie abisi avant même qu'entre 1892 et 1904, l'armée hausapeule de Zaria n'oblige les Abisi à verser un tribut à l'Emir. 

Cependant, ni le troc, ni le tribut, pas plus que l'économie marchande et l'impôt qui apparurent après la conquête britannique du Nord du Nigéria n'ont radicalement modifié le caractère d'autosubsistance de la production agricole. Il n'y a pas de cadastre, ni vente ni achat de terres ; les cultures commerciales (arachide, canne à sucre, igname, manioc) n'occupent que des surfaces restreintes chez une poignée de producteurs. Une analyse des budgets de 25 unités de production indique que les 2/3 du revenu annuel en argent sert principalement à payer les divers impôts et taxes. Le commerce sert donc avant tout à acquitter des redevances et l'échange commercial demeure idéologiquement subordonné comme l'illustre ce dicton « le cheval qui ne s'enfuit pas devant l'hyène est dévoré », c'est-à-dire que le surplus qui n'est pas vendu est consommé ou, en d'autres termes, « vendre n'est pas tellement important ». 

Cette situation est fragile et est appelée à des développements rapides ainsi que le laissent soupçonner diverses interventions récentes de l'administration gouvernementale régionale et locale qui tente d'implanter des marchés locaux, de faciliter les communications routières et de modifier certaines pratiques sociales comme le mariage. 

Sur les plans politique et idéologique l'organisation sociale abisi comprend une vingtaine de postes de chefs divers (ures) dont les plus importants sur le plan administratif sont : l'Uyikut (celui-village), chef mystique de toute la communauté et chef du clan le plus populeux, l'ures upana (chef de la colline) autrefois chef de la guerre et chef du second clan le plus populeux, l'ures ubar, chef de la chasse et du troisième clan le plus populeux et enfin, l'ures abisi ou Sarkin Piti en hausa, chef administratif de la région immédiate. 

Cette décentralisation du pouvoir est parallèle à la structure segmentaire dont les principes organisateurs relèvent des règles d'exogamie particulière au système matrimonial. Ce système admet simultanément une forme spécifique de polyandrie et de polygynie et, comme le dit J.C. Muller (1976 : 9) à propos de ce type de système, il diffère radicalement dans son « essence conceptuelle » des autres modes d'intégration matrimoniale ou une femme n'est échangée qu'une seule fois et où elle ne lie que deux groupes exogames à la fois. En effet, l'alliance matrimoniale abisi est caractérisée par un type de mariage secondaire (M.G. Smith 1953) qui oblige une femme à prendre plus d'un époux dans des groupes exogames différents, sans avoir à divorcer. Il s'agit donc d'une polyandrie distinctive où les unions permettent à une femme d'avoir plusieurs résidences et d'y avoir des enfants. 

Par ce moyen, chaque femme peut unir plusieurs groupes exogames à la fois. Ces groupes peuvent être définis en tant qu'unité preneuses d'épouses dont le critère explicite d'appartenance est la prohibition pour un membre d'un groupe d'épouser un(e) conjoint(e) déjà marié(e) à un autre membre du groupe. Les hommes de ces groupes sont donc obligés d'épouser des femmes déjà mariées au sein d'unités homologues qui, sur le terrain, correspondent à des clans localisés au sein desquels ne peuvent résider les membres d'autres clans qui sont susceptibles d'y prendre des épouses. 

Je me propose de démontrer dans cet essai comment ce système matrimonial est le lieu principal où se restructurent les contradictions sociales dont l'aspect principal est l'articulation logique de rapports de domination, voire d'exploitation, et de rapports communautaires dominants. 

D'une part, je veux montrer que le niveau domestique de la production agricole est subordonné à l'organisation communautaire. Nous verrons que celle-ci se définit, dans un premier temps, par une forme collective d'appropriation de la terre et par diverses associations des producteurs de plusieurs unités domestiques de production situés au sein d'un voisinage où il semble que se réalise l'un des équilibres démographiques fondamentaux de la force de travail. D'autre part, je veux montrer que la dimension communautaire ne se réduit pas aux liens entre groupes institués sur la base de la filiation, mais se définit aussi par des liens spatiaux et, comme le pensent Berthoud et Sabelli (1976 : 149), par de nombreuses Pratiques sociales plus temporaires et informelles dont l'effet global est de tenter de reproduire l'équivalence structurelle entre les groupes de base et de limiter le développement des inégalités fondées sur les différences biosociales de l'âge et du sexe. 

Nous verrons que la redistribution de la force de travail, de la sexualité et du pouvoir procréateur des femmes ainsi que de la force de travail des jeunes gens et des richesses est considérablement élargie par la dynamique de la polyandrie. Celle-ci entraîne une surcirculation des femmes qui permet de généraliser la polygynie des hommes et ainsi de développer un surtravail des jeunes gens des unités preneuses d'épouses qui s'acquittent collectivement de leurs obligations prestataires qui peuvent atteindre la moitié du temps de travail alloué à l'agriculture pendant plus de 15 ans. 

Ce vaste système de redistribution socio-économique s'appuie sur la domination politique et idéologique des cadets et des cadettes par l'institution des groupes d'âge et par les pratiques matrimoniales. Cependant, considéré diachroniquement ce système assure à tous les hommes un accès précoce aux femmes et à celles-ci des droits et des privilèges qui limitent leur subordination aux hommes. 

À la lumière de ces données qui s'écartent des modèles lignagers habituels de l'ethnologie d'inspiration marxiste, nous pourrons concevoir qu'il y a une très grande latitude de variation possible des solutions apportées au problème de la capitalisation démographique posé par la production agricole dans le cadre domestique.


[1] « Autosubsistance » est entendue ici dans le sens donné par C. Meillassoux 1975 : 62-64.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 29 février 2008 6:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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