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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Hervé Carrier, “Rencontre avec… André Lussier (1922-…).” Un article publié dans Revue québécoise de psychologie, vol. 24, no 3, 2003 [Propos recueillis le 28 novembre 2001.] [Autorisation accordée par l'auteur le 17 novembre 2009 de diffuser la totalité de son oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Hervé CARRIER, s.j.

Rencontre avec… André Lussier (1922-…)”.

Un article publié dans Revue québécoise de psychologie, vol. 24, no 3, 2003 [Propos recueillis le 28 novembre 2001.]


André Lussier a été le premier Québécois francophone à recevoir sa formation en psychanalyse avec Anna Freud, de même qu'au British Psycho-Analytical Institute, après ses études à l'Université de Montréal et ses débuts au Centre d'orientation. À son retour, il fit une longue et fructueuse carrière comme professeur et comme psychanalyste. Au cours des années 1960, il fut le seul psychanalyste à prendre publiquement position sur la censure au cinéma et sur l'éducation sexuelle donnée par des religieux. Il nous livre ici quelques uns de ses souvenirs.

Pierre Michaud
Université du Québec à Montréal


P.M. Alors, si on commençait par le commencement et si on parlait…

A.L. Du jour de ma naissance?

P.M. Pas si loin que ça! Mais plutôt du moment où vous avez choisi la psychologie.

A.L. C'est loin mais assez frais dans ma mémoire. Il faut remonter au temps de mes études secondaires, des études payées chez les Jésuites pour que l'on fasse de moi un religieux; c'était tellement fréquent dans le temps, le travail préparatoire des vocations. En rhétorique, lors de la prise des rubans, les tourments ont commencé : comment annoncer que je n'avais pas la vocation religieuse à Irénée, mon frère aîné qui payait mes études et qui est devenu recteur de l'Université de Montréal?

P.M. Et qui était déjà prêtre.

A.L. Qui était déjà prêtre et qui avait un poste très bien rémunéré à la Commission des écoles catholiques de Montréal.

P.M. Il était visiteur des écoles?

A.L. Oui, il avait fait des études de psychopédagogie à Paris. Alors comment lui annoncer que je n'allais pas entrer chez les religieux? Un vrai tourment pour un jeune de ce temps-là, dont les études étaient spécifiquement payées en fonction de la seule vocation religieuse. C'était le temps de l'Église triomphante, de l'Église dominante, qui se permettait de contrôler les consciences.

P.M. J'ai connu cela aussi.

A.L. Cela a duré longtemps. Pour les autorités religieuses, la médecine était un moindre mal, parce qu'elle était considérée dans le temps comme un sacerdoce! Autre temps, autres mœurs! À l'époque où il était ministre, mon ami Camille Laurin parlait, même en Chambre, de la médecine comme d'un sacerdoce. Alors mon esprit s'est tourné vers la psychiatrie. Mais, pour devenir psychiatre, il fallait d'abord faire sa médecine; et la pathologie physique, physiologique, les anomalies des organes, de la peau, cela ne m'intéressait pas beaucoup, je n'avais pas d'inclinaison de ce côté, je perdais toute motivation. Alors j'ai pensé à la philosophie et à l'éducation : mon frère Irénée était déjà impliqué dans ces domaines à l'Université et connaissait le père Mailloux. Ce dernier préparait alors la fondation de l'Institut de psychologie au sein de la sacro-sainte Faculté de philosophie dirigée par des dominicains dans une université encore pontificale. Alors, il m'a parlé de psychologie. Au collège, on ne nous enseignait pas beaucoup de psychologie, mais à force d'y réfléchir, j'y ai trouvé mon intérêt; avec l'étude de la psyché, du psychisme, je pressentais une vocation.

P.M. Est-ce que vous aviez déjà connu le père Mailloux avant ?

A.L. Pas du tout. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact. Quand j'étais adolescent, nous demeurions sur la rue Rockland, à Outremont, et à cette époque, la maison-mère des dominicains se trouvait en face de chez nous.

P.M. C'est ce qui deviendra plus tard l'École nouvelle St-Germain je crois?

A.L. Je pense que oui, mais cela a d'abord été le premier Collège St-Stanislas, qui a été acheté par les dominicains. Ensuite, ils sont déménagés sur chemin de la Côte Ste-Catherine. Le premier couvent des dominicains est aujourd'hui transformé en bureaux de psychologues et de psychiatres.

P.M. En effet.

A.L. Mais alors, sur la rue Rockland, en face de chez nous, de nombreux dominicains disaient la messe tous les matins et ils avaient besoin de servants de messe; alors j'allais servir la messe avec mes frères. On faisait 10¢ de la messe, c'était notre argent de poche. Parmi ces dominicains, il y avait le père Mailloux, mais je ne le connaissais pas. J'ai reçu souvent des 10¢ de lui! Je l'ai reconnu quelques années plus tard à l'Université. C'est alors que j'ai laissé la philosophie pour passer à la psychologie. Je me suis mis à lire, mais ces lectures ne m'aidaient pas beaucoup. Rapidement, avec l'enseignement de la psychanalyse par Mailloux, ce fut le coup de foudre à l'université. J'étais de la troisième génération, la première comprenait, entre autres, les pères Adrien Pinard et Julien Beausoleil, tous deux clercs de Saint-Viateur, Gérard Barbeau, Claude Mailhot et quelques autres.

P.M. Est-ce que le père Bernard Mailhot (dominicain) était là également?

A.L. Non, non, lui, il est venu seulement un peu plus tard comme professeur de psychologie sociale. Il était le frère de Claude Mailhot, qui fut le premier directeur du Centre d'orientation sur le boulevard Gouin. Dans ma classe, il y avait Thérèse Gouin, devenue Thérèse Gouin-Décarie, Gabrielle Brunet, qui est devenue Mme Clerk, Claire Mathieu et Maurice Meunier, un bon petit groupe. On peut dire, en tournant les coins ronds, que nous n'avions qu'un seul professeur, c'était Mailloux. Les autres, ce n'était pas très sérieux.

P.M. C'est Mailloux qui enseignait à peu près tout, en psychologie.

A.L. Il enseignait Woodworth, la psychologie expérimentale, la psychologie des émotions selon saint Thomas. Mais l'essentiel était Otto Fenichel et son gros manuel de …

P.M. La théorie psychanalytique des névroses...

A.L. C'était en anglais, non encore traduit.

P.M. Mais, comment s'est-il converti de Woodworth à Fenichel ?

A.L. Ah! C'est une histoire intéressante. Quand Mailloux est revenu d'Italie, il était un grand spécialiste de saint Thomas; son saint Thomas, il le connaissait par cœur. Il nous enseignait ça et il a concocté un cours qu'il a appelé Psychologie dynamique; c'était un mélange de saint Thomas et de Woodworth, de toutes sortes de choses et graduellement, il impliquait la psychanalyse là-dedans. Au départ, il était presque anti-freudien. Mais lorsque j'ai dit que nous n'avions qu'un professeur à l'Institut, j'ai oublié de mentionner le père Augustin Deslauriers, un dominicain qui a défroqué et qui est devenu Austin Deslauriers, aux États-Unis.

P.M. Ah bon!

A.L. Il a coupé un peu le " Augustin ". Il nous enseignait le Rorschach qu'il avait appris aux États-Unis. Et il s'était beaucoup frotté à la psychanalyse. Augustin Deslauriers était un homme brillant, un peu excentrique : il venait en T-shirt, prenait part à nos activités sociales, il dansait avec les filles; on le trouvait pas mal libéré. Il était très freudien et Mailloux, au début, très peu. On dit qu'ils avaient des prises de bec continues. Avec le temps, c'est Mailloux qui a reculé, trouvant que ce que Deslauriers lui disait de Freud avait du sens. Mailloux, qui a toujours été grand batailleur et fonceur, a plongé davantage dans Freud. Lisant sur la psychanalyse, il a mis la main sur les écrits du célèbre Gregory Zilboorg aux États-Unis, un psychiatre qui était psychanalyste et historien et qui, de par ses propres moyens, était devenu intéressé à saint Thomas d'Aquin qu'il lisait en latin. Il a écrit le livre Mind, medicine and man, où il fait une synthèse des écrits de saint Thomas et de Freud. Mailloux a été fasciné par Zilboorg. Il l'a fait venir à l'Université. Ils sont devenus des amis et Zilboorg, un de nos professeurs invités; c'était le paradis, une première lune de miel et Mailloux s'est mis à négliger de plus en plus Woodworth, concentrant son enseignement sur Fenichel et Freud. On avait l'impression qu'il apprenait Freud avec nous parce qu'il venait nous donner ses cours avec le manuel devant lui; toutefois, ce n'était pas ennuyant, c'était au contraire passionnant. Cet enseignement m'a passionné dès la première année. J'ai vite trouvé le moyen de lire Freud, qui était quasiment à l'index.

P.M. Qui était à l'index?

A.L. "L'introduction général ", que tout le monde connaît, n'était pas à l'index. Avec l'enseignement de Mailloux, ce livre a vraiment été pour moi le premier…

P.M. Le déclencheur ?

A.L. Un grand déclencheur. Ça m'a gagné tout de suite. J'y étais chez-moi. Nous sommes tous névrosés... Alors j'ai fait mon baccalauréat sans trop de problèmes. Avant Mailhot, la psychologie sociale n'était pas compliquée, les statistiques non plus et avec le Dr J. E. A. Marcotte en psychologie clinique, c'était plutôt élémentaire. Pour la maîtrise, j'ai fait une thèse sur l'énurésie chez les enfants, travail très psychanalytique, grâce à des enfants que je voyais régulièrement en clinique. Parallèlement à la maîtrise, Mailloux m'avait très tôt parachuté au Centre d'orientation pour que j'en devienne le directeur clinique. Jeannine Guindon est devenue administratrice. J'ai vite remplacé Claude Mailhot qui est parti travailler au sein du Département provincial pour la santé.

P.M. Il a été à la Clinique d'aide à l'enfance à un moment donné. Et je crois qu'il est ensuite devenu sous-ministre au ministère du Bien-être social et de la Famille.

A.L. À l'époque où j'ai été parachuté par Mailloux au Centre d'orientation, Louis Moreau a également fait partie de l'équipe mais il n'y a travaillé qu'un an puisqu'il est allé parfaire sa formation de psychothérapeute aux États-Unis. À ce moment-là, le Centre d'orientation était une clinique pour enfants très troublés. Ces enfants étaient pensionnaires au Centre et j'y logeais moi aussi. C'était un feu roulant continuel : de 15 à 20 enfants troublés, agités, nerveux, hyperactifs, très névrosés. Envahi jour et nuit, je fus très vite débordé, c'était trop; j'ai senti le vif besoin de parfaire ma formation.

P.M. Malgré la formation du père Mailloux!

A.L. Mailloux me répétait que j'avais une formation idéale, que j'étais compétent, que je n'avais rien à envier aux autres. Mais je suis devenu très conscient de mon incompétence devant faire face à cette accumulation de travail clinique avec si peu d'expérience. Après deux ou trois ans, j'y laissais presque ma santé. J'ai d'abord parlé à mon grand frère Irénée et ensuite à Mailloux qui était réfractaire à mon départ. Et j'ai parlé au docteur Zilboorg qui avait accès à des fonds pour des bourses. Finalement, j'ai gagné mon point auprès de Mailloux qui a fini par consentir à ce que j'aille en Angleterre un an.

P.M. Incidemment, Zilboorg a été converti par Mailloux.

A.L. C'est venu après; ils ont d'abord été amis très longtemps. Certains étés, dans la maison d'un des directeurs du Centre d'orientation, M. Simard, au lac Wapizagonke dans la Mauricie, nous avions des séminaires avec Zilboorg. Mais comme Mme Clerk disait avec amertume : "Les femmes n'étaient pas admises". Il y avait Mailloux, le père Pinard, le père Beausoleil, c'était formidable. Par la suite, Zilboorg s'est converti ; il y songeait depuis longtemps, en fréquentant saint Thomas. Ils ont fini par faire les choses en grand : il fut baptisé par le cardinal Paul-Émile Léger!

P.M. Il fallait s'assurer que ce qui se passait à l'Institut de psychologie soit très catholique.

A.L. Très catholique. Avec réticence, Mailloux, a donc consenti à me laisser partir un an. Zilboorg avec des clins d'œil me disait : " Ça va être plus qu'un an, ça ne sera pas assez d'un an, surtout si tu es accepté chez Anna Freud ". Je savais qu'Anna Freud venait de fonder ou allait fonder une clinique à Londres pour offrir une formation en psychanalyse des enfants et des adolescents. J'avais écrit à Anna Freud et elle m'avait répondu : "Je ne peux rien vous promettre, venez, on va vous interviewer, si ça marche, ça marche, si ça ne marche pas…".

P.M. Vous retournerez…

A.L. "Vous ferez ce que bon vous semblera". Bon, j'avais également fait des démarches auprès d'un nommé Eysenck, un ennemi de la psychanalyse installé lui aussi à Londres. Avec lui, j'aurais pu développer des aptitudes pour le diagnostic et je n'aurais pas été obligé de revenir bredouille à Montréal. Je me rappelle mon angoisse dans l'avion au-dessus de Londres, ma vive angoisse : "Qu'est-ce qui m'attend ?" Dans l'attente fiévreuse, j'imaginais la maison de Freud où vivait Anna Freud. "Qu'est-ce qui m'a pris, moi, je n'ai pas beaucoup d'argent, à peine une petite bourse ?" J'obtiens rapidement un rendez-vous avec Anna Freud. J'arrive dans la maison de Freud, une belle grande maison, dans Hamstead, un coin agréable de Londres, maison qui est devenue un musée. C'est là qu'Anna avait son bureau où j'ai été reçu pendant deux heures, deux heures et demie. Je parlais difficilement l'anglais, je me débrouillais, elle comprenait un peu le français. Elle m'a tordu les deux bras parce qu'elle se disait : "C'est un catholique ce jeune-là, et les catholiques et la psychanalyse, ça n'a jamais marché, ça ne marchera pas". Elle n'était pas au courant de ce qui s'était passé en France avec les dominicains d'avant-garde, quelques théologiens audacieux. Alors on a parlé. Après environ une heure, elle a dit : "Vous êtes prêt à vous soumettre à une psychanalyse avec un incroyant ?" J'ai dit : "Oui, je suis prêt à tout soumettre à l'analyse." Elle m'a fait parler de ma connaissance de Freud qui l'a heureusement assez impressionnée : elle a compris que j'avais bien compris.

P.M. C'est un bon point de départ.

A.L. Après environ deux heures de discussion, elle m'annonça qu'elle me prenait à sa clinique. Je l'aurais embrassée! J'ai trouvé qu'elle était une femme très digne, pas froide, mais qui gardait ses distances. Alors, je me suis installé à Londres!

P.M. Mais auparavant, on m'a déjà dit que le père Mailloux prenait de ses étudiants en psychothérapie, au tout début.

A.L. Le père Mailloux a vite commencé à faire de la psychothérapie, avec les étudiants, entre autres. Pendant trois ans, je fus l'un de ses premiers patients. Il appelait ça de la psychanalyse et il utilisait le divan. Des entrevues une fois, peut-être deux par semaine. Et en même temps, il était le directeur de l'Institut, notre professeur et directeur du Centre d'orientation. La neutralité de l'analyste "en prenait un coup" ! Nous, comme on avait le feu sacré, on ne se formalisait pas de ça. On se disait : "On va prendre ce qu'on peut", et il y avait beaucoup à prendre. Bien sûr que cela créait des situations ambiguës, que cela donnait à Mailloux beaucoup de pouvoir sur nous. Cet état de choses a mené à des conflits assez sérieux pour quelques uns; l'ascendant de Mailloux, le thérapeute, le professeur, le directeur, ça fait beaucoup pour le même homme.

P.M. Et puis vous avez été admis à la clinique d'Anna Freud.

A.L. En effet, et au bout de deux semaines on me donnait mon premier cas. J'ai dit à Anna Freud : "J'apprends l'anglais, mais je ne le parle pas encore". Elle a dit : "Ça va venir vite". Ça n'était pas le temps de protester. J'ai beaucoup écouté la radio anglaise, formidable, et c'est vrai que c'est venu vite. Mon premier cas fut une rude épreuve. Dans l'histoire de la psychanalyse, ce fut le premier enfant de la Thalidomide à être soumis à la psychothérapie. J'ai publié à ce sujet dans The psychoanalytic study of the child. Ce fut le choc de ma vie professionnelle. L'enfant de douze ans n'avait que deux petits bras de six pouces avec trois doigts à chaque main. Je n'avais pas été prévenu par Anna Freud, délibérément. Selon elle, il ne fallait pas que je sois prévenu pour que je fasse par moi-même l'expérience de l'impression qu'il créait chez ceux qui le voyaient pour la première fois. Il m'a fallu apprendre vite à contrôler mes affects. Mais c'était mon premier cas d'analyse, mon premier cas contrôle.

P.M. Et d'enfant infirme ?

A.L. D'enfant infirme, bien sûr. L'enfant n'avait que deux petits moignons de chaque côté : c'était traumatisant à voir, mais j'ai réussi à faire en sorte que l'enfant ne sente pas trop l'intensité du choc que je vivais. J'étais supervisé, par quasiment vingt superviseurs! J'avais un superviseur personnel et une fois aux deux semaines, j'avais aussi à rencontrer Anna Freud, pour lui présenter le cas devant quinze personnes. Alors, on peut l'imaginer, j'ai appris vite. Ces rencontres furent ce que j'ai connu de plus enrichissant. Puis Anna Freud m'a fait revenir pour m'annoncer qu'elle m'encourageait à poser ma candidature à l'Institut de psychanalyse de Londres, le British Psycho-Analytical Institute. Cela dépassait mes rêves, un petit psychologue du Québec! Je n'en revenais pas, elle m'a dit : "Vous allez y aller". Je sentais évidemment que j'avais le "backing" d'Anna Freud. Le premier à m'interviewer n'était nul autre que Donald Winnicott, le plus grand nom de Londres avec Anna Freud et Mélanie Klein. Ce fut d'une simplicité inouïe avec Winnicott. C'est un homme que j'ai vivement apprécié pendant toutes mes années à Londres. Je fus accepté tout de suite. C'était contre les règlements d'être formé simultanément chez Anna Freud et à l'Institut : il fallait que ce soit l'un après l'autre. Mais comme j'étais étranger et que j'étais le premier, on m'a donné une permission spéciale. Alors j'étais formé chez Anna Freud avec mes trois cas contrôles et à l'Institut de psychanalyse avec mes trois autres cas contrôles. Et comme je voulais beaucoup apprendre, j'avais quatre supervisions par semaine à la clinique d'Anna Freud et trois à l'Institut de Londres, cela faisait sept supervisions dans sept coins différents de Londres, sans automobile. Alors, le métro et l'autobus de Londres, je m'y connais, plus que dans n'importe quelle autre ville, même Montréal! En plus des sept supervisions, j'avais mon analyse personnelle cinq fois par semaine. Alors…

P.M. Ça occupe quelqu'un.

A.L. Un gars est occupé. C'était un feu roulant.

P.M. Mais la passion était là.

A.L. La passion était là. J'apprenais beaucoup et toujours avec des gens compétents. Zilboorg a tout arrangé pour que cela dure plus de deux ans. Mais la vie coûtait cher : en plus de payer mon analyse personnelle, je n'avais pas le droit de travailler pour être rémunéré. Après 27 mois, sans arrière-pensée, j'ai dit à mon analyste personnel, qui était un ami d'Anna Freud, que j'étais angoissé et triste parce que je devrais probablement interrompre ma formation et mon séjour à Londres, faute d'argent. La même semaine, difficile à croire, je reçois un gros chèque personnel d'Anna Freud. Une bourse de son argent personnel pour que je poursuive mes deux formations un an de plus, ce qui me permettrait d'être gradué..

P.M. Ce dut être une grande joie ?

A.L. Je ne l'oublierai jamais. Quand j'ai besoin de me remonter l'ego, je me rappelle de cela : ma lune de miel avec Anna Freud. C'est sûr qu'elle m'a beaucoup estimé. Même si mes collègues me le disaient amicalement, je faisais des envieux dans notre équipe d'une quinzaine de personnes. Ce n'était pas une femme portée à faire des faveurs, à en favoriser un plus qu'un autre, mais ça se voyait quand même. Quand il y avait beaucoup de travail à faire, c'est à moi qu'elle demandait un surplus de travail difficile. Par exemple, si des visiteurs importants venaient à sa clinique pour une discussion de cas, c'est à moi qu'elle demandait de faire la présentation, malgré les faiblesses de mon anglais. Je me suis débrouillé. Mon séjour à Londres a été un succès pour moi. J'aurais pu y rester et trouver du travail.

P.M. À la clinique d'Anna Freud ?

A.L. Oui, je crois.

Par ailleurs, au British Psycho-Analytical Institute, il y avait Mélanie Klein. Entre elle et moi, ça n'a pas beaucoup marché. Je n'ai jamais aimé son enseignement autoritaire, arrogant et qui tolérait mal la discussion.

P.M. Vous étiez tellement choyé par Anna Freud, c'était tout un contraste !

A.L. Mélanie Klein était une personne qui n'admettait pas que l'autre ait des idées différentes des siennes. J'ai des preuves flagrantes de ça.

J'ai adoré Londres, j'y suis resté très attaché. Mais j'ai souffert du smog, à cause du chauffage au charbon de très mauvaise qualité.

P.M. Et des très nombreuses cheminées par maison.

A.L. Il y avait, je pense, douze millions de cheminées. Aux coins des rues, il y avait des torches monumentales qui brûlaient pour donner un petit peu de clarté. Alors, le smog de Londres, la grisaille, la pluie et l'hiver humide, ce n'était pas le paradis. Et pourtant, lorsqu'on me questionnait, je répétais : "Je ne me suis ennuyé que d'une chose, c'est de la neige." C'est inouï comme on est attaché à la neige : moi, je suis un homme des neiges.

P.M. Vous avez déjà été un bon skieur je pense ?

A.L. Je le suis encore! Moins souple toutefois! L'absence de neige rendait les hivers pénibles. Mais j'ai aimé Londres. Alors je suis revenu. Et Mailloux m'a parachuté professeur, avec un nombre invraisemblable de cours à donner. En quelques semaines, je devais préparer des cours pour la maîtrise et le doctorat. J'étais "très compétent", vous voyez, je pouvais donc presque tout enseigner : la personnalité, la psychopathologie, le caractère, la délinquance, la psychothérapie, Rogers, oui Rogers que j'ai enseigné à Dollard Cormier !

P.M. La même année !

A.L. La même année et ce fut affreux. Mais je m'y suis mis et j'aimais l'enseignement. J'ai fait mon chemin. À cette époque, il y avait déjà à Montréal une petite équipe de psychanalystes qui se réunissaient, pour des discussions théoriques et cliniques.

P.M. Parce qu'en plus de l'enseignement vous aviez votre pratique de psychanalyste.

A.L. Oui.

P.M. Mais vous n'avez jamais travaillé avec des enfants après votre retour de Londres ?

A.L. Si, à mon bureau privé, j'ai eu des enfants en thérapie, mais ils n'étaient jamais très jeunes. Et au bout de 15 ans, j'ai délaissé la pratique avec les enfants. Dans ma formation à Londres, je n'avais pas eu assez de temps pour travailler avec les très jeunes enfants.

P.M. C'est-à-dire…

A.L. C'est-à-dire que je n'ai pas eu de supervision pour les enfants de zéro à sept ans.

P.M. Et le petit groupe de psychanalystes qu'il y avait à Montréal à ce moment-là ?

A.L. Il y avait un tout petit groupe dont faisait partie le docteur Miguel Prados, un homme exceptionnel par son humanisme et sa culture. Il est devenu un de mes meilleurs amis et s'est également lié à Mailloux; il avait dû émigrer d'Espagne à cause de Franco. C'était un républicain passionné et il avait failli perdre la vie, sa famille aussi, sous les mitrailleuses des hommes de Franco. Notre groupe fut baptisé "le club psychanalytique de Montréal" ; il n'y avait pas de règlements, seulement des gens intéressés par la psychanalyse et intéressés à échanger. On faisait venir des grands noms des Etats-Unis, car ils venaient à Montréal gratuitement. Quand il y avait un Français de passage, évidemment, il était invité! Parmi ces conférenciers, il y avait Zilboorg, Sterba, Rapaport et Bibring, les grands noms du temps ; ils venaient à Montréal, dans ce petit club, pour discuter toute une soirée sur un thème précis. Le feu sacré a été entretenu longtemps. À cette époque, j'enseignais au baccalauréat en psychologie, à la maîtrise et au doctorat. À cause de relations pas toujours très amicales avec certains professeurs, j'ai dû faire ma pratique privée de 7h à 9h du matin, de midi à 2h et de 5h à 7h, en dehors des heures de l'université. J'étais occupé !

P.M. Quand vous dites obligé, ce n'était pas un règlement mais c'était plus pour…

A.L. Ce n'était pas un règlement, mais on aurait pu me…

P.M. Vous taper sur les doigts?

A.L. Oui, bien sûr. Les choses sont devenues plus délicates après le départ de Mailloux comme directeur. Ensuite, j'ai participé à la fondation de la Société de psychanalyse de Montréal. Même chose pour l'Institut de psychanalyse, organisme de formation. Je pense que je peux dire sans piétiner ma modestie que j'ai eu pas mal d'influence sur bon nombre de psychologues de l'Université, car plusieurs sont venus à l'Institut pour se donner une formation. Je donne encore des séminaires et je suis encore impliqué à l'Institut. J'ai reçu de nombreux témoignages de gens venus à l'Institut pour mon enseignement.

P.M. J'aimerais que nous parlions de la publication, en 1960, de l'article Les dessous de la censure dans la revue Cité Libre, car il s'agit d'un aspect non négligeable de votre carrière.

A.L. Oui, ce fut toute une autre aventure, une sainte colère, mais bien contrôlée. La psychanalyse me permettait de mettre à nu les motivations inavouables des mordus de la censure. Les censeurs étaient légion et ils régnaient en maîtres presque absolus sur les consciences. Ils n'étaient pas les plus brillants, ni les plus "penseurs". Ils étaient des dominateurs. La censure était quelque chose d'absolument étouffant. Heureusement que parmi les catholiques, religieux et laïques, il y avait des gens qui n'avaient pas perdu la capacité de penser. Celui qui voulait penser librement était étiqueté "libre penseur" et était voué aux enfers. Des hommes comme Gérard Pelletier de Cité Libre, Jean Lemoyne (Convergences) et quelques autres ont mené un combat héroïque, toujours en danger d'être ostracisés. Il y avait quelques dominicains, quelques jésuites, français, théologiens, qui venaient aussi nous visiter et nous encourager. Il y avait le fondateur de la Revue Spirituelle, le père Plé. Les gens qui écrivaient pour cette revue étaient presque tous des psychanalystes. Des psychanalystes qui respectaient la foi, ou disons la doctrine chrétienne, comme le réputé Charles-Henri Nodet qui a pourtant écrit des articles absolument cinglants contre l'Église officielle. Il y a eu des écrits clairvoyants et pénétrants, gênants pour les clercs, les religieux. Le père Plé jubilait. Pour ne pas se faire cogner sur les doigts par Rome, le père Plé demandait astucieusement au Dr Charles-Henri Nodet d'écrire une lettre personnelle au lieu de lui commander un article. On ne pouvait pas accuser le père Plé : il s'agissait d'une lettre de protestation, une opinion d'un lecteur !

P.M. Mais vous, en 1960, ça n'a pas été une astuce comme ça.

A.L. À cette époque, j'étudiais le temps des sorcières. Comme psychanalyste, la chasse aux sorcières et l'Inquisition me passionnaient; je fus là-dedans pendant de très nombreuses années. C'est devenu mon jardin personnel.

P.M. Avec le Maleus maleficarum (Le marteau des sorcières).

A.L. Avec le Maleus maleficarum que je ne connaissais pas à ce moment-là. Au départ, je connaissais l'Inquisition et je savais que la chasse aux sorcières avait existé mais je voulais en savoir plus et j'ai beaucoup lu là-dessus. Plus j'y travaillais, plus j'étais amené à faire des analogies avec la censure qui sévissait chez nous. Quelques exemples, aujourd'hui loufoques : il me fallait une lettre personnelle du recteur de l'Université et du Doyen de la faculté pour que je puisse lire Balzac, pour que je puisse lire Freud, une permission de trois ans seulement, alors que j'étais professeur à l'Université! Le ridicule ne tue pas! Et le cinéma alors! J'aimais le cinéma et le théâtre, mais tous deux étaient outrageusement censurés, parfois au point d'en devenir incompréhensibles.

P.M. Les films étaient coupés.

A.L. Presque tous les films étaient cisaillés par la censure. Un jour, alors que je travaillais sur la chasse aux sorcières et sur la censure, on annonce la projection du film d'Arthur Miller, Les sorcières de Salem. Je me suis dit : "C'est pour moi, ça va m'aider". Alors je vais au cinéma, je vois le film et puis je me dis : "Il n'y a rien là-dedans, rien à censurer!" Mais j'ai vite compris que le film que j'avais vu avait été lamentablement censuré. La révolte en moi grondait. C'est alors que j'ai voulu voir le film qui, dans ma vie, m'a le plus impressionné, à mon sens, le plus grand film jamais produit sur Jeanne d'Arc : la Jeanne d'Arc de Drayer. Il date du temps du film muet. Drayer centre toute l'action sur le procès, une page d'histoire que les pères dominicains souhaiteraient pouvoir oublier; la laideur des visages, chargés de haine et de sadisme est pénible à supporter. Ces dominicains voulaient la peau de Jeanne et ils l'ont eue. Or ce film a été censuré parce que, selon la loi sur le cinéma, au Québec, il ne fallait pas montrer des images défavorables du clergé. Je n'en pouvais plus, mon indignation était à son comble, il fallait que je fasse quelque chose. J'ai décidé d'écrire pour dénoncer l'outrage à la vérité et analyser le pourquoi de cette manipulation des esprits. Ma formation de psychanalyste me donnait accès aux motivations secrètes, souvent inconscientes. De plus, on protégeait le clergé en trahissant les Évangiles. Alors, j'ai écrit. Ce fut une expérience éprouvante parce que je me sentais dans un milieu extrêmement réfractaire. J'étais professeur dans une université encore pontificale et je savais qu'on me sauterait dessus pour m'envoyer au bûcher ; mais en même temps, j'étais encouragé par des gens comme Gérard Pelletier et Jean Lemoyne, des esprits éclairés, tout aussi chrétiens que profondément libres. La foule des autres, je dirais qu'il m'a fallu en faire abstraction pour pouvoir écrire, sinon je risquais de paralyser. J'ai publié mes réflexions et pendant un mois, les journaux et autres médias n'ont parlé que de cela. Quand j'y repense, cela me flatte un peu. Il y avait là une miniguerre civile, religieuse, la moitié de la population qui me vouait aux enfers et l'autre moitié qui disait "enfin !" J'ai été attaqué, très vicieusement, par plusieurs religieux, même dans les pages éditoriales du Devoir. Jour après jour, paraissaient des articles contre moi. Un professeur de philosophie à l'Université de Montréal, un religieux, a écrit des choses malhonnêtes sur moi, des faussetés. Cela frôlait la calomnie. Les étudiants de l'Université ont boycotté ses cours, ont fait la grève et il a dû quitter son poste. La petite histoire n'est pas finie. Sur la base de mon article, l'équipe libérale de Lesage, Lévesque, Lapalme et autres ont voulu s'attaquer au gros problème de la Loi de la censure.

P.M. En 1959…

A.L. Et le parti libéral a remporté la victoire. Ces gens voulaient du changement comme nous. Lévesque et Lapalme avaient honte de la Loi de la censure au Québec. Ils tenaient à ce que quelque chose se fasse. Avec d'autres, j'ai été approché pour former un comité pour l'étude de la censure au Québec. Il y a des gens très calés en cinéma qui ont accepté, par exemple Fernand Cadieux, ce qui m'a permis d'accepter à mon tour, car je ne connaissais pas suffisamment le cinéma.

P.M. Je crois que Fernand Cadieux était sociologue dans les jeunesses étudiantes catholiques (J.E.C.)?

A.L. Oui, et il était très ami avec Pierre Juneau.

P.M. Il était président de la J.E.C., je pense.

A.L. Président, oui, et un esprit remarquable.

P.M. Mais vous êtes aussi allé chercher un dominicain dans votre comité.

A.L. Ça, c'est l'astuce! On savait qu'on avait toute l'Église officielle contre nous. Ce que l'on voulait faire n'était pas anti-religieux, pas du tout; le comité était formé majoritairement de catholiques. Comment faire passer la chose? Fernand Cadieux, catholique éclairé, mais très anticlérical, a dit qu'il fallait aller chercher le père Louis-Marie Régis, dominicain, doyen de la Faculté de philosophie, un esprit d'avant-garde. "Ça va être lui, le président", ce sera le "comité Régis". Régis a accepté et on a publié notre rapport révolutionnaire!

P.M. Pour l'époque.

A.L. Oui. Et j'ai su que l'état de New York avait emprunté notre rapport pour réviser sa loi de la censure. Ici, chez nous, notre rapport a déclenché des batailles inouïes; ce n'était plus Cité Libre qui proposait, c'était le gouvernement. Les communautés religieuses ont tout fait pour empêcher les changements à la loi; le diable était dans la cabane, Lucifer s'installait dans notre milieu. Malgré cela, le gouvernement a tenu bon : notre rapport a passé, et c'est depuis ce temps-là que les films ne sont plus censurés ni cisaillés; ils sont présentés tels quels ou ne sont pas présentés du tout. Après cela, il y eut des directeurs de films qui censuraient eux-mêmes leurs films à destination de pays portés sur les ciseaux. Au Québec, nous avons fixé des limites d'âge : pour 18 ans, pour 16 ans et plus. Ça se défend, pour protéger la jeunesse. Vous voyez donc, les répercussions considérables d'une sainte colère et de la publication d'un article !

P.M. Vous devez en être fier !

A.L. Si vous le dites, je vais dire oui. Oui, j'en suis fier. Il y a deux ou trois ans, je l'ai republié, en le corrigeant un peu, dans le livre Les visages de l'intolérance au Québec. Je le relis et je le trouve encore bon! D'habitude, quand on se relit, on n'aime pas ce qu'on a écrit. Mais j'ai eu encore plus de difficulté l'année suivante.

P.M. Parce que vous avez récidivé ?

A.L. J'ai récidivé et je tenais peut-être encore plus à mes opinions concernant le sujet risqué et délicat, très délicat, de l'enseignement de la sexualité dans les écoles par les religieux et les religieuses. J'étais convaincu que c'était une tare, une faute grave dans la préparation des enfants à la vie. Alors, j'ai écrit mon texte, un peu comme celui sur la censure, dans ma bulle, ma tour d'ivoire. Il fallait que je m'isole, que j'oublie mon milieu, sans quoi je ne pouvais pas écrire. S'il avait fallu que je tienne compte de la pensée de Pierre, Jean, Jacques, je n'aurais rien écrit. Ce texte fut beaucoup plus révolutionnaire, plus audacieux que celui sur la censure. À Cité Libre, Gérard Pelletier m'a dit : "Ne publie pas ça. Je suis d'accord avec toi, mais le public va te déchirer, tu vas te faire mettre en morceaux, tu vas être rejeté partout au Québec". Alors, j'ai demandé l'avis de Pierre Trudeau qui dirigeait également Cité Libre. Il était sensiblement d'accord avec Pelletier. Comme Diogène, je cherchais et je suis allé voir Jean Lemoyne et Robert Élie; tous les deux m'ont dit : "Il faut que tu publies ça tout de suite et que tu n'en changes pas un mot". J'ai donc présenté mon article à Cité Libre qui l'a publié avec une introduction pour dire que c'était ma pensée personnelle, à mes risques et périls, qu'il y avait peut-être des choses contestables mais que le texte méritait d'être connu. Alors, ce fut publié.

P.M. Intégralement ?

A.L. Oui. Et cette fois, j'ai été encore beaucoup plus attaqué. C'étaient des feux roulants, même dans les corridors de l'université. J'avais le sentiment de rencontrer des tigres qui me griffaient. Ce n'était pas très beau, ni à voir, ni à entendre.

P.M. Infâme.

A.L. Oui. Et puis, un an après, plusieurs religieux honnêtes ont affirmé que tout ce que j'avais dit devait être dit. Il y a même deux religieux qui m'avaient attaqué auparavant qui ont qualifié mes propos de prophétiques. Aujourd'hui, vous relisez cela et "c'est de la p'tite bière". Mais ça renseigne sur notre histoire. L'enseignement de la sexualité ne pouvait être fait par des hommes et des femmes qui avaient fait vœu de chasteté et pour qui ce vœu était une source de problèmes profonds. C'était une anomalie susceptible de produire une sexualité malade, et pendant longtemps on en a eu des preuves. Alors oui, c'est une époque que j'ai appréciée, malgré toutes les attaques, j'étais heureux de ce que j'avais fait.

P.M. Encore ?

A.L. Oui. On me dit souvent que j'ai été le seul psychanalyste à prendre position sur la place publique et j'ai longtemps été le seul. À cette époque, on disait que le psychanalyste doit rester dans sa tour d'ivoire, rester neutre, pour protéger les transferts. Il faut savoir s'affirmer sans exhibitionnisme. Après tout, Freud s'est beaucoup prononcé dans ses écrits. Quand je considère que quelque chose doit être dit, il faut que je le dise, ce qui ne va pas sans danger. Mon ami Germain Lavoie, que vous connaissez, me disait, sans référence à moi (!) : "Le fou dit ce qu'il sait, le sage sait ce qu'il dit". Il y a de ces choses qu'on a dans les tripes et qu'on a besoin de dire. C'est peut-être une sorte de folie, mais c'est une folie avec laquelle je m'accorde bien.

P.M. Une folie contrôlée.

A.L. Oui, contrôlée. Voilà.

P.M. On peut s'arrêter ici si vous voulez. Je pense que ce qu'il y a là est très intéressant. Merci de m'avoir reçu et merci d'avoir partagé avec moi ces souvenirs.

 

Propos recueillis le 28 novembre 2001


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 2 mai 2010 10:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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