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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Hervé Carrier, Cultures: Notre Avenir. (1985)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Hervé Carrier, Cultures: Notre Avenir. Rome, Presses de l'Université Grégorienne, 1985, 234 pp. Collection Studia Socialia, no 2. [Autorisation accordée par l'auteur le 17 novembre 2009 de diffuser la totalité de son oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

L'AVENIR DÉPEND DE LA CULTURE


Comment expliquer l'étonnante actualité de la culture dans le discours social d'aujourd'hui ? La culture, certes, n'est pas un phénomène nouveau, elle coexiste à l'histoire même de l'humanité. Ce qui est remarquable, c'est plutôt le très vif intérêt que suscite actuellement la culture, comme objectif prioritaire à défendre et à promouvoir. Nos sociétés prennent maintenant conscience que leur survie dépendra de leur culture, patrimoine inestimable mais combien vulnérable. Pour nous, la culture est identifiée à l'humanum, une conquête permanente de la "culture cultivée", comme de la "culture vivante".

On ne définit pas la culture, pas plus que la vie. Mais, nous le savons d'expérience, la culture touche à notre identité profonde, car c'est elle qui fait de nous des êtres humains dignes de ce nom. Or, jamais l'humanum n'a été autant menacé que de nos jours. Une grande part de l'humanité est dépouillée de ses moyens et de ses raisons de vivre. Il n'y a pas de pire agression que de détruire l'identité culturelle d'un groupe humain. Aucune culture n'est épargnée, même les plus affermies évitent à grand peine l'ébranlement de leurs institutions et de leurs valeurs les plus chères. Trop d'hommes et de femmes sont aujourd'hui méprisés dans leur identité profonde, leur liberté d'être eux-mêmes. On fait violence à leur culture. L'être humain, humilié, a une soif immense de dignité et il aspire à vivre d'une culture propre. Écoutons sa protestation à travers ces mots d'André Malraux dans l'Espoir : “Pour tout dire, je ne veux pas qu'on me dédaigne". Nous sommes entrés dans une époque OÙ les intérêts supérieurs de l'humanité ne peuvent être sauvés que par un choix conscient et un effort conjoint. Ceci vaut pour la culture, comme pour la paix. Maintenant, peut-on dire, encore avec Malraux : "la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert". En d'autres temps, la culture d'une collectivité pouvait croître par une lente sédimentation et par d'insensibles enrichissements. Les rythmes de la culture étaient séculaires, millénaires même. On vivait d'une culture comme on jouissait d'une héritage incontesté.

Mais, dans nos sociétés mobiles et pluralistes, soumises au choc des idéologies et des valeurs les plus contradictoires, nul groupe humain ne peut rester fidèle à sa culture sans un choix partagé, soutenu par tous. Vivre ensemble exige désormais l'adhésion consciente à un projet collectivement assumé, comme l'explique Pierre Emmanuel : "Etre ensemble est une immense opération, une orchestration infiniment complexe, dont le chef invisible est la conviction partagée que cet ensemble existe ; qu'il a un sens à travers l'histoire, qu'il nous faut y être attentifs afin qu'il ne se relâche pas, et que cette attention à plusieurs hauteurs a des synonymes qui sont liberté, démocratie, justice sociale, humanité" [1].

L'anti-culture la plus menaçante aujourd'hui, c'est l'indifférence face au déclin de la liberté. Le poète Czeslaw Milosz, prix Nobel, exprimait ainsi, dans une interview, sa crainte de l'esclavage qui guette l'humanité :

- "Comment j'entrevois l'avenir ?... Laissons la question en suspens".

- "Pourquoi ?' lui demande-t-on.

- "J'éprouve une immense angoisse. Mais ce n’est pas d'abord l'angoisse de la guerre atomique, car ce n'est pas le pire des malheurs qui puisse nous arriver. La mort n'est pas le pire des désastres qui guette l'humanité ou un individu".

- "Quel malheur alors ?"

- "L'esclavage" [2].

Voilà l'anti-culture que craint Milosz, lui le réchappé des horreurs de l'Holocauste, qui a célébré, en poésie, sa libération et celle de ses compagnons, conquise grâce à l'intelligence, au savoir, à la culture : "des fourneaux ardents, derrière les barbelés sur lesquels sifflait le vent... nous sommes sauvés par notre astuce et notre savoir" [3]. C'est la même conviction que professe Pierre Emmanuel : "Le plus grave désastre qui puisse menacer un peuple n'est pas l'anéantissement militaire, c'est l'indifférence de ses membres à la forme de son avenir" [4].

Le fatalisme est une tentation facile dans nos sociétés, qui se développent en une réalité extrêmement complexe, insaisissable sinon par un effort exceptionnel d'attention. Par ailleurs, des idéologies réductrices nous inclinent, presque malgré nous, vers une lutte des esprits et des armes qui risque d'être mortelle pour la famille humaine. Dans le monde actuel, l'humanum, ne peut être sauvé que par une conversion commune des esprits. Seule une mobilisation morale collective nous permettra de sauver et de promouvoir la culture humaine. C'est cette prise de conscience qui donne toute son actualité à la culture.

La cause de la culture suscite, dès lors, un intérêt jamais égalé jusqu'ici. Précisément, parce que la défense de l'humanum est perçue comme une priorité. Cette conviction nouvelle se traduit dans des engagements politiques et dans une action multiforme au bénéfice de la culture. On compte aujourd'hui plus de cent pays qui ont un Ministère de la culture, ou son équivalent, poursuivant explicitement une politique culturelle. D'innombrables organismes officiels ou privés se fixent comme objectif de servir la culture. Ces actions s'expriment de diverses manières : démocratisation culturelle, animation culturelle défense de l'identité culturelle, libération culturelle : développement de la culture populaire, pratique de l'inculturation, dialogue des cultures, soutien culturel des minorités, recherches sur les évolutions culturelles de nos sociétés, en particulier sur l'impact des médias, attention nouvelle portée aux facteurs culturels du développement socio-économique. Selon une terminologie commune aux Nations-Unies, à l'Unesco et au Conseil de l’Europe, on parle maintenant des "finalités culturelles du développement".

L'Église, consciente de sa mission universelle, émerge comme l'un des plus fermes avocats de la cause humaine. Depuis le Concile Vatican II surtout, l'Église apparaît comme le défenseur privilégié de la paix, de la justice, de la culture de l'homme. Jean Guitton rapporte cette confidence de Paul VI : "Vous souvenez-vous du mot si beau de Newman : 'Viendra le moment où l'Église défendra seule l'homme et la culture" [5].

l'Église, certes, ne détient aucune exclusivité au service de l'humanum, mais elle se présente comme l'alliée naturelle de tout homme et de toute femme' de bonne volonté, qui a conscience de mener un combat décisif en soutenant la cause de la culture. C'est là une des convictions majeures de Jean-Paul II : "Dès le début de mon pontificat, j'ai considéré que le dialogue de l'Église avec les cultures de notre temps était un domaine vital dont l'enjeu est le destin du monde en cette fin du XXe siècle. Car il existe une dimension fondamentale, capable de consolider ou de bouleverser dans leurs fondements les systèmes qui structurent l'ensemble de l'humanité, et de libérer l'existence humaine, individuelle et collective, des menaces qui pèsent sur elle. Cette dimension fondamentale c'est l'homme dans son intégralité. Or l'homme vit dune vie pleinement humaine, grâce à la culture [6]".

Voilà le thème, la cause de la culture, qui donne leur unité aux chapitres de cet ouvrage. On observe, autour de nous, que l'humanum recommence à mobiliser l'attention et tout donne à croire que nous entrons dans un temps nouveau de la culture. L'Occident prend vivement conscience du défi culturel qui lui est posé dans un' monde devenu polycentrique (Chapitre I). La culture apparaît à plusieurs comme un espoir nouveau (Chapitre II). Les jeunes générations ont le sentiment de vivre entre deux époques culturelles et elles sont en quête de la culture qui s'annonce (Chapitre III). Les États eux-mêmes, s'engagent désormais dans la poursuite d'une politique culturelle qui transformera les modes traditionnels de gouverner (Chapitre IV). Les chrétiens, quant à eux s'interrogent sur leur identité propre dans des cultures en gestation (Chapitre V). On comprend mieux, maintenant, que les tâches du développement exigent une réponse, double et simultanée, aux besoins de la justice comme à ceux de la culture (Chapitre VI). La culture devient, ainsi, un champ privilégié où l'Église entend exercer son action avec tout homme de bonne volonté et le Saint-Siège a récemment institué un organisme à cette fin (Chapitre VII). L'Église est surtout consciente que l'Évangile de l'amour reste l'un des ferments les plus puissants pour amener les cultures à leur pleine réalisation (Chapitre VIII) [7].

En cette fin de siècle, il n'y a pas de cause plus urgente à soutenir que celle de la culture. L'avenir dépend de la culture. Voilà le défi. C'est aussi notre espoir.



[1] PIERRE, Emmanuel, Pour une politique de la culture. Paris, Éd. du Seuil 1971, p. 22.

[2] In Broteria, Cultura e Informaão, 116 (février 1983), p. 182.

[3] CORRADO, Augias, Poesie di Czeslaw Milosz. Milan, Adelphi, 1983.

[4] P. Emmanuel, op. cit., p. 22.

[5] Jean GUITTON, "Témoignage", in A. Caprioli e L. Vaccaro, Paolo VI e la Cultura. Brescia, Morcelliana, 1983, pp. 145-151, cf, 150.

[6] Lettre de fondation du Conseil Pontifical pour la Culture, L'Osservatore Romano du 21-22 mai 1982.

[7] Cet ouvrage reprend, en la refondant, la matière de sept essais que j'ai consacrés ces dernières années au développement culturel. Voir : "Source des chapitres", p. 221.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 18 mars 2010 10:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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