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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Comment penser les rapports entre idéologie et savoir ordinaire
dans le cadre de la sociologie de la connaissance et des idéologies ?
(2000)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Raphaël Canet, Comment penser les rapports entre idéologie et savoir ordinaire dans le cadre de la sociologie de la connaissance et des idéologies ? Document de travail de la Chaire Mondialisation, citoyenneté et démocratie, UQÀM, no 2002-03, janvier 2000, 122 pp. Sous la direction de Gilles Bourque et Gilles Dostaler. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 18 août 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

 
« Les gens de mon Pays, ce sont gens de parole, des gens de causerie, qui parlent pour s'entendre, qui parlent pour parler, Il faut les écouter, c'est parfois vérité, mais c'est parfois mensonge… »
 
- Gilles Vigneault-

 

Aborder la question des éventuels rapports pouvant s'établir entre l'idéologie et le savoir ordinaire invite préalablement, avant d'éclaircir ces deux concepts et de réfléchir sur leur pertinence, à un détour par l'ontologie. 

L'ontologie est la science de l'être en tant qu'être. Elle pose la question fondamentale de la réalité. Platon aborde, dans le livre VII de La République, cette problématique du rapport des hommes à la réalité à travers son allégorie de la caverne où il traduit en image l'illusion possible des hommes sur la réalité. [1] Cette question classique de la capacité de l'homme à saisir le réel, de la distance pouvant s'instaurer entre le sujet observateur et l'objet observé, se trouve au fondement même de la problématique de la connaissance. Avant même de chercher à le connaître, il convient de répondre l'interrogation ontologique fondamentale : le monde est-il ? 

Cette interrogation conduit à se positionner sur un spectre dont les extrémités sont constituées d'un côté par le pôle idéaliste, de l'autre par le pôle réaliste. Pour l'idéalisme, la réalité n'est rien en dehors de la pensée. Cette position extrême se fonde sur une conception purement subjective de la réalité qui ouvre la voie au relativisme. Pour le réalisme, la réalité existe en soi. Cette seconde position extrême repose sur une conception purement objective de la réalité qui conduit à reporter le problème de la réalité non sur sa concrétion, mais sur l'objectivité de la méthode permettant de l'appréhender. 

Ce clivage entre idéalisme et réalisme (que Madeleine Grawitz [2] identifie comme les pôles de l'idéalisme et du matérialisme) structure l'ensemble de la réflexion humaine et se trouve au fondement de la gnoséologie. Entre ces deux extrêmes une multitude de conceptions concordataires s'expriment, construisant une « réalité-mélange, faite d'objectif et de subjectif, née d'un dialogue entre l'homme et le monde, descriptive non du monde en soi, mais du monde tel qu'il est vu par l'homme ». [3] 

Cette posture philosophique médiane refusant les extrêmes nous apparaît d'une grande utilité pour la construction de notre problématique. Partant du constat de la distance qui s'instaure entre le sujet et l'objet, elle entend s'attacher à la compréhension non de la réalité en tant que telle, mais de la réalité telle qu'elle est perçue par les hommes. En portant le problème au niveau de la perception, nous glissons de l'ontologie à l'herméneutique. [4] Il ne s'agit plus de savoir si la réalité existe ou non en tant qu'objet, mais plutôt de comprendre comment les sujets (individuels ou collectifs) appréhendent le monde dans lequel ils vivent, qu'il soit concret ou un pur produit de l'esprit. 

Ainsi, ce questionnement philosophique initial nous permet de formuler une interrogation de nature sociologique. L'observation historique de l'aventure humaine nous informe qu'il existe une fonction symbolique universelle inhérente à toute société. [5] Pourquoi les hommes se représentent nécessairement le monde dans lequel ils vivent ? Là n'est pas notre propos puisque nous nous intéressons plus à la question du comment qu'à celle du pourquoi. Une esquisse de réponse s'avère cependant nécessaire. Selon Fernand Dumont, l'action sociale n'est possible que parce qu'elle s'inscrit au sein d'un monde signifié. « Les individus et les groupes agissent pour combler les incertitudes des situations où ils se trouvent. Mais, par une sorte de cercle vicieux, l'action ne dégage son intention que par référence à un espace aux alentours un peu fermes ; elle ne peut être posée sans qu'une signification cohérente soit donnée à la situation. » [6] Martin Heidegger ne disait pas autre chose lorsqu'il développait sa théorie du Dasein afin de renverser la perspective idéaliste de la phénoménologie de Husserl. [7] 

Lier action sociale et représentation du monde permet d'introduire la dimension politique de cette représentation. Puisque le fait de donner un sens au monde dans lequel nous évoluons permet de donner un sens à l'action que nous entendons mener, toute société développant une représentation commune du monde pourra alors se donner un sens et ainsi nourrir son projet de société. C'est parce qu'elle met de l'avant une finalité sociale qui s'exprime dans son projet, que cette perception du monde se veut objective. Dès lors la question sociologique du comment les sujets vont-ils comprendre le monde dans lequel ils vivent, se trouve dotée d'une importance majeure. Elle ne relève plus d'une inquiétude existentielle psychologique mais d'une fonction d'intégration sociale évidente : doter la société d'un projet et y inclure ses membres. Dès lors, il semble possible de se trouver en présence de deux formes de perception du monde. Une première, structurée et se donnant l'apparence d'une perception objective du monde, qui entend fonder cette signification commune de la société conçue comme totalité (même si cette perception n'est effectivement le fruit que d'une minorité) sur le monde afin de légitimer son projet. Elle exprime un rapport général au monde. Une seconde, moins structurée et apparaissant comme une perception subjective du monde, que ces sujets soient des individus ou des groupes particuliers, qui ne nourrit aucun projet général, mais traduit un rapport spécifique au monde comme le fruit d'une expérience particulière. Elle exprime un rapport singulier au monde. 

Dans une telle perspective, il est possible d'illustrer le dualisme sujet-objet de la manière suivante : 

 

C'est cette dualité constitutive du sujet (général/singulier) qui nous permet de définir les deux concepts d'idéologie et de savoir ordinaire. Ainsi, nous entendrons le terme d'idéologie comme cette perception objective de la réalité fondée sur un rapport général au monde venant légitimer le projet que se donne théoriquement [8] une société. Nous définirons de même le savoir ordinaire par cette perception subjective de la réalité fondée sur un rapport singulier au monde prenant racine dans l'expérience et ne nourrissant aucun projet de transformation sociale du monde, tout au plus des opinions particulières de ce que devrait être le monde. 

 

Idéologie

Savoir ordinaire

Nature de la perception du réel

perception objective du réel aspirant à la totalité

perception subjective et fragmentaire du réel

Nature du rapport au monde

rapport général au monde

rapport singulier au monde

Fonction du rapport au monde

projet de transformation sociale du monde

opinion particulière sur le monde résultant d'une expérience spécifique

 

Dès lors, s'interroger sur les rapports pouvant s'établir entre l'idéologie et le savoir ordinaire, tel que nous venons de définir ces concepts, revient à analyser le type de relation qui va s'établir entre ces deux formes de perception de la réalité. Nous pouvons supposer trois types de relations. Si l'on considère que la relation entre les deux est de nature conflictuelle, deux options sont alors possibles. Soit l'idéologie façonne le savoir ordinaire, soit le savoir ordinaire s'objective dans l'idéologie. Nous pouvons aussi considérer que la relation s'établissant entre les deux formes de perception de la réalité soit de nature plus complémentaire qu'antagoniste et ainsi que le savoir ordinaire se développe indépendamment de l'idéologie, et peut puiser en elle comme dans un stock de significations, ou l'inverse. 

Nous nous proposons d'envisager quel peut être l'apport pour notre problématique générale, dont nous venons d'esquisser les contours, des différentes théories classiques en la matière. Nous analyserons successivement les travaux de Fernand Dumont, des marxistes (Marx, Engels et Althusser), des libéraux (Boudon, Baechler), pour conclure avec la sociologie de la connaissance (Mannheim, Berger et Luckmann).


[1]   Décrivant les hommes enchaînés à la caverne, Socrate poursuit ainsi son dialogue :

     « -… penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?

     - Et comment ? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ?

     - Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même ?

     - Si donc ils Sans contredit.pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient ?

     - Il y a nécessité. » Platon, La République, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, Livre VII, p. 273.

[2]   Madeleine Grawitz, Méthode des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1993.

[3]   Jean Hambuger, « Le concept de réalité », Encyclopédie Universalis, 1997.

[4]   Dans le sens où l'herméneutique permet « une juste interprétation de réalités dont la signification n'est pas immédiatement évidente », René Marlé, Le problème théologique de l'herméneutique, Paris, Éditions de l'Orante, 1968, p.10.

[5]   Gilles Bourque et Jules Duchastel, « Texte, discours et idéologie(s) », Revue belge de philologie et d'histoire, n°73, 1995, pp.605-619.

[6]   Fernand Dumont, Les idéologies, Paris, PUF, 1974, p. 9.

[7]   Heidegger postule le primat de l'être sur le connaître (il réduit la distance entre le sujet et l'objet en inscrivant le sujet dans l'être, c'est-à-dire l'objet). Partant de la structure globale de "l'être dans la monde" (Dasein), il y opère une sorte de dissection, analysant tout d'abord "le monde", pour ensuite revenir sur "l'être dans". Le monde apparaît comme un ensemble de significations en soi. L'être dans ne signifie pas l'inclusion dans cet ensemble de significations, qui suppose la centralité de la conscience, mais plutôt l'appartenance intrinsèque à ce milieu. C'est la prise en compte de cet enracinement qui permet de développer une analyse non-idéaliste du Dasein permettant de partir du postulat que le sujet se trouve en situation, et qu'il s'y oriente par projet. C'est la compréhension de ce rapport qui s'instaure entre la situation et les possibilités qui s'en dégagent, qui définit la démarche herméneutique. Martin Heidegger, Être et temps, Paris, Gallimard, 1986.

[8]   Il semblerait en effet plus juste de dire que si ce projet est construit pour la société dans son ensemble à partir d'une définition se voulant objective de la réalité, donc susceptible de faire l'unanimité, il est le plus souvent élaboré par une fraction de la société qui entend ensuite, par conviction ou par intérêt, élever sa perception spécifique du monde à un niveau de généralité en la fondant en objectivité.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 22 août 2008 12:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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