RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Dorval Brunelle, LA RAISON DU CAPITAL. ESSAI SUR LA DIALECTIQUE. (1980)
Deuxième partie. Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Dorval Brunelle, LA RAISON DU CAPITAL. ESSAI SUR LA DIALECTIQUE. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1980, 216 pp. Collection Brèches.

Deuxième partie 
Infra et superstructure 

 

Introduction.

 

Les quatre essais qui forment le contenu de la première partie nous ont permis, chacun à sa manière, d'illustrer l'inépuisable complexité du processus d'appréhension des rapports sociaux et de montrer quelques-uns des enchevêtrements que ces rapports connaissent à l'occasion et dans le cadre de l'élaboration d'une histoire sociale. Peut-être bien que la leçon première que l'on peut tirer de ces incursions somme toute superficielles est celle relative à la constitution ou à l'élaboration d'un cadre d'analyse. 

Or, la question de la validité d'un cadre d'analyse particulier comme le cadre fonctionnaliste ou le cadre marxiste pose d'emblée la question du statut de ce cadre d'une part, du statut du réel de l'autre. Nous l'avons vu cependant, cette dichotomie entre le réel et la pensée constitue une véritable réduction parce que c'est bien la pensée qui structure le réel, c'est-à-dire le social. En simple, cela veut dire que la lutte des classes n'existe par en soi, elle n'existe que dans la pratique d'une lutte et la théorisation de cette pratique, exactement comme la collaboration existe dans la pratique de la collaboration et sa théorisation. 

Il serait même ici, à la limite, absurde de chercher, dans les seules voies de l'abstraction, l'ordre de la détermination, c'est-à-dire de "découvrir" dans l'abstrait si le réel ou le matériel -comme on voudra - détermine la pensée ou vice versa. Le réel ne porte pas en lui un sens caché qu'il appartient à la pensée de déchiffrer "correctement" : l'univers social n'est pas piégé d'apparences dont il revient à la science de révéler les essences cachées comme le laisse entendre un extrait souvent cité de Marx. 

Il appartient à Michel Foucault d'avoir révélé la mise en ordre propre au discours scientifique et d'avoir montré que la nécessite "scientifique" n'est, en vérité, que l'ordre d'une mystification propre à la science. Comme le droit, la science construit ses propres contraintes de telle sorte qu'“en dernière instance” ses évidences ou ses lois sont des justifications de pratiques sociales ou politiques définies. Il n'y a pas, à proprement parler, de "science" sociale mais des praxéologies rationalisées ou des rationalisations de praxis. Nous pouvons, pour illustrer ce fait, paraphraser Foucault et avancer que le chercheur "doit, selon un paradoxe qu'il déplace toujours mais auquel il n'échappe jamais, dire pour la première fois ce qui cependant avait été déjà dit et répéter inlassablement ce qui pourtant n'avait jamais été dit" [1]. Ce paradoxe sourd du processus même de l'élaboration de l'histoire dans la mesure même où cette histoire n'est plus appréhendée comme le lieu d'affrontements aveugles entre classes poussées par des lois inconnues. 

Ce paradoxe explique (et s'explique par) le fait que si les hommes nouent des rapports en dehors de leur volonté [2], déterminés par des "positions objectives", leurs rapports antagoniques ne résident pas dans la "découverte" de ces positions mais que ce sont plutôt les rationalisations des pratiques antagoniques qui agissent à la fois comme le moteur et comme le résultat de ces luttes. Bref, l'histoire est un construit, c'est la trame de nos productions les plus diverses, les plus farfelues mêmes, et le statut de la lutte dans cette construction c'est d'abord et avant tout l'incessante élaboration du social contre les forces conjuguées du travail mort sous toutes ses formes : le capital d'abord, bien sûr, mais aussi toute croyance qui s'érige en dogme et qui prétend de ce fait asseoir son "évidence" ou sa "scientificité" dans cette violence qui est d'abord l'imposition du silence ou du déjà-dit avant que d'être ou de devenir le bâillon institutionnalisé dans des appareils de répression. 

À cet égard, il n'existe ni lecture immédiate, ni lecture privilégiée en dehors d'une imposition de sens : un arbre n'est un moyen de production qu'à un certain niveau d'abstraction, mais ce niveau d'abstraction n'a rien à voir avec une essence comme l'avançaient les philosophes ; la notion d'arbre est le produit de tout un réseau de discours poétiques ou scientifiques et, en lui-même - pour prendre une simplification à la mode, - il n'est autre que la somme de ses existences sociales et historiques. À leur tour, ces sens sont inépuisables, comme sont inépuisables les utilités matérielles et les significations symboliques de l'arbre. 

Est-ce à dire que nous sommes constamment renvoyés d'une polysémie à une autre, que l'absence de déterminations fonde et justifie tous les discours, n'importe quel discours ? Pas du tout. Dans l'univers des significations possibles, il ne demeure qu'un ensemble spécifique de sens qui s'impose et est de fait imposé contre d'autres ensembles et c'est précisément le point de fracture des discours qui forge l'opposition des contraires et, à la limite sociale, la lutte des classes. Dans ces conditions, la lutte n'existe pas "ailleurs" mais bien dans le travail même de la confrontation. Or, le point de fracture d'un tout organique ou d'une collectivité en deux classes antagoniques n'est pas donné dans une "situation objective par rapport à des moyens de production" comme réseau de rapports des hommes aux choses, puis aux concepts de ces choses, mais dans une appropriation de sens dont les biens matériels sont les supports - sans quoi cette appropriation n'aurait pas de conséquences matérielles - appropriation qui fonde et produit à la fois le "contre-sens", c'est-à-dire la critique des éléments ou des raisonnements qui justifient l'appropriation donnée au départ qui est, dans la pratique, imposée au départ. 

Dans ces conditions, si la lutte des contraires est une donnée permanente de l'histoire, la lutte entre classes n'en est qu'une forme particulière et ne saurait être trans-historique sous cette forme uniquement parce qu'elle s'est avérée être une donnée essentielle de l'analyse d'une phase de l'histoire, celle du capitalisme. En d'autres mots, la forme d'une lutte ne saurait être permanente parce qu'elle s'est avérée exister à un moment ou l'autre de l'histoire. La lutte ou l'affrontement ne pré-existe pas a son apparition dans des conflits concrets : à cet égard, elle est davantage un "produit" qu'un "moteur", et l'histoire n'est celle des luttes de classes qu'à la condition même et au moment précis où l'on convient que, de toutes les histoires possibles présentes ou à venir, celle-là a la pré-éminence dans la pratique et dans la théorie. 

D'ailleurs, au fur et à mesure que l'“histoire” - c'est-à-dire un réseau bien spécifique d'interprétations et de rationalisations -est inféodée à un parti ou à un gouvernement, on assiste à une véritable dissolution des faits et de leurs significations et de la seule mise en ordre des éléments susceptibles de fonder le maintien d'une rationalité spécifique : l'histoire se résorbe alors dans la logomachie d'un futur piégé dans les significations passées qu'une dogmatique permet à tout instant de révéler sur le mode de l'évidence. On assiste alors a une pure et simple destruction de significations, c'est-à-dire à une véritable destruction de l'Histoire elle-même. Nous assistons ici bel et bien à l'imposition d'un sens, à la résorption des déterminations sociales diverses et antagoniques dans le Concept qu'il s'agisse des concepts d'État, de Peuple, ou de Nation. 

Mais que s'est-il passé au juste ? Comment avons-nous pu glisser ainsi de questions de méthodes à l'emprisonnement de ces significations plurielles des rapports sociaux dans un sens ? Une explication de ce fait réside dans le statut de l'histoire d'une part, dans les interprétations de ce qui constitue la trame de l'histoire, les faits, de l'autre. Quand on énonce que l'histoire est un processus dialectique, ou un effet dialectique, on passe par dessus le problème de fond qui consiste à résorber le travail de recherche des formes et des modes divers d'apparition de ces formes, dans des contextes historiques et sociaux spécifiques, au sein d'une raison an-historique, c'est-à-dire à l'intérieur d'un ensemble de relations intellectuelles ou logiques qui existeraient à l'extérieur des conflits et des rapports sociaux. 

On assiste ainsi à l'éclosion d'une dogmatique qui n'est autre que J'appropriation des significations des faits dans une histoire comme si celle-ci était déjà élaborée au lieu de passer par la pluralité des lectures d'un fait pour enrichir l'histoire. Autrement dit, l'affrontement des contraires sous la forme de luttes de classes n'est pas une donnée de l'analyse mais ce sont au contraire ces luttes qu'il faut repérer dans un premier temps, leurs formes diverses et multiples puis leurs diverses significations qu'il importe de cerner dans un deuxième temps. Dans ces conditions, il ne s'agit pas de nier ou de dénigrer les luttes qui ne sont pas conformes au modèle industriel "classique" d'affrontement entre bourgeois et prolétaires - voire même à nier que le col blanc ait raison de se battre [3] - mais au contraire de montrer et d'illustrer l'universalisation des champs de luttes et des formes d'affrontement dans la société capitaliste avancée, qu'il s'agisse des rapports entre propriétaires et locataires, juges et déviants, hommes et femmes, appareils et individus, et de démontrer la filiation entre un mode donné de production matérielle et son mode propre de production et de résorption de contradictions sociales [4]. 

C'est dans ce contexte et en tenant compte de ces préoccupations que nous voudrions aborder la question du rapport entre base et superstructure et chercher à explorer le sens et la portée d'une telle dichotomie. Nous étudierons dans un premier temps le sens de la distinction avant de passer à une ébauche d'explication de son statut théorique et méthodologique dans la raison dialectique.


[1] Cf. Michel Foucault, L'ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, page 27.

[2] Encore que cette "indépendance" de la volonté énoncée d'abord par Marx soit très suspecte : c'est plutôt l'exercice même de la volonté qui crée cette nécessité que l'on se plait ensuite à objectiver, à hypostasier. À cet égard, à vouloir trop se démarquer de Hegel, Marx renoue à cette occasion avec un matérialisme mécaniste passablement primaire. La référence complète à l'extrait en question sera reprise ci-après à la section 1.

[3] Plus particulièrement que les employés d'état puissent déclencher des grèves, c'est-à-dire de mettre à profit les méthodes développées dans le secteur privé de l'économie. Voir : James O'Connor, The Corporations and the State, N.Y., Harper Colophon Books, 1974, pp. 146 à 151.

[4] La plupart des marxistes acceptent ce fait de l'exacerbation et de l'universalisation des contradictions et c'est notablement le cas de James O'Connor qui, dans l'introduction à son ouvrage cité ci-dessus, dénonce l'appauvrissement théorique auquel conduit le dogmatisme. Cf. op. cit., "Preface", pp. IX à XV.



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le mercredi 12 décembre 2007 10:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref