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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Dorval Brunelle, LA RAISON DU CAPITAL. ESSAI SUR LA DIALECTIQUE. (1980)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Dorval Brunelle, LA RAISON DU CAPITAL. ESSAI SUR LA DIALECTIQUE. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1980, 216 pp. Collection Brèches.

Présentation

 

Les textes réunis ici sont nés dans la foulée de questions et d'interrogations diverses qu'avaient soulevé des travaux de recherches consacrés à l'histoire sociale du Québec contemporain. 

Ces questions et ces interrogations - bien qu'essentielles n'avaient été abordées à ces occasions que de manière détournée, incidente, c'est-à-dire à la fois partielle et partiale, et les exposés trop courts auxquels elles avaient donné lieu appelaient un approfondissement ultérieur. Si en effet les développements théoriques ou abstraits n'ont pas leur place dans les livres d'histoire - malgré que toute reconstruction, toute reconstitution repose sur des a priori et des hypothèses qui fassent par avance appel à une théorie ou à une approche, -force était alors de leur consacrer des travaux à part dont ce serait là précisément l'objet et la fonction. C'est ce que visent les essais réunis dans cet ouvrage : ils tentent de circonscrire quelques-unes des mailles de ce que l'on convient parfois d'appeler le "tissu historique". Ils se trouvent ainsi à établir des énoncés et à baliser des approches qui soulèvent vraisemblablement plus de questions qu'ils ne proposent de réponses définitives autour d'enjeux théoriques consolidés. 

Ces éléments méritent quelque explication. On peut en effet présenter les problèmes afférents à l'étude des rapports sociaux comme étant uniquement des problèmes théoriques et méthodologiques qui sont dès lors susceptibles de trouver une solution pour autant que l'on choisisse le cadre théorique adéquat. Dans ces conditions, le réel peut toujours être déchiffré par la pensée : il a son existence propre et l'intellection est le mode de son appropriation. Cette problématique nous a voulu tout un ensemble de considérations plus ou moins nébuleuses sur le rapport entre le réel et la pensée et sur les nombreuses déterminations possibles entre l'un et l'autre. 

Or, la pensée est moins un mode d'appréhension d'objets que le mode de la constitution du réel c'est-à-dire, pour ce qui concerne la vie humaine, du social : si le travailleur collectif, notamment, est un produit de la socialisation des moyens de production, la solidarité qui se greffe sur cette détermination brute est un construit, elle résulte de travaux et d'approfondissements intellectuels effectués par ces travailleurs et qui posent et opposent ainsi la rationalité sociale aux discours rationnels des fonctionnaires du capital et de ses intellectuels. C'est ainsi que, par exemple, la grève n'est pas une solution rationnelle en soi : elle ne l'est nécessairement pas pour le capital, elle l'est forcément pour les travailleurs. 

De même, l'assurance-chômage est une mesure progressiste pour le capital puisqu'elle le décharge d'un poids social qui, s'il s'alourdit trop, risque de contrecarrer la rationalité de l'accumulation, elle ne peut pas l'être pour le chômeur qui est privé de la seule possibilité d'insertion dans le monde du travail, insertion qui peut seule le valoriser à ses propres yeux comme à ceux des autres, c'est-à-dire lui conférer une existence sociale. 

Enfin, la sécurité au travail est une charge pour le capitaliste, les coûts qu'elle entraîne risquant de retarder l'accumulation du capital ; elle est une menace permanente pour le travailleur puisque toute économie à ce chapitre risque à tout moment de le priver de la possibilité de gagner son existence même et si l'extension des services de santé à toutes les couches sociales est un acquis pour le capital, elle ne l'est pas nécessairement pour les plus démunis si cette extension laisse intouchées les conditions objectives qui donnent lieu à la production de leurs maladies, qu'il s'agisse de l'insalubrité de l'habitation ou de la précarité des conditions de travail. 

Ces exemples permettent d'établir au moins une chose, àsavoir que le réel n'est pas univoque tandis que tout le travail de la rationalité consiste précisément à prétendre qu'il l'est et, ce faisant, ce travail tend à dissoudre les contradictions et les déterminations multiples de son objet dans la trame de ses énoncés. 

L'on perçoit ainsi à quel point des problèmes en apparence abstraits - théoriques ou méthodologiques - constituent en définitive de véritables difficultés fondamentales : pas plus qu'il ne s'agit d'étudier une institution comme un reflet d'une conscience sociale comme cela arrive lorsque l'on réduit la conscience syndicale aux pratiques des centrales syndicales, l'on ne doit aborder le travail intellectuel comme une simple transcription d'un réel transparent, clair et univoque. 

Les essais qui suivent ont été construits autour de ces questions, l'on doit donc moins s'attendre a y trouver de démonstrations que des illustrations des rapports dialectiques qu'entretiennent entre eux quelques aspects du réel. Si nous nous attachons à montrer l'émergence de ces contradictions, de même que les diverses formes de la domination de la raison capitaliste sur les procès sociaux, ce n'est pas pour refaire l'histoire du capitalisme mais, plus modestement, afin d'arriver à cerner les rapports complexes qu'entretient la dialectique avec l'histoire. Dans cet esprit, nous avons voulu que les textes soient simples et clairs pour qu'ils puissent servir à illustrer ou àrévéler la complexité des interrelations en cause dans J'analyse des phénomènes sociaux. Il s'agit dès lors de viser, à l'occasion d'études portant sur des questions en apparence complexes, une forme d'apprentissage à l'utilisation de la raison dialectique et c'est ce dernier élément que je tiens maintenant à expliciter, c'est-à-dire la visée plus polémique du travail entrepris, 

Il arrive en effet, par les temps qui courent, que l'on assiste à l'instauration progressive, en sciences sociales du moins et dans certains pays en tout cas, d'une problématique qui se pose d'emblée comme scientifique ; et comme cette scientificité prétend sourdre directement d'une lecture "juste" de certains textes classiques de Marx, notamment, on en arrive alors àrésorber ou à dissoudre l'histoire même des diverses lectures possibles ou potentielles des textes d'un penseur à une interprétation à la fois univoque et nécessaire. On aboutit ainsi au curieux paradoxe - pour ce qui concerne Marx spécifiquement - que le penseur critique par excellence voit son propre travail soustrait à la critique et à l'histoire ce qui est pour le moins étonnant. Certains marxistes - dont Charles Bettelheim, en particulier, - ont cherché à analyser et ont tenté d'expliquer cette "dogmatisation" de la pensée de Marx ; il n'en reste pas moins que de telles leçons de l'histoire relèvent sans doute de celles qui ne sont pas encore apprises et il faudra bien un jour s'attaquer à ce problème spécifique et expliquer "scientifiquement" l'émergence, l'extension et l'intensification des sectes, des écoles, des chapelles ou des partis qui détiennent le monopole de la Vérité dans des conjonctures particulières [1]. Ceci dit, je pars évidemment d'un point de vue selon lequel l'importance de Marx n'est plus à démontrer : le vocabulaire de tous les jours ne peut échapper à l'utilisation des concepts et notions forgés, manipulés ou légués par lui ; les concepts de "lutte de classes" et de "plus-value" sont, parmi d'autres, des concepts-clé qui permettent d'appréhender la constitution contradictoire des rapports sociaux. Mais ces concepts, pour autant qu'ils sont maniés de manière pré-critique ou logomachique, risquent de fonder une véritable économie de travail intellectuel de telle sorte que la pensée résorbe l'objet dans une ratiocination au lieu de l'enrichir par la recherche incessante de ses déterminations historiques et sociales. À cet égard, il y a une nécessaire humilité du travail intellectuel et de ses résultats analytiques immédiats qu'il importe de souligner et de réaffirmer contre cette tendance à la domination de l'approximation sous prétexte que l'à-peu-près suffit à l'histoire et dans la connaissance de l'histoire pour transformer des rapports sociaux. Bien sûr, l'on sait depuis Marx qu'il ne suffit pas de comprendre mais de transformer la société ; néanmoins, à trop vouloir transformer sans comprendre, il arrive que l'on redéfinit dans d'autres discours des anciennes contradictions. 

Le travail intellectuel est une activité fragile et contradictoire : il peut tout autant servir à dominer qu'à libérer, à piéger qu'à affranchir, à soustraire qu'à donner, et le passage d'un effet à l'autre est moins question de théorie, de méthode ou d'approche per se qu'une question de désappropriation, de disponibilité et d'apprentissage. D'ailleurs, nous avons moins besoin de certitudes que de doutes et c'est bien la fonction première du travail de recherche que d'entretenir ce doute qui est la condition de toute nouvelle interrogation, qui est, à son tour, un prérequis à toute forme de libération individuelle et sociale. 

Or, la recherche est légitimée par trop souvent comme une quête de solutions, comme une étape entre deux certitudes où le résultat confirme l'hypothèse donnée au départ. Ce genre de travail n'est qu'un scolaire exercice qui consiste à compter dans le panier les oeufs qu'on y a mis : il satisfait le convaincu et n'a même plus le mérite de quêter des adhésions. 

Je mentionne d'entrée de jeu l'incontestable utilité du travail critique fait sur ce modèle mais je tiens à démarquer également son caractère asséchant et inepte : s'il ferme une porte, celle de l'adhésion à un système d'exploitation donné - capitaliste en l'occurrence - il n'ouvre sur rien sinon sur l'adéquation purement intellectuelle entre une mécanique abstraite et un réel qui doit ou devrait par magie s'y conformer ou y souscrire. Il n'est dès lors pas étonnant que l'énoncé "juste" se double d'un procès qui vise à punir ou à réformer celui qui n'y adhère pas. 

La solution à ces problèmes, la réponse à ces interrogations, je ne les porte pas en moi. Je ne prétends tout au plus que secouer certaines certitudes et, par une exploration du côté de la raison dialectique, ouvrir sur la complexité du social plutôt que de fermer et d'enfermer la réflexion dans la tranquille contemplation de ses propres certitudes. La libération sociale et individuelle ne saurait puiser aux sources de la foi mais elle doit plutôt constamment s'attacher à critiquer tous les dogmes, quels que soient les paravents qu'ils choisissent d'emprunter. 

En tout état de cause, et sans vouloir esquiver l'importance des assertions qui précèdent, ces éléments sont ceux qui ont présidé à l'élaboration du présent ouvrage. S'il n'y est pas répondu dans ces pages, il reste à souhaiter que les textes qui suivent donneront lieu à de nouvelles interrogations sans lesquelles la transformation des rapports sociaux demeure un voeu de pure forme. 

Sur le plan plus proprement formel, notre travail a été partagé en deux parties : la première regroupe quatre courts essais qui tendent tous quatre à montrer quelques facettes du rapport entre travail manuel et travail intellectuel, tandis que la deuxième partie est uniquement consacrée à la raison dialectique et au statut du rapport entre infrastructure et superstructure dans ses raisonnements. Il y a dès lors un décalage entre les deux parties de l'ouvrage puisque la première apporte en quelque sorte des éclairages à la fois divers et complémentaires autour d'une interrogation centrale que la seconde aborde de manière plus méthodique où l'on cherche plutôt à jeter les bases de ce qui pourrait devenir une méthodologie propre a l'histoire sociale. 


[1] Cf. Serge Latouche, Critique de l'impérialisme, Lille, Les Cahiers du CEREL, 1978.



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le mercredi 12 décembre 2007 10:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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