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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Dorval Brunelle et Christian Deblock, Le libre-échange par défaut (1989)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Dorval Brunelle et Christian Deblock, Le libre-échange par défaut. Montréal: VLB Éditeur, 1989, 302 pp. Une édition numérique réalisé par par Diane Brunet, bénévole, guide, Musée La Pulperie, Chicoutimi.

Préface
 

par MARIA TERESA GUTIÉRREZ-HACES,
Université nationale
autonome de Mexico,
janvier 1989 

 

i Tan lejos de Dios
Y tan cerca de los Estados-Unidos !
Si loin de Dieu
et si près des États-Unis !
 

Dicton mexicain

 

 

Un destin continental

 

« J'assume le compromis que ce grand succès - c'est-à-dire l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis - ne sera qu'un point de départ. Avec notre nouveau partenaire pour la paix et la liberté, le Canada, nous porterons le drapeau du libre-échange au Mexique, aux Caraïbes, à toute l'Amérique latine et, de là, au monde entier. » (Reagan, le 4 novembre 1987.) 

La « destinée manifeste » des États-Unis 

En 1845, un journaliste de New-York, John O'Sullivan, a forgé une expression qui devait avoir une résonance considérable dans la vision américaine du monde quand il a écrit : 

« La réalisation de notre destinée manifeste consiste à nous étendre à la grandeur du continent qui nous a été attribué par la Providence, au bénéfice du libre développement de nos millions d'habitants qui se multiplient au fil des ans. » 

Sur la base de cette idée, les Américains ont considéré que Dieu les avait choisis pour étendre leur hégémonie sur Cuba et l'Alaska d'abord, puis sur le Mexique et le reste de l'Amérique latine et des îles Caraïbes ensuite. 

Déjà au début du XXe siècle, les États-Unis avaient consolidé leur position en devenant la puissance la plus importante de l'hémisphère occidental. Le rêve de O'Sullivan était devenu une réalité, grâce en bonne partie à la doctrine du président Monroe qui avait proclamé le rôle éminent des États-Unis dans la sauvegarde d'un espace continental américain en déclarant, le 2 décembre 1823 : 

« ... nous ne pourrons considérer que comme la manifestation d'une disposition hostile face aux États-Unis, toute ingérence d'une puissance européenne dans le but d'opprimer ou de dominer un pays américain ... » 

Quelques années plus tard, le président Polk déclarait à son tour : 

« Les États-Unis, sincèrement désireux de conserver des relations de bonne entente avec toutes les nations, ne peuvent se taire ni permettre aucune intromission européenne dans le continent américain ; au cas où une telle intromission aurait lieu, ils seront prêts à y résister face à qui que ce soit... » (Message au Congrès, le 2 décembre 1845). 

Dès le début de cette croisade expansionniste, l'objectif qui sous-tendait toute initiative diplomatique, politique, militaire ou économique, fut celui de la transcontinentalité, concept qui fut discuté pour la première fois en 1819, lors de la signature du traité Adams-Onis qui entérine la cession du territoire de Floride aux États-Unis. On traça par la suite une ligne de partage qui s'étendait à travers le continent jusqu'à la côte du Pacifique : c'est ainsi que fut marquée la première frontière géographique et culturelle du continent américain. 

L'idée de transcontinentalité s'appuya dès ses débuts sur les mêmes principes qui soutiendront par la suite le concept de « destinée manifeste ». L'annexion des territoires limitrophes ne résultait pas d'un besoin d'espace pour la population, elle appartenait plutôt à un élargissement du pouvoir nord-américain, par le biais de manœuvres économiques et spéculatives expansionnistes. 

La transcontinentalité s'intègre pleinement à la politique extérieure des États-Unis à partir de la troisième décennie du XIXe siècle, lorsque ce pays, nation agraire à ses débuts, considère désormais que chaque pouce de terrain acquis est le signe de l'augmentation de sa puissance face aux pays développés de l'Europe. 

Durant cette étape, les Etats-Unis ont soutenu une politique de croissance territoriale tout en cherchant à unifier les systèmes politiques d'Amérique latine. Ils prétendaient ainsi homogénéiser é long terme les politiques de tous les États latino-américains afin de garantir leur isolement face à l’Europe. Ces prétentions n'aboutirent point car, en pratique, et malgré l'influence de la Constitution des États-Unis et de sa Déclaration des Droits, les pays latino-américains furent aux prises avec de profondes dissensions internes qui perdurent toujours en dépit ou au-delà des termes de leurs propres constitutions respectives. De ce fait, en termes généraux, l'Amérique latine s'est trouvée écartelée entre une admiration plus ou moins béate vis-à-vis des institutions politiques des États-Unis et la réalité de l'héritage colonial et monarchiste légué par l’Espagne et le Portugal. Du point de vue économique, elle fut témoin des progrès de la Révolution industrielle bien que, règle générale, le cadre de ses projets industriels ait été plus souvent qu'autrement beaucoup trop extraverti pour permettre une croissance interne soutenue et diversifiée. 

Au lendemain de la guerre de Sécession (1861-1865), les États-Unis ont jeté les bases sur lesquelles devait s'édifier leur économie industrielle. Le concept puritain de productivité et l'application de la libre concurrence de la production des matières ont soutenu les idéaux de progrès au sein de la jeune nation. 

L'entrée des États-Unis dans la modernité n'aurait toutefois pas été possible sans les ressources financières de l’Europe industrialisée dont les capitaux excédentaires alimentèrent les progrès de l'économie. Parallèlement ceux-ci s'appliqueront à financer le développement économique aussi bien de l’Amérique latine que du Canada. 

Mais face aux nouveaux besoins de l'économie, il fallut mettre en œuvre une politique différente qui, sans tourner le dos à l'expansion territoriale, allait s'intéresser davantage à l'agrandissement du pouvoir économique. De fait, les pouvoirs militaire et politique, aguerris dans la phase de l'expansion territoriale, faisaient désormais partie intégrante de l'avancée économique. Ils se convertirent ainsi en garants d'une nouvelle force économique qui avait besoin d'une ambiance de paix - basée sur la répression si nécessaire - pour imposer et sanctionner le principe de la libre concurrence. 

La guerre entre l'Espagne et Cuba à la toute fin du XIXe siècle permettra aux États-Unis de mettre en pratique une première fois leur approche en matière de sécurité nationale en intervenant dans le conflit et en étendant leur protectorat sur l'île jusqu'en 1902. À la même époque, la signature des premiers accords commerciaux entre les Etats-Unis, la Chine et le Japon conduit le gouvernement américain à envisager de tracer une route maritime qui lierait l'Atlantique au Pacifique. La construction du canal de Panama au début du siècle fut rendue possible grâce à un complexe réseau de pactes, d'ingérences politiques et diplomatiques, d'occupations et d'annexions. La création d'une République de Panama à même le territoire de la Colombie sera l'un des épisodes marquants de l'histoire de la construction du canal. 

La Première Guerre mondiale et les années de forte expansion économique qui suivirent viendront consacrer la puissance économique des États-Unis et son statut de première puissance mondiale. Cependant, plus isolationnistes que jamais, ceux-ci n'étaient pas encore prêts à jouer le rôle international qui sera le leur après la Seconde Guerre mondiale. Pris dans la tourmente protectionniste des années trente que le tarif Smoot-Hawley contribue à affirmer, les États-Unis vont plus que jamais se replier sur eux-mêmes jusqu'à ce que, prenant pleinement conscience de leur puissance et de leurs intérêts, ils décident, à l'instigation du président Roosevelt, de prendre l'initiative de la reconstruction d'un ordre économique international qui, placé sous leur égide, allait asseoir leur hégémonie durant l'après-guerre. La « destinée manifeste »brandie jusque-là comme doctrine pour justifier l'expansionnisme économique et le rôle prépondérant qu'il leur incombait de jouer dans les affaires du continent, se transforme alors dans la consolidation d'un nouvel ordre mondial. Par la même occasion, la transcontinentalisation sera mise en veilleuse avec le déplacement des priorités américaines sur la scène internationale et l'émergence d'un nouvel étatisme en Amérique latine et en Europe. 

La continentalisation de l'économie nord-américaine

 

Grâce à la continentalisation au XIXe siècle puis àl'internationalisation après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont progressivement confectionné la trame du pouvoir économique et politique qui allait faire d'eux le centre de l'économie mondiale. Les années d'après-guerre seront marquées par une hégémonie américaine longtemps incontestée sur un système de relations économiques internationales de plus en plus intégrées. Dans cette conjoncture nouvelle, les relations entre les États-Unis et ses deux voisins immédiats que sont le Canada et le Mexique ont considérablement changé : l'expansion territoriale est devenue un fait du passé mais, par contre, les liens économiques se sont considérablement resserrés entraînant par là l'intégration et la satellisation progressive des économies canadienne et mexicaine. 

Les liens de coopération entre les trois pays se sont aussi considérablement resserrés et si, sur la scène internationale, le Canada et le Mexique ont pu chercher à garder leurs distances à l'égard de leur puissant voisin, c'est plutôt la règle de l'« accord dans le désaccord » qui a toujours prévalu. 

La crise internationale et la perte par les États-Unis de leur hégémonie sur la scène mondiale sont venues altérer la nature des relations bilatérales qu'ils entretenaient avec le Mexique et le Canada. 

Le Canada, le Mexique et les États-Unis ont tous trois connu au cours des dernières années un processus de restructuration interne et internationale qui a remis en question les postulats économiques qui avaient cours précédemment. 

Ce nouveau processus, que nous pouvons désigner du terme de continentalisation, consiste en la constitution d'un espace économique et politique qui intègre les trois pays concernés dans un bloc économique fondé sur la spécialisation et la complémentarité. La continentalisation est un phénomène inéluctable qui implique une négociation permanente du voisinage, fondamentalement différente par rapport aux pratiques politiques qui avaient cours antérieurement. 

Les formes actuelles de la continentalisation s'intègrent dans un processus économique large, au sein duquel prédominent les contraintes de l'internationalisation accrue des échanges commerciaux et l'interdépendance croissante entre les trois pays impliqués ; elle signifie à la fois l'ouverture de l'espace continental et l'exclusion des pays qui ne font pas encore partie d'un accord de libre-échange qui, pour le moment, ne lie que les États-Unis et le Canada. 

En ce sens, l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis du 2 janvier 1988 et l'Accord Cadre de principes et démarches de consultation sur les questions de commerce et d'investissements, signé en novembre 1987 entre le Mexique et son voisin du nord, reflètent la recherche de « solutions de remplacement » pour les trois économies qui sont confrontées à des défis de plus en plus grands. 

Les accords cités représentent les premiers pas sérieux en vue de la création d'un bloc commercial qui préparerait la reconversion de l'économie nord-américaine face aux pressions du Japon, de l'Allemagne fédérale et de certains pays nouvellement industrialisés. Grâce à ces deux accords, les États-Unis consolident leur position géopolitique dans la région et redonnent vigueur à la politique de portes ouvertes, non seulement face à ses voisins immédiats, mais aussi face au reste du monde. 

Devant cette situation nouvelle, il faut s'interroger sur l'avenir des relations économiques et politiques du Canada avec le Mexique, qui sont tous deux irrémédiablement intégrés à cet espace économique et politique continental. 

Au-delà des formes diverses d'intégration subies par ces deux pays vis-à-vis des États-Unis, leur position géopolitique homologue devrait les conduire à envisager de concert les effets de ce voisinage sur leurs sociétés respectives. Cette option comporterait de grands avantages même si elle peut s'avérer difficile à réaliser. Elle pourrait, par exemple, impliquer la formulation d'une position plus articulée visant à remettre en cause les asymétries économiques sanctionnées jusqu'à présent par les États-Unis dans leurs échanges avec leurs voisins immédiats. 

Or, cette convergence de vues devient encore plus impérieuse à réaliser dans la foulée de la signature de l'Accord de libre-échange du 2 janvier 1988 puisque le Mexique se trouve ainsi isolé devant les deux cosignataires. 

Dans cette perspective, il n'est pas étonnant que la politique néo-libérale qui a tant fait pour homogénéiser l'espace économique entre les États-Unis et le Canada soit en train de se déployer de manière intensive au Mexique. 

Au Canada comme au Mexique, la démarche est la même : les vendeurs du nouvel ordre économique condamnent l'intervention de l'État, le nationalisme économique et le projet d'industrialisation par la substitution aux importations, en faveur d'un commerce continental sans frontières ni protectionnisme. Sommes-nous au seuil d'une intégration continentale élargie ou assistons-nous à la consolidation d'un bloc canado-américain uniquement ? 

L'initiative des États-Unis de signer un accord avec le Canada doit être comprise comme un élément essentiel dans la consolidation de la continentalisation économique de l’espace nord-américain. 

Le Mexique et le Canada doivent prendre au sérieux ce phénomène et dégager des approches communes face à leur puissant voisin. Il ne faut pas s'y tromper : si volonté politique il y a dans les trois pays de libéraliser et d'ouvrir leurs frontières en tournant le dos au nationalisme économique, les deux accords favorisent davantage les États-Unis. En effet, on peut difficilement parler de réciprocité quand les deux autres cosignataires sont tellement dépendants des États-Unis. Ceux qui ont poussé à ces accords ont essentiellement pris en compte le fait qu’il valait mieux assumer une position active face à l'intégration, au lieu d'en subir les effets de manière strictement passive. 

La signature des deux accords aura toutefois permis de révéler l'existence de positions politiques divergentes au nord et au sud des États-Unis, même si le débat public a été plus soutenu et animé au Canada qu'au Mexique. Dans les deux pays, on s'est trouvé en présence de groupes puissants qui jouent la carte de l'amélioration de leurs bénéfices par l'intégration ; ce ne sont bien sûr pas ceux qui ont fait des affaires florissantes à l'ombre du protectionnisme de l'État comme cela a été le cas pendant quarante ans au Mexique. 

Les deux pays ont introduit des réformes dans leur politique de commerce extérieur, ont réduit leur prétention nationaliste par leurs lois sur les investissements étrangers et ont lancé une politique de reconversion industrielle face à l'ouverture commerciale. En résumé, tous leurs efforts tendent à l'adoption d'un projet de sous-traitance aux fins d'accroître l'exportation vers les États-Unis. 

Les relations du Mexique et du Canada avec leur voisin immédiat ne constituent pas un problème de compréhension mutuelle mais surtout une question d'intérêts purs et simples. De nouveaux modèles politiques et économiques seront discutés dans un avenir immédiat qui peuvent ou bien sauvegarder une certaine dose de nationalisme et d'identité nationale ou bien s'ouvrir à une intégration poussée de leurs économies, mais ce qui sera toujours en jeu derrière tout accord, c'est le sens réel de la démocratie dans le choix des grandes options nationales. 

Le livre de Dorval Brunelle et Christian Deblock retrace la dynamique de la continentalisation, en abordant la question sous deux angles, historique et économique. Les auteurs font ainsi ressortir toutes les contraintes du processus en cours. Il faudra désormais s'interroger sur nos choix collectifs en tenant compte de leur analyse et en envisageant, par exemple, de miser sur de nouvelles solidarités transcontinentales. Au premier rang, les Canadiens et les Mexicains devraient se sentir interpellés à resserrer les rangs.

 

MARIA TERESA GUTIÉRREZ-HACES,

Université nationale

autonome de Mexico,

janvier 1989 



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le mardi 17 juillet 2007 12:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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