RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition numérique réalisée à partir de l'article de M. Dorval Brunelle, sociologue, département de sociologie, UQAM, “ L'intervention de l'état dans l'économie et la question du rapport entre le fédéral et les provinces ”. Un article publié dans la revue Les Cahiers du socialisme, Montréal, no 1, 1978, pages 51 à 86. [Autorisation accordée le 24 juin 2003]

Texte intégral de l'article
“ L'intervention de l'état dans l'économie et la question du rapport entre le fédéral et les provinces ”
par Dorval Brunelle, sociologue, UQAM, 1978.

1. Le problème
2. L'après-guerre et les fonctions de l'État
Tableau 1 : Distribution de la main-d"oeuvre au Canada de 1931 à 1961, en pourcentages, 1945-1963
Graphique 1 : Composition de la dette globale - directe et indirecte* - des gouvernements fédéral et provinciaux de 1940 à 1964. (en $ milllards)
3. L'internationalisation du capital
Graphique 2 : Estimation des cap taux étrangers placés au Canada et de l'avoir canadien à l'étranger, 1945-1963
Tableau 2 : Estimation des capitaux étrangers placés au Canada selon la provenance, en millions de $, 1945-1963
Tableau 3 : Estimations des capitaux étrangers placés au Canada selon le genre de placement, années choisies entre 1945 et 1963, (en %). 1945-1963
Conclusion

1. Le problème

Le capitalisme contemporain traverserait actuellement une phase que l'on convient d'appeler "Capitalisme monopoliste d'État" (1) par opposition à la précédente, dite de "capitalisme monopoliste" tout court ou "simple", et qui succédait elle-même à la phase classique du capitalisme, celle où - en théorie du moins, en pratique un peu moins - s'affrontaient seuls entrepreneurs et travailleurs dans ce cadre idéal propre au capitalisme concurrentiel, c'est-à-dire dans un marché "libre".

L'étude dont nous voudrions rendre compte dans les pages qui suivent concerne, à la fois le problème de la transition du monopolisme simple au capitalisme monopoliste d'État dans le contexte canadien, et les effets de l'intervention de l'État central dans l'économie sur les rapports entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, notamment celui de la province de Québec.

La juxtaposition de ces deux interrogations apparaîtra moins étonnante quand on aura souligné que tous les débats sur et autour de l'étude des sociétés canadienne et québécoise butent immanquablement sur cette difficulté de l'appréhension, dans un premier temps, de la définition dans un deuxième temps des fusions, oppositions et scissions qui tiraillent nos classes dominantes aux deux niveaux fédéral et provincial.

Néanmoins, à travers ces diverses interprétations du statut théorique et politique des conflits des classes au pouvoir qui traversent les analyses consacrées à l'étude du Canada dans ses rapports avec le Québec, il est une constante que l'on ne peut manquer de relever; c'est celle en vertu de laquelle la répartition entre le fédéral et les provinces d'un ensemble de pouvoirs politiques figés dans une constitution délimiterait deux ordres de réalité correspondant respectivement à ce qui est "national" d'un côté, par opposition à ce qui est régional ou local de l'autre. Ces interprétations tournent autour des deux axiomes suivants: premièrement, la somme des pouvoirs du fédéral et des provinces formerait une unité équivalente à l'ensemble des pouvoirs généralement investis dans un État unitaire; deuxièmement, dans cette unité, la province est d'une manière ou de l'autre dépendante par rapport au gouvernement central. L'articulation entre le premier aphorisme et le second passe par cette interprétation selon laquelle chaque province est isolée par rapport au fédéral, de sorte que l'unité "nationale" ainsi déduite est bien plutôt la résultante d'un réseau d'ententes intervenues à deux niveaux que le prolongement de négociations faites entre dix gouvernements autonomes, complémentaires et solidaires face à un gouvernement central. Et c'est peut-être bien en effet là que réside le fondement de la suprématie du gouvernement central, dans cette capacité de prévenir durant cent dix ans toute coalition sérieuse de la part des gouvernements provinciaux qui aurait pu mettre en échec sa domination même, alors que l'approfondissement de la complémentarité entre les économies locales aurait fort bien pu fonder la création d'un contre-pouvoir susceptible de mettre en échec les prétentions du fédéral à un moment ou à un autre de ses relations avec les provinces. Faute de ce faire, le gouvernement central a alors pu tabler sur cette incapacité pour s'approprier, sous le couvert d'analyses plus ou moins fonctionnelles, des champs de taxation et de Juridiction qui appartenaient en propre aux provinces, prétendument Pour alléger le fardeau social dont celles-ci étaient grevées. C'est ainsi que dans le contexte des rapports entre ces deux ordres de gouvernements et dans le prolongement de la problématique indiquée, le mode privilégié d'affrontement sera l'affrontement légal ou légaliste, où le mot de la fin sera, jusqu'en 1949 à tout la moins, laissé à un tribunal extérieur, à un tribunal impérial (2).

Or, ce qui est en cause dans ces interprétations traditionnelles des rapports conflictuels entre gouvernements fédéral et provinciaux, c'est précisément le fait que la prise en charge de ces affrontements par l'analyse sociologique opère sous la forme même que leur donnent les protagonistes, au lieu de remettre en cause l'appréhension que ceux-ci peuvent faire valoir des rapports de forces en présence afin de resituer ces oppositions dans une approche historique plus globale. En d'autres mots, l'approche sociologique tend trop souvent à penser les rapports entre fédéral et provinces dans les termes des représentants d'une classe spécifique, et à chercher ensuite à situer ces oppositions dans des fractions de classes, comme si l'on pouvait déduire de l'enjeu constitutionnel les oppositions entre ces fractions.

En procédant ainsi, c'est-à-dire en inscrivant à ce niveau une lutte entre des fractions de bourgeoisie, l'on se trouve pris au piège suivant : devoir identifier une opposition au sein d'une classe dominante là où ses porte-parole font valoir son existence sans chercher à étudier d'abord s'il y a vraiment conflit et, si oui, quelle en est la nature sociale et politique véritable. Autrement dit, un différend constitutionnel établit -il la marque d'une opposition dans une classe? Poser ainsi le problème ne lui suppose pas pour autant une facile résolution. Parce que toute la question n'est pas de contester purement et simplement l'existence même de ces oppositions, mais bien d'en délimiter le statut afin de les situer dans une étude d'ensemble des rapporte et des luttes de classes en présence.

Pour arriver à préciser ces questions et leurs enjeux, nous nous proposons dans les pages qui suivent de cerner de manière toute descriptive les principales formes qu'ont prises au pays les interventions de l'État fédéral dans l'économie. Cette approche devrait par la suite permettre de poser la question des rapporte entre les États fédéral et provinciaux entre le gouvernement central et le gouvernement du Québec plus spécifiquement -, non plus uniquement en termes d'affrontements autour de processus de centralisation ou d"'autonomisation", mais surtout en ceux d'inféodation aux besoins de la croissance des monopoles.

Cette seconde caractéristique ne remplace pas la première ; l'on ne pourrait pas, en d'autres mots, conclure de cela qu'il n'y a pas de tiraillement de nature constitutionnelle entre les deux ordres de gouvernements, mais cette approche devrait par la suite permettre de situer ces confrontations dans un cadre d'analyse plus général susceptible de les expliquer.

Autrement dit, dans le prolongement de cette perspective, le double processus de la centralisation politique au niveau fédéral et celui, concomitant de la réaction autonomiste au niveau provincial contre cette ingérence bureaucratique, serait la forme spécifique, - dans le contexte canadien en tout cas, - que revêt la mainmise du capital étranger sur l'économie canadienne. Ainsi sous un nouvel angle, les différends constitutionnels apparaîtraient comme la manière d'être de l'intégration des économies canadienne et québécoise aux besoins de l'accumulation du capital aux Etats-Unis notamment.

La difficulté de l’appréhension des rapports au sein de la bourgeoisie au Canada est liée, entre autres raisons, d'une part à la délimitation des pouvoirs entre deux ordres de gouvernement, d'autre part à l'état de développement de chacune des entités qui ont formé la Confédération canadienne.

À cet égard, il importe de renverser d'emblée l'axiome invoqué plus tôt, et de poser plutôt une absence d'homologie entre pouvoir central et capitalisme "national" d'une part, entre pouvoir provincial et capitalisme marchand ou mercantile de l'autre (3). Ce schéma est peut être celui des Pères de la Confédération, mais cela ne doit en rien modifier un état de fait tel qu'il se présente, notamment avec, pendant et depuis la deuxième guerre mondiale.

À cette occasion et dans le prolongement direct de la dépression de 1929, intervient un ensemble de transformations majeures dans les rapports entre les pouvoirs politiques et l'économie, mais dont la nature diffère totalement de ce qui pouvait ressortir de l'espace théorique et pratique d'un capitalisme naissant plus ou moins florissant.

Et ce n'est pas à cause de l'état de développement plus avancé des rapports de production capitalistes au niveau canadien - par rapport à leur état de développement au niveau provincial - que le gouvernement fédéral a choisi d'investir les secteurs des politiques et mesures sociales comme l'assurance-chômage, mais bien à cause des contraintes immédiates et directes posées par l'état d'exacerbation de la lutte des classes dans la conjoncture politique et sociale de la dépression des années 30 d'une part, et à cause de la sujétion de l'économie canadienne d'autre part.

Ainsi, il faut moins poser le problème en termes de choix et de stratégies mis de l'avant par une fraction progressiste d'une bourgeoisie au détriment d'une fraction réactionnaire ou conservatrice (4), qu'en termes d'une contradiction qui agitait toute une classe possédante et dont la résorption passait par l'apaisement des revendications sociales les plus criantes et par le maintien des rapports économiques dominants. Dans ces circonstances, l'on peut alors comprendre que les tiraillements au sein d'une classe dominante dans le contexte de la crise économique des années trente ne passent pas par le cadre constitutionnel et ne correspondent pas à l'opposition entre le fédéral et les provinces, mais bien plutôt à un affrontement entre d'une part les travailleurs, les chômeurs, les assistés sociaux, et d'autre part, les capitalistes, leurs représentants politiques fédéraux et provinciaux, voire municipaux.

Cet enjeu est complètement amoindri par certains représentants de la bourgeoisie; dans les arguments que l'on fera valoir de Part et d'autre devant les tribunaux afin de savoir qui, du fédéral ou des provinces, a juridiction pour légiférer en matière de politiques sociales, toute la question de la misère sociale qui est en définitive le déterminant des initiatives prises par le gouvernement fédéral est mise de côté par le Conseil privé notamment comme étant "hors de propos".

Dans ces conditions, rien ne nous autorise à voir dans ce conflit de juridiction opposant le fédéral aux provinces à l'occasion de l'adoption par le Parlement d'une série de lois visant à alléger la misère causée par la crise, un conflit au sein de la bourgeoisie elle-même. Et si tel était le cas, qu'en est-il des conflits subséquents ? Qu'en est-il tout particulièrement des transformations intervenues dans la fonction économique des gouvernements et comment pouvons-nous les appréhender puis les théoriser dans le contexte politique canadien ?

Et si nous voulons maintenant établit le lien entre l'exemple cité concernant l'intrusion du gouvernement central dans le domaine des politiques sociales et notre propos premier, nous pouvons alors nous poser la question suivante: savoir en quoi la problématique de la transition au capitalisme monopoliste d'État saurait-elle nous aider à saisir le fonctionnement des gouvernements dans le cadre constitutionnel canadien?

Pour tâcher d'y répondre, nous procéderons en deux temps: dans une première section, nous ferons état des principales formes d'intervention de l'État fédéral dans l'économie immédiatement avant et après la deuxième guerre mondiale, tandis que dans la deuxième section nous nous attarderons à étudier le processus de l'internationalisation du capital au pays. Cette démarche nous permettra en conclusion de dégager quelques éléments d'analyse susceptibles d'éclairer la nature des rapports entre gouvernements dans ce contexte.

2. L'après-guerre et les fonctions de l'État

Historiquement, l'intervention de l'État dans l'économie passe d'abord par l'implantation d'un ensemble de politiques visant à contrecarrer la sous-consommation qui, à son tour, a pour effet de retarder - et, à la limite d'enrayer - l'accumulation du capital. La question qui nous préoccupe ici n'est pas de savoir si un tel diagnostic porté sur les années de crise est fondé ou non dans les faits, mais plutôt de souligner qu'il a bel et bien été accrédité dans la théorie, aussi bien par les économistes que les politiciens de l'époque, et que c'est sur cette base que sont élaborées puis lancées les grandes politiques "sociales" qui doivent - devraient - permettre la reprise de l'économie dans les années trente (5).

Néanmoins, il Importe d'indiquer que les mesures adoptées par le gouvernement fédéral face à l'état de crise et l'extrême misère qui dominaient le contexte social de ces années diffèrent totalement de celles mises en place aux États-Unis notamment. Chercher à comprendre l'effet particulièrement sévère de la Crise au pays et l'étonnante inanité des mesures proposées, c'est en même temps éclairer la complexité des interrelations économiques et sociales dans ce contexte.

En premier lieu, l'économie canadienne des années trente est caractérisée par un enchevêtrement de rapports de production, allant de la petite exploitation artisanale aux "trusts", où coexistent deux types très distincts de concurrence. Cette caractéristique a amené les membres de la Commission royale d'enquête sur les écarts de prix à parler "d'une économie de transition entre la concurrence simple et le monopole "marquée par la concurrence imparfaite. Selon les membres de la Commission:


"La concurrence 'imparfaite' surgit quelque part entre les deux. Cette situation qui caractérise mieux notre économie actuelle que le monopole complet existe lorsque le rendement d'un producteur ou acheteur représente une proportion significative de la totalité des denrées mises sur le marché c'est-à-dire, lorsqu'un producteur peut influencer le prix en retenant ses denrées (6)".

Cette période de transition affecte toutes les économies capitalistes, mais ce qui lui confère un contenu fort différent au Canada c'est:

"l'influence exercée sur notre prospérité nationale par les prix d'un nombre relativement restreint de matières premières (blé, pulpe (sic !) et papier, etc.) destinées naturellement à l'exportation et dont les prix se règlent sur les marchés mondiaux... En réalité, une régression de nos prix à l'exportation nécessite un rajustement général de la structure économique du pays ; nous voulons dire qu'elle occasionne la cessation de la construction, un fléchissement de la production industrielle, le chômage et le marasme général (7)".


L'économie canadienne opère ainsi dans un double système de prix : le premier, soumis à la concurrence dite "parfaite", régit la circulation des denrées agricoles notamment, tandis que le second, imposé par le monopole, régit celle des produits ouvrés. Il s'ensuit alors une extraordinaire disparité salariale d'une région à l'autre, et allant, dans l'industrie de l'aiguille par exemple, de 5¢ et moins de l'heure dans un atelier à domicile de la campagne québécoise, à 65¢ dans une fabrique syndiquée de Toronto (8). soit un rapport d'un à treize!

Déjà ce diagnostic porté par la Commission renvoie à un cadre de référence précis : le pays dont il est question ici, c'est le Canada et, à ce niveau, le jeu des moyennes et de leur pondération masque un fait indéniable: les économies des provinces connaissent chacune à sa manière, une certaine articulation de rapporte de production pouvant bien d'ailleurs n'avoir tien de commun avec cette théorisation à laquelle on aboutit en fonctionnant dans le cadre fédéral. Pour l'illustrer, prenons l'exemple de l'évolution de la structure occupationnelle - ce qui se nomme aussi les "catégories socio-professionnelles" - ainsi que le montre le tableau 1 à la page suivante.

À l'aide de ce tableau, nous pouvons mesurer la rapidité avec laquelle s'est déroulé le processus d'ajustement de la "structure sociale au développement économique", ainsi qu'il est convenu d'interpréter ce genre de tableau dans la littérature orthodoxe. En effet, la chute du nombre d'agriculteurs notamment est un indice intéressant d'un processus de destruction de rapports para-capitalistes de production caractérisés par la petite exploitation familiale dont seul l'excédent de la production est mis en marché. Les agriculteurs étaient près d'un million deux cent mille en 1931 et comptaient pour plus du quart de la main-d’œuvre canadienne totale, ils ne seront que 1 075 000 en 1941, 826 000 en 1951 et 648 900 en 1961, ne constituant plus alors que pour dix pour cent de la main-d’œuvre totale du Canada.

Mais cette évolution masque des variations régionales importantes et, plus particulièrement, ce fait que la situation québécoise diffère entièrement du schéma canadien. En effet, au Québec, malgré une baisse de son importance relative dans la main-d’œuvre totale, la main-d’œuvre agricole ne continue pas moins de croître de manière régulière jusque vers la fin des années quarante, et ce, malgré ce fait pour le moins paradoxal qu'en 1931 elle ne représentait alors que 22 % de la main-d’œuvre provinciale totale. C'est dire que le Québec est à la fois plus industrialisé en 1931 que ne l'est sous cet angle le Canada dans son ensemble, mais qu'il l'est moins sur une longue période, dans la mesure où son secteur para-capitaliste ne continue pas moins de prendre de l'importance dans les années subséquentes. C'est ainsi que la main-d’œuvre agricole passe de 230 500 en 1931 à 255 000 en 1950, pour ensuite tomber en-dessous de 200 000 en 1955 (9).



Tableau 1
Distribution de la main-d"oeuvre au Canada de 1931 à 1961, en pourcentages

1931

1941

1951

1961

Cols blancs

24,5

25,3

32,0

37,9

Cols bleus

27,5

27,1

29,4

26,6

Agriculture

28,6

25,7

15,7

10,0

pêche, forêt

2,3

3,1

2,9

1 8

Mines

1 5

1,7

1,2

1,0

Transport

6,3

6,4

7,8

7,7

Service

9,3

9,3

7,2

9,1

Non précisés

---

0,2

1,2

2,6

TOTAL

100%

100%

100%

100%

Sources :  Ostry, Sylvia : The Occupational Composition of the Canadian Labour Force, Ottawa, Dominion Bureau of Statistics, 1967, tableau 2, 2, page 51.



Ainsi donc, les processus d'industrialisation au Canada et au Québec ne connaissent ni périodisations, ni rythmes homologues.

Dans un tel contexte, l'effet d'une crise ne peut pas donner lieu à des diagnostics convergents; et c'est bien parce qu'ils se sont trouvés dans l'incapacité d'intervenir sur la structure économique elle-même que les membres de la Commission sont contraints de proposer tout un ensemble de mesures sociales en vue de soulager la misère. A cet égard donc, le "New Deal" de Bennett qui reprend quelques-unes des recommandations de sa Commission diffère totalement des mesures édictées sous ce titre par F.D. Roosevelt aux États-Unis, précisément parce qu'aucune de ces mesures ne peut affecter l'investissement ou la production en tant que tels sinon le pouvoir d'achat des classes laborieuses et des chômeurs.

Mais en recommandant au gouvernement fédéral d'intervenir directement auprès de la main-d’œuvre en apportant des modifications aux lois provinciales du travail afin d'établir une certaine cohérence entre les taux de rémunération en vigueur par exemple, la Commission d'enquête sur les écarts de prix ne propose, ni plus ni moins, qu'une pure et simple ingérence dans un domaine de juridiction réservé aux provinces. Non seulement y a-t-il à ce moment-là sept différentes lois sur le salaire minimum en vigueur à travers le pays, mais subsiste encore la pratique consistant à établir différents taux dans différents districts d'une même province (10). Ainsi, dans l'esprit des Commissaires, seul le fédéral peut prendre en charge ce "besoin d'uniformité nationale" (11) en adoptant une législation fédérale du travail, puisque le fédéral est Incapable d'intervenir dans son propre domaine de juridiction pour amoindrir les effets de la crise d'une part, et puisque les provinces ne peuvent pas collaborer entre elles afin d'en arriver à cette "uniformité nationale" de l'autre.

Au fur et à mesure que le capital étranger prenait en charge l'économie, c'est-à-dire au fur et à mesure que les impératifs de la croissance de l'économie américaine s'inféodaient le Pouvoir central, l'unité nationale canadienne se trouverait à reposer ainsi sur la centralisation d'une part et sur l'étroite collaboration entre le fédéral et chacun de ses vis-à-vis provinciaux de l'autre.

Paradoxalement toutefois, plus une province comme le Québec est marquée du sceau de la survivance de rapports para-capitalistes de production, moins cette collaboration est difficile à assurer, dans la mesure où elle n'affecte pas la pérennité de ces rapports sociaux non-capitalistes (12).

C'est sur cette toile de fond que le gouvernement Bennett propose l'adoption de tout un train de mesures sociales, - Loi sur le repos hebdomadaire dans les établissements industriels, Loi sur les salaires min Loi sur la limitation des heures de travail et une Loi sur le placement et les assurances sociales (13) - lois qui seront référées à la Cour Suprême du Canada (14).

Le gouvernement Bennett battu en 1935, Mackenzie King assumera la relève (15) et, devant le rejet de ces politiques par le plus haut tribunal de l'Empire en 1937, il mettra sur pied sa Commission d'enquête - la Commission Rowell-Sirois - celle qui devait, "une fois pour toutes", établir la nature et l'évolution des rapports politiques entre le fédéral et les provinces (16). Il s'agissait en d'autres mots d'éviter de nouveaux revers sur le plan constitutionnel et d'assurer à la centralisation fédérale une croissance harmonieuse.

Cette économie canadienne qui trace et délimite tout un réseau de lignes de force en porte-à-faux sera donc de nouveau systématisée et analysée entre 1937 et 1940 par la Commission royale d'enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces. La Commission Rovell-Sirois fera état en termes clairs de la contradiction qui traverse la structure économique canadienne et, par voie de conséquence, la classe dominante au pays:

"Le cadre (dans lequel les industries canadiennes opèrent) n'est pas une structure unifiée ("is na a simple structure"), en grande partie à cause du fait que les politiques nationales ont été orientées vers deux objectifs principaux - l'expansion des industries d'exportation de produits de base et le développement d'une économie domestique protégée - qui, malgré qu'on ait cherché à les faire concourir dans l'accomplissement d'un dessein national commun, étaient en opposition directe l'un par rapport à l'autre sur le plan économique. Les compromis auxquels on devait avoir recours pour concilier ces intérêts divergents mettaient souvent en cause la logique et la symétrie des politiques envisagées (17)".


Ici encore, les Commissaires butent sur la domination étrangère et voient dans l'imposition de tarifs à l'importation de certains produits ouvrés, un prix - illogique en stricte théorie économique, concède-t-on - à payer afin de maintenir un secteur manufacturier national. En réalité d'ailleurs, la crise des années 30 va exacerber non seulement cette contradiction mais également les rapports avec le secteur de la production des produits primaires d'exportation (les "staple industries") (18) et face auquel le gouvernement central appliquera concurremment une politique d'aide directe et des restrictions tarifaires (19). Toutefois, selon les Commissaires,

"le tracé du conflit ne suit ni les frontières régionales, ni l'implantation industrielle; il s'agit davantage d'une lutte entre propriétaires d'une part - propriétaires de fermes, de mines et de ressources forestières, détenteurs d'actions de corporations dont les revenus dépendent de ceux des entrepreneurs - et les récipiendaires de revenus relativement fixes de l'autre -détenteurs d'obligations, créanciers hypothécaires et salariés (20)".


C'est ce diagnostic (pour le moins étonnant) qui explique la nature des remèdes que recommanderont les Commissaires, les raisons profondes du processus de centralisation mis sur pied durant la deuxième guerre et auquel on n'a pas cessé de souscrire ensuite. Ce remède ressort particulièrement bien d'une formule tirée du rapport : "Ce sont les politiques fédérales de taxation et de dépenses qui constituent un des plus importants ensembles de conditions qui façonnent le développement de l'économie (21)".

Nous passons donc, en l'espace d'à peine cinq années, d'une politique timide qui fonde dans le soutien à la consommation la première étape de l'histoire de l'intervention de l'État central dans l'économie à une autre beaucoup plus globale eu l'État fédéral est maintenant complètement articulé aux - et fonctionne lui-même comme les - monopoles, aussi bien en tant qu'agent percepteur qu'en tant que pourvoyeur de ressources.

C'est qu'entre-temps, un événement est intervenu et il consacrait l'intervention de l'État dans l'économie à l'échelle mondiale, aussi bien dans les économies capitalistes que dans celles dites "socialistes": la deuxième guerre mondiale. Dans ces circonstances, le combat d'arrière-garde que mènent certaines provinces (22) contre les initiatives centralisatrices du gouvernement fédéral apparaissent comme des enjeux secondaires, voire mineurs, et l'on convient, momentanément, de remettre à la cessation des hostilités la reprise de la mise en échec de ces tractations du pouvoir central.

Or, cela ne s'est pas produit (23). Et c'est moins l'analyse de la taxation et des dépenses publiques, que celle de l'évolution comparée de la composition de la dette globale des deux niveaux de gouvernements fédéral et provincial - qui permet le mieux de comprendre l'irréversibilité du processus d'imbrication des secteurs privés et publics de l'économie. Le gouvernement fédéral verra se multiplier par 5,5 le montant de sa dette directe entre 1940 et 1964, tandis que la dette totale des provinces connaîtra une augmentation de l'ordre de 2,7 pour la même période. Compte tenu de la part du fédéral d'emblée, cette évolution ne fait que consacrer l'augmentation du poids du gouvernement central par rapport aux gouvernements provinciaux et municipaux (24). À cet égard d'ailleurs, le graphique 1 de la page suivante trace une évolution double: d'abord celle de l'extraordinaire progression des dettes tant directes qu'indirectes du gouvernement fédéral qui passent de $6 milliards en 1940 à $33,4 milliards en 1964, et où la part des dettes indirectes le cède progressivement à celle des dettes directes - celles-ci représentaient 34% en 1940, 27% en 1964; ensuite celle de la progression de la dette totale des provinces de $2,2 milliards en 1940 à $11,4 milliards en 1964 tandis que l'on assiste à un renversement de la situation par rapport à celle qui prévaut au niveau fédéral, puisque la dette indirecte prend progressivement plus d'importance à l'encontre de la dette directe pour atteindre les $6 milliards en 1964, soit 52% de la dette provinciale globale.

Graphique 1
Composition de la dette globale - directe et indirecte* -
des gouvernements fédéral et provinciaux de 1940 à 1964. (en $ milllards)



Sources : Annuaires du Canada pour les années correspondantes.
(*) moins les amortissements.


Ainsi, les fonctions de soutien à l'économie exercées aux deux niveaux de gouvernements ne sont pas plus homologues que ne le sont les périodisations ou les rythmes de la croissance capitaliste dans l'un et l'autre contextes.

Sur le plan plus général de la signification de la dette totale en tant que telle, celle-ci constitue un intéressant indice de l'accumulation négative à laquelle l'accumulation du capital donne lieu. Ici, une comparaison s'impose. Si les États-Unis ont également connu une importante croissance de leur dette publique à l'occasion de la deuxième guerre mondiale - de $43 milliards en juin 1940 à $278 milliards en 1945-46 - par la suite toutefois, entre 1945 et 1963, sa dette publique n'augmentera que de 10% (25) environ, tandis que pour la même période, celle du seul gouvernement fédéral va croître de 42,5%. C'est dire que la fonction de soutien à la croissance exercée par les pouvoirs publics est de moins en moins conjoncturelle et de plus en plus structurelle. À cet égard, dans une économie passablement dominée comme l'est l'économie canadienne, cette fonction apparaîtrait plus essentielle qu'elle ne l'est dans une économie dominante; loin de constituer une quelconque libération,. une distanciation ou une manière "d'autonomisation" par rapport à cette économie dominante, l'endettement public indique bien au contraire l'inféodation du pouvoir public aux marchés financiers internationaux et constitue ainsi un élément névralgique de l'internationalisation du capital financier (26). C'est dans ce cadre d'ensemble qu'il convient d'analyser les différentes stratégies de soutien que sont respectivement, l'endettement direct et l'endettement indirect dans l'évolution de l'histoire récente au Canada et au Québec. Sous cet angle, l'intervention de l'État - contrairement à ce que pose l'analyse de la transition du monopolisme simple au monopolisme d'État, - apparaît moins comme une politique délibérée implantée par un gouvernement en vue de subvenir aux besoins des monopoles ainsi que le laisse supposer une étude des budgets et des législations votées par les parlements, que comme une transformation radicale du mode de fonctionnement du pouvoir public et de l'appareil d'État eux-mêmes qui instaurent désormais par le biais de l'endettement un mécanisme permettant à la fois de soutenir l'accumulation et de contrer la dévalorisation du capital.

Selon quoi, par rapport aux années de crise où la dette globale bronche à peine malgré les dépenses faites et consenties pour soutenir la consommation des classes défavorisées (27), la deuxième guerre, puis l'après-guerre, consacrent une extension du mode de valorisation-dévalorisation du capital sous l'égide de l'État qui permet, par le biais de l'endettement, de contrer aux effets sociaux négatifs les plus criants des crises cycliques inhérentes à la croissance capitaliste.


3. L'internationalisation du capital

Les transformations profondes intervenues dans le mode d'intervention de l'État dans l'économie s'expliqueraient ainsi par un processus propre à cette phase du capitalisme caractérisée par la capitalisation des fonctions politiques où la séparation entre ce qui est public et ce qui est privé correspond de moins en moins à ce qui est politique d'une part par opposition à ce qui est économique de l'autre. En d'autres mots, nous ne sommes pas en présence d'un secteur public détourné de ses fins, - comme le laissent entendre les théoriciens du P.C.F. notamment - mais nous assisterions plutôt à une véritable privatisation du politique - c'est-à-dire également et par voie de conséquence du secteur public - par la pénétration du capital dans toutes les fonctions prises en charge et assumées par les États contemporains (28). En ce sens, les politiciens agissent moins par et pour leurs commettants directs -leurs électeurs ou le bien public - que dans les intérêts des actionnaires de l'État, exactement comme les managers des grandes corporations agissent en fonction des intérêts des propriétaires des moyens de production, actionnaires et obligataires détenant le contrôle sur le capital.

Dans cette phase, l'accumulation du capital est articulée au processus d'internationalisation et c'est maintenant cet élément que nous voudrions relever et tâcher de préciser pour terminer cette étude.

Nous pouvons illustrer ce processus d'internationalisation du capital grâce à l'analyse des flux de capitaux dans les deux sens, c'est-à-dire aussi bien des entrées de capitaux au pays -les importations - que des sorties de capitaux - les exportations de capital canadien à l'étranger. Si le premier élément est un indice de l'ascendant exercé sur une économie dominée par le pays exportateur de capital, le second montre que cette domination n'est pas univoque et que le Canada se trouve à être, dans une mesure non négligeable, exportateur de capital. Ce double processus renvoie moins à une alliance actuelle ou potentielle entre deux bourgeoisies - canadienne et américaine - qu'à un phénomène lié à un processus nouveau (celui de l'internationalisation du capital précisément) porté par une fraction de classe spécifique: l'oligarchie financière.

Le graphique 2 de la page suivante fait état des importations et des exportations de capitaux au Canada dans l'après-guerre. Il illustre à la fois la croissance rapide de l'investissement étranger au Canada entre 1945 et 1961 (29) - de l'ordre de 233% - par opposition à la croissance plus lente de l'avoir canadien à l'étranger sur la même période - de l'ordre de 105%.

Par ailleurs, l'estimation d'ensemble de l'avoir canadien à l'étranger recouvre des tendances fort divergentes. C'est ainsi que, dans celui-ci, le taux de croissance des placements directs dans des entreprises extérieures, c'est-à-dire l'avoir privé, passe de $720 millions en 1945 à $2,6 milliards en 1961, une augmentation de l'ordre de 264% (30); bien sur,


"l'avoir privé, fait surtout des investissements directs des sociétés canadiennes à l'étranger, n'est pas encore important par rapport à l'avoir privé étranger au Canada. Les capitaux à long terme des canadiens à l'étranger, en 1963, comprenaient des investissements directs de $3 145 millions et des valeurs de portefeuille de $1 797 millions. Plus des deux tiers des capitaux privés se trouvent aux États-Unis. Les investissements directs des entreprises canadiennes y ont augmenté rapidement et se concentrent dans plusieurs industries, surtout les boissons et les instruments aratoires (31)".



Graphique 2
Estimation des capitaux étrangers placés au Canada et de l'avoir canadien à l'étranger, 1945-1963.



Sources : Annuaires du Canada.
Note: Une modification apportée à la compilation des données ne permet plus la comparaison sur la même base après 1961.



Non seulement le taux de croissance de l'avoir canadien est-il tout à fait comparable à celui de l'avoir étranger au pays, mais également la part de l'avoir privé dans l'avoir total des Canadiens à l'étranger augmente de manière fort significative, passant de près de 20% en 1945 à près de 35% en 1961. Ce sont donc en définitive les crédits du gouvernement canadien, les réserves extérieures ou les soldes officiels à l'étranger qui ont connu des taux de croissance négatifs ou très faibles (32); voilà qui autorise à parler également d'une relative privatisation du secteur publie dans l'après-guerre puisque, si la politique canadienne a affaibli la position économique du pays, elle a par contre favorisé celle du secteur privé national. Notons, pour terminer, que la part des placements en valeurs mobilières étrangères reste stable à 20% de l'avoir canadien tout au long de la période d'analyse, 1945 à 1961.

Le graphique 2 illustre également la progression de l'importation de capital au Canada, quelques remarques succinctes s'imposent ici - elles ne font d'ailleurs que recouper ce qui a été analysé plus en profondeur ailleurs (33) - à savoir, notamment, les parts croissantes prises par les exportations de capital en provenance des États-Unis et des pays autres que l'Angleterre qui passent de 70% et 4% respectivement en 1945 à 78% et à 9% en 1963, et le déclin de la part de l'Angleterre qui tombe de 24% à 12%.

Le tableau 2 de la page suivante donne le détail de l'estimation pour quelques années choisies.

Il ressort de ce tableau 2 que ce sont les capitaux en provenance de l'Angleterre qui ont tendance à fluctuer; en réalité, ce n'est qu'à compter de 1956 que la masse des capitaux anglais placée au Canada sera supérieure à celle qui avait été exportée en 1939. À partir de ce moment-là, la croissance sera rapide et soutenue, jusqu'en 1963 à tout le moins. Quant à l'importante progression de placements venant d'autres pays, elle vient confirmer cette internationalisation du capital évoquée précédemment.


Tableau 2
Estimation des capitaux étrangers placés au Canada selon la provenance, en millions de $


1945

1950

1955

1960

1963

Royaume-Uni

1 750

1 744

2 356

3 359

3 331

États-Unis

4 990

6 565

10 278

16 718

20 488

Autres

352

358

842

2 137

2 384

TOTAL

7 092

8 667

13 476

 22 214

26 2031

Sources : Annuaires du Canada



Enfin, si l'on se tourne maintenant vers le genre de placement, on constate - ainsi que l'indique le tableau 3 de la page suivante - une concentration dans les secteurs productifs et tout particulièrement dans les manufactures et l'extraction, aux dépens de l'achat des valeurs des gouvernements et des services publics.

Nous nous trouvons ici en présence d'une situation en vertu de laquelle les créanciers du Canada se désintéresseraient du secteur public et concentreraient leurs placements dans le secteur privé, laissant ainsi aux Canadiens eux-mêmes l'acquisition des valeurs "publiques". Il faut peut-être distinguer ici les valeurs des gouvernements, dont les sommes détenues à l'étranger n'augmentent pas moins avec régularité - de $1~6 milliard en 1945 à $4,2 en 1963, - des valeurs des services publics, et dont les montants détenus à l'extérieur fluctuent davantage: de $2Jl milliard en 1945 à $1.9 en 1949, remontant à $2.1 en 1954 pour tomber lentement à leur niveau le plus bas de $1.8 en 1963. Ces dernières seraient dès lors beaucoup plus sensibles à la conjoncture que les premières.

Conclusion

Une des raisons de l'ambiguïté de certains résultats de travaux consacrés à l'étude des rapports sociaux au Québec en tout cas est liée à cette pratique qui consiste à poser la contrainte politique réelle du partage des pouvoirs entre deux ordres de gouvernements comme s'il s'agissait d'entrée de jeu de rapports entre deux fractions d'une bourgeoisie.

Or, faute de situer ce cadre juridique fondamental, on ne peut pas saisir ce fait indéniable : qu'avec la deuxième guerre mondiale s'ouvre au Canada une étape de centralisation politique, -processus tout au plus suspendu au Québec durant les quinze années du règle de Maurice Duplessis et non pas une accentuation de l'autonomie politique des provinces, comme on le soutient parfois (34).


Tableau 3
Estimations des capitaux étrangers placés au Canada selon le genre de placement,
années choisies entre 1945 et 1963, (en %).


1945

1950

1955

1960

1963

Valeurs des gouvernements

23

23

14

15

16

Valeurs des services publics

30

23

14

10

7

Manufactures, pétrole et mines

32

38

52

53

54

Commerce

3

4

5

4

4

Institutions financières

7

7

9

11

11

Autres entreprises et actifs divers

5

5

6

7

8

TOTAL

l00%

l00%

l00%

l00%

l00%

Sources : Annuaires du Canada



Pour bien le comprendre, il ne faut pas tant s'attacher aux termes d'une opposition ponctuelle, mais viser la finalité d'ensemble de toute négociation entre le fédéral et les provinces. Certaines d'entre elles, comme le Québec, tiraillées par la présence d'un secteur pré-capitaliste important et partiellement dominées par une classe attirée par les solutions corporatistes propres à assurer la survie de tels secteurs, certaines provinces donc vivront de manière plus contradictoire que d'autres ce processus de centralisation politique.

Le plus contradictoire dans tout cela, en ce qui concerne le Québec particulièrement, c'est évidemment le caractère occasionnellement nationaliste ou autonomiste qu'a pu revêtir, au niveau politique durant les armées soixante, la collaboration qui s'est instaurée entre le fédéral et le Québec.

Pour bien saisir cet élément, il ne faut pas confondre deux choses bien distinctes que sont: premièrement la socialisation des fonctions de l'État ; deuxièmement, la centralisation du pouvoir politique. Si le premier élément est un des résultats du gonflement des effectifs lié à la prise en charge par les gouvernements de secteurs de production de biens ou de services précédemment dévolus aux intérêts privés, le second désigne-spécifiquement le pouvoir politique en tant que tel, pouvoir à ne pas confondre ni avec celui de l'administration publique elle-même d'une part, ni avec l'autorité exercée sur celle-ci d'autre part.

Pour comprendre cet aspect de la question, il faut dès lors distinguer le pouvoir exercé par une bureaucratie dans un cadre politique donné - fédéral, provincial ou municipal - des contraintes que fait subir à ce cadre la nécessité économique de l'accumulation du capital.

Cette nécessité en est une d'universelle dans un mode de production capitaliste ; ce qui différera d'une société à l'autre ce ne sera pas la soumission à cette contrainte, mais bien les formes diverses qu'elle revêtira, selon notamment les cadres juridiques dans lesquels elle doit opérer.

Dans le contexte canadien, cette nécessité se joue sur une double toile de fond, la main-mise du capital américain sur l'économie et la survivance d'une bourgeoisie nationale. Or, l'appropriation par le capital américain de l'économie canadienne passe tout simplement par l'assujettissement concurrent des deux niveaux de gouvernement ; ce double assujettissement constitue donc de ce point de vue une seule et même contrainte. À cet égard, pour le capital américain, fédéral et provinces ne sont pas des partenaires rivaux mais des possesseurs complémentaires.

Si donc la question des rapports conflictuels entre fédéral et provinces se pose, cela n'est pas apparemment imputable à la domination américaine sur l'économie canadienne, puisque cette domination peut fort bien s'exercer sur les deux niveaux de gouvernement, indistinctement, en fonction de ses besoins et dans le respect du cadre constitutionnel. Cette question ne se pose pas non plus en tant que pure et simple transposition de rapports de classes antagoniques qui auraient des effets dans le domaine constitutionnel. Nous n'aurions pas affaire à un rapport entre gouvernements défendant des classes antagoniques, ni non plus à des fractions irréconciliables d'une même classe sociale.

Les conflits qui se trament dans le cadre constitutionnel canadien sont plutôt le résultat d'une incapacité fondamentale inscrite dans une classe sociale spécifique: c'est l'incapacité de la bourgeoisie "nationale" d'assurer sa propre survie, c'est-à-dire de prendre ses distances par rapport à la main-mise américaine. Bien sûr, en principe elle le pourrait, et les éléments les plus éclairés ou les porte-parole du libéralisme canadien (35) n'ont pas manqué de diagnostiquer cette faille, d'isoler cette difficulté, et de prôner la collaboration entre représentants de cette fraction aux deux niveaux de gouvernements, fédéral et provinciaux, et ceci comme remède à cette incapacité elle-même (36). En effet, seule la collaboration entre les fractions de la bourgeoisie nationale, entre le grand et le moyen capital, entre éléments francophones et anglophones de cette bourgeoisie, tant aux niveaux fédéral que provincial, aurait pu contrer l'envahissement et assurer sa survie. Mais, là son tour, une démarcation aussi radicale par rapport au capital étranger est impensable sans alliance avec d'autres classes, que ce soit la classe moyenne montante ou la classe ouvrière. C'est à cette seule condition que la classe dominante "nationale" peut éviter d'être marginalisée au point de n'être plus, sur place, qu'un instrument aux mains d'une bourgeoisie compradore d'une bourgeoisie dont les intérêts ne sont plus "nationaux" mais, essentiellement américains.

À cet égard, s'il y a un "échec" du fédéralisme, cet échec est dû l'incapacité d'une bourgeoisie d'assurer l'autonomie de l'union canadienne autrement que par une démission devant la main-mise américaine, ce qui a pour effet précisément de dissoudre l'unité canadienne. Cette démission prend, dans les faits, la forme de l'adoption de mesures politiques qui ne sont susceptibles de sauvegarder qu'une partie qu'une section ou qu'une fraction de la bourgeoisie nationale, forçant ainsi toutes celles qui sont menacées dans leur existence même à contrer ces mesures dans des alliances avec le capital étranger. Mais, à son tour, cette opposition ne se matérialise pas dans une véritable coalition, précisément parce qu'en son sein les intérêts sont trop divergents et trop articulés sur la domination étrangère pour y parvenir. Et ce facteur de dissension, au niveau fédéral comme au niveau provincial, c'est encore et toujours l'omniprésence de la bourgeoisie compradore qui le crée, mais encore là, ces dissensions masquent la compénétration des intérêts en présence et la profonde unité qui les lient.

Ainsi, si chaque niveau de gouvernement - fédéral, provincial, voire municipal - n'est toujours ni plus ni moins que l'expression des besoins d'une alliance au sein de la classe dominante, il s'en faut de beaucoup que ces alliances soient à tous les niveaux les résultats d'un même dosage, d'un même équilibre dans les rapports de force. Bien au contraire: c'est dans la mesure même eu la bourgeoisie nationale canadienne est absente dans le gouvernement de telle ou telle province, qu'à ce niveau, l'avant-scène sera occupé exclusivement par la bourgeoisie compradore ou ses représentants. Et c'est d'ailleurs en ce sens que l'on peut expliquer ce fait, en apparence paradoxal, que la bourgeoisie nationale québécoise soit essentiellement l'instrument des intérêts américains au Québec, tout simplement parce que ce qui est national à ce niveau l'est contre le nationalisme de la bourgeoisie canadienne et s'oppose donc, au nom de ses Intérêts qui sont les intérêts de l'investisseur étranger, aux intérêts d'une bourgeoisie canadienne.

Mais il faut tout de suite Indiquer que, normalement, cet enchevêtrement d'intérêts s'accommode passablement bien et co-existe dans une concurrence pacifique. Il suffit néanmoins d'un ralentissement dans le rythme de l'accumulation, voire d'une menace de ralentissement, pour que l'on assiste alors à une confrontation entre ces deux niveaux de gouvernements que sont le Canada et le Québec notamment, confrontation où les représentants du capital étranger à Québec s'opposent, au nom de leur nationalisme, au nationalisme pan-canadien des représentants du capital national à Ottawa.

Prenons un exemple de ceci : quand le fédéral adopte une mesure protectionniste comme l'imposition d'un tarif là l'exportation de produits non-ouvrés, cette mesure est autant maladroite qu'insuffisante. Elle est maladroite pour les capitalistes étrangers et leurs représentants qui voient là une mesure discriminatoire à leur endroit ; elle est insuffisante pour les capitalistes nationaux canadiens qui voient la concurrence étrangère s'installer parmi eux. Si toute la pénétration économique étrangère passait par les mailles d'une politique entièrement tissée par le gouvernement fédéral, l'opposition provinciale représenterait des oppositions nationales contre l'impéritie du pouvoir central. Mais, comme les provinces sont peut-être d'abord les agents du capital étranger avant d'être les porte-parole d'une bourgeoisie régionale, leur adhésion ou leur opposition à un tarif n'indique rien en soi » elle n'indique ni leur volonté de sauvegarder une fraction de bourgeoisie nationale, ni celle, contraire, d'aliéner plus rapidement leurs richesses à d'autres.

La meilleure indication que l'on puisse donner de ces relations extrêmement complexes, c'est l'incapacité quasi-permanente dans laquelle se sont historiquement trouvés les gouvernements provinciaux de faire front commun contre le fédéral et, à la limite, de le renverser pour mettre en place une structure politique susceptible de défendre convenablement les intérêts économiques ou sociaux du pays. Il faudrait pour y arriver, ou bien que tous et chacun des gouvernements provinciaux soient des gouvernements de coalition contre l'impérialisme américain, ou bien qu'ils représentent tous une fraction de la bourgeoisie nationale. Historiquement, là où cette situation s'est présentée chez quelques-uns, le gouvernement fédéral a pu manœuvrer telle ou telle autre province contre ces gouvernements, tout simplement en faisant jouer l'alliance entre la fraction dominante à son niveau et celle du niveau provincial.

La compénétration des rapports entre les deux ordres de gouvernement est donc un phénomène passablement complexe; l'élucidation de l'évolution économico-politique d'une société aussi dominée et inféodée aux Intérêts étrangers, ainsi que l'est la société canadienne, passe par la mise en lumière de tout un réseau de rapports occultes qui peuvent seuls expliquer le profond paradoxe dans lequel est ancrée l'évolution récente du Canada. Ce paradoxe explique à la fois ce nationalisme timide qui ne sert que des intérêts particuliers - et de ce fait, l'invalide auprès de ceux qui n'en bénéficient pas - et l'omniprésence du capital américain qui s'en va croissant; il marginalise ainsi de jour en jour plus inéluctablement les velléités d'autonomisme ou de nationalisme de ce qui peut rester de bourgeoisie "nationale" (37). Ainsi, acculés à la collaboration avec le capital étranger, les deux ordres de gouvernement - fédéral et provinciaux - risquent de ne plus s'affronter que dans leur aplatissement, que dans une surenchère à la baisse, devant les besoins de l'accumulation du capital aux États-Unis.

Mise sur pied par une bourgeoisie nationale afin de permettre l'extension et le développement d'un capital national, la Confédération n'a plus de sens dans le contexte d'affrontements entre fractions d'une bourgeoisie compradore.

C'est dire que le contentieux constitutionnel ne renvoie à aucune opposition sociale réelle. En tant que pouvoirs complémentaires, les guerres intestines qui agitent le fédéral et les provinces ne sont en définitive que des ajustements à l'inféodation du pays au capital étranger. Bien souvent d'ailleurs, ces oppositions elles-mêmes ne servent plus d'autre fin que celle de créer une surenchère dans l'aplanissement des difficultés rencontrées par l'investisseur étranger.

C'est ce qui nous fait dire qu'actuellement, avant d'être nationale ou internationale, grande ou moyenne, notre bourgeoisie au niveau provincial est d'abord compradore c'est-à-dire qu'elle a pour fonction première d'assurer sur place l'exploitation d'une main-d'oeuvre en vue de l'accumulation de capital aux Etats-Unis. Mais du simple fait que toute l'économie n'est pas encore dominée par le capital américain, il subsiste une bourgeoisie marginalisée en quelque sorte et qui, par rapport à l'internationalisme de la première, se pose plutôt comme bourgeoisie "nationale". Cette bourgeoisie intervient surtout au niveau fédéral. Bien sûr, au fur et à mesure de la cession de notre économie aux Américains, le rôle de cette dernière tend-il à décroître. À son tour, cette bourgeoisie nationale se trouve dans une situation paradoxale puisqu'elle est traversée d'allégeances contradictoires qui minent son unité potentielle et, en quelque sorte, la divisent contre elle-même -selon que les contraintes de la domination américaine l'amènent à privilégier l'état central au détriment de l'état provincial ou vice-versa dans des conjonctures historiques données. Toute la difficulté de l'étude des rapports de classes au Canada consiste à relever le dosage passablement compliqué des alliances conjoncturelles entre ces deux fractions de bourgeoisie, compte tenu des limites que pose à leurs actions le cadre constitutionnel. Fluctuant en fonction des rapports économiques que les fractions de bourgeoisie nouent entre elles, ce dosage se répercute forcément sur les alliances qui fondent la détention du pouvoir politique d'une part, les rapports entre les deux ordres de gouvernement d'autre part.

L'intervention systématique de l'État central dans l'économie a pour effet de dissoudre cette opposition potentielle entre les deux fractions de bourgeoisie en faisant jouer à l'État "national" une fonction d'accumulation internationale. C'est ainsi que l'investissement privé et l'accumulation sont amenés à dépendre de plus en plus de l'épargne publique et que les États fédéral et provinciaux sont de plus en plus actifs dans leur soutien à l'accumulation capitaliste.

Dans le contexte constitutionnel canadien, cette prise en charge est elle-même fonction d'une répartition de pouvoirs entre le dominion et les provinces, de telle sorte que la fonction monopoliste de l'État pourra être assumée indistinctement par l'un ou l'autre gouvernement. Tout le problème de l'élaboration d'une histoire sociale consiste alors à expliquer le pourquoi et le comment de ces prises en charge dans le processus de la consolidation de la bourgeoisie nationale et de sa dissolution par la bourgeoisie compradore

S'agissant moins d'un travail théorique ou même d'une recherche articulée autour d'une problématique définie, et partant d'hypothèses précises, il faudra bien sûr soumettre à des études plus poussées les énoncés ci-dessus.

Une chose paraît passablement acquise toutefois, c'est que l'analyse du contexte canadien en termes de "transition au monopolisme d'État" ne saurait suffire pour appréhender la spécificité du contexte socio-politique au Canada, à moins de devoir poser deux transitions, deux périodisations selon que l'étude portera sur l'État fédéral ou l'État québécois. Si c'est en effet à la faveur de la deuxième guerre que l'État fédéral s'eut immiscé dans tous les secteurs de la vie économique et sociale, régentant et réglementant aussi bien les prix que la main-d'oeuvre, sa productivité, etc. (38), ce n'est qu'au cours des années soixante que le gouvernement québécois procédera au développement de l'intervention systématique de l'État provincial dans l'économie.

D'ailleurs, à la cessation des hostilités, cette ingérence du gouvernement fédéral ne s'est nullement relâchée mais, bien au contraire, a pu servir à consolider le secteur privé et à paver la voie à une croissance économique sans précédent: le taux d'investissement au Canada qui s'établissait à 10,8% du Produit National Brut en 1945, croît de manière impressionnante dans les années subséquentes, atteignant près de 24% au lendemain de la guerre de Corée en 1953, puis 27,3% en 1957; à partir de 1958, le taux fléchit et baisse régulièrement pour atteindre 21.8% en 1963.

Or, cette performance est en partie imputable à l'intervention - directe et indirecte - de l'État - des États, devrions-nous dire -dans l'économie. Le plus étonnant donc, ce n'est pas cette performance en tant que telle mais bien ce relâchement auquel on assiste après 1958, malgré l'intervention massive de l'État et la nécessité dans laquelle se trouveront quelques gouvernements provinciaux de prendre la relève à ce moment-là.

Il semble donc, à cet égard, que ni le soutien croissant apporté par les pouvoirs publics à la croissance économique, ni même l'inféodation du politique à l'économique ne peuvent résorber les contradictions profondes du capitalisme, et c'est dans ce cadre et sur cette toile de fond qu'il convient de situer et d'analyser les rapports entre les gouvernements fédéral et provinciaux.

Notes:

(1) Nous référons ici à la notion avancée et développée par des théoriciens du Parti communiste français. Il faut néanmoins ajouter que cette expression n'a pas qu'une valeur théorique mais sert également, sur le plan politique cette fois, à légitimer une pratique d'alliance de toutes les classes contre la domination d'une bourgeoisie monopoliste. En ce sens, l'utilisation d'une notion ou d'un concept n'est jamais la mise en oeuvre d'un Instrument neutre et les implications plus politiques que l'on peut tirer de la présente étude doivent plutôt se préoccuper de l'état des rapports de classes au pays que d'importer de manière pré-critique un modèle extérieur.

Cf.
Traité marxiste d'économie politique : Le capitalisme monopoliste d'État, Paris, Éditions Sociales, 1971 ; pour une critique fort pertinente du concept de C.M.E., voir Magaline, A.D. : Lutte de classes et dévalorisation du capital, Paris, Maspéro, 1974, aux pages 27 et sq. ; enfin, pour une discussion sur cette question, nous nous permettons de renvoyer le lecteur intéressé à l'introduction de notre ouvrage : La désillusion tranquille, Montréal, Cahiers du Québec / Hurtubise H.M.H. Ltée, Coll. Sociologie, 1978.

(2) Le tribunal de dernière instance sera en effet le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres qui avait, jusqu'en 1949, date de l'abolition des appels à cette Cour par le Parlement du Canada, juridiction pour entendre toute cause (hormis celles en matière criminelle dont l'appel avait été aboli plus tôt, en 1933) qui lui était soumise, règle générale en appel d'une décision rendue par la Cour Suprême du Canada.

(3) Stevenson, Garth : "
Federalism and the political economy of the Canadian State", in : Panitch Leo (ed) : The Canadian State, U. of Toronto Press, 1977, pp. 71 sq.

(4) Comme le pose, par exemple, le P.C.C. cf. Stevenson, Garth : op. cit., p. 74.

(5) Voir, par exemple, Faulkner, Harold : American Economic History, 8e édition, N.Y., Harper and Row, 1960 ; au chapitre 29 intitulé : "Economic Collapse", l'auteur écrit, citant J.M. Clark (Strategic Factors in Business Cycles, 1934) : "Un des facteurs les plus importants de la dépression était sans doute imputable au fait que "l'on a assisté à l'augmentation de la portion du revenu total au chapitre des profits (...) et une baisse correspondante de celle affectée au paiement des gages et des salaires...". Il en est résulté une propension à accumuler les richesses là où elles servaient d'abord à l'expansion des unités de production plutôt que de les mettre entre les mains de ceux qui les auraient affectées à l'acquisition de biens manufacturés" (page 642). L'on sait par ailleurs que la "propension à consommer" fait son entrée officielle dans la théorie avec John Maynard Keynes et que l'application de politiques susceptibles de "stimuler la propension à consommer" est au centre de ses préoccupations en tant que mesure visant à contrer les effets néfastes de cycles économiques régis par "un flux d'investissement... abandonné aux fantaisies d'une efficacité marginale qui dépend des opinions personnelles d'individus ignorants ou spéculateurs...". Cf. La théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, (1936), Paris, Payot, 1968 ; livre III: "La propension à consommer", pp. 106 à 149 ; la citation ci-dessus étant tirée des "notes succinctes suggérées par la théorie générale", pp. 326 sq. à la p. 337

(6) Rapport de la Commission royale d'enquête que les écarts de prix, (William W. Kennedy président), Ottawa, Imprimeur du Roi, 1935, p. 6.
(7) Ibid., p. 118.
(8) Ibid., p. 10.
(9) Cf. Rapport April, Québec, p. 18.
(10) Commission Kennedy, Rapport, op. cit., pp. 140-141. D'ailleurs, au Québec, cette pratique subsistera jusqu'en 1971.
(11) Ibid., p. 150

(12) Voir, sur cette question : Pelletier, Michel et Yves Vaillancourt :
Les politiques sociales et les travailleurs, Cahier II: Les années 30 par Yves Vaillancourt, Montréal, texte ronéo, 1975, pp. 201 sq. surtout les pp. 231-237

(13) Statuts révisés du Canada, 1935, 25-26 George V., respectivement les chapitres 14, 44, 63 et 38

(14) Cf. re Reference The Employment and Social Insurance Act, 1936 S.C.R., pp. 427 et : References re The Weekly Rest in Industrial Undertaking Act, the Minimum Wages Act, and The Limitation of Hours of Work Act, 1936 S.C.R., pp. 461 à 538.

(15) Pelletier, Michel et Yves Vaillancourt : op. cit., p. 182.
(16) Cf. Keirstead, B.S. : "
National Policy", in: Brady et Scott; Canada After the War, Toronto, 1943, pp. 13-14.
(17)
The Rowell-Sirois report/book 1, Toronto, McClelland and Stewart Ltd, The Carleton Library no. 5, 1963, p. 162.

(18) L'expression "staple industries" est malaisée à rendre en français. Elle signifie à la fois, dans le contexte canadien, production principale et celle qui fonde l'accumulation primitive. Gilles Bourque propose la traduction "produit générateur" ; Cf.
Classes sociales et question nationale au Québec, 1760-1840, Montréal, Parti-pris, 1970, p. 23.

(19) The Rowell-Sirois report, op. cit., p. 166
(20) Ibid., p. 168.

(21) Ibid., 169. En général, les formulations de ce Rapport ne sont pas particulièrement faciles à traduire. Dans l'original, celle-ci se lit: "Federal policies of taxation and expenditure form one of the Most important groups of conditions which mould the development of the economy".

(22) En ce qui concerne spécifiquement l'opposition à l'envahissement du champ des mesures sociales, quatre provinces l'ont manifestée à la Conférence fédérale-provinciale de 1941 : ce sont l'Ontario, la Nouvelle Écosse, la Colombie britannique et l'Alberta. Pour un compte rendu des deux journées qu'a duré cette conférence, voir : Rumilly, Robert :
L'autonomie provinciale, Montréal, Éditions de l'Arbre, 1948, pp. 142-155.

(23) Il faudrait peut-être, pour expliquer cette résorption d'un conflit qui s'annonçait assez important, faire droit à l'expression de Jean-Marie Nadeau et voir dans la deuxième guerre le moment et l'occasion de la précipitation d'une "révolution industrielle" que le Canada n'avait pas encore connue. Ou, à tout le moins, le moment de la liquidation, au niveau fédéral, des représentants et des défenseurs des intérêts - non-monopolistes de l'économie canadienne.

Voir, Jean-Marie Nadeau:
Horizons d'après-guerre. Essais de politique économique canadienne, Montréal, Lucien Parizeau et Cie, 1944, p. 144.

(24) Il ne sera pas ici question de la dette municipale qui est généralement comptabilisée dans la dette globale parce que cet élément nous entraînerait en dehors de notre propos premier. Indiquons néanmoins, pour mémoire, que sur la période 1940-1964 retenue ici, la dette directe municipale passe de $1,2 à $6 milliards, soit une augmentation de l'ordre de celle qu'a connue le fédéral (x 5) ; toutefois, dans le même temps, la dette indirecte municipale oscille autour du demi-milliard et tend s'effacer dans les années soixante.

(25) Ces données sont empruntées à : Dougall, Herbert E. :
Capital Markets and Institutions, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, Inc., Foundations of Finance Series, 1965, pp. 83 sq.

(26) Pour appuyer cette assertion, il faudrait néanmoins étudier le partage de la propriété de la dette publique et suivre la part détenue par les créanciers: pouvoirs publics étrangers, banques, particuliers, etc. ce que nous ne sommes pas en mesure de faire ici. Pour une analyse succincte de la propriété de la dette publique (i.e. des créanciers) aux États-Unis, voir : Dougall, H.E. : op. cit., pp. 89-90.

(27) Entre 1935 et 1939, les dettes directes fédérale et provinciales passent de $2,8 et $1,4 à $3,2 et $1.6 milliards respectivement.

(28) À cet égard, pour intéressante qu'elle soit, une formule comme celle avancée par Ralph Miliband à l'effet que "l'entreprise capitaliste... dépend dans une plus grande mesure des primes et du support direct de l'État, et ne peut conserver son caractère "privé" qu'avec et grâce à cette aide Publique" ne va pas assez loin dans la mesure où elle laisse de côté l'effet en retour du secteur privé sur le secteur publie et ce phénomène de la privatisation des fonctions politiques évoqué ici. Voir, Miliband, Ralph :
The State in Capitalist Society, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1969, p. 78.

(29) C'est pour des raisons strictement techniques que nous avons dia arrêter l'étude cette année-là, puisque par la suite les données sur lesquelles nous nous basons ne sont plus fournies avec la même désagrégation.

(30) Puisque le changement dans la compilation de l'avoir n'affecte pas ce poste, il peut être intéressant de relever qu'en 1963, le taux d'augmentation de l'avoir privé s'établira à 337Z de celui de 1945.

(31)
Annuaire du Canada 1966, Ottawa, 1967, p. 1132.

(32) En réalité, ces crédits augmentent rapidement, passant de $700 millions en 1945 à $2 milliards, leur plus haut niveau jamais atteint en 1949. À partir de 1950, ils stagnent à $1,9 milliard et tombent régulièrement par la suite jusqu'à $1,3 milliard en 1963.

(33) Par exemple : Levitt, Kari :
Silent Surrender, the Multinational Corporation in Canada, Toronto, MacMillan of Canada, tableaux 3 et 4, pp. 66-67.

(34) STEVENSON, Garth : op. cit., p. 80. Ou encore : Brady, G. : "
Quebec's Quiet Revolution", in : Paul Fox, ed. : Politics : Canada, p. 51.
(35) Nadeau, Jean-Marie : op. cit.

(36) C'est là le sens premier à donner à plusieurs des revendications formulées et avancées par les nationalistes d'avant-guerre qui voulaient faire amender la Constitution dans un esprit de "bonne entente" et en vue de promouvoir des intérêts communs. Par exemple. Paul Gouin: "Le problème constitutionnel", in :
Servir. 1. La cause nationale, Montréal, Les Éditions du Zodiaque, 1938, pp. 220-250 ; ou encore : Lionel Groulx, abbé : "Les Canadiens français et l'établissement de la Confédération", in. Notre maître le passé, Montréal, Librairie Granger Frères Ltée, 1936, pp. 233 sq., surtout pp. 252-254.

(37) Cf. Johnson, Harry G. :
The Canadian Quandary. Economic Problems and Politics, Toronto, McClelland and Stewart Ltd, Carleton Library, no. 106, 1977. En tant que défenseur intransigeant de la mainmise américaine et d'un "laisser-faire / laisser-passer" à outrance, H.G. Johnson est une perle à lire dans la mesure même OÙ ses opinions "Jusqu'au boutistes" l'amènent à s'opposer avec violence à toute mesure protectionniste proposée par la bourgeoisie canadienne et à rejoindre ainsi, dans son purisme d'économiste, les constantes que nous esquissons : "... protectionist and antiforeign investment... (are but) measures whose chief effect will be to increase the profits and power of particular interests at the expense of the community". L'on doit évidemment lire ici que ces mesures avantagent les capitalistes locaux au détriment des Intérêts américains.

(38) Pour une étude de l'extension de cette mainmise, l'on pourra consulter le texte d'une conférence donnée par le Sous-Ministre du Travail devant l'American Management Association pendant la guerre. Cf. Stewart, Bryce M. : "
Wage and Manpower Controls in Canada", in : Personnel Management Series, no. 59, New-York, American Management Association, 1942 pp. 1-16.

Pour une étude de l'histoire de l'intervention de l'État québécois dans l'économie au début des années soixante, on pourra se référer à notre ouvrage:
La désillusion tranquille, op. cit., Chap. 2 : "La bourgeoisie et le capital".

Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le lundi 22 janvier 2007 19:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref