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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Dorval Brunelle (dir.), GOUVERNANCE. Théories et pratiques. (2010)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Dorval Brunelle, GOUVERNANCE. Théories et pratiques. Montréal: Éditions de l’Institut international de Montréal, 2010, 372 pp. [Autorisation du directeur de l'Institut d'études internationales de Montréal, Dorval Brunelle, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales accordée le 19 décembre 2010.]

Présentation


Si j’avais pu me prévaloir de la coutume en vogue au XVIIIe siècle qui permettait à un auteur de coiffer son ouvrage d’un titre interminable, le présent collectif porterait le titre suivant : « Gouvernances ou études des incidences de la libéralisation des marchés sur les conditions de travail et de vie des femmes dans les Amériques et au Québec, sur la gestion des mines artisanales en Colombie, sur l’exercice du pouvoir dans les communautés autochtones au Mexique, sur les alternatives défendues par les Zapatistes, sur la gestion conflictuelle de l’eau en Argentine, ainsi que sur les promesses et les déboires de la citoyenneté digitale en Argentine et au Venezuela. »

Cette énumération a deux mérites. Premièrement, elle illustre la richesse et la diversité des thèmes abordés autour de la notion de gouvernance. Deuxièmement, elle permet de faire ressortir les deux fils conducteurs qui lient et relient chacune des douze contributions rassemblées dans ces pages, la gouvernance, mais aussi l’ouverture des marchés, encore que, comme nous allons le voir, les deux notions se côtoient parfois malaisément, surtout quand il est question d’imputer ou de faire porter d’emblée à la notion de gouvernance une vertu émancipatrice quelconque.

En effet, les sciences sociales et les sciences de la gestion ont longtemps opéré en opposant deux modes de distribution et de répartition des biens et des produits, l’un fonctionnant sous l’égide de [8] l’État, l’autre, sous l’égide du marché. Évidemment, nul n’ignorait qu’il y avait tout de même d’autres mécanismes de distribution et de répartition des biens, des services et des revenus comme les mutuelles, les coopératives et les associations souvent regroupés sous la notion d’économie sociale, sans compter tous les modes traditionnels et domestiques de production qui échappaient plus ou moins à l’économie marchande, mais le poids réduit de ces alternatives, en termes économiques en tout cas, suffisait à justifier leur mise à l’écart. D’ailleurs, cette décision apparaissait d’autant plus légitime que les modalités de gestion appliquées au niveau de l’économie sociale, là où et quand elles différaient des autres, auraient été inadaptées et inadaptables tant au niveau de l’État qu’au niveau du marché.

Or, c’est précisément à partir d’un questionnement visant à effectuer un retour critique sur des modes et des façons apparemment fixées, établies et rodées de gérer des unités de production et de gouverner les grands ensembles qu’émerge l’idée de gérer ou de gouverner autrement. En somme, à l’origine en tout cas, la notion de gouvernance est issue d’un exercice de réflexivité mené en parallèle à deux niveaux distincts. Au premier niveau, celui de la microéconomie, analystes et chercheurs avaient été conduits à remettre en cause et en question la pertinence et la viabilité des façons de faire des entreprises, tandis que, à l’autre niveau, celui de la macroéconomie, d’autres avaient été conduits à remettre en cause et en question la pertinence et la viabilité des façons de faire des gouvernements. Mais au fond, la démarche était la même dans les deux cas : il s’agissait de poser un regard critique sur les relations nouées à l’intérieur de l’entreprise, des administrations et des gouvernements en partant des relations que chacune et chacun entretenaient avec des clients, des usagers, des actionnaires, des partenaires ou des commettants situés à l’extérieur.

[9] Cette façon de poser le problème permet immédiatement d’opposer deux applications à la notion de gouvernance. La première viserait à modifier ou à réformer les façons de faire des entreprises, des administrations privées ou publiques fédérales, provinciales ou municipales, y compris les associations et les coopératives, tandis que la seconde viserait à modifier ou à réformer leurs façons de se comporter dans leur relation avec leur environnement extérieur au sens le plus large du terme.

Pourtant, si on regarde les choses de cette façon, c’est-à-dire si on rassemble sous la notion de gouvernance toutes les initiatives, depuis les plus modestes jusqu’aux plus ambitieuses, qui ont pour objectif de gérer ou de gouverner autrement, on se rend immédiatement compte qu’une telle notion s’avérerait non opérationnelle pour au moins deux raisons étroitement liées. La première, parce qu’une telle extension aurait pour effet de figer de manière indue et inappropriée le sens et la portée de la notion de gestion et de la notion de gouvernement, puisque n’importe quelle proposition de réforme tomberait obligatoirement dans le champ de la gouvernance, et la deuxième qui est aussi un corollaire, parce qu’en accordant une telle couverture et une telle étendue à la notion de gouvernance, elle désignerait tout et n’importe quoi. Par conséquent, pour que la notion de gouvernance puisse se tailler un statut théorique et épistémologique propre, elle doit pouvoir être définie. La définition joue un rôle pivotal ici, puisqu’elle devrait d’abord nous fournir une interprétation enrichissante de cette réalité dont elle prétend rendre compte et ensuite parce qu’elle devrait servir de point de départ pour la formulation d’hypothèses qui, selon qu’elles seront validées ou réfutées, serviraient, en retour, à renforcer ou à réajuster la définition de départ, et ainsi de suite pour toute la durée de vie d’un concept.

[10] Mais ce passage d’une définition fourre-tout à une définition utile — en termes théoriques et méthodologiques, bien sûr,  est plus facile à énoncer qu’à réaliser. Car c’est le propre des mots à la mode d’être ambivalents et polyvalents à la fois, de désigner tout et son contraire, une ambigüité amplement nourrie par la démagogie de leurs utilisateurs.

Or, pour le moment, en matière de gouvernance, nous sommes encore à une étape exploratoire caractérisée par la multiplicité des significations et des définitions, de sorte qu’il nous faudra très certainement de nombreuses études encore avant d’arriver à un accord minimal autour de quelques définitions convergentes. Cela dit, l’exploration est un moment charnière, surtout quand elle permet de rassembler des enquêtes de terrain menées dans des contextes très différents à travers lesquels court une même préoccupation : faire émerger, au-delà des discours, les nouvelles pratiques de gouvernance.

C’est l’idée qui a prévalu en vue de la préparation du présent collectif : il s’agissait de réunir des contributions issues des quatre coins des Amériques qui présenteraient et analyseraient des expériences de gouvernance locale sur des thèmes variés afin de mettre en lumière les transformations les plus récentes intervenues dans la critique des pouvoirs institués et les stratégies alternatives avancées par les acteurs en place. À cet égard, le recours à des thématiques fort éloignées les unes des autres sur les plans géographiques et thématiques est une démarche qui a été choisie d’un propos délibéré afin de faire ressortir l’étroite parenté qui prévalait entre les conséquences sociales de la libéralisation des marchés sur des populations vulnérables et faibles au nord et au sud des Amériques, d’une part, la parenté entre les défis posés par la mise en place d’alternatives sociales et solidaires à la base, d’autre part. D’ailleurs, il convient de souligner au passage que nous n’en [11] sommes pas à nos premières armes en la matière puisque trois parmi les collaborateurs au présent collectif avaient contribué à une initiative du même genre qui a donné lieu à une publication parue en espagnol, en 2007 [1]. C’est donc parce que la démarche semblait à la fois fructueuse et intéressante qu’il a été décidé de la reprendre et de l’élargir afin d’en faire bénéficier un public francophone.

Les douze contributions rassemblées dans le présent collectif ont été regroupées en trois parties, les deux premières comprenant cinq textes chacune, la dernière deux, le tout étant précédé d’une introduction consacrée à une analyse critique de la notion de gouvernance et suivi d’une conclusion générale rédigées par le responsable de publication.

Des cinq textes consacrés aux effets de la libéralisation des marchés sur les conditions de travail et de vie des femmes, le premier, rédigé par Carmen Colazo, présente un cadre général d’analyse et d’interprétation des défis auxquels le mouvement féministe est confronté en Amérique latine depuis la mise en place des politiques néo-libérales au cours des années quatre-vingt. En fin de parcours, Colazo écrit ceci, qui est en même temps la mise en relief d’une dimension importante de la gouvernance, à savoir sa fonction émancipatrice : « c’est autour et à partir de la conflictualité générée par ces mouvements et ces groupes (féministes, entre autres) que nous voyons émerger — parfois péniblement — de nouveaux schèmes de gouvernance ».

Le deuxième texte, de Minea Valle-Fajer, traite de violence domestique. L’auteure cherche à savoir quelle est l’influence du contexte socio-économique, culturel et institutionnel sur la nature de [12] la violence domestique au Mexique et sur l’efficacité des moyens d’intervention mis en place pour la contrer. Elle conclut son étude en soulignant, entre autres choses, que « l’accentuation de la pauvreté et des inégalités sociales entretient un climat de tension et de frustration qui a fait augmenter la violence envers les femmes sous diverses formes, pas seulement à l’intérieur du ménage, mais dans l’ensemble de la société ». Le troisième texte, de Luz Dinora Vera-Acevedo, est le résultat d’une autre recherche de terrain menée cette fois auprès de femmes travaillant dans des mines artisanales en Colombie. Le questionnement de l’auteure « part de la reconnaissance de la pluralité des logiques d’action pour cerner le rôle des femmes dans ce secteur, tout en cherchant à intégrer d’autres aspects, comme la caractérisation des pratiques et des interrelations entre les mineurs (afin de mettre au jour) les relations entre l’iniquité, le genre et les carences au niveau de la gouvernabilité ».

Quant aux quatrième et cinquième contributions, de Raquel Duplin et de Marie-Pierre Boucher, elles font état de recherches portant sur les effets de la libéralisation des marchés sur les conditions de vie des femmes au Québec. Duplin a choisi de d’étudier les législations adoptées au Québec entre 1994 et 2006 afin « de repérer, de comprendre et d’interpréter la direction générale empruntée par la régulation étatique ». Il s’agit surtout de voir comment les gouvernements en place ont agi face aux exigences portées par les mouvements féministes à l’interne et celles issues des engagements souscrits au chapitre des accords de libre-échange à l’externe. Il s’avère, au terme de l’analyse, que la notion d’État néo-libéral n’est peut-être pas la plus appropriée pour rendre compte de la nature de la politique familiale adoptée au cours de la période. Enfin, M.-P. Boucher développe « l’hypothèse selon laquelle les travailleuses québécoises incarneraient la figure idéale-type de la flexibilisation des conditions de travail. La flexibilité serait ainsi la [13] caractéristique qui permettrait de caractériser les changements apportés au système d’emploi dans la foulée des politiques de libéralisation » et elle conclut qu’il y aurait à l’heure actuelle « une stagnation de l’émancipation historique des femmes canadiennes et québécoises ».

Des cinq textes de la deuxième partie, quatre portent sur les expériences de gouvernance autochtone et rurale au Mexique, et le dernier sur l’enjeu de l’approvisionnement en eau dans trois villes de l’Argentine. Le premier texte, de Marcel Tovar Gomez, présente, à l’instar de celui de Colazo qui ouvrait la précédente partie, une vue d’ensemble de la cosmovision des peuples autochtones, afin de situer dans une perspective historique large la coexistence conflictuelle et asymétrique entre cette cosmovision et celle qui est issue des canons [2] de la pensée occidentale. Cette mise en perspective lui permet de faire ressortir la rupture induite ces dernières années chez certains peuples autochtones par le recours à ce que l’auteur identifie comme une « approche politique résolument démocratique » qui prend sa source et trouve son inspiration dans un démocratisme qui est difficilement conciliable  — pour le moment en tout cas — avec le démocratisme à haute teneur électoraliste et quelque peu corrompu appliqué au Mexique, en particulier. Le texte de Sabrina Melenotte vient compléter celui de Tovar en proposant une étude critique de la gouvernance démocratique mise en œuvre par les Zapatistes. L’auteur s’emploie ainsi à interroger la notion de gouvernance politique à partir d’une pratique fort originale initiée au niveau municipal qui porte le nom de caracol — escargot, en français. Cette pratique vise à favoriser le maintien de l’horizontalité dans les échanges et les débats afin d’élargir le plus possible le cercle de la [14] consultation et atteindre, ce faisant, un plus grand consensus dans la prise de décision.

La contribution de José G. Vargas-Hernandez porte sur l’écologie politique. Après avoir présenté quelques repères historiques qui jalonnent la longue histoire des mouvements autochtones au Mexique et insisté sur la rupture que représente à cet égard les contre-manifestations organisées par les communautés autochtones à travers les Amériques autour du 500e  anniversaire de la « découverte » des Amériques par Christophe Colomb, en 1992, l’auteur met en relief les principales caractéristiques des nouveaux mouvements sociaux autochtones, parmi lesquels il classe les Zapatistes, bien sûr, mais plusieurs autres également. María Fernanda Paz explore, elle aussi, le concept de gouvernance « tel qu’il s’applique aux processus de construction coopérative de politique publique dans les régions pauvres et arriérées ». Son étude a été menée dans une région minière du centre du Mexique et elle porte sur un plan de gestion des risques en santé qui a été appliqué dans un contexte où interagissaient des acteurs politiques, économiques et sociaux. Elle souligne à ce propos la difficulté d’application que pose le recours à la notion de gouvernance à des situations pour lesquelles elle n’avait pas été prévue au départ. Quant à Marcos Medina, il fait état d’une enquête menée sur la participation citoyenne et l’approvisionnement en eau dans trois villes moyennes d’Argentine. Malgré les limites de l’analyse, il n’en ressort pas moins de cette enquête une question lancinante : à quoi peuvent bien servir les schèmes de gouvernance les plus ouverts si les citoyens ne sont pas particulièrement intéressés à relever le défi de la participation et s’ils préfèrent que l’État s’occupe lui-même d’administrer le bien commun ?

Enfin, la dernière partie comprend deux textes de ton et de teneur fort contrastés sur le gouvernement électronique et les [15] promesses d’une citoyenneté électronique. Adeline Joffres étudie le cas vénézuélien afin de savoir si le nouvel « espace digital » proposé par l’État et mis à la disposition de la société civile et des citoyens « connectés » améliore qualitativement la pratique démocratique dans la République Bolivarienne du Venezuela, tandis que José Luis Tesoro présente une expérience d’apprentissage au gouvernement numérique qui contribuerait de manière active et efficace à l’amélioration de la gouvernance démocratique dans les pays des Amériques. Dans un cas, celui du Venezuela, le risque d’une manipulation de l’opinion est placé au centre de l’analyse, alors que dans l’autre, ce sont les conditions susceptibles de favoriser l’émergence d’une véritable citoyenneté électronique et démocratique qui dominent.

Ce survol étant effectué, le lecteur est à même de se faire une idée, non seulement de l’intérêt de chacun des textes rassemblés, mais surtout de la richesse d’ensemble des contributions qui, avec leurs conclusions contrastées, voire contradictoires, apportent chacune un éclairage stimulant et enrichissant autour de la notion de gouvernance et de ses multiples manifestations.

Pour terminer, je voudrais souligner que les textes présentés ici ont fait l’objet d’une première présentation lors d’un colloque organisé dans le cadre de l’ACFAS, à Québec, en 2008, sous les auspices de l’Observatoire des Amériques — rattaché au Centre d’Études sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM — en collaboration avec l’Institut d’études et de recherches féministes (IREF-UQAM) et du Collège des Amériques. Je tiens à remercier Jorge Andrès Rave, à l’époque coordonnateur à l’Observatoire, Francine Descarries et Lyne Kurtzman de l’IREF, ainsi qu’Alexandra Ricard-Guay et Geneviève Meloche, du Collège des Amériques, pour leur collaboration, leur appui et leur soutien. J’ajoute que tous les textes [16] présentés alors ont été révisés et, dans certains cas, réécrits en prévision de leur insertion dans une publication collective.

Je tiens également à remercier très sincèrement Valérie Fournier pour la diligence et le professionnalisme avec lesquels elle s’est acquittée de la tâche de traduction des sept contributions écrites en espagnol, ainsi que Louis Bouchard, chargé de projet à l’Institut d’études internationales de Montréal à l’UQAM, pour sa précieuse collaboration et son expertise dans la mise en forme finale du manuscrit.

Dorval Brunelle



[1] Il s’agit de Carmen Colazo, Marcela Tovar Gomez et José Luis Tesoro. Voir : D. Brunelle (dir.), Gobernabilidad y democracia en las Américas : teorías y prácticas, Editorial de la Universidad Tecnica Particular de Loja, Loja, 2007, 191 pages.

[2] Il est tout de même curieux que le mot « canon » désigne en français – entre autres choses – à la fois un article de foi sanctionné par une autorité religieuse et une pièce d'artillerie servant à lancer des projectiles.


Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le dimanche 16 janvier 2011 19:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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