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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Dorval Brunelle et Christian Deblock, “Intégration économique, intégration sociale : analyse comparée entre l’Amérique du Nord et l’Europe communautaire.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Dorval Brunelle et Christian Deblock, L’Amérique du Nord et l’Europe communautaire. Intégration économique, intégration sociale ?, pp 291-352. Montréal : Les Presses de l’Université du Québec, 1994, 459 pp. Collection : “Études d’économie politique”. [MM. Brunelle et Deblock nous ont accordé le 28 août 2020, leur autorisation de diffuser ce livre, en texte intégral et en libre accès à tous, dans Les Classiques des sciences sociales.]

[291]

Intégration économique,
intégration sociale
:
analyse comparée entre l’Amérique du Nord
et l’Europe communautaire
.”

Dorval Brunelle et Christian Deblock *

Introduction [291]
L’Union européenne et l’ALENA : deux modèles d’intégration [294]
L’Europe sociale en perspective [295]
Les dimensions sociales de l’intégration en Amérique du Nord [302]
Analyse comparée des dépenses de protection sociale [310]
Les trois systèmes nord-américains : une présentation succincte [312]
La protection sociale en Europe et en Amérique du Nord [315]
Les dépenses sociales par grands programmes [321]
Conclusion [326]
Références bibliographiques [327]
Tableau 1. Indicateurs socio-économiques Amérique du Nord, Union européenne et Japon [331]
Tableau 2. Dépenses et transferts de sécurité sociale, Amérique du Nord, Union européenne et Japon, années choisies, 1960-1990, en pourcentage du PIB [332]
Tableau 3. Dépenses en prestations de la sécurité sociale par habitant en dollars des États-Unis, 1985 [333]
Tableau 4. Dépenses en prestations de la sécurité sociale par habitant en dollars des États-Unis, 1985 [333]
Tableau 5. Origine des recettes au titre de la sécurité sociale et part des cotisations à la sécurité sociale dans les recettes fiscales en pourcentage des recettes totales, 1980, 1985 [334]
Tableau 6. Contributions à la sécurité sociale en pourcentage des recettes fiscales et en pourcentage du PIB, 1990 [335]
Tableau 7. Dépenses en prestations de la sécurité sociale et dépenses afférentes aux grands programmes sociaux en pourcentage du PIB, 1985 (336]
Tableau 8. Structure d’âge de la population [337]
Tableau 9. Dépenses sociales en pourcentage des dépenses totales, Amérique latine, pays choisis [338]
Tableau 10. Taux de couverture de la sécurité sociale Amérique latine pays choisis [338]
Tableau 11. Régimes d’indemnisation du chômage Amérique du Nord, Union européenne et Japon, années choisies, 1960-1990, en pourcentage du PIB [339]

Graphique 1. Prestations de sécurité sociale : Amérique du Nord, Union européenne, Japon 1970-1986, en pourcentage du PIB [340]
Graphique 2. Dépenses de protection sociale : Amérique du Nord, Union européenne, Japon 1960-1986, en pourcentage du PIB [341]
Graphique 3. Transferts de sécurité sociale : Amérique du Nord, Union européenne, Japon 1970-1991, en pourcentage du PIB [342]
Graphique 4. Prestations de sécurité sociale par habitant Amérique du Nord, Union européenne, Japon [343]
Graphique 5. Dépenses en prestations de la sécurité sociale en pourcentage du PIB, 1990 [344]
Graphique 6. Dépenses de protection sociale et transferts sociaux Amérique du Nord, Union européenne, Japon en pourcentage du PIB, selon le PIB par habitant, 1990 [345]
Graphique 7. Évolution des dépenses annuelles en prestations par habitant et ajustées d’après le coût de la vie, 1980 = 100 [346]
Graphique 8. Part des contributions à la sécurité sociale dans les recettes fiscales et dans les recettes totales des régimes d’assurance sociale  - Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1990 [347]
Graphique 9. Dépenses publiques de santé Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1970-1991 en pourcentage du PIB [348]
Graphique 10. Dépenses publiques de santé, indicateurs choisis, Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1991 en pourcentage du PIB et en $ PPP [349]
Graphique 11. Dépenses publiques d’éducation Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1980-1991 en pourcentage du PIB [350]
Graphique 12. Dépenses totales d’enseignement, indicateurs choisis Amérique du Nord, Union européenne, Japon en pourcentage du PIB et en$ PPP, 1991 [351]
Graphique 13. Transferts de sécurité sociale Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1970-1991 en pourcentage du PIB [352]

Introduction

L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Depuis lors, le Canada, les États-Unis et le Mexique sont engagés dans un processus d’intégration en vertu duquel les trois pays procèderont au démantèlement des obstacles commerciaux et tarifaires qui entravent la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux. Si, en première approximation, rien ne nous permet de penser que les engagements souscrits par les partenaires compromettent les gouvernements au-delà d’une adaptation minimale de leurs politiques économiques respectives aux principes et aux normes sanctionnés par l’accord, il n’en reste pas moins que le nombre de même que l’ampleur des engagements souscrits sont tels, qu’il est, à toutes fins utiles, illégitime de soutenir une approche réductrice face à la question des retombées sociales de l’intégration économique. Cet effet de débordement est sans doute une des caractéristiques les plus persistantes des phénomènes de régionalisme économique sous leur forme actuelle de sorte que nous n’aurions pas plus de raisons de faire l’économie de ce genre d’évaluation ou d’estimation cette fois-ci que l’on a pu ignorer les incidences de l’intégration, que ce soit en matière politique, sociale ou environnementale, entre autres, les fois précédentes.

Le débat n’est ni vraiment nouveau ni spécifique au cas nord-américain : depuis le Traité de Rome en 1957 jusqu’au Traité de Maastricht de 1992, il traverse toute l’histoire de l’intégration européenne, sans que l’on soit cependant parvenu à établir de consensus sur les retombées sociales de l’intégration économique d’une part, sur la nature et la portée des connexions entre les diverses dimensions de l’intégration d’autre part. L’histoire de l’intégration européenne [292] nous montre que, très rapidement, dès lors qu’il y a formation d’un marché unique, les pressions qu’exercent la mobilité accrue des facteurs de production et les contraintes de compétitivité sur les différents systèmes normatifs nationaux font en sorte que ceux-ci se trouvent placés en situation de concurrence les uns vis-à-vis des autres. C’est vrai dans le domaine monétaire ou dans le domaine fiscal, mais ce l’est tout autant dans d’autres domaines parfois aussi éloignés de l’économie, en apparence, que peuvent l’être le droit ou la politique sociale.

Si l’effet de débordement est reconnu, les interprétations que l’on en fournit de même que les enseignements que l’on en tire sont encore par trop souvent inconciliables (Van Rompuy et Abrahams, 1991 ; Bensaïd, Jacobzone et Lattès, 1993). Alors que pour les uns, les pressions qui naissent de l’intégration des marchés constituent un puissant incitatif au passage à des formes d’intégration plus évoluées, que cela conduise au renforcement des institutions communes ou à la convergence des politiques dans le cadre d’une coopération intergouvernementale plus étroite, pour d’autres, au contraire, ces pressions constituent une raison nécessaire, voire suffisante, pour laisser plus de place au libre jeu des lois du marché, auquel cas l’harmonisation des politiques devrait être dictée par les contraintes économiques elles-mêmes et non par des ajustements imposés d’en haut.

À ce premier niveau de questionnement de nature théorique vient s’en greffer un second, de nature institutionnelle, selon lequel l’intégration économique pourra être envisagée comme un processus qui s’inscrit ou bien à l’intérieur d’un projet politique plus large ou bien dans une logique purement économique d’ouverture des marchés. Dans ces conditions, la réponse que l’on pourra apporter au problème de la convergence ou à celui de la concurrence aux plans social et politique sera fonction de l’option retenue. Ainsi, dans le cas européen, le projet a été, depuis les tout débuts de la Communauté, articulé autour de la mise en place d’institutions politiques communes qui apparaissent aux yeux de certains comme la résultante d’un compromis entre deux visions [1], une vision fédéraliste de l’Europe communautaire qui prône l’union des États au sens du droit interne [2], et une vision confédéraliste qui défend l’association des États au sens du droit international.

[293]

Dans le cas nord-américain, en revanche, les choses ne se présentent pas du tout de la même manière. Si l’intégration économique régionale constitue désormais ici, comme en Europe communautaire, un volet central de la nouvelle économie politique des États, cette intégration économique n’implique aucun transfert de juridiction où que ce soit, mais repose plutôt sur un complexe mécanisme d’ajustements normatifs engagés sous l’égide de groupes spéciaux d’experts et autres instances de règlements de conflits mis sur pied en vertu des dispositions de l’ALENA.

Nous avons, dans des travaux antérieurs, montré en quoi et pourquoi le projet d’intégration nord-américain différait du projet européen, que ce soit par son contenu, par ses objectifs, par le statut international de chacun des trois pays ou par le niveau de développement des partenaires dans chaque cas. Nous avons à ces occasions insisté sur la dimension doublement asymétrique de la relation qui lie les trois en Amérique du Nord (Brunelle et Deblock, 1988), sur le caractère extraverti et stratégique d’un projet visant à instaurer une communauté régionale d’intérêt dont l’objet est d’assurer au Canada et au Mexique un développement viable en économie ouverte, aux États-Unis, un raffermissement de leur position hégémonique au sein de l’économie mondiale (Deblock et Brunelle, 1993 ; Deblock et Rioux, 1993), ainsi que sur l’enjeu de la mise à l’écart des paramètres keynésiens en tant que préalable au libre-échangisme aussi bien au Canada qu’au Mexique (Brunelle et Deblock, 1994).

Ces éléments représentent autant de contraintes qui viendront peser sur la problématisation de l’enjeu de l’intégration sociale en Amérique du Nord dans la mesure surtout où les dispositions des deux documents fondateurs, l’ALE et l’ALENA, laissent ouvert le jeu des deux autres dynamiques, à savoir celle qui relève des politiques intérieures des États eux-mêmes et celle qui relève des effets de subordination au sein même de l’espace continental nord-américain [3].

[294]

Nous allons aborder dans le texte qui suit la question de l’intégration sociale en Amérique du Nord et au sein de l’Union européenne dans une perspective comparée. La comparaison avec l’UE devrait nous permettre de prendre une autre mesure de ce qui sépare le projet américain du projet européen, tandis que la juxtaposition des systèmes nord-américains nous permettra de pousser plus avant la signification de la notion d’asymétrie dans ce contexte. Ce faisant, nous voulons principalement, à travers cette étude qui, pour des raisons d’ordre méthodologique, demeure limitée, poser le débat sur l’intégration régionale en Amérique du Nord dans la continuité de nos travaux antérieurs et l’inscrire dans une perspective moins polémique que celle qui s’est développée jusqu’ici au Canada autour de ce genre de questionnement où l’estimation des retombées sociales du libre-échange est prédéterminée par une adhésion préalable aux vertus ou aux travers du libre-échangisme lui-même.

Le texte est subdivisé en deux grandes sections : la première porte sur l’étude des dispositions ayant quelque incidence sociale dans les deux projets d’intégration, ce qui implique un retour sur les textes fondateurs ainsi que sur les principes qui entourent la mise en place de l’Europe sociale ; la seconde, sur une analyse comparée du niveau et de l’étendue de la protection sociale au sein de l’UE et de l’Amérique du Nord, analyse qui sera entreprise essentiellement à partir des données statistiques disponibles. Il ne faut évidemment pas inférer de cette succession entre les deux sections qu’il faille poser une hypothèse implicite qui lierait, en particulier, les normes des textes fondateurs aux efforts consentis en matière de dépenses sociales. Sans doute, une telle hypothèse devra éventuellement être posée, dès que l’on disposera d’un terme suffisamment long pour évaluer le cas nord-américain, en particulier, mais pour l’instant, il convient surtout d’envisager la juxtaposition que nous avons effectuée comme une démarche préliminaire qui pose les jalons d’études comparées à venir.

L’Union européenne et l’ALENA :
deux modèles d’intégration


Il n’est pas inutile de souligner que, si les deux processus d’intégration économique peuvent faire l’objet d’études comparées portant sur les textes fondateurs et sur les niveaux des dépenses sociales, ces processus sont, l’un vis-à-vis de l’autre, en double déphasage. Ils sont déphasés dans le temps et dans l’espace. Ce que nous entendons relever au sujet du premier déphasage, c’est le fait que les États-Unis et le Canada ont connu et connaissent toujours des niveaux d’intégration très supérieurs à ceux de l’Europe des Six à la fin des années 1950 ainsi qu’à ceux de l’UE à l’heure actuelle [4]. Dans ces conditions, la comparaison entre les [295] dimensions sociales de l’intégration dans les deux contextes devrait pouvoir tenir compte de l’histoire très spécifique de ce dossier aux États-Unis et au Canada où, malgré de hauts niveaux d’intégration, chacun des partenaires a su et a pu développer ses propres politiques sociales en relative étanchéité par rapport à l’autre. Que, sur cette lancée, les deux partenaires nord-américains n’aient pas ouvert les négociations sur ce genre de contentieux lors des négociations d’un Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis s’expliquerait ainsi en grande partie par des considérations historiques. En revanche, que, dans le contexte européen, la dimension sociale de l’intégration soit apparue importante en tant que telle n’implique ni que l’approche soit plus valable ni qu’elle soit applicable.

Quant au second déphasage, il renvoie très spécifiquement à l’intégration de l’espace mexicain à l’intérieur de l’espace continental, c’est-à-dire à l’intégration d’un pays sous-développé au périmètre du Premier monde, un défi dont on ne trouve pas d’équivalent au sein de l’UE, comme nous aurons l’occasion de le souligner plus avant.

L'Europe sociale en perspective


1. La vision fondatrice

Le Préambule du Traité de Rome de 1957 énonce que les États membres se déclarent « soucieux de renforcer l’unité de leurs économies et d’en assurer le développement harmonieux en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées [5] ». Plus explicite encore, l’article 3 (para, i) du traité prévoit « la création d’un fonds social européen, en vue d’améliorer les [296] possibilités d’emploi des travailleurs et de contribuer au relèvement de leur niveau de vie [6] ».

Dans la partie consacrée aux « fondements de la Communauté », on retrouve aussi, sous le titre III intitulé « La libre circulation des personnes, des services et des capitaux », l’art. 49 qui prévoit l’adoption des « mesures nécessaires en vue de réaliser progressivement la libre circulation », mesures qui sont au nombre de quatre : la collaboration étroite entre les administrations nationales du travail, l’élimination des obstacles à la libération des mouvements de travailleurs, l’élimination des restrictions imposant aux travailleurs des autres États membres des conditions différentes de celles qui s’appliquent aux nationaux et, enfin, la poursuite de l’équilibre entre l’offre et la demande d’emploi afin d’assurer le maintien des conditions de vie et d’emploi dans les diverses régions et industries.

Parmi les autres dispositions du traité qui touchent au domaine de la protection sociale, il convient de mentionner, entre autres, l’article 51, qui étend d’ailleurs la couverture de la sécurité sociale de façon à favoriser la circulation des travailleurs, et l’article 100 qui prévoit le rapprochement des législations qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun. Mais, c’est toutefois au Titre III du traité consacré à la politique sociale que l’on retrouve les dispositions les plus claires sur « l’égalisation dans le progrès » des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre. Il vaut la peine de mentionner ici l’article 118 qui donne à la Commission le mandat de promouvoir la collaboration entre les États membres dans le domaine social, l’article 119 qui prévoit l’égalité des rémunérations des travailleurs masculins et des travailleurs féminins pour un même travail, et surtout le chapitre II qui institue le Fonds social européen, dont la mission sera de « promouvoir à l’intérieur de la Communauté les facilités d’emploi et la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs » (art. 123). Destiné à favoriser l’adaptation et la libre circulation de la main-d’œuvre, ce fonds aura aussi pour fonction de venir en aide à certaines régions et à certains groupes particuliers [7].

Toutes les dispositions à caractère social prévues dans le traité n’ont pas la même portée ni le même caractère contraignant. Il s’agit aussi le plus souvent d’énoncés de principe assez larges, qui témoignent tout autant de la faiblesse des instruments juridiques de la Communauté que d’une certaine position de principe en faveur d’une approche nationale plutôt que régionale de la protection sociale (Vogel-Polski et Vogel, 1991). Le fait en particulier qu’aucun programme social global ne soit proposé s’explique tout autant par la vision fonctionnaliste selon laquelle l’intégration économique devait favoriser l’intégration dans d’autres domaines, notamment dans le domaine social et dans le domaine politique, que par la nécessité de trouver une formule de compromis entre les deux visions de [297] l’Europe, celle qui privilégiait la voie fédérative d’un côté et celle qui privilégiait la voie de la coopération intergouvernementale de l’autre [8].

À toutes fins utiles, même si la protection sociale est bel et bien enchâssée dans le projet communautaire, tout progrès en matière d’intégration sociale ne pouvait que rester tributaire des progrès réalisés sur le plan de l’intégration économique et de la volonté de coopérer des États membres dans un domaine que d’aucuns pouvaient considérer comme suffisamment couvert sur le plan national pour qu’il ne soit pas nécessaire d’élargir les compétences communautaires en la matière [9]. Cette manière d’envisager l’intégration sociale ne sera pas sans conséquence sur l’évolution ultérieure de l’Europe sociale. Les problèmes et les crises auxquels la Communauté européenne allait être confrontée tout au long des années 1960 [10] et 1970 feront en sorte que peu de progrès seront réalisés sur le plan social tout au long de cette période, les priorités allant davantage vers la consolidation économique et politique de l’Europe. L’échec de la tentative de relance du projet communautaire envisagée par le rapport Werner (1971) est à cet égard significatif.

Rappelons à ce sujet que, dans l’esprit du rapport Werner, il s’agissait surtout de renforcer la cohésion économique et monétaire de l’Europe communautaire. Les dimensions sociales sont néanmoins très présentes. Elles devaient donner lieu à l’adoption par le Conseil, en janvier 1974, d’une résolution pour mettre en place un programme d’action sociale, dont les trois grands objectifs devaient être : le plein-emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, ainsi que la participation des grands acteurs socio-économiques aux processus intégratifs.

Les deux premiers objectifs s’inscrivaient dans la perspective « activiste » encore en vigueur à l’époque selon laquelle les États devaient assumer des responsabilités précises dans les domaines économique et social ; le troisième, quant à lui, bien que vague, visait à promouvoir l’engagement social dans la construction d’une identité communautaire. Le projet allait perdre rapidement sa cohérence, en raison des nombreuses oppositions qu’il allait susciter au sein même du Conseil, et se révéler un échec [11], du moins dans sa tentative d’affranchir [298] la politique sociale de la politique économique (Cazes, 1993, p. 136) sauf, peut-être, dans le domaine régional, si l’on prend en compte la création d’une nouvelle institution importante : le Fonds européen de développement régional (FEDER) [12].

2. De l’Acte unique à Maastricht

La relance de l’Europe communautaire au début des années 1980 débouchera, en février 1985, sur l’Acte unique qui viendra, d’un côté, réformer et renforcer les institutions communautaires, de l’autre, resserrer la cohésion économique et sociale avec la réalisation du Marché unique à compter du 1er janvier 1993. Aussi important soit-il, ce nouveau traité n’en réitère pas moins la préoccupation de concilier le modèle de coopération intergouvernementale avec la logique supranationale de l’intégration communautaire d’une part, la priorité à l’intégration économique d’autre part [13]. Entre temps, c’est-à-dire en 1984, la publication du rapport du Commissaire aux affaires sociales, rapport intitulé « Pour un développement de la politique sociale de la Communauté : perspectives et options » et mieux connu sous le nom de rapport Richard, même s’il n’a eu que peu d’impact dans l’immédiat, n’en devait pas moins contribuer à mieux cerner six grands domaines sociaux dans lesquels une action communautaire était possible : l’aménagement du temps de travail, la réforme des systèmes de protection sociale, les droits des travailleurs, l’accès à l’emploi pour certaines catégories de population, la circulation des personnes et les besoins sociaux.

Le « paquet Delors » d’avril 1989 et davantage, peut-être, la chute du mur de Berlin en novembre allaient marquer un nouveau tournant dans l’évolution de la Communauté vers l’Union politique et l’Union monétaire, tournant qui allait être consacré, le 7 février 1992, à Maastricht par la signature du Traité sur l’Union européenne.

Outre le fait qu’il vise à parachever l’intégration économique des pays de la Communauté par une Union monétaire d’ici le 1er janvier 1999, le traité, en instituant l’Union européenne, engage désormais les pays européens sur la voie de l’intégration politique. C’est peut-être à ce niveau que se situe le changement principal, comme le note Dominique Wolton (1993). Si l’intégration économique demeure une priorité, celle-ci n’est plus envisagée comme levier unique de l’intégration politique, puisque les deux processus sont désormais poursuivis de [299] pair [14]. Dans ces conditions, l’UE n’est plus uniquement tributaire d’un projet technocratique qui s’inscrirait dans une vision moderniste et volontariste du progrès économique, mais elle apparaît surtout comme un enjeu démocratique qui doit être mis à la disposition des citoyens comme l’ont démontré, de manière négative en quelque sorte, les difficiles ratifications du Traité de Maastricht dans plusieurs pays de la Communauté.

Le Traité de Maastricht, en renforçant la politique de cohésion économique et sociale qu’avait introduite l’Acte unique de 1985 [15], témoigne d’une indéniable ouverture vis-à-vis des questions politique et sociale. Et même si les analystes sont demeurés assez critiques et réservés à ce sujet, plusieurs éléments nouveaux méritent d’être soulignés.

En premier lieu, les articles 2 et 3 qui définissent la mission de l’UE ont été modifiés et incorporent désormais des objectifs nouveaux en matière d’environnement, de protection sociale, de cohésion sociale et de solidarité entre les pays membres. Une nouvelle partie (la deuxième, consacrée à « La citoyenneté de l’Union ») a été ajoutée au Traité de Rome, et plusieurs articles importants, en particulier au Titre V : « La cohésion économique et sociale » (arts. 130A et ss.) ont été amendés de manière à faire droit à ces nouvelles priorités, et cela même si les articles ayant trait à la politique sociale (arts. 117 à 122) sont demeurés fidèles à l’esprit communautaire de départ, c’est-à-dire généraux et vagues ainsi que certains avaient pu le leur reprocher (Betten, 1989). Le traité prévoit ainsi la création, avant le 31 décembre 1993 (mais ce sera fait dès 1992), d’un Fonds de cohésion (art. 130D) [16], auquel auront accès, pour la réalisation de projets dans les domaines de l’environnement et du transport transeuropéen, les pays les moins prospères, soit l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Le même article prévoit d’ailleurs, au paragraphe 1, la redéfinition des trois grand fonds à finalité structurelle que sont le FSE [17], le FEOGA et le FEDER. À ce propos, il convient de noter que la dimension sociale a été accentuée ces dernières années, comme le montrent la progression des dépenses sociales ainsi qu’une orientation de plus en plus marquée des fonds vers les régions les plus défavorisées, deux indicateurs d’un approfondissement de la cohésion économique et sociale mais aussi d’une inclinaison plus marquée vers des formes de redistribution des [300] revenus que vers des formes d’intervention directe en matière sociale (Chassard et Quintin, 1992).

En deuxième lieu, la signature entre les Onze, c’est-à-dire à l’exclusion du Royaume-Uni, d’un Accord sur la politique sociale qui a pour objectif de mettre en œuvre la Charte sociale de 1989 témoigne de ce souci de promouvoir « l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines... » (art. 1). À cet égard, l’article 2 paragraphe 3 stipule que :

Le Conseil statue à l’unanimité [...] dans les domaines suivants : la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs, la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion [...], les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers [...], les conditions financières visant la promotion de l’emploi et la création d’emplois [18].

En troisième lieu, nous avons évoqué plus tôt le changement d’approche et celui-ci se manifeste de plusieurs façons, par exemple, dans les dispositions qui permettent au Conseil de recourir à la procédure définie à l’art. 189C qui prévoit, essentiellement, la transmission au Parlement là où précédemment le vote à la majorité qualifiée du Conseil suffisait. Semblable éventualité est désormais permise en matière de santé et sécurité des travailleurs (art. 118A), lors de la prise de décisions d’application relatives au Fonds européen de développement régional (art. 130E), de même qu’en matière environnementale (art. 130S) et de coopération au développement (art. 130U).

Reste, en quatrième lieu, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs elle-même qui avait été adoptée au Conseil européen de Strasbourg le 9 décembre 1989. Bien qu’elle ait représenté une version affaiblie par rapport à ce que le Parlement européen, en particulier, aurait voulu y inscrire — Parlement qui ne sera informé du projet qu’in extremis d’ailleurs — et bien qu’elle n’ait pas de statut juridique, la Charte demeure importante, ne serait-ce que parce qu’elle traduit d’une part, comme l’énoncera le communiqué final du Conseil, « l’attachement profond à un modèle de relation sociale inspiré de traditions et de politiques communes », et qu’elle réitère d’autre part l’engagement solennel des États, ou de Onze d’entre eux en tout cas, en faveur de la création d’emplois, de la cohésion sociale et du dialogue social. Elle définit en 26 articles les droits fondamentaux des travailleurs [19] et l’on trouve une confirmation de son [301] importance dans le fait qu’elle a été l’objet d’un protocole spécial annexé au Traité de Maastricht.

3. Remarques finales

On peut néanmoins s’interroger sur la portée effective du volet social du Traité de Maastricht quand on souligne que, en conformité avec les objectifs que les pays de l’UE se sont donnés sur le plan monétaire, il importe désormais de promouvoir « une croissance durable et non inflationniste » et « un haut degré de convergence des performances économiques » (article 2). La question qui se pose alors est de savoir quelles seront les incidences des critères de convergence sur les différents systèmes de protection sociale. Pour le moment, la réponse demeure liée au jeu des pressions vers le haut qui peuvent venir de Bruxelles en matière sociale face à celui des pressions vers le bas qui s’exercent dans chacun des pays, que ce soit pour des raisons d’équilibre financier ou pour des raisons plus prosaïques de compétitivité relative. Par ailleurs, on peut se demander si le statut particulier octroyé au Royaume-Uni en matière sociale, tout comme en matière monétaire en passant, n’aura pas pour effet ultime de créer une Europe sociale à deux vitesses ou, pire encore, de bloquer le dialogue social, voire tout simplement de placer le projet d’une Europe sociale sur une voie d’évitement.

En définitive, et c’est la première conclusion qui se dégage de ce rapide survol des dimensions sociales du projet communautaire, si la dimension sociale de l’UE constitue bel et bien une composante à part entière du projet européen, il n’en reste pas moins qu’elle s’enracine d’abord et avant tout dans les traditions nationales propres à chaque pays. À cet égard, l’hétérogénéité des systèmes de protection sociale au point de départ explique sans doute la faiblesse des moyens accordés à la Communauté au point d’arrivée, ainsi que le confirme avec éloquence le Titre II : « Mise en œuvre de la Charte » qui déclare sans ambages que cette mise en œuvre relève de la responsabilité des États membres conformément à leurs pratiques nationales (Vogel-Polsky et Vogel, 1991, 172). Il faut en outre souligner, comme seconde conlusion, que l’on a sans doute un peu hâtivement évoqué l’émergence d’un modèle social européen [20] car, dans le processus de l’intégration européenne, la dimension sociale n’a jamais joué le même rôle que celui que l’on a voulu faire jouer et qu’a joué effectivement la dimension économique, rôle qui a consisté à faire de celle-ci la pierre d’assise d’un projet plus ambitieux sur le plan politique, en particulier. Dans cette mesure, un véritable projet social européen apparaît davantage comme un projet mené en parallèle, projet dont l’implantation demeure subordonnée au degré d’engagement de chacun des États membres sur le plan social.

[302]

Les dimensions sociales de l’intégration
en Amérique du Nord


Si l’ALENA apparaît à bien des égards comme une réponse à un défi européen, le modèle d’intégration qui le sous-tend est en grande partie dicté par les contraintes liées au maintien d’une position hégémonique au sein de l’économie mondiale de la part des États-Unis d’un côté et par celles qui sont liées au modèle de développement extraverti sanctionné par le Canada et le Mexique de l’autre (Brunelle et Deblock, 1993 ; Belous et Lemco, 1993). Ce modèle, dont on trouve une transposition dans les contenus des accords signés successivement entre le Canada et les États-Unis tout d’abord (ALE : 1988) et entre ces deux-ci et le Mexique par la suite (ALENA : 1993), repose sur une vision libérale de l’intégration en vertu de laquelle la dimension sociale n’a pas d’autonomie propre, mais ne représente qu’une variable d’ajustement. Dans ces conditions, la place occupée par des considérations de cet ordre sera nécessairement très limitée, ce qui ne nous empêchera pas de passer en revue les deux textes fondateurs en départageant trois types de normes qui sont susceptibles d’avoir des incidences sur la mission sociale des gouvernements ; ainsi ferons-nous la distinction entre les effets directs, les effets indirects et les effets systémiques [21].

1. Les effets directs

L’intégration économique en Amérique du Nord est, il convient de le rappeler, un processus qui s’est développé en deux temps : nous avons eu un premier accord bilatéral en 1988, l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) et, cinq années plus tard, en 1993, un second accord, l’ALENA, qui vient en quelque sorte supplanter le précédent, mais qui n’en annule pas nécessairement toute la portée non plus que les effets puisque les dispositions du premier traité qui ne sont pas explicitement remplacées ou abrogées continuent de s’appliquer. Il arrive même que certaines dispositions de l’ALENA renvoient explicitement à l’ALE ainsi qu’il advient, en particulier, au chapitre des admissions temporaires [303] des gens d’affaires [22]. Cependant, pour ce qui touche à la dimension sociale, cette question est sans grande importance, comme on le verra maintenant, puisque les deux accords, contrairement aux documents fondateurs de l’Union européenne, sont très réservés sur ce genre d’enjeu.

Le Préambule de l’ALE fait état d’une résolution par laquelle les signataires s’engagent à promouvoir « l’amélioration des conditions de vie », mais cet énoncé a une telle connotation économique et apparaît à ce point isolé dans l’ensemble des énoncés de principe que l’on ne peut guère lui attacher de signification autre que rhétorique. Témoignent de cette vision les résolutions suivantes inscrites à ce Préambule, qu’il s’agisse de contribuer à « l’expansion et au développement harmonieux du commerce mondial et de déclencher un élargissement de la coopération internationale », de « favoriser l’expansion et la sécurité des marchés », d’« adopter des règles claires et mutuellement avantageuses régissant [les] échanges commerciaux », de « garantir un environnement commercial prévisible propice à la planification d’entreprise et à l’investissement », de « renforcer la compétitivité des firmes » et de « réduire les distorsions commerciales résultant d’actions gouvernementales ». D’ailleurs, l’article 102 du premier chapitre [304] « Objectifs et portée » prévoit, notamment, « éliminer les obstacles au commerce » sans préciser la nature des obstructions qui sont visées ni les critères permettant de définir celles qui sont susceptibles d’être levées.

Même s’il ne va pas beaucoup plus loin dans ce domaine, à la demande expresse, semble-t-il, des parties mexicaine et canadienne, le texte de l’ALENA est, sur certains points, davantage explicite que ne l’était celui de l’ALE. Par exemple, le Préambule fait état de la volonté des signataires de « créer de nouvelles possibilités d’emploi et d’améliorer les conditions de travail et le niveau de vie sur leurs territoires respectifs, [...] de préserver la latitude dont ils disposent pour protéger le bien-être public, de promouvoir le développement durable, [...] de protéger, d’accroître et de faire respecter les droits fondamentaux des travailleurs ». Ce qui n’empêche pas l’article 102, consacré lui aussi, comme c’était le cas dans TALE, aux objectifs de l’Accord, d’être aussi discret que celui-là. En revanche, un peu plus avant dans l’Accord, nous rencontrons des dispositions qui étendent quelque peu la portée des engagements souscrits, comme c’est le cas, en particulier, au chapitre 12 intitulé « Commerce transfrontières des services ». En effet, après avoir étendu la portée du chapitre « aux mesures adoptées ou maintenues par une Partie relativement au commerce transfrontières de services effectué par des fournisseurs de services d’une autre Partie » (art. 1201), le paragraphe 3 précise ceci :

Aucune disposition du présent chapitre ne sera interprétée : [...] d) comme empêchant une Partie de fournir un service ou d’accomplir une fonction, par exemple, l’exécution des lois, les services correctionnels, la sécurité ou la garantie de revenu, la sécurité ou l’assurance sociale, le bien-être social, l’éducation publique, la formation publique ou les services de santé et d’aide à l’enfance, d’une manière qui ne soit pas incompatible avec les dispositions du présent chapitre.

Nous voyons évoquée ici la possibilité d’une éventuelle incompatibilité entre la dispense de services sociaux, voire même entre l’accomplissement d’une fonction sociale de la part des pouvoirs publics, et le contenu des obligations souscrites en matière de commercialisation des services à l’échelle continentale, une question qui n’avait pas été évoquée la fois précédente dans l’ALE. Cependant, étant donné que l’enjeu de la compatibilité n’est ni défini ni précisé en termes explicites dans le traité ou dans la Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, il est bien difficile d’évaluer la portée éventuelle des engagements intervenus entre les parties. C’est pourquoi nous nous tournerons maintenant vers les effets indirects afin de jeter un peu de lumière sur cette question.

2. Les effets indirects

On peut envisager les effets indirects de l’ALENA dans le domaine social sur deux plans distincts : au plan des prérogatives que chacun des signataires possède dans le champ des politiques sociales, que ce soit en ce qui a trait aux services dispensés ou à la définition de projets et de programmes, d’une part ; au plan des [305] incidences que pourra avoir l’Accord sur d’autres juridictions ainsi que sur leur propre mission dans ce domaine, d’autre part. Ces deux temps de l’analyse sont dictés par le fait que les dispositions de l’Accord affectent la prestation de services de la part du gouvernement fédéral, mais également de la part des gouvernements subalternes dans la mesure où certains engagements souscrits par les pouvoirs centraux doivent faire l’objet de négociations entre les deux par la suite.

L’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) étendait déjà l’exigence de l’observance de ses dispositions aux gouvernements des États et des provinces, ainsi qu’aux administrations locales (art. 103 « Étendue des obligations » et art. 201 « Définitions », au mot « territoire »). Par ailleurs, on sait que, dans le contexte canadien, et cela contrairement aux États-Unis, ce sont les provinces qui détiennent l’entière compétence et la responsabilité en matière de dispense de services sociaux comme la santé et l’éducation. Dans ces conditions, il va de soi que la Partie III de l’Accord intitulée « Les marchés publics » aura une incidence importante sur la libéralisation des marchés publics des provinces. Pour l’instant, l’application des dispositions du chapitre unique de cette partie couvre les seuls produits et services servant à la fourniture des produits et son champ d’application est limité aux seuls marchés publics spécifiés à l’Annexe 1 du Code. Le texte explicatif de l’Accord précise d’ailleurs à cet égard : « Une libre concurrence s’exercera pour tous les achats gouvernementaux d’un montant supérieur à cette nouvelle valeur-seuil (à savoir, 25 000 dollars US), sauf si ces achats sont réservés aux petites entreprises ou exclus pour des raisons de sécurité nationale » (Accord..., 1988, 181). Un peu plus loin, le document poursuit en ces termes :

Aux États-Unis, onze départements sur treize sont assujettis au Code du GATT, les seules exceptions étant les départements de l’Énergie et des Transports. En tout, quarante commissions et organismes gouvernementaux, de même que la NASA et la General Services Administration sont visés. Les achats du département de la Défense sont inclus pour certaines catégories de produits [...]. Au Canada, le Code s’applique à vingt-deux ministères et dix organismes gouvernementaux.

Aux termes de l’ALE, la question des retombées éventuelles des engagements souscrits par les partenaires dans des secteurs non prévus ou sur des juridictions subalternes demeure ouverte.

Quant aux dispositions correspondantes de l’ALENA, elles étendent le champ d’application du traité en élargissant le nombre des marchés touchés et en définissant de nouveaux seuils ; ainsi les seuils sont fixés à 50 000$ pour les marchés de fournitures et de services, à 6,5 milüons de dollars pour les marchés de services de construction pour les entités publiques fédérales, à 50 000$ et 8 millions de dollars respectivement pour les entreprises publiques (art. 1002). L’ALENA prévoit également une extension éventuelle aux marchés « des entités publiques des provinces et des États » (id.), ce qui laisserait intouchés les marchés des entreprises publiques provinciales et étatiques [23].

[306]

On retrouve par ailleurs à l’Annexe 1002-1, intitulée « Entités publiques fédérales », la liste, plus d’une centaine dans le cas canadien [24], de ministères, offices, conseils, secrétariats, tribunaux, agences, vérificateurs, cours, bibliothèques, administrations et commissions qui sont touchés par les termes de l’Accord et, à l’Annexe 1002-3, la liste des entreprises publiques fédérales, soit 11 entreprises canadiennes, 37 entreprises mexicaines et trois entreprises états-uniennes. Or, parmi ces « entités », il en est un certain nombre dont la mission s’exerce dans le domaine social. On peut citer, à titre d’exemples : la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, le Conseil canadien des relations de travail ou la Commission nationale des libérations conditionnelles, les Secrétariats de l’éducation publique et de la santé au Mexique, de même que les Départements de l’éducation et de la santé et des services humains aux États-Unis.

Maintenant que nous avons établi faire couverte par les termes de l’Accord, il reste à voir comment les engagements souscrits sont susceptibles d’avoir des effets dans le domaine social. Nous pouvons écarter, aux fins d’analyse, l’ouverture des marchés de fournitures et de services de construction et ne retenir que les marchés des services étant donné que les deux premiers types d’intrants ne sont pas susceptibles d’affecter la mission sociale des entités qui sont couvertes par l’Accord. La liste des services qui nous intéresse ici se retrouve à l’Annexe 1002-4 qui prévoit également, à la section II, une liste de services exclus. Parmi les services retenus, ce sont essentiellement les services informatiques et les services de conseil en gestion qui peuvent donner ouverture à une uniformisation des programmes, des projets ou des clientèles cibles. Mais ce qui apparaît sans doute le plus intéressant à cet égard, c’est la liste des services exclus dont les termes varient considérablement d’un pays à l’autre. Ainsi, le Canada a-t-il prévu d’exclure, sous l’intitulé général « services communautaires, sociaux et professionnels », les « services d’éducation » de même que les « services de santé et services sociaux », alors que rien de tel n’est indiqué ni dans la liste du Mexique ni dans celle des États-Unis. Bien sûr, étant donné que le gouvernement fédérai n’a pas juridiction sur ces matières, l’exclusion allait de soi, mais il n’en demeure pas moins que nous sommes en présence d’une réserve importante qui protège la marge de manœuvre des provinces à cet égard, encore que cette protection demeure sujette aux négociations que le fédéral s’est engagé à mener avec elles pour étendre l’application des termes de l’Accord à toutes les entités.

3. Les accords complémentaires

À la suite des engagements souscrits par le candidat démocrate à la présidence Bill Clinton durant la campagne électorale de l’été 1992, les négociations entre les partenaires de f ALENA ont été réouvertes par la Maison Blanche dans les semaines qui ont suivi la passation des pouvoirs. Elles ont donné lieu à la signature de trois accords parallèles le 13 septembre 1993 : l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement ; l’Accord nord-américain de [307] coopération dans le domaine du travail ; et un troisième accord portant sur les mesures d’urgence, qui ne sera pas étudié dans ces pages.

La promesse de réouverture des négociations s’appuyait essentiellement sur des considérations tactiques et visait deux objectifs : premièrement, élargir la légitimité de l’option libre-échangiste auprès d’un électorat démocrate davantage porté vers le protectionnisme ; deuxièmement, réduire l’opposition de certains groupes, en particulier celle des syndicats et des environnementalistes qui, pour ce qui concerne les premiers surtout, étaient opposés au libre-échange, mais apportaient néanmoins leur soutien au Parti démocrate.

Même s’il s’agissait principalement, par le biais de la signature de deux de ces accords complémentaires, de circonscrire les effets négatifs d’une sanction par trop libérale des lois du marché et non d’engager les pays dans la définition d’une charte sociale ou d’une charte environnementale, ces deux accords représentent un élargissement très important des thèmes et des préoccupations de la part des signataires dans la mesure où il s’agit bien de souscrire des engagements dans des domaines qui, traditionnellement en tout cas, ne font pas partie des sujets qui font l’objet de tractations commerciales ou tarifaires. À ce seul plan, dont on pourrait toujours prétendre, sur le ton de la polémique, qu’il s’agit d’un plan formel, l’initiative mérite d’être soulignée, car elle donne raison à tous ceux, adversaires ou non du libre-échangisme, qui voyaient dans l’ALENA une initiative trop importante pour que l’on ne profite pas de l’occasion pour préciser certaines normes dans des domaines qui risquaient d’être touchés au premier chef par sa mise en application. Ceci dit, et comme il fallait sans doute s’y attendre, compte tenu du poids des antécédents historiques qui grevaient par avance les compromis auxquels les partenaires étaient susceptibles de souscrire dans de semblables circonstances où, par exemple, il n’était pas question de remettre en cause le principe de la souveraineté nationale quasi absolue en ces matières, le libellé de ces accords tombe très en deçà de l’objectif minimal qui aurait été de sanctionner des principes de base applicables uniformément à l’intérieur du nouvel espace économique régional.

Le Préambule de l’Accord sur l’environnement est on ne peut plus explicite à cet égard puisque les parties « réaffirme[nt] que les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources conformément à leurs propres politiques en matière d’environnement et de développement », avec la timide réserve qui suit immédiatement : « et qu’ils ont le devoir de veiller à ce que les activités qui relèvent de leurs compétence ou de leurs pouvoirs ne portent pas atteinte à l’environnement d’autres États ou de zones situées au-delà des limites de leur juridiction nationale ». En définitive, le seul acquis d’importance réside dans l’obligation de « produire périodiquement et de rendre publiquement accessibles des rapports sur l’état de l’environnement » (art.2 para.la), un acquis contrebalancé par l’institutionnalisation d’une Commission de coopération environnementale « qui tiendra lieu de tribune pour la discussion des questions environnementales relevant du présent accord » (art. 10 para, la), comme si l’on avait voulu retrancher d’une main ce que l’on concédait de l’autre, dans la mesure où le travail de cette Commission est encadré de manière stricte et tout orienté [308] vers « l’application efficace de sa législation » (art. 33) de la part du partenaire pris en défaut.

Quant à l’Accord sur le travail, son libellé et ses objectifs généraux sont indéniablement plus intéressants dans la mesure où le principe de la souveraineté en matière de travail, réaffirmé à l’article 2, est immédiatement suivi d’un engagement de faire en sorte « que les lois et règlementations garantissent des normes de travail élevées, en rapport avec des lieux de travail à hauts coefficients de qualité et de productivité et, à cette fin, [chacune des Parties] s’efforcera constamment d’améliorer ces normes dans cet esprit ».

D’ailleurs, les onze « Principes relatifs au travail » définis à l’Annexe 1 vont bien au-delà de tout ce que l’on avait pu voir apparaître dans un accord commercial jusque-là ; ils couvrent les domaines suivants, à savoir : 1) la liberté d’association ; 2) le droit de négociation collective ; 3) le droit de grève ; 4) l’interdiction du travail forcé ; 5) l’imposition de restrictions au travail des enfants et des jeunes gens ; 6) l’établissement de normes minimales d’emploi ; 7) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi ; 8) l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ; 9) la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ; 10) l’indemnisation en cas d’accident et de maladie professionnelle ; et 11) la protection des travailleurs migrants. Au surplus, ces principes sont intégrés au second des sept objectifs prévus à l’article premier de l’accord.

Nous sommes donc en présence, dans le cas de l’accord parallèle sur le travail, d’une entente juridique dont les effets pourraient être d’accroître les exigences dans le domaine du travail, et cela même si les moyens mis en œuvre pour atteindre de tels objectifs semblent de bien peu de poids face aux nombreux défis à relever avant d’arriver à une homogénéisation des normes de travail à l’intérieur de l’espace continental. En effet, le rôle et les responsabilités confiés à la Commission de coopération dans le domaine du travail (art. 8 et ss.) sont bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour atteindre les objectifs visés. Reste que l’écart entre les intentions et leur réalisation est tel que l’on peut douter de leur emprise sur la transformation des attitudes et des comportements des pouvoirs publics engagés dans la gestion des rapports de travail, comme on peut douter de la capacité, ou même de la volonté, de ces pouvoirs d’imposer la reconnaissance et l’application de ces normes à l’entreprise privée.

4. Libre-échange et protection sociale :
les effets systémiques


Sur la base de ce que nous avons passé en revue dans les sous-sections précédentes, nous pourrions être portés à conclure que l’intégration économique, telle qu’elle est envisagée dans le contexte nord-américain, n’aura que des effets somme toute limités sur les domaines qui touchent à la protection sociale et aux conditions de travail. On pourrait même ajouter que, dans les contextes canadien et mexicain en particulier, ce ne sont pas les accords de libre-échange en tant que [309] tels et en eux-mêmes qui seront porteurs d’incidences et d’effets sur les redéfinitions en cours de la politique sociale, mais que ce fut plutôt la remise en question préalable d’un cadre de référence keynésien et la renonciation à la poursuite d’un projet d’économie mixte, toutes deux suivies de la mise en place subséquente d’un nouveau cadre orienté sur l’ouverture des marchés, qui ont conduit, entre autres choses, à la proposition d’instaurer le libre-échange avec les États-Unis. Il est vrai que, dans les deux cas, les évènements ont suivi un tel parcours ; cependant, il convient maintenant de retenir que les choses ne s’arrêtent pas là et que nous devons prendre acte d’un fait incontournable, à savoir que l’ALENA ne doit pas être perçu uniquement comme l’aboutissement d’une nouvelle logique de système, car cet accord signale l’émergence d’une nouvelle approche à la libéralisation et à la dérèglementation qui, à son tour, aura des effets d’entraînement inédits sur, par exemple, la définition ultérieure de la politique sociale de la part des gouvernements, et cela malgré le fait qu’il puisse n’y avoir aucune référence même implicite à ce genre d’ajustement dans les mesures qui seront prises. À cet égard, la Commission Macdonald avait vu juste, elle qui avait recommandé au gouvernement canadien l’ouverture des négociations de libre-échange avec les États-Unis dès 1985, lorsqu’elle avait associé l’option libre-échangiste à la redéfinition des cadres de référence de l’État, redéfinition qui portait tout autant sur la relation que celui-ci devait entretenir avec le marché que sur celle qu’il devait entretenir avec la société dans son ensemble (Brunelle et Deblock, 1992).

Plus spécifiquement, ce qui se trouve remis en question à cette occasion, c’est cette étanchéité que l’on s’était efforcé de maintenir, avec plus ou moins d’efficacité d’ailleurs, entre le marché international et le ou les marchés nationaux, une séparation indispensable pour que, sur le plan social, l’État puisse intervenir dans la redistribution du revenu et la dispense de certains services sociaux, qui comptent parmi les deux grands volets des régimes politiques d’après-guerre. Or, sous la poussée des contraintes liées à la mondialisation de l’économie, ces mêmes États en sont venus depuis un peu plus d’une décennie à modifier substantiellement leur approche et leurs stratégies, avec le résultat qu’ils assument désormais un rôle actif dans le démantèlement des barrières économiques, politiques ou sociales qu’ils avaient eux-mêmes contribué à échafauder précédemment

L’UE elle-même n’a pas été sans subir l’influence de ces changements, avec le résultat que les contraintes de compétitivité et le nouveau discours économique sont venus modifier le projet communautaire initial. Cependant, la perspective offerte par le déplacement et le transfert de certaines juridictions vers les instances communautaires fait en sorte que les États membres ont pu jeter les bases d’un éventuel espace social transnational en même temps qu’ils ont cherché à circonscrire les risques de dumping social en se fixant un certain nombre de règles communes. Cette double démarche contribue grandement à minimiser les excès du libéralisme économique dans le domaine social. Et même si, comme nous l’avons vu, le chemin qui reste à parcourir est encore semé d’incertitudes, il n’en demeure pas moins que la poursuite d’une rationalisation des systèmes [310] existants et d’un ajustement à la hausse des régimes les plus faibles représente des initiatives beaucoup plus rassurantes que celles que peut offrir le soi-disant modèle nord-américain.

Dans ce cas-ci, les choses se présentent tout à fait différemment car, si les gouvernements respectifs des trois pays peuvent s’entendre sur les finalités et les contours de l’intégration, voire sur l’importance qu’il convient d’accorder aux contraintes de compétitivité dans la définition même de leur politique intérieure, la situation de partenaires subordonnés dans laquelle le Canada et le Mexique se trouvent vis-à-vis des États-Unis est telle que l’on peut se demander si les effets de convergence, au lieu de conduire à un éventuel démantèlement des programmes existants ou même à un nivèlement vers le bas, comme on serait porté à le croire un peu rapidement, ne conduiraient pas plutôt à une transposition du modèle des États-Unis à l’intérieur même du Canada et du Mexique respectivement.

La question demeure ouverte, bien que la remise en cause du bien-fondé de la participation du gouvernement fédéral à l’épongement du déficit du programme d’assurance-chômage par suite d’une décision rendue en matière commerciale constitue un précédent qui semble aller dans cette direction.

Analyse comparée des dépenses
de protection sociale
 [25]

L’analyse comparée des dépenses de protection sociale se heurte à deux ordres de difficultés : à des difficultés méthodologiques tout d’abord, dans la mesure où il est difficile de comparer entre eux des systèmes qui sont par définition très différents les uns des autres ; à des difficultés d’ordre statistique ensuite, qui tiennent principalement au fait que les modes de collecte des données, de même que les nomenclatures utilisées, varient d’un contexte à l’autre, tout comme varie la fiabilité que l’on peut accorder à l’instrument statistique lui-même.

Les systèmes de protection sociale sont non seulement l’apanage de gouvernements nationaux, ils portent également la marque de l’évolution des conflits et revendications au plan national, ce qui en fait des réalités hétérogènes peu propices à certaines comparaisons internationales. Par voie de conséquence, le contenu des notions de base ainsi que les définitions des termes techniques varient sensiblement d’un contexte national à l’autre et ce flottement sémantique affecte surtout les expressions les plus importantes comme celles d’État-providence, de protection sociale, de dépenses sociales ou de sécurité sociale [26]. Au [311] surplus, si nous disposons de données relativement fiables sur les niveaux de dépenses publiques, force est de constater que nous ne cernons qu’une partie de la protection sociale puisque les dépenses fiscales et les dépenses du secteur privé (entreprises, fonds, organisations caritatives, etc.) échappent à la définition que l’on donne généralement de la notion de dépenses de protection sociale. Enfin, les comparaisons internationales sont toujours difficiles, particulièrement lorsque les pays présentent des niveaux de développement très différenciés (tableau l [27]).

La méthode que nous avons utilisée ne déroge pas aux méthodes maintenant établies. Nous avons retenu pour notre analyse quelques indicateurs des dépenses consacrées à la protection sociale ; leur manipulation statistique facilite les comparaisons tout en fournissant une bonne indication de l’effort consacré par les pays à la protection sociale. Ceux-ci ont été divisés en quatre groupes : les trois pays nord-américains, les quatre grands pays européens (soit l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni), les quatre pays dont le PIB par habitant est le plus bas au sein de l’UE (soit l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et le Portugal) et, enfin, le groupe constitué des Pays-Bas, du Danemark, de la Belgique et du Luxembourg, que l’on peut qualifier de puissances intermédiaires [28]. L’ajout du Japon a pour seul but de fournir un point de référence extérieur aux partenaires qui font partie des deux processus intégrateurs.

[312]

L’analyse comparée a été entreprise en deux temps. Dans un premier temps, nous avons voulu mesurer l’étendue et le coût de la protection sociale. À cette fin, nous avons retenu trois séries d’indicateurs : des indicateurs généraux de ce que nous appellerons dans le sens large du terme les dépenses sociales, des indicateurs d’effort relatif en matière de protection et des indicateurs de financement. Dans un deuxième temps, nous avons concentré notre attention sur l’analyse des dépenses par grandes fonctions, à savoir les dépenses de santé, les dépenses d’éducation, les dépenses au chapitre de la vieillesse, les allocations familiales et les prestations de chômage. Une attention particulière a été portée aux dépenses de santé, qui ont fait l’objet récemment d’études approfondies de la part de l’OCDE [29].

Ces clarifications méthodologiques ne doivent cependant pas nous conduire à escamoter la question de fond sur la comparabilité des systèmes. La question a fait l’objet de nombreuses discussions de la part des spécialistes de l’Europe sociale. Dans le cas nord-américain, il convient de souligner qu’à notre connaissance les études n’ont jamais été faites de manière compréhensive sur une base trilatérale. C’est pourquoi nous avons cru qu’il était indispensable, afin de cerner les enjeux en présence, de présenter, ne serait-ce que de manière sommaire, les principes généraux, l’étendue ainsi que la couverture des trois systèmes de sécurité sociale en présence.

Les trois systèmes nord-américains :
une présentation succincte


Au Canada, le système de sécurité sociale regroupe à proprement parler la sécurité du revenu et les programmes sociaux. Il est cependant étroitement couplé au système de santé, dont les deux régimes, celui d’assurance-maladie et celui d’hospitalisation, sont régis par la Loi canadienne sur la santé de 1984. La raison d’être de ces deux grands systèmes est de répondre aux besoins essentiels de tous les Canadiens et de leur garantir l’accès aux services et ressources nécessaires à cette fin. Les deux paliers de gouvernement, le fédéral et les provinces, participent au système selon leurs domaines de compétence respectifs.

Au chapitre de la sécurité du revenu, on retrouve deux types de programmes : les programmes de soutien du revenu et les programmes d’assurance-revenu. En ce qui a trait au premier type de programmes, il y a au plan fédéral, les programmes de prestations aux personnes âgées, qui regroupent la sécurité de la vieillesse, le supplément de revenu garanti et l’allocation au conjoint, les allocations familiales, les programmes à l’intention des autochtones, les programmes de formation, ainsi que les programmes pour les anciens combattants [313] des Forces canadiennes. Au chapitre du soutien du revenu, le système est régi par le Régime d’assistance publique du Canada mis en place en 1966 et par loi de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Le système d’assurance-revenu couvre trois grands domaines : le Régime d’assurance-chômage, mis en place en 1941 et financé par les cotisations des employeurs et des employés, le Régime de pension du Canada (loi de 1965) qui est substitué, au Québec, par le Régime des rentes du Québec, ainsi qu’un ensemble de programmes de services sociaux plus ciblés. Les provinces, qui disposent de la juridiction sur les politiques sociales aux termes de la Constitution, sont engagées dans quatre catégories de programmes qu’elles financent seules ou de concert avec le gouvernement fédéral dans le cadre de programmes conjoints : les programmes d’assistance ou de bien-être social, les programmes d’indemnisation des accidents du travail, les programmes sociaux ou d’accès au logement et les programmes de supplément de revenu.

En 1990, les dépenses de sécurité sociale se répartissaient comme suit pour les trois paliers de gouvernement, le fédéral, les provinces et les municipalités : plus du quart des dépenses, environ 28%, était destiné à la sécurité du revenu (vieillesse, supplément de revenu garanti et allocations au conjoint), plus de 20% aux différents programmes couverts par 1’ assurance-chômage, 16% aux régimes de pension (Canada et Québec), 16% au régime d’assistance publique, 5% aux allocations familiales, 2,2% aux anciens combattants et moins de 1% aux programmes d’indemnisation des accidents du travail. Au total, 84% des dépenses relevaient de la sécurité sociale fédérale, 14% de celle des provinces et moins de 2% étaient versés par les municipalités.

Aux États-Unis, les programmes de sécurité sociale sont régis par le Social Security Act. En vertu de cette loi, les programmes ont pour objet de protéger les individus contre les pertes de revenu qui peuvent être occasionnées par la retraite, par suite de décès, de maladie prolongée ou de chômage ; ils ont également pour but de fournir aux personnes âgées ainsi qu’aux personnes dans le besoin les services de santé essentiels. Ces programmes sont mieux connus sous le sigle OASDHI (Old Age, Survivors, Dishability, and Health Insurance). Les travailleurs sont éligibles aux programmes de sécurité du revenu à partir de l’âge de 65 ans. Le gouvernement fédéral gère seul le programme public de santé pour les plus de 65 ans, MEDICARE, et conjointement avec les États, le programme pour les indigents, MEDICAID. Quant aux programmes d’assurance-chômage, ils sont gérés par les États selon leurs dispositions propres, mais dans un cadre défini par la législation fédérale. Tous les États fournissent en outre des programmes de protection contre les accidents et les maladies du travail. Ils gèrent également les programmes de soutien du revenu pour les familles ayant des enfants à charge (Aid to Families with Dependent Children), tandis que l’administration fédérale offre un programme de supplément du revenu (Federal Supplemental Security Income), de même qu’un programme de timbres alimentaires (Food Stamp Program).

Selon les données fournies par l’administration américaine, l’ensemble des dépenses au titre du bien-être social (social welfare) représentait, en 1989, [314] 18,6% du PIB et 53% de l’ensemble des dépenses gouvernementales [30]. L’administration fédérale était à elle seule responsable de près de 60% de ces dépenses, ce qui a représenté 49% de ses dépenses totales. Par habitant, les déboursés au chapitre du bien-être s’élevaient pour cette même année à près de 3 800$, ce à quoi il faudrait d’ailleurs ajouter les dépenses caritatives privées, qui étaient de l’ordre de 1 000$.

Le principal poste de dépenses est celui de l’assurance sociale (social insurance), qui regroupe notamment les programmes de vieillesse, MEDICARE, et les régimes de retraite du secteur public ; il représentait, en 1989, 49% des dépenses totales dont 84% étaient à charge de l’administration fédérale. À lui seul, le programme MEDICARE représentait 10% environ des dépenses de bien-être et près de 15% de l’ensemble des dépenses fédérales à ce chapitre. Les programmes d’éducation venaient au second rang avec 25% des dépenses totales de bien-être ; cependant, dans ce cas-ci, 92% de ces dépenses sont assumées par les États. Le régime d’assistance publique (public aid) arrive ensuite, avec près de 13,5% de l’ensemble des dépenses de bien-être. On retrouve notamment sous ce volet MEDICAID (7% des dépenses sociales), le supplément du revenu et les timbres alimentaires. Les programmes de santé (Health and Medical Programs), les programmes pour les vétérans et les programmes d’aide au logement suivent avec, respectivement, 6%, 3% et 2% des dépenses sociales.

Il est difficile de comparer le système de sécurité sociale du Mexique à celui du Canada ou des États-Unis, d’autant que les programmes ont été durement affectés par les mesures de stabilisation durant les années 1980. Ainsi, les programmes sociaux proprement dits ont représenté, pour l’année 1990, à peine 0,5% du PIB. Si l’on y ajoute les programmes de développement urbain et de développement social, qui comptent respectivement pour 0,2 et 1% du PIB, les programmes sociaux ne représentaient alors que 1,7% du PIB, c’est-à-dire l’équivalent de 38$ US par habitant. Hormis les programmes de santé et d’éducation sur lesquels nous reviendrons plus loin, un programme mérite cependant une attention particulière, c’est le programme de lutte contre la pauvreté [31].

Ce programme comporte deux grandes composantes : un programme d’aide alimentaire et un programme de solidarité nationale (Programa Nacional de Solidaridad). Le premier vise à subventionner certains produits et à fournir une aide alimentaire directe ; par le passé, il a surtout profité aux zones urbaines, toutefois les compressions budgétaires et une réorientation des politiques ont fait en sorte qu’il a été redirigé vers les zones rurales et les couches de population vivant dans des conditions de pauvreté extrême. On estime à 0,4% du PIB le montant des subventions gérées par ce programme. Quant au PRONASOL, il s’agit d’un programme général qui vise à favoriser le développement des [315] infrastructures de base (routes, santé, eau, égouts, éducation, etc.) et de certains services publics. Les ressources affectées à ce programme représentent environ 1% du PIB.

En somme, il se dégage de ce survol des trois systèmes de sécurité sociale qu’ils sont, tant par leur étendue que par les principes qui les animent, fort différents les uns des autres. Pour aller au plus court, on peut dire que l’on a un système public d’assurance universel et complet d’inspiration beveridgienne au Canada, un système institutionnalisé d’assistance publique aux plus démunis aux États-Unis et un système partiel de lutte contre la pauvreté combiné à un système public partiel d’assurance dans les domaines de la santé et de l’éducation au Mexique. La très grande hétérogénéité qui caractérise les systèmes en Amérique du Nord devra nécessairement conduire à des effets de débordement disparates dans le domaine social. En ce sens, et en dehors de la mise en œuvre de normes contraignantes de la part des trois partenaires à l’ALENA, il va de soi que toute confrontation entre les régimes sera susceptible d’avoir des effets négatifs au Canada, alors que ces mêmes effets pourraient se révéler bénéfiques pour le Mexique du simple fait de la distance qui le sépare des deux autres en matière de dépenses sociales.

La protection sociale en Europe
et en Amérique du Nord



1. Les dépenses sociales

Nous avons retenu les trois indicateurs utilisés par le BIT et l’OCDE [32], à savoir les dépenses en prestations de sécurité sociale, les dépenses publiques de protection sociale et les transferts sociaux, tous trois calculés en pourcentage du PIB (tableau 2). Le premier indicateur reflète les dépenses relatives à la sécurité sociale telle que la définit le BIT, tandis que les deux autres portent sur les dépenses afférentes à la protection sociale dans le sens un peu plus large que l’OCDE donne à cette notion. Les graphiques 1, 2 et 3 illustrent, pour chacun de ces postes, l’évolution des dépenses sociales et permettent de comparer les engagements souscrits par chaque pays.

[316]

En ce qui a trait aux deux premiers indicateurs, les données sont tout à fait convergentes. À cet égard, on peut établir trois constats intéressants : premièrement, la part des dépenses en pourcentage du PIB a eu tendance à progresser rapidement dans l’ensemble des pays européens jusqu’au milieu des années 1970, à l’exception notable toutefois de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne où cette progression s’est poursuivie jusqu’au tournant des années 1980. Cette progression a par la suite été freinée, les dépenses sociales ayant alors tendance à se stabiliser au niveau atteint, et cela pour l’ensemble des pays de l’UE, à l’exception toutefois des Pays-Bas, où des réformes importantes sont intervenues au tournant de cette décennie [33].

En Amérique du Nord, les tendances sont très contrastées. Après avoir plafonné, voire décliné, pendant les années 1970, les dépenses sociales sont de nouveau à la hausse au Canada depuis le début des années 1980. Aux États-Unis, par contre, elles se sont stabilisées plus tôt, puis ont décliné durant la dernière décennie. Au Mexique, enfin, après avoir baissé sous l’effet des mesures de stabilisation forcée, elles semblent afficher une légère tendance à la hausse au tournant des années 1990.

Deuxièmement, il convient de relever les différences significatives qui existent dans l’évolution de la part de ces dépenses dans la richesse totale produite. En moyenne, pour les Douze, les dépenses sociales représentaient 17% du PIB en 1970, un peu moins de 24% en 1980, un peu plus en 1990. Même si l’on peut observer une certaine convergence, il n’en demeure pas moins que l’écart entre les deux extrêmes que sont les Pays-Bas d’un côté et le Portugal de l’autre, qui était de l’ordre de 13 points de PIB pour ce qui est des dépenses en prestations sociales en 1970, est passé à environ 18,5 points de PIB en 1980 (tableau 2 et graphique 4). L’écart s’est stabilisé à ce niveau en 1990. En Amérique du Nord, l’écart entre les deux extrêmes que représentent le Canada et le Mexique était de 11,7 points en 1970, il a été ramené à 11,3 points en 1980 puis, reflétant la détérioration de la protection sociale au Mexique durant la dernière décennie, il est passé à 16,3 points en 1990.

Si l’étendue de la protection sociale dépend du niveau de développement, ce que nous préciserons plus loin, elle dépend aussi de la nature des régimes [317] sociaux propres à chaque pays. À cet égard, malgré les efforts d’intégration sociale de l’UE, les disparités nationales restent très fortes. Les niveaux de dépenses sociales demeurent élevés en Allemagne, en France, en Belgique, au Luxembourg, au Danemark et aux Pays-Bas, tandis que, à l’autre extrême, le Portugal se caractérise par un niveau de protection sociale qui reste, en comparaison avec les autres pays européens, y compris la Grèce et l’Espagne, relativement bas. Ces deux derniers pays, ainsi que le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Italie présentent des niveaux de protection sociale qui, pour ce qui est des dépenses du moins, sont relativement comparables. En Amérique du Nord, le niveau des dépenses sociales au Canada est, en termes relatifs, comparable à celui du Royaume-Uni, tandis que les États-Unis se situent au-dessous des niveaux de la Grèce et de l’Espagne. Le Mexique, quant à lui, avec 2,4% du PIB, présente un niveau de protection sociale nettement inférieur à celui du Portugal.

Troisièmement, les données relatives au dernier indicateur, à savoir la part des transferts de sécurité sociale dans le PIB (tableau 2 et graphique 3), permettent de souligner que dans la plupart des pays européens, la progression des transferts s’est poursuivie jusqu’au début des années 1980, voire au-delà comme c’est le cas en France, et que les écarts entre les pays sont beaucoup moins prononcés qu’ils pouvaient l’être quand nous avions recours aux statistiques des dépenses de protection sociale. Il est intéressant à ce propos de définir quatre groupes de pays : 1) celui où le niveau de transfert et le PIB par habitant sont bas, c’est le cas du Portugal, de la Grèce, de l’Espagne et de l’Irlande ; 2) celui où le niveau de transfert est faible, entre 14 et 16% du PIB, alors que le PIB par habitant est relativement élevé, c’est le cas de l’Allemagne et du Royaume-Uni ; 3) celui des pays intermédiaires, l’Italie et le Danemark, où les deux indicateurs sont au niveau moyen ; et enfin, 4) celui composé des pays où le PIB est élevé et le niveau de transfert est supérieur à 20% du PIB, c’est-à-dire le BÉNÉLUX et la France.

Du côté nord-américain, deux éléments ressortent du graphique 3 : le faible niveau des transferts au Mexique et le fait que les transferts continuent de progresser en part de PIB au Canada durant les années 1980. Il faut sans doute voir là l’effet de la conjoncture, dans la mesure où les programmes sociaux ont conservé, en dépit des attaques dont ils ont fait l’objet, leur fonction stabilisatrice.

2. L’effort relatif

Pour mesurer l’effort relatif de chaque pays en matière de protection sociale, nous avons retenu trois indicateurs : les dépenses et les transferts per capita, les dépenses et les transferts que nous avons mis en relation avec le PIB per capita et, enfin, les dépenses en prestations de la sécurité sociale corrigées selon la méthode proposée par Gilbert et Moon (1988) [34].

[318]

Le tableau 3, dont les données sont reprises au graphique 4, nous fournit le rang occupé par chacun des pays d’Europe communautaire et d’Amérique du Nord ainsi que par le Japon selon le niveau de dépenses en prestations de sécurité sociale par habitant et le niveau par rapport à la population active. Le graphique 5 fait état des niveaux de dépenses sociales de chacun des pays classés par ordre décroissant à partir des données observées et de celles corrigées selon la méthode de Gilbert et Moon.

Trois observations méritent d’être consignées à la suite de la lecture de ces tableaux et graphiques. En premier lieu, avec des dépenses de l’ordre de 33$ US et de 58$ US per capita, le Mexique apparaît décidément comme un cas à part tant l’écart qui le sépare d’un pays comme le Danemark paraît disproportionné. Cependant, pour bien montrer que le cas en question relève d’une réalité différente, il nous a paru intéressant d’introduire ici le tableau 4 qui rassemble le même type de données mais pour onze pays de l’Amérique latine cette fois. Cette information nous permet de mettre en lumière l’écart global qui sépare ces pays d’Amérique latine des pays de l’UE même les moins développés. Comme quoi, dans le cas du Mexique, la notion de sous-développement renvoie à un ordre de réalité distinct caractérisé par un État-providence tout à fait exsangue.

En deuxième lieu, si l’on s’en tient aux dépenses de prestations de sécurité sociale per capita, le Canada se démarque assez peu des Etats-Unis puisque les deux pays se classent à un niveau intermédiaire, respectivement en septième et huitième position, devant le Royaume-Uni et l’Italie. Par contre, une fois reclassés en fonction de la part que représentent ces dépenses dans le PIB, on note un glissement, pour le Canada, de la septième à la huitième place, mais surtout, pour les États-Unis, de la huitième à la treizième place, voire à la quatorzième, derrière l’Irlande et même derrière le Japon, si nous avons recours aux dépenses corrigées selon la méthode de Gilbert et Moon. Ceci confirme ce que nous avons déjà eu l’occasion de souligner plus haut, à savoir que le Canada se situe à un niveau intermédiaire sur le plan de la protection sociale, constat qui contredit en [319] partie la conclusion de Gilbert et Moon pour lesquels l’effort canadien en matière de protection sociale se comparerait avantageusement à celui des pays européens les plus avancés. Par ailleurs, il convient de noter que les États-Unis, malgré des dépenses per capita relativement élevées, ne se distinguent guère, pour ce qui est de l’effort relatif, des pays européens généralement considérés comme les moins avancés sur le plan de la sécurité sociale.

En troisième lieu, le graphique 6 met en lumière la relation positive entre le niveau de dépenses sociales et le niveau de développement, mesuré par le PIB per capita. Plus spécifiquement, il reflète les différences structurelles entre les pays, différences qui tiennent aussi bien au niveau de développement qu’à la nature même des régimes sociaux. C’est particulièrement visible en Europe où un groupe de pays composé des Pays-Bas, du Danemark, de la Belgique, de la France et, dans une moindre mesure, de l’Allemagne, se démarque nettement des autres, mais ce l’est davantage lorsque nous comparons le Canada au Mexique, aux États-Unis et au Japon. Nous voyons alors ces trois derniers venir se placer sur une même pente, tandis que le Canada rejoint un peloton de pays européens qui regroupe le Portugal, la Grèce, l’Irlande vers le bas de l’échelle et l’Italie, le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, l’Allemagne vers le haut. La partie inférieure du graphique croise quant à elle les transferts sociaux avec le revenu par habitant. La relation qui apparaît nous permet de diviser le graphique en quadrants par la médiane. Là encore, il est intéressant de constater que le Canada se situe dans le quadrant IV du graphique, avec un niveau de transferts pour ce qui est du PIB assez proche de celui du Japon et des États-Unis avec lesquels il constitue un groupe qui ne se distingue des pays européens du quadrant II que par le niveau de revenu per capita.

Même si les données ne couvrent qu’une courte période de temps, c’est-à-dire les années 1980-1986, il nous a paru intéressant de compléter l’analyse précédente en reportant sur un autre graphique (graphique 7) l’évolution en termes réels des prestations de sécurité sociale par habitant. Au centre du graphique, nous retrouvons une évolution moyenne des prestations au Canada et aux États-Unis. Cette zone centrale est délimitée vers le haut par le Japon et vers le bas par les Pays-Bas. À l’extérieur de cette zone concentrée autour de la moyenne, nous avons deux cas extrêmes : le Mexique et la Grèce. Cette illustration est intéressante ; elle montre que l’évolution des dépenses a été légèrement plus forte que la moyenne générale au Canada et aux États-Unis. Toutefois, et de manière beaucoup plus significative, elle nous permet de voir l’impact de la crise de la dette sur l’évolution des dépenses sociales réelles par habitant au Mexique d’une part, et de cerner les effets bénéfiques de l’adhésion de la Grèce à la Communauté économique européenne en 1981 d’autre part.

3. Coûts et financement de la protection sociale

Les modes de financement des différents systèmes de protection sociale sont assez hétérogènes et marqués par de fortes disparités. En moyenne, en 1990 les cotisations de sécurité sociale représentaient pour les Douze 28% des recettes fiscales [320] totales et 14,7% du PIB (tableaux 5 et 6). Ces moyennes cachent cependant des écarts importants. C’est au Danemark que l’on retrouve les taux les plus bas (soit, pour l’année 1990, environ 28% des recettes fiscales totales et 2,6% du PIB) et en France, les taux les plus élevés (soit près de 41% des recettes et 21% du PIB). Le Canada, avec 14,2% des recettes fiscales, se place assez bas sur l’échelle, entre l’Irlande (14,2%) et le Royaume-Uni (16,6%), tandis que les États-Unis se situent à un niveau beaucoup plus élevé, avec un peu plus de 28% des recettes fiscales, un niveau assez proche de celui du Japon (26,1%) et de la moyenne des pays de la Communauté [35].

Si nous considérons maintenant la part des cotisations dans l’ensemble des recettes au titre de la sécurité sociale, nous retrouvons là encore d’importants écarts entre les pays (tableau 5). À l’exception de trois pays, le Danemark, le Canada et l’Irlande, avec respectivement, pour l’année 1985, 10,2%, 32,9% et 33,2% des recettes, la part des cotisations dans les recettes totales au titre de la sécurité sociale est supérieure à 50%, le Royaume-Uni se situant au niveau moyen. C’est aux États-Unis, avec plus de 89% des recettes totales, qu’elle est la plus élevée, puis au Portugal (85%), au Mexique (84%), en France (82%) et en Allemagne (81%).

Le graphique 8 combine deux types de données : il met en relation la part des contributions à la sécurité sociale dans les recettes fiscales totales et la part des contributions dans les recettes totales de la sécurité sociale. Mis à part le Danemark qui se démarque très nettement et, dans une moindre mesure, le Canada, l’Irlande et le Royaume-Uni, pour l’ensemble des pays, les cotisations représentent une source importante de recettes fiscales et la plus grosse part du financement des différents régimes.

Le tableau 6 nous permet de mieux évaluer les poids respectifs des cotisations sociales en provenance des salariés et des employeurs dans l’économie. Les données sont fournies en pourcentage des recettes fiscales et en pourcentage du PIB. Si nous considérons uniquement la part des cotisations salariales dans les recettes fiscales, il apparaît clairement que c’est au Danemark (2,4%), au Canada (4,3%), au Mexique (4,4%), en Irlande (5,2%) et en Espagne (5,8%) que cette part est la plus faible, tandis que c’est en Allemagne (15,9%) et surtout aux Pays-Bas, avec 23,5%, qu’elle est la plus élevée. Toutefois, si l’on considère que les régimes sociaux sont financés soit par les cotisations, soit par l’impôt, l’analyse de la part des cotisations des employeurs dans les recettes fiscales et dans le PIB nous permet de mieux cerner qui, des entreprises ou de la population, contribue davantage au financement des programmes sociaux.

[321]

Le système social étant à toutes fins utiles entièrement fiscalisé au Danemark, la contribution des employeurs au financement des régimes est dérisoire ; elle représente moins de 1% des recettes fiscales de l’État et 0,34% du PIB en 1990. La part des cotisations des employeurs dans les recettes fiscales totales est faible également aux Pays-Bas (7,9%), en Irlande (9% ), au Canada (9,7%) et au Royaume-Uni (10%). Elle est particulièrement forte en France (27,3%) et en Espagne (25,5%) et, dans une moindre mesure, en Italie (23,6%) et en Belgique (20,7%). Quant aux États-Unis, avec des cotisations des employeurs qui comptent pour 16,6% des recettes fiscales, ils se situent à des niveaux comparables à ceux de l’Allemagne (18,8%), du Japon (15,2%), voire même du Mexique (17,6%). Néanmoins, calculées en pourcentage du PIB, les données relatives à la contribution des employeurs donnent le classement suivant : la contribution des employeurs au financement des systèmes publics de sécurité sociale est la plus faible au Mexique (2,06%), suivi de l’Irlande (3,35%), des Pays-Bas (3,5%), du Canada (3,6%) et du Royaume-Uni (3,7%). Par contre, c’est en France (11,9%), en Belgique (9,3%), en Italie (9,2%) et en Espagne (8,8%) qu’elle est la plus élevée. L’Allemagne se situe à un niveau légèrement en deçà de la moyenne des pays de la Communauté, avec 7,1% contre 7,8%, tandis que les États-Unis, avec 4,9%, se situent à un niveau de moitié inférieur à la moyenne de l’ensemble des pays de l’OCDE (8,2%), mais assez comparable à celui du Japon (4,8%).

Les dépenses sociales par grands programmes

Comme nous l’avons souligné au début de cette section, la notion de protection sociale couvre des programmes fort différents selon les pays. De manière générale, les auteurs retiennent six grandes missions : la santé, l’éducation, les pensions, les mesures de soutien du revenu, à commencer par l’assurance-chômage, et les programmes d’aide à la famille, au premier rang desquels on retrouve les allocations familiales [36].

Comme le montre le tableau 7, ce sont les programmes de santé, d’éducation et de vieillesse qui, à quelques exceptions près, mobilisent la plus grande part des ressources [37]. De surcroît, d’un pays à l’autre ou tant s’en faut, l’évolution de chacun de ces programmes est soumise aux mêmes contraintes systémiques : le vieillissement des populations dans le cas des régimes de pension, la hausse des coûts dans le cas des régimes de santé, la croissance du chômage dans le cas des programmes de soutien du revenu, l’amélioration des [322] niveaux de scolarisation dans le cas des programmes d’éducation, etc. Il n’en persiste pas moins quelques différences significatives entre pays, différences liées à des engagements spécifiques à l’intérieur de certaines missions ainsi que l’illustre par ailleurs le tableau 7 ; ces différences sont la marque des préférences nationales.

Ici encore, le Mexique se prête mal aux comparaisons avec ses partenaires nord-américains et avec les pays de l’UE car c’est, de nouveau, vers les autres pays de l’Amérique latine qu’il faudrait se tourner afin de le situer dans ses contextes historique et structurel propres.

1. Les dépenses de santé

Les données disponibles nous permettent de dégager un certain nombre de tendances générales. Tout d’abord, c’est aux États-Unis et au Canada [38] que les dépenses au chapitre de la santé sont les plus élevées, que ce soit en pourcentage du PIB ou en dollars PPP par habitant, en Grèce et au Mexique, qu’elles sont les plus basses, encore que, pour ce qui est de la part de PIB, le Mexique ne se démarque guère de la Grèce. Cela va dans le sens de la corrélation très forte qui existe entre le niveau de dépenses de santé et le niveau de vie (OCDE, 1993b, 14). Ceci n’explique pas tout car le degré de dispersion est relativement important : si les États-Unis et le Canada se démarquent très nettement des autres pays industrialisés, d’autres au contraire, comme le Royaume-Uni et le Danemark, présentent des profils de dépenses tout à fait particuliers.

Au chapitre de la contribution du secteur public au financement des dépenses de santé, les données sont par contre beaucoup plus contrastées. C’est aux États-Unis et au Mexique que la prise en charge par l’État est la plus faible puisque celui-ci ne contribue que 44% des dépenses totales de santé [39]. Au sein de l’UE, cinq pays présentent des taux de financement public supérieurs à 80% (à savoir, par ordre décroissant, le Luxembourg, la Belgique, l’Espagne, le Royaume-Uni et le Danemark), six pays se situent à un niveau intermédiaire, c’est-à-dire entre 70 et 80% (l’Italie, l’Irlande, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et la Grèce). Le dernier, la Grèce, présente un taux de financement inférieur à 70%. Le Canada, avec un taux de couverture de 72%, se compare aux pays européens de niveau intermédiaire.

Si nous considérons uniquement les dépenses publiques en pourcentage du PIB (graphique 10), il est intéressant de constater que c’est au Canada que les [323] niveaux de dépenses sont les plus élevés [40], soit 7,2% du PIB, encore que, sur ce point, le Canada ne se démarque pas de manière substantielle des grands pays européens. Le Mexique se situe, avec 3,7% du PIB, au bas de l’échelle non loin de la Grèce et du Portugal. Les États-Unis, tout en ayant un taux très bas de participation publique à ces dépenses, n’en affichent pas moins un niveau de dépenses publiques qui, avec 5,5% du PIB, les situe dans la moyenne des pays européens.

Quant à sa progression, la part des dépenses publiques dans le PIB a eu tendance à augmenter dans l’ensemble des pays jusqu’au début des années 1980 pour se stabiliser ensuite, sauf au Canada, en Belgique et en Italie, où la progression n’a pas été freinée. Plusieurs facteurs doivent cependant être pris en compte pour expliquer ces tendances, parmi lesquels nous pouvons mentionner : la croissance de la demande de soins de santé, le taux d’inflation dans le secteur qui, d’une manière générale, se situe au-dessus de la progression moyenne de l’indice des prix de la demande intérieure, l’élargissement des régimes ainsi que l’augmentation des frais d’hospitalisation.

Enfin, au sujet de l’accès aux services publics de santé qui demeure un indicateur essentiel de l’étendue de la protection sociale dans les différents pays, le pourcentage de personnes éligibles aux soins médicaux financés par un régime public se situe autour de 100% au sein de l’UE, sauf en Allemagne (92%) et aux Pays-Bas (73%). Notons, au passage, le phénomène de rattrapage dont ont bénéficié les pays les moins développés de l’UE à cet égard : en 1991, le taux de couverture était de 100% en Grèce, au Portugal et en Irlande, et de 99% en Espagne, alors qu’en 1961, il se situait, pour chacun de ces pays, à 44%, 20%, 80% et 54% respectivement (OCDE, 1993).

En Amérique du Nord, nous avons un régime de protection universelle et exhaustive au Canada, où le taux de couverture est, comme dans les régimes analogues en Europe, de 100%, et un régime d’assistance publique aux Etats-Unis, qui ne couvrait, en 1991, que 44% de la population, conjugué à un système de protection conventionnelle socio-privé (Durant, 1992, p. 11). Quant au Mexique, nous avons un régime à trois composantes comprenant un système d’assurance sociale, qui ne couvre que les salariés du secteur formel, privé et public, c’est-à-dire un peu plus de la moitié de la population (à dire vrai 55%), un système d’assistance et d’accès réduit à un système de soins gratuits pour la population qui n’est couverte par aucun régime d’assurance public ou privé (environ 35% de la population totale) et, enfin, un système privé qui couvre à peine 4% de la population totale. Il convient au surplus de noter que selon les estimations, un peu plus de 6% de la population totale, ce qui se traduit par un pourcentage supérieur à 12% dans l’État d’Oaxaca et de plus de 30% dans celui de Chiapas, échappe à toute forme de couverture sociale que ce soit.

[324]

2. Les dépenses d’éducation

Deuxième champ d’intervention sociale important, l’éducation présente des contours quelque peu différents de ceux qu’offrait la santé. Pour ce qui est de l’effort relatif, le Danemark se démarque tant par ses dépenses totales que par ses seules dépenses publiques. Au chapitre des dépenses totales, il est intéressant de constater que plusieurs grands pays affichent des profils assez comparables, l’Allemagne faisant exception. Pour les dépenses publiques, par contre, les différences sont plus marquées. Le Canada se situe au troisième rang, derrière le Danemark et les Pays-Bas, tandis que les États-Unis se comparent à la Belgique, à la France, au Royaume-Uni et au Portugal. L’Allemagne est, ici encore, loin derrière les autres grands. Quant au Mexique, il se classe devant la Grèce, ce qui vient confirmer l’importance que ce pays a traditionnellement attachée à l’éducation.

Les dépenses publiques consacrées à l’éducation mesurées en pourcentage du PIB ont, d’une manière générale, été soit stabilisées soit ramenées à la baisse, ce qui ne manque pas d’étonner si l’on considère l’importance accordée à l’éducation et à la formation dans le discours public actuel. Elles sont stables, ou à peu près stables, au Canada, aux États-Unis, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Italie et au Portugal. Elles sont par contre en baisse au Royaume-Uni et en Irlande, ainsi qu’en France et en Belgique. Au Mexique, les dépenses totales d’éducation représentaient 5,3% du PIB en 1982. Elles sont tombées à 3,5% en 1988, pour remonter par la suite et atteindre 4,3% du PIB en 1990. À elles seules, les dépenses publiques sont passées de 3,7% en 1982 à 2,6% en 1988. Ce n’est qu’à partir de 1990 qu’elles ont commencé à augmenter de nouveau, pour atteindre 3,7% en 1991. À ce sujet, nous n’ajouterons qu’une remarque : plusieurs analystes imputent à l’évolution de la courbe démographique, c’est-à- dire à la baisse de la natalité dans les pays les plus riches, la réduction des sommes affectées à la mission éducative des États (graphique 11).

3. Les autres programmes

En ce qui a trait aux autres programmes, nous nous contenterons de noter qu’à part l’Allemagne, le Danemark et l’Italie, les prestations familiales sont importantes dans les pays les plus développés alors qu’elles sont faibles dans les pays du Sud. Sur ce plan, le Canada se rapproche plutôt de ces derniers que des premiers (tableau 7).

En matière de soutien du revenu, les régimes nationaux sont très variés et les données sont souvent insuffisantes pour pouvoir faire une analyse statistique comparée satisfaisante. En outre, les montants de transferts versés au titre de la sécurité sociale ne nous fournissent qu’une vue partielle des choses en raison de l’influence de la conjoncture et des taux de dépendance sur les montants versés. Ici, l’analyse qualitative des différents programmes doit obligatoirement remplacer [325] l’approche statistique. Néanmoins, l’analyse des transferts permet de faire quelques constats, à condition bien entendu de tenir compte des taux de chômage et des structures d’âge dans les différents pays.

Le graphique 12 met en relation la part des transferts de sécurité sociale dans le PIB et le taux de chômage officiel pour chacun des pays étudiés. Il a été divisé en quadrants sur la base de la médiane des deux taux. Ainsi nous permet-il de comparer, en toute première approximation, l’effort relatif des pays en matière de transferts, indépendamment des effets de conjoncture. Il montre notamment que le Canada ne se distingue guère, malgré un taux de chômage plus élevé, des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

Parmi les programmes de soutien du revenu, deux sont particulièrement importants : les régimes de pension et les régimes d’assurance-chômage. Les systèmes de pension constituent sans doute à l’heure actuelle le volet le plus fragile des systèmes de protection sociale en raison de l’effet combiné qu’exercent sur les équilibres financiers le vieillissement des populations, l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance et la détérioration du contexte économique depuis le milieu des années 1970. Les dépenses afférentes aux programmes sociaux de retraite varient considérablement d’un pays à l’autre, y compris au sein des pays de l’Union européenne, comme le montrent les données mesurées en pourcentage du PIB rapportées au tableau 7. Ceci tient à trois facteurs : à l’âge de la retraite, qui varie au sein de l’UE entre 55 et 67 ans et qui est établie à 65 ans (facultatif) au Canada, au mode de financement des programmes et à l’accroissement du taux de dépendance. Le taux de dépendance des personnes âgées, mesuré par le rapport entre la population de plus de 65 ans et la population âgée de 20 à 64 ans, est à la hausse dans tous les pays (tableau 8).

Selon les données du BIT, les dépenses afférentes aux programmes de retraite varient entre 14,5% en Grèce et 0,6% du PIB en Italie. Les mêmes données situent ce pourcentage à 5,2% pour le Canada et à 6,9% pour les États-Unis. Les données de l’OCDE relatives aux dépenses afférentes aux programmes de retraite sont quelque peu différentes. Les pourcentages sont particulièrement élevés dans trois pays européens, l’Italie, la France et l’Allemagne, mais faibles en Espagne, au Portugal et en Irlande. Il faut noter par ailleurs le faible niveau des dépenses au titre de la vieillesse aux États-Unis mais aussi au Canada, deux pays qui, avec des taux de dépendance des personnes âgées à peu près équivalents, se situent au même niveau que l’Espagne et le Portugal.

Au chapitre du chômage, nous rencontrons deux grands types de programmes d’indemnisations : les programmes d’assurance et les programmes d’assistance, qui se subdivisent eux-mêmes en programmes d’assistance-chômage, de revenu minimum garanti et d’aide sociale. Le tableau 9 fournit quelques indications sur les conditions d’accès aux différents régimes d’assurance-chômage ainsi que sur la couverture offerte. Il donne aussi quelques informations sur le montant des dépenses que les différents paliers de gouvernement consacrent à la formation et à la création d’emplois. Au sein de l’UE, c’est en Allemagne, en France, en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas que le système est le plus ouvert. Au Canada, le système, considéré naguère comme généreux, s’est considérablement [326] rapproché de celui des États-Unis. On notera également, à la lecture du tableau, qu’au chapitre des dépenses consacrées à la formation professionnelle et à la création d’emplois, le Canada affiche un niveau de dépenses comparable à celui de la plupart des pays de l’UE, ce qui n’est pas le cas des États-Unis.

Conclusion

Trois brèves remarques méritent d’être rappelées avant de conclure : premièrement, la mise en place de l’État-providence est une initiative qui est revenue, de plein droit, aux États nationaux. En conséquence, au-delà de la filiation que l’on peut établir avec l’une ou l’autre des deux grandes sources d’inspiration, à savoir le modèle bismarckien qui lie la prestation de services aux cotisations versées par les bénéficiaires d’un côté, et le modèle beveridgien qui prévoit un plan d’assurance universel de l’autre, les régimes et les programmes sont, dans les faits, caractérisés par une grande hétérogénéité. Deuxièmement, l’intervention étatique dans le domaine de la protection sociale est un processus cumulatif qui s’est déployé sur une période de plus d’un siècle dans des pays comme l’Allemagne, la France, la Belgique ou le Royaume-Uni, pour ne citer que ceux-là, sur plus d’un demi-siècle au Canada et aux États-Unis, avec le résultat que la mise en place d’un État-providence tel que nous l’avons vu se constituer après la Deuxième Guerre a pris des formes fort différentes d’un contexte à l’autre, selon l’histoire propre à chaque pays d’une part, et selon les aléas de la montée des revendications puis de leur prise en charge par les acteurs sociaux de l’autre. Troisièmement, il convient de souligner la corrélation qui prévaut entre le niveau de développement et l’étendue de la protection sociale, le développement suscitant une forte demande en la matière en même temps qu’il en assure la couverture financière. À cet égard, il n’est pas inutile de souligner que le Mexique ne connaît pas vraiment les niveaux de protection que procure un État-providence.

En comparant les dispositions des textes fondateurs qui risquent d’avoir des incidences dans le domaine social et en juxtaposant les données pertinentes sur les dépenses sociales, nous avons voulu contribuer à jeter les bases de ce qui pourrait devenir une analyse des modalités de l’intégration sociale telles qu’elles seraient susceptibles d’émerger de ces deux grands projets d’intégration économique que sont l’UE et l’ALENA. Nous voulions cerner ce qui sépare les deux modèles et les différents systèmes de protection, mais aussi et surtout aborder l’enjeu des effets de débordement depuis la sphère de l’économie vers la société.

Nous sommes loin d’avoir atteint un objectif aussi ambitieux et il faut sans doute composer, en attendant, avec le fait que l’intégration n’est entrée que très récemment dans une phase active en Amérique du Nord alors que ce processus se déploie depuis plus de trente ans dans l’UE. Cependant, quoi qu’il en soit des limites de l’analyse, il reste que l’étude comparée des dépenses nous aura permis de dégager deux grandes conclusions.

[327]

La première conclusion touche à l’intégration européenne qui semble déboucher sur deux conséquences bénéfiques sur le plan social : cette intégration a, jusqu’à maintenant, obligé les pays à surmonter les seules considérations d’ordre économique en matière d’intégration, dépassement qui vaut tout autant pour les pays dont le niveau de développement est plus faible que pour les autres ; le modèle intégrateur européen a de la sorte favorisé une forme de convergence vers le haut du niveau des dépenses sociales avec le résultat que les systèmes de protection se trouvent placés les uns vis-à-vis des autres dans une situation de concurrence balisée par la nature même d’un projet qui est parvenu à imposer dans sa mise en œuvre une plus grande cohésion économique et sociale entre ses participants.

En revanche, et c’est là notre seconde conclusion, on ne retrouve ni cette dimension ni cette interpellation dans le projet nord-américain où, malgré les quelques engagements de pure forme autour de quelques principes généraux dans l’entente parallèle signée entre les trois partenaires et portant sur le travail notamment, la dimension sociale est absente. Ceci dit, étant donné que la régionalisation conduit nécessairement à une certaine standardisation des normes dans les domaines commercial, tarifaire et fiscal, de même qu’à l’uniformisation des dispositions des contrats publics au sein d’un espace économique donné, il va de soi que toute la dimension sociale de l’intervention publique risque d’être elle aussi affectée. Et même si, pour le moment, les pressions en faveur de l’uniformisation et de l’adaptation des politiques et des programmes sont surtout d’ordre domestique dans le contexte nord-américain, il faut d’ores et déjà prévoir que dans les années à venir les pressions en faveur d’une harmonisation normative tendront de plus en plus à s’exercer sur une base régionale. Or, s’il n’existe aucun paramètre pour évaluer ces normes et en établir de nouvelles, ce sera forcément le ou les partenaires qui auront les normes les plus exigeantes qui risqueront de devoir rajuster à la baisse les niveaux de leurs dépenses sociales et, par conséquent, ce qu’ils pourront offrir comme services sociaux.

C’est donc dire que, dans le contexte nord-américain surtout, mais cela pourrait s’appliquer à l’UE également si les critères de convergence sociale devaient être redéfinis à la baisse, les systèmes sociaux seront soumis à des contraintes à la fois d’ordre externe et d’ordre interne. D’ordre externe, dans la mesure où les choix de politique économique seront de plus en plus soumis aux exigences de la compétitivité internationale de l’économie, et d’ordre interne, dans la mesure où les régimes de protection et les programmes sociaux seront de plus en plus articulés aux contraintes de la croissance et de l’arrimage de l’économie nationale au marché continental.

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[331]

Tableau 1.
Indicateurs socio-économiques Amérique du Nord, Union européenne et Japon

PNB per capita

Espérance
de vie à la naissance

Taux de croissance

Taux de dépendance
(% des 16-64 ans)

Taux de chômage *

Salaire réel
ind. Manuf.
1985=100

Nombre de médecins
(/1000h)

Nombre
de lits d’hôpital
(/1000h)

Population

Main-d’œuvre

(0-14 ans)

(+ 65 ans)

1991

1991

1981-1990

1981-1990

1990

1990

1990

1993

1991

1988-1992

1988-1992

Canada

20 440

77

1

1,2

31

17

8,1

11,2

97,4

2,22

16,1

États-Unis

22 240

76

0,9

1,1

33

19

5,5

7,4

92,4

2,38

5,3

Mexique

3 030

66

2,3

3,2

65

6

2,8

87,8

0,54

1,3

Japon

26 930

79

0,6

0,9

26

17

2,1

2,5

112,2

1,64

15,9

Allemagne

23 650

76

0,4

22

22

6,0

8,9

117,3

2,73

8,7

France

20 380

77

0,5

0,8

31

21

8,9

11,7

104,0

2,89

9,3

Italie

18 520

77

0,2

0,6

25

21

11,5

10,2

105,5

4,69

7,5

Royaume-Uni

16 550

75

0,2

0,4

29

24

5,9

10,3

114,8

1,40

6,3

Belgique

18 950

76

0,1

0,5

27

22

8,7

12,1

106,5

3,21

8,3

Luxembourg

31 780

75

1,1

2,2

Danemark

23 700

75

0,5

25

23

9,5

12,1

112,8

2,56

5,7

Pays-Bas

18 780

77

0,6

1,2

27

18

7,6

8,3

104,9

2,43

5,9

Grèce

6 340

77

0,5

0,5

29

21

7,6

10,0

94,5

1,73

5,1

Espagne

12 450

77

0,4

1,1

29

20

16,3

22,7

110,4

3,60

4,8

Portugal

5 930

74

0,1

0,9

32

20

4,7

5,1

nd

2,57

4,2

Irlande

11

120 75

0,3

1,6

45

19

13,7

17,6

113,6

1,58

3,9

* Définition courante, taux de chômage officiel.

Sources : OCDE (1993). Comptes nationaux ; (1993). Perspectives économiques de l’OCDE, décembre ; (1992). Études économiques, Mexique. BIT (1993). Le travail dans le monde ; BANQUE MONDIALE (1993). Rapport sur le développement dans le monde ; BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale. Treizième enquête internationale.

[332]

Tableau 2.
Dépenses et transferts de sécurité sociale, Amérique du Nord, Union européenne et Japon,
années choisies, 1960-1990, en pourcentage du PIB

Dépenses en prestations
de la sécurité sociale

Dépenses
de protection sociale

Transferts
de sécurité sociale

1970

1980

1990

1970

1980

1990

1970

1980

1990

Canada

14,1

13,2

18,8

11,2

19,5

25,3

8,1

9,9

12,9

États-Unis

8,7

11,8

12,3

9,9

19,0

19,9

7,9

10,8

11,3

Mexique

2,4

1,9

2,4

nd

7,2

6,3

nd

nd

2,4

Japon

4,8

10

11,1

7,6

16,1

16,6

4,8

10,5

12,0

Allemagne

16,1

23,1

21,7

17,1

28,0

26,4

12,3

17,2

15,9

France

13,9

25,0

26,1

14,4

25,5

28,4

16,8

20,1

22,6

Italie

13,0

17,1

21,6

13,7

20,0

23,0

11,6

14,7

18,9

Royaume-Uni

12,8

17,2

17,0

12,4

21,5

22,8

8,6

12,4

12,8

Belgique

16,6

24,7

22,7*

nd

29,0

27,0

14,1

24,3

23,3

Luxembourg

14,4

23,5

nd

nd

nd

nd

14,0

25,0

23,7

Danemark

14,5

26,2

27,8

9,0

29,0

28,8

11,6

16,6

18,4

Pays-Bas

18,3

27,3

28,7

12,8

31,8

32,1

17,4

25,3

28,7

Grèce

10,3

11,6

16,8*

nd

9,0

17,0

8,0

9,2

14,8

Espagne

nd

15,3

17,5*

nd

15,6

18,0

7,5

14,2

15,9

Portugal

4,9

8,7

10,4

nd

15,6

16,2

3,1

10,6

12,4

Irlande

9,9

19,1

18,3

11,3

21,5

21,5

9,3

14,8

14,9

* Estimations des auteurs.

Sources : OCDE (1992). Comptes nationaux ; BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale, Treizième enquête internationale. BIT (1993). Le travail dans le monde.

[333]

Tableau 3
Dépenses en prestations de la sécurité sociale par habitant
en dollars des États-Unis, 1985

Population totale

Population 15-64

Mexique

33

58

Portugal

211

327

Grèce

517

794

Espagne

832

1 278

Irlande

1 350

2 120

Japon

1 447

2 260

Royaume-Uni

1 733

2 640

Italie

1 828

2 700

États-Unis

1 991

3 000

Canada

2 119

3 114

Belgique

2 385

3 549

Luxembourg

2 535

3 639

Allemagne

2 631

3 772

Pays-Bas

2 939

4 291

France

3 075

4 669

Danemark

3 374

5 079

Source : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale. Treizième enquête internationale.


Tableau 4

Dépenses en prestations de la sécurité sociale par habitant
en dollars des États-Unis, 1985

Pays

Population totale

Population 15-64

1980

1985

1980

1985

Bolivie

nd

4,0

nd

7,5

Pérou

nd

4,1

nd

7,3

Colombie

26,0

10,9

45,6

18,4

Mexique

52,7

33,0

100,6

58,1

Vénézuela

44,5

33,6

79,8

58,8

Brésil

77,2

44,6

132,5

75,3

Costa Rica

135,0

90,5

174,3

152,7

Argentine

nd

93,1

nd

154,1

Uruguay

237,1

116,0

379,0

186,0

Chili

245,8

141,9

402,8

226,2

Panama

96,9

167,8

174,3

289,5

Source : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale. Treizième enquête internationale.

[334]

Tableau 5
Origine des recettes au titre de la sécurité sociale et part des cotisations
à la sécurité sociale dans les recettes fiscales
en pourcentage des recettes totales, 1980, 1985

Répartition des recettes au titre de la sécurité sociale cotisation

Cotisation

Des assurés

Des employeurs

Participation de l’État

Autres

1980

1985

1980

1985

1980

1985

1980

1985

Total

Canada

12,4

13,4

16,6

19,5

53,3

48,1

17,7

19,0

100

États-Unis

39,0

38,9

53,1

50,5

5,2

7,3

2,7

3,3

100

Mexique

20,6

17,4

63,7

67,5

10,7

10,7

5,0

4,4

100

Japon

31,4

32,3

28,5

29,1

21,9

19,8

18,2

18,8

100

Allemagne

42,4

44,4

36,6

36,4

19,5

17,8

1,5

1,4

100

France

26,2

27,1

60,2

55,0

9,2

11,1

4,4

6,8

100

Italie

16,8

19,1

52,1

52,3

28,0

18,3

3,1

10,3

100

Royaume-Uni

17,9

24,9

25,9

25,6

53,6

47,7

2,6

1,8

100

Belgique

20,2

26,7

41,2

37,4

34,0

30,1

4,6

5,8

100

Luxembourg

26,8

27,2

33,5

31,8

22,0

33,2

17,7

7,8

100

Danemark

2,5

4,4

2,7

5,8

63,9

58,9

30,9

30,9

100

Pays-Bas

39,9

47,1

31,3

31,0

23,4

15,5

5,4

6,4

100

Grèce

36,3

37,1

36,1

35,4

5,7

7,5

21,9

20,0

100

Espagne

12,9

17,8

71,6

55,8

13,9

24,9

1,6

1,5

100

Portugal

25,3

24,7

68,2

60,3

2,2

8,0

4,3

7,0

100

Irlande

11,4

12,9

20,1

20,3

67,3

66,3

1,2

0,5

100


Source : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale. Treizième enquête internationale.

[335]

Tableau 6
Contributions à la sécurité sociale
en pourcentage des recettes fiscales et en pourcentage du PIB, 1990

En % des recettes fiscales

En %
du PIB

Part des salariés

Part des employeurs

cotisations

recettes fiscales

recettes fiscales

En %
du PIB

Canada

14,0

5,2

30,7

4,3

9,7

3,6

États-Unis

28,2

8,4

41,1

11,6

16,6

5,0

Mexique

22,0

2,6

20,0

4,4

17,6

2,1

Japon

26,1

8,2

41,8

10,9

15,2

4,8

Allemagne

34,7

13,1

45,8

15,9

18,8

7,1

France

40,6

17,7

32,8

13,3

27,3

11,9

Italie

29,9

11,7

21,1

6,3

23,6

9,2

Royaume-Uni

16,6

6,1

39,8

6,6

10,0

3,7

Belgique

32,3

14,5

35,9

11,6

20,7

9,3

Luxembourg

24,2

12,2

44,2

10,7

13,5

6,8

Danemark

3,1

1,5

77,4

2,4

0,7

0,3

Pays-Bas

31,4

14,2

74,8

23,5

7,9

3,6

Grèce

26,2

9,6

51,1

13,4

12,8

4,7

Espagne

31,3

10,8

18,5

5,8

25,5

8,8

Portugal

26,6

9,2

38,3

10,2

16,4

5,7

Irlande

14,2

5,3

36,6

5,2

9,0

3,3

Sources : OCDE (1992). Statistiques des recettes publiques des pays membres de l’OCDE, 1965-1991 ; Études économiques de l’OCDE, Mexique.

[336]

Tableau 7.
Dépenses en prestations de la sécurité sociale et dépenses afférentes
aux grands programmes sociaux en pourcentage du PIB, 1985

 

Dépenses en prestations de la sécurité sociale,
assurances sociales et prestations familiales

Dépenses afférentes aux programmes sociaux

Maladie/ maternité

Accidents de travail

Pensions

Chômage

Prestations familiales

Éducation

Santé

Pensions

Chômage

Canada

5,5

0,7

5,2

3,1

1,1

5,9

6,4

5,4

3,3

États-Unis

3,6

0,9

6,9

0,6

0,0

5,3

4,4

7,2

0,4

Mexique

1,2

0,2

0,6

0,0

0,0

2,7

2,7

nd

nd

Japon

5,4

0,4

4,7

0,5

0,1

4,3

4,8

5,3

0,4

Allemagne

7,4

0,7

11,7

2,5

0,9

4,4

6,4

11,8

1,5

France

8,4

0,0

12,0

2,9

4,0

6,1

6,8

12,7

2,8

Italie

7,7

0,7

10,2

1,0

1,0

5,9

5,4

15,6

0,8

Royaume-Uni

7,4

0,2

8,8

0,9

2,1

5,0

5,2

6,7

1,8

Belgique

7,4

0,9

8,5

5,1

3,1

7,3

5,5

nd

nd

Luxembourg

7,2

1,4

11,7

0,0

2,1

nd

nd

nd

nd

Danemark

8,3

0,3

11,2

4,7

0,6

7,2

5,2

8,5

3,2

Pays-Bas

8,3

0,0

13,4

4,1

2,4

5,6

6,5

10,5

3,3

Grèce

2,7

0,0

14,5

1,2

0,0

3,3

4,1

10,7

0,4

Espagne

4,5

0,6

8,9

3,5

0,3

2,2

4,3

8,6

2,1

Portugal

0,9

0,0

7,3

0,5

1,0

4,4

4,0

7,2

0,3

Irlande

9,0

0,7

6,5

4,5

1,1

6,4

6,9

5,4

3,6

* 1983, pour les données du BIT.

** 1984, pour les données de l’OCDE.

Source : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale, Treizième enquête internationale.

[337]

Tableau 8.
Structure d’âge de la population

Taux de dépendance
groupes d’âge 0-19 ans et 65 ans et plus,
En % de la population âgée de 20 à 64 ans

structure d’âge de la population
en % de la population totale 0-14 ans

0 – 14 ans

65 ans et +

1960

1970

1980

1990

1960

1970

1980

1990

Canada

96,2

92,2

73,3

65,0

20,9

18,0

12,0

20,8

États-Unis

91,2

90,4

75,8

70,1

21,5

19 1

12 9

19,1

Mexique

55,0

37,6

23,3

2,4

7,9

Japon

84,3

66,3

65,7

62,2

18,1

15,1

12*3

25,7

Allemagne

65,5

75,3

72,9

56,5

16,2

15 1

15,9

24,4

France

76,9

85,4

79,3

71,7

19 9

17 3

14,5

21,8

Italie

70,2

74,3

76,9

64,2

16,2

14,0

15,2

25,1

Royaume-Uni

72,0

72,8

79,4

70,9

19,0

17,8

16,3

20,2

Belgique

72,1

80,2

73,8

67,7

17,7

16,7

16 3

22,7

Luxembourg

nd

nd

66,8

57,2

nd

nd

nd

nd

Danemark

79,0

75,9

75,4

67,0

17 0

16 2

15 3

23

Pays-Bas

89,5

85,1

74,5

61,8

18,3

16,4

14,4

25,1

Grèce

71,9

76,1

76,9

70,0

18,6

15,1

14 2

23,5

Espagne

77,3

82,9

82,6

74,4

19 3

145

ni

22,2

Portugal

80,9

86,5

84,7

7,3

20,2

16 0

11,9

19

Irlande

101,1

102,5

102,5

93,8

26,0

19,1

9,’o

15,7

Sources : OCDE (1993). Les systèmes de santé des pays de l’OCDE ; THE WORLD BANK (1993). World Development Report.

[338]

Tableau 9
Dépenses sociales
en pourcentage des dépenses totales, Amérique latine, pays choisis

Éducation

Santé

Sécurité
sociale

Logement

Total

Argentine

1988

9,3

2,0

40,5

0,4

52,2

Bolivie

1990

18,0

2,3

17,7

0,2

38,2

Brésil

1989

5,3

7,2

19,9

0,2

32,7

Chili

1987

12,0

6,3

34,5

4,7

57,5

Costa Rica

1990

19,0

26,3

13,8

1,1

60,1

Mexique

1989

12,3

1,7

9,7

0,5

24,3

Panama

1989

18,5

17,9

20,2

3,9

60,5

Pérou

1990

16,2

5,1

nd

0,1

21,4

Uruguay

1990

7,4

4,5

50,2

0,1

62,1

Source : Statistical Abstract of Latin America, 1993.


Tableau 10.

Taux de couverture de la sécurité sociale Amérique latine pays choisis

Dépenses de
sécurité sociale

Taux de couverture
en % de la population

Active
1985-1988

Totale
1985-1988

Argentine

11,9

79,1

74,3

Chili

8,6

79,2

nd

Uruguay

8,1

73,0

67,0

Costa Rica

7,5

68,7

84,6

Panama

6,1

59,8

57,4

Brésil

5,2

nd

nd

Bolivie

2,9

16,9

21,4

Mexique

2,9

40,2

59,7

Colombie

2,8

30,2

16,0

Pérou

2,6

32,0

22,2

Vénézuela

1,3

54,3

49,9

Paraguay

1,2

nd

nd

Source : Statistical Abstract of Latin America, 1993.

[339]

Tableau 11

Régimes d’indemnisation du chômage
Amérique du Nord, Union européenne et Japon,
années choisies, 1960-1990, en pourcentage du PIB

Durée maximale des prestations m/s*

Taux de couverture
% des gains
(célibataire)

Délai de carence
général

Départ volontaire

Programmes de formation
et de création
en % du PIB

Canada

25s**

55-60

2s

12-30s

0,24

États-Unis

26s**

50

1 s

suppression

0,11

Mexique

Japon

30s

48

1 s

l-3m

0,01

Allemagne

12m

58

aucun

12s

0,42

France

30m

59

aucun

suppression

0,29

Italie

6m

15

0,03

Royaume-Uni

52s

16

3j

l-26s

0,21

Belgique

ind.

60

aucun

l-26s

0,72

Luxembourg

0,03

Danemark

30m

64

aucun

5s

0,25

Pays-Bas

36m

70

aucun

aucun

0,24

Grèce

5m

50

6j

suppression

0,03

Espagne

24m

62

aucun

suppression

0,23

Portugal

60

aucun

suppression

0,06

Irlande

15m

29

3j

6s

0,62

* Mois/semaines.

** Moyennes.

Sources : OCDE (1988) (1993). Perspectives de l’emploi.

[340]

Graphique 1

Prestations de sécurité sociale : Amérique du Nord, Union européenne, Japon
1970-1986, en pourcentage du PIB

Sources : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale, Treizième enquête internationale ; BIT (1993). Le travail dans le monde.

[341]

Graphique 2

Dépenses de protection sociale : Amérique du Nord, Union européenne,
Japon 1960-1986, en pourcentage du PIB



[342]

Graphique 3

Transferts de sécurité sociale : Amérique du Nord, Union européenne, Japon
1970-1991, en pourcentage du PIB

Source : OCDE. Comptes nationaux.

[343]

Source : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale, Treizième enquête internationale.

[344]

Graphique 5

Dépenses en prestations de la sécurité sociale
en pourcentage du PIB, 1990


Sources : BIT ; OCDE.


[345]

Graphique 6

Dépenses de protection sociale et transferts sociaux
Amérique du Nord, Union européenne, Japon
en pourcentage du PIB, selon le PIB par habitant, 1990

Source : OCDE, Comptes nationaux.

[346]

Graphique 7

Évolution des dépenses annuelles en prestations
par habitant et ajustées d’après le coût de la vie, 1980 = 100

Source : BIT (1992). Le coût de la sécurité sociale, Treizième enquête internationale.

[347]

Graphique 8

Part des contributions à la sécurité sociale dans les recettes fiscales
et dans les recettes totales des régimes d’assurance sociale
 - Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1990


[348]

Graphique 9.

Dépenses publiques de santé Amérique du Nord, Union européenne et Japon,
1970-1991 en pourcentage du PIB

Sources : OCDE (1993). Les systèmes de santé des pays de l’OCDE, Faits et tendances.

[349]

Graphique 10

Dépenses publiques de santé, indicateurs choisis,
Amérique du Nord, Union européenne et Japon,
1991 en pourcentage du PIB et en$ PPP

Source : OCDE. Comptes nationaux.

[350]

Graphique 11.

Dépenses publiques d’éducation Amérique du Nord,
Union européenne et Japon, 1980-1991 en pourcentage du PIB


Source : OCDE. L’enseignement dans les pays de l’OCDE.

[351]

Graphique 12

Dépenses totales d’enseignement, indicateurs choisis
Amérique du Nord, Union européenne, Japon
en pourcentage du PIB et en$ PPP, 1991

Source : OCDE (1993). L’enseignement dans les pays de l’OCDE, recueil d’informations statistiques.

[352]

Graphique 13

Transferts de sécurité sociale
Amérique du Nord, Union européenne et Japon, 1970-1991
en pourcentage du PIB

Sources : OCDE. Comptes nationaux ; OCDE (1993). Perspectives économiques de l’OCDE, décembre



* Les auteurs remercient Jean-Christophe Sinclair et Mathilde Bourdua pour leur contribution au traitement des données statistiques.

[1] Ce point de vue est souvent exprimé par les Européens eux-mêmes au nom d’un certain réalisme. C’est à cette conclusion qu’arrive Guery par exemple : « L’équilibre de la construction sociale de l’Europe doit certainement être recherché dans une voie médiane où législation nationale et législation européenne ont vocation à trouver respectivement une place » (Guery, 1991, 12). Ce réalisme est cependant loin d’être partagé par les auteurs plus critiques à l’égard de la construction européenne. Voir notamment Vogel-Polski (1991), Hellier (1991).

[2] On retrouve généralement trois types d’argument en faveur du fédéralisme économique. Des arguments de principe tout d’abord ; ils relèvent de la nécessité d’encastrer dans un même projet l’intégration économique, politique et sociale, dans le sens où il s’agirait de déplacer les domaines de l’État du national vers le régional, et notamment d’établir un socle de droits sociaux équivalent à celui que l’on retrouve à l’intérieur des pays. Des arguments d’ordre pratique ensuite, comme celui qui voudrait qu’en renforçant la cohésion sociale à l’échelle régionale, c’est la cohésion de l’ensemble du projet qui se trouve renforcée, dans le sens où la sécurité économique et l’équité apparaissent comme le complément de l’efficacité et de la compétitivité ou dans le sens où il s’agirait d’introduire plus de cohérence entre les systèmes nationaux, les pressions d’en haut venant contrebalancer les risques de dumping social ou les risques de resquillage de la part des États. Des arguments d’ordre économique enfin, dans la mesure où il s’agit de corriger les imperfections du marché et d’en réglementer les modes de fonctionnement. On retrouve également ces trois types d’argument en faveur de l’autonomie. Des arguments de principe tout d’abord, comme celui de la souveraineté des États ou celui de la concurrence des marchés. Des arguments d’ordre pratique ensuite : meilleure gestion des services, expérience des États, moins de risques de dédoublement, systèmes trop disparates pour être rapidement harmonisés, coût élevé de l’harmonisation en rapport aux avantages qu’elle procure, etc. Des arguments économiques enfin, comme celui qui voudrait que les États soient mieux à même de fournir la contrevaleur des impôts versés ou comme ceux qui font appel à la théorie du public choice.

[3] Pour un bref survol des débats, voir Lussier (1991).

[4] Si l’institutionnalisation d’un marché nord-américain est une initiative récente, il n’en demeure pas moins que les niveaux et modalités d’intégration entre le Canada et les États-Unis étaient déjà très avancés et que, sous cet angle, ils dépassent depuis longtemps les niveaux de complémentarité industrielle et les modalités d’intégration atteints à l’intérieur de l’Europe communautaire.

[5] On retrouve également cette vision sociale dans les statuts du Conseil de l’Europe : « Le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social » (article premier). Et de manière plus explicite encore, dans les Recommandations du Comité des ministres adoptées le 6 septembre 1949 en conclusion du débat sur le Rôle du Conseil de l’Europe dans le domaine de la Sécurité sociale, où il est écrit au tout début du document : « Dans la lutte pour la justice sociale, la sécurité sociale joue un rôle primordial. Dans une nation civilisée, elle constitue pour le peuple la protection contre l’adversité. Elle est aussi le moyen le plus efficace de lutter contre la pauvreté et l’adversité. » Cette prise de position va dans le sens de l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui spécifie : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires : elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou de tous les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »

[6] On retrouve cette même disposition dans le Traité de la CECA qui fait mention à l’article 2 du développement de l’emploi et du relèvement des niveaux de vie.

[7] Le fonds intervient de manière indirecte en participant aux dépenses des États ou des organismes publics dépendant de ces derniers.

[8] Ce compromis se retrouve dans les structures mêmes de la Communauté ainsi que dans le partage des compétences. La responsabilité de la politique sociale relève du Conseil des ministres. Tandis que le Conseil économique et social joue un rôle essentiellement consultatif.

[9] L’idée restera très forte durant cette période que la dynamique intégrative devait se propager d’un secteur à l’autre, l’intégration économique servant ainsi de levier de l’intégration politique et de l’intégration sociale.

[10] La seule avancée majeure durant les années 1960 sera la libre circulation des personnes, dont le principe est à peu près totalement acquis en 1968.

[11] Il faut quand même noter la création, en 1974, d’un comité consultatif pour la sécurité, l’hygiène et la protection de la santé sur le lieu de travail, ainsi qu’en 1975, la création du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP). Par ailleurs, le Fonds social européen verra son champ d’action élargi en 1971.

[12] Voir à ce sujet entre autres Venturini (1988), Riflet (1984) et Vogel-Polsky et Vogel (1991).

[13] C’est ce que reconnaîtra à plusieurs reprises Jacques Delors pour qui, en 1985, c’est la nécessité économique qui servira de moteur de la relance de la Communauté. Il est à cet égard significatif de constater le peu de place accordé aux questions sociales dans le rapport produit en 1987 par le groupe dirigé par Tomaso Padoa-Schioppa (1987).

[14] Signe de ce changement de perspective, la Communauté économique européenne devient désormais la Communauté européenne. Néanmoins, il faut nuancer ce constat puisque l’unification monétaire devient désormais le levier de l’intégration politique en même temps que l’indicateur de la volonté politique des pays européens d’aller de l’avant sur la voie de l’unité politique.

[15] Outre la Communauté européenne, dont les compétences sont élargies, l’Union européenne repose désormais sur deux autres piliers : « les dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune » et « les dispositions sur la coopération en matière de police et de justice ».

[16] Le fonds a été doté de 15 milliards d’écus pour la période 1992-1993.

[17] Les règles relatives au Fonds social européen relèvent désormais de la procédure de coopération avec le Parlement.

[18] Les dispositions de l’Accord ne s’appliquent cependant pas aux rémunérations, au droit d’association, au droit de grève et au droit de lock-out.

[19] La Charte couvre les domaines suivants : la libre circulation des personnes, l’emploi et la rémunération, les conditions de vie et de travail, la protection sociale, la liberté d’association et de négociation collective, la formation professionnelle, l’égalité de traitement, l’information, la participation et la consultation des travailleurs, la santé et la sécurité dans le milieu de travail, la protection des enfants et des adolescents, la protection des personnes âgées et la protection des personnes handicapées.

[20] Dans le sens d’un modèle qui donnerait une large place à l’interventionnisme en matière de protection sociale, qui reconnaîtrait l’existence d’un système légal de représentation des travailleurs et qui accorderait un rôle privilégié à la négociation collective dans les relations sociales (Aubry, 1988).

[21] La distinction entre les effets directs et les effets indirects est introduite par Lussier (1991). Les effets directs sont ceux qui résultent des dispositions explicites des deux accords commerciaux ainsi que de celles qui font l’objet de la Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain au Canada, de même que des législations correspondantes qui seront promulguées par les deux autres pays. Les effets indirects sont ceux qui résultent de la mise en application du traité dans certains secteurs qui sont susceptibles d’affecter la prestation de services publics. Nous introduirons une troisième catégorie d’effets, les effets systémiques, pour qualifier les effets de débordement que pourront avoir les traités commerciaux sur les cadres de référence sur lesquels reposent les programmes sociaux établis dès lors que ceux-ci se trouvent confrontés à un double réseau de contraintes de compétitivité : externe d’un côté, interne de l’autre.

[22] Ainsi, par exemple, l’annexe 801 de l’article 801 de l’ALENA stipule : « Nonobstant l’article 801, en ce qui concerne le Canada et les États-Unis, les mesures bilatérales d’urgence prises à l’égard de produits originaires du territoire de l’une ou l’autre de ces deux Parties seront régies par des dispositions de l’article 1101 de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, qui est par la présente incorporé dans le présent Accord, dont il fait partie intégrante à de telles fins. » On retrouve d’ailleurs le même régime particulier confirmé au chapitre 16 touchant à l’« Admission temporaire des hommes et des femmes d’affaires » puisque l’annexe 1608 : « Définitions propres à chaque pays » prévoit deux formulations pour le mot « existantes » qui signifie : « a) entre le Canada et le Mexique, et entre les États-Unis et le Mexique, les mesures qui sont appliquées à la date d’entrée en vigueur du présent accord ; et b) entre le Canada et les États-Unis, les mesures qui étaient appliquées au 1er janvier 1989 ». Il est à noter, au passage, que dans le premier exemple, le maintien du régime prévu à l’ALE impose au Canada des normes beaucoup plus strictes que celles qui sont prévues à l’ALENA en matière de mesures d’urgence où l’on n’a fait que reprendre celles auxquelles les États ont souscrit dans le cadre des Accords du GATT, qui ne prévoit pas seulement la « cause importante de préjudice grave à l’industrie nationale » (art. 1101), mais également « la menace de préjudice grave à une branche de production nationale qui produit un produit similaire » (art. 801) ; or, dans le premier cas, les négociateurs n’ont retenu que le préjudice grave et non pas la menace de préjudice grave. Dans le second exemple retenu, c’est l’inverse qui se vérifie puisque les conditions régissant l’admission temporaire des gens d’affaires entre les États-Unis et le Canada sont plus tolérantes que celles qui prévaudront entre les États-Unis et le Mexique d’une part, entre le Mexique et le Canada d’autre part ; de surcroît, les admissions depuis le Mexique vers les États-Unis sont soumises à un quota annuel maximal de 5 500 demandes (Ch. 16, Liste III), une restriction qui n’existe ni vis-à-vis du Canada ni entre celui-ci et les États-Unis ou le Mexique.

[23] Il s’agit d’un domaine sensible pour les États-Unis, particulièrement en ce qui a trait aux monopoles publics.

[24] Une cinquantaine dans le cas des États-Unis et celui du Mexique.

[25] Cette partie du texte constitue une version amendée d’un texte publié dans la Revue d’intégration européenne.

[26] Comme le rappelle Dumont (1992), nous sommes toujours confrontés à un problème de vocabulaire. Ainsi, note-t-il, au Royaume-Uni (le problème est analogue au Canada et aux États-Unis), le terme de «sécurité sociale» ne couvre que les prestations en espèce et non les prestations en nature. Ce qui n’est pas nécessairement le cas dans d’autres pays. C’est pour cette raison, et pour réduire les biais dus aux définitions retenues, que nous avons choisi de travailler avec trois grands indicateurs. Comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin, le choix de l’un ou de l’autre de ces trois indicateurs n’influe pas réellement sur les conclusions générales que l’on peut tirer des analyses comparatives ; le problème survient surtout lorsque nous prenons les valeurs absolues.

[27] Le lecteur peut consulter les tableaux et graphiques à la fin du présent texte.

[28] D’autres méthodes de regroupement sont utilisées dans les ouvrages ; il faut en mentionner deux : celle qui consiste à regrouper les pays d’après le poids de la protection sociale, selon que les dépenses sont importantes, intermédiaires ou faibles (Bensaïd et al., 1993), et celle qui consiste à classer les pays selon que leur régime de sécurité sociale est de type « bismarckien », c’est-à-dire fondé sur le principe de l’assurance collective et de la solidarité professionnelle, de type beveridgien, c’est-à-dire fondé sur le principe du droit à la sécurité sociale et sur celui de la solidarité nationale, et les systèmes mixtes (Dumont, 1992). La convergence observée tant au plan des dépenses qu’au plan des régimes eux-mêmes introduit de plus en plus un certain arbitraire dans la classification des pays, particulièrement dans le cas de ceux que l’on peut qualifier d’intermédiaires dans les dépenses ou de mixtes dans la nature du régime de protection. Notre propre classification n’est pas à l’abri de ces problèmes, il faut le souligner. Nous essaierons dans la mesure du possible d’en tenir compte. Il est important aussi de souligner que nous avons voulu limiter notre analyse comparative au seul cas des pays de l’Union européenne. Nous n’avons pas retenu les pays « candidats ». Notre objectif étant surtout de resituer l’Amérique du Nord par rapport aux pays de la Communauté afin de mieux mettre en valeur les problèmes que soulève l’intégration sociale dans un contexte de libre-échange, cette méthode nous semble justifiée.

[29] OCDE (1993-b). Les systèmes de santé des pays de l’OCDE. OCDE (1993c). La réforme des systèmes de santé. Analyse comparée de sept pays de l’OCDE. Voir également « Les études économiques de l’OCDE », Mexique (1992), États-Unis (1993) et Canada (1993), ainsi que le rapport de la Banque mondiale (1993), World Development Report 1993. Investing in Wealth.

[30] Les données qui suivent sont empruntées au Statistical Abstract of the United States (1992).

[31] Les estimations situent le niveau de pauvreté, sur la base du double du salaire minimum, à près de 30% de la population, dont la moitié en zone rurale, et le niveau d’extrême pauvreté entre 10 et 20% de la population.

[32] Les source des données sont principalement issues du BIT : BIT (1993). Le coût de la sécurité sociale, Treizième enquête internationale, 1984-1986. Tableaux comparatifs ; BIT (1993). Le travail dans le monde, 1993 ; et de l’OCDE : OCDE (1993). Comptes nationaux, 1992, « Glossaires des principaux termes utilisés », volume II, tableaux détaillés, pp. 560 et suivantes ; OCDE (1988). Dépenses sociales-1960-1990, Problèmes de croissance et de maîtrise ; OCDE (1988). L’avenir de la protection sociale. Les données ont été complétées lorsque c’était nécessaire à partir des sources suivantes : Commission des Communautés européennes. Tableaux comparatifs des régimes de sécurité sociale ; Eurostat (1991). Portrait social de l’Europe ; OCDE (1992b). Études économiques. Mexique ; US Department of Commerce (1993). Statistical Abstract of the United States, 1992 ; Wilkie, Contrera et Weber (dir.) (1993). Statistical Abstract of Latin America, vol. 30.

[33] Selon l’OCDE, la croissance réelle des dépenses de protection sociale a surtout été attribuable aux décisions délibérées des pouvoirs publics d’étendre la couverture des programmes et de relever les niveaux réels des prestations (OCDE, 1985, p. 10). C’est le climat d’incertitude économique des années 70 et 80 qui a mis un frein à l’accroissement des dépenses sociales (OCDE, 1988, p. 20). On peut se demander si une nouvelle étape n’est pas actuellement en train d’être franchie, les contraintes financières de l’État et les difficultés de financement de certains régimes sociaux incitant les gouvernements à se désengager sur le plan social. À tout le moins, on peut noter, avec Rosanvallon (1992), deux phénomènes : une remise en question des solidarités qui ont été à l’origine de l’État-providence et une inclinaison vers une logique d’insertion sociale, les fonctionnaires devenant alors progressivement les magistrats de l’insertion.

[34] Nous avons pensé utile d’appliquer aux données colligées un indice permettant de pondérer les dépenses sociales en fonction des besoins sociaux, en reprenant ici en partie la méthode de calcul proposée par Gilbert et Moon (1988) dans leur étude consacrée à l’établissement d’un classement des efforts consentis par les pays les plus développés en cette matière. Nous avons donc calculé cet indice en ne prenant en considération que deux critères, à savoir le taux de dépendance (mesuré par la part de la population âgée de 0 à 14 ans et celle de plus de 65 ans sur la population active de 15 à 64 ans) et le taux de chômage courant ou officiel. La méthode consiste à corriger les données observées par un Indice standardisé des besoins (ISB), défini, pour chacun des pays, comme le rapport de la somme des deux taux à la moyenne simple des taux de l’ensemble des pays composant notre échantillon (15). Cet indicateur doit être utilisé avec précaution puisque nous travaillons avec des moyennes simples et les données officielles, toujours sujettes à caution dans le cas du taux de chômage. Le cas du Mexique et celui de la Grèce viennent sans aucun doute introduire un biais statistique. Néanmoins, comme les dépenses en prestations de chômage sont liées aux définitions du chômage que donne chacun des pays, le biais reste limité.

[35] D’une façon générale, on retrouve les deux grands systèmes dans le financement des régimes : le système beveridgien et le système bismarckien. Ainsi, le Canada se place-t-il, à côté du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande, parmi les pays à forte fiscalisation des systèmes sociaux, alors que les États-Unis auraient tendance à se placer, avec la France et l’Allemagne, à l’intérieur du modèle bismarckien.

[36] À ces quatre grands champs, il conviendrait aussi d’ajouter les programmes plus spécifiques comme les programmes d’accès au logement, les allocations familiales, les aides à la famille, les aides aux garderies, les services communautaires, etc.

[37] Afin de permettre la comparaison avec les données du BIT, dont seules les données pour 1985 sont disponibles, nous avons retenu cette année-là.

[38] Ces deux pays se classent respectivement au premier et au second rang des pays membres de l’OCDE, avec, en dollars PPP par habitant, 2 500$ pour les États-Unis et 1 770$ pour le Canada, la moyenne de l’OCDE étant de 1 200$.

[39] Le secteur public représente, en 1990, 42% des dépenses totales de santé (État fédéral : 28,7% ; États et collectivités locales : 13,3%), soit 5,2% du PIB (7,1% pour le secteur privé). MEDICARE représente 45% de ces dépenses ; MEDICAID, environ 30% (OCDE, 1992b).

[40] L’accès aux régimes publics de santé ne comporte pratiquement aucune restriction au Canada, comme au Royaume-Uni d’ailleurs.



Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le samedi 26 septembre 2020 15:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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